Indépendance et impartialité des magistrats et ouverture de la magistrature sur la société

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur un projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société. Retrouvez ci-dessous l'analyse juridique que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

CONSEIL D'ÉTAT
Assemblée générale
Section de l'intérieur                                                                                                                                                                
N° 390.212 

Séance du jeudi 9 juillet 2015

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

AVIS SUR UN PROJET DE LOI ORGANIQUE relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société

1.  Le  Conseil  d’État  a  été  saisi,  le  15  juin  2015,  d’un  projet  de  loi  organique  relatif  à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société.

2. Ce projet de loi a pour objet de modifier l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature et la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature.

3. Il tend à renforcer l’indépendance et l’impartialité des magistrats en supprimant la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres et en leur rendant applicables les dispositions relatives à la nomination des magistrats du parquet. Il consacre l’appartenance au corps judiciaire des magistrats exerçant les fonctions d’inspecteur général, d’inspecteur général adjoint et d’inspecteur des services judiciaires, également nommés après avis de la formation du parquet du Conseil supérieur de la magistrature et pareillement soumis, à l’exception de l’inspecteur général, à la procédure de la transparence des projets de nomination. Il instaure également la nomination des magistrats exerçant les fonctions de juge des libertés et de la détention par décret du Président de la République.

4. Dans le même objectif et pour répondre aux exigences de transparence de la vie publique et de l’éthique professionnelle, le projet de loi organise la prévention des conflits d’intérêts en prévoyant un entretien déontologique des magistrats avec les chefs, du siège ou du parquet selon le cas, de la juridiction à laquelle ils sont affectés, lors de leur installation et, éventuellement, de manière itérative, ainsi que, pour les plus hauts magistrats du siège et du parquet, une déclaration de patrimoine lors de leur installation et de la cessation de leurs fonctions, effectuée auprès d’une commission de recueil des déclarations de patrimoine distincte du Conseil de la magistrature.

5. Le projet de loi modifie également l’ordonnance sur le Conseil supérieur de la magistrature pour organiser également la prévention des conflits d’intérêts par une déclaration de patrimoine de ses  membres auprès de la même commission de recueil des déclarations de patrimoine, lors de la prise et de la cessation de leurs fonctions

6. Le projet de loi tend aussi à renforcer les droits des magistrats en consacrant leur droit syndical, en étendant leur protection fonctionnelle au cas où ils font l’objet d’une plainte d’un justiciable, en améliorant les droits de la défense dans le cadre des procédures disciplinaires, en prévoyant des délais pour que les formations du siège et du parquet du Conseil supérieur de la magistrature se prononcent sur la situation du magistrat qui fait l’objet d’une plainte d’un justiciable ou de poursuites disciplinaires et en instaurant une prescription de l’action disciplinaire.

7. Le projet de loi modifie les modalités d’évaluation des magistrats afin de renforcer   la pertinence des décisions de nomination et de promotion, particulièrement pour ceux qui sont appelés à exercer des fonctions de chefs de juridiction, en exigeant de ces derniers la définition d’objectifs et l’établissement régulier de bilans d’activité.

8. Il s’emploie à résoudre certaines difficultés de fonctionnement des juridictions en créant de nouvelles fonctions hiérarchiques pour améliorer l’encadrement intermédiaire dans les grandes juridictions et favoriser les déroulements de carrière, en prévoyant de nouvelles modalités de recrutement par la voie des concours. Il offre la possibilité aux magistrats honoraires d’être nommés  dans  des  fonctions  juridictionnelles  pour une durée de cinq  ans,  selon  les  formes prévues respectivement pour les magistrats du siège ou du parquet et sous les mêmes conditions que les magistrats exerçant à titre temporaire et permet le renouvellement des fonctions de juge de proximité et de magistrat exerçant à titre temporaire. Dans le même but, il organise les retours de détachement et de congé parental.

9. Le projet de loi modifie certaines dispositions relatives, d’une part, à la durée d’exercice des fonctions du second grade dans la même juridiction pour prétendre à un avancement et, d’autre part, aux conditions d’accès à la « hors hiérarchie » en ce qui concerne l’accomplissement de la mobilité statutaire, rendue facultative, afin de rechercher un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes dans l’accès aux postes élevés dans la hiérarchie judiciaire.

10. Le Conseil d’État n’a pas formulé d’observations :
- sur la suppression de la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres,
- sur les nouvelles modalités de désignation du juge des libertés et de la détention,
- sur la reconnaissance et l’encadrement par la loi organique du droit syndical des magistrats, qu’il a cependant précisé et complété,
- sur les dispositions améliorant les garanties des droits de la défense des magistrats, instaurant la prescription pour le prononcé des sanctions disciplinaires, organisant la prévention des conflits d’intérêts et les déclarations de patrimoine et la création d’une commission de recueil de ces déclarations distincte du Conseil supérieur de la magistrature,
- sur celles permettant aux magistrats placés auprès du premier président d’une cour d’appel ou du procureur général près une telle cour d’être nommés, au terme de leur fonction, dans l’une des juridictions du ressort de la cour d’appel auprès de laquelle ils sont affectés,
- et sur celles assurant un meilleur déroulement de carrière aux fins tant d’une meilleure organisation des juridictions que d’un équilibre entre les femmes et les hommes dans l’accès aux fonctions élevées de la hiérarchie judiciaire.
Dès lors, le projet de loi n’appelle pas d’autre observation de la part du Conseil d’État que les remarques suivantes.

Sur l'étude d'impact

11. Le Conseil d’État a estimé que l’étude d’impact n’était pas pleinement satisfaisante. En effet, elle ne comportait pas de développements décrivant les rigidités susceptibles d’être engendrées par  la  nomination  des  juges  des  libertés  et  de  la  détention  par  décret  du  Président  de  la République dans les petites juridictions et présentant les solutions permettant de les surmonter. Il a noté que le Gouvernement apporterait les compléments nécessaires.

Sur le titre et le plan du projet de loi

12. Le Conseil d’État s’est attaché à donner au texte proposé un titre moins programmatique et plus  sobre  (« Projet  de  loi  organique  relatif  aux  garanties  statutaires  et  aux  conditions  de recrutement des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature »), en rapport étroit avec son objet, et des intitulés des subdivisions internes plus en adéquation avec le contenu des dispositions qu’elles renferment. Ce souci de présentation l’a conduit à adopter un plan distinguant nettement la partie qui concerne le statut de la magistrature, subdivisée en chapitres inspirés de la trame de l’ordonnance de 1958 qu’elle modifie, de la partie relative au Conseil supérieur de la magistrature.

Sur les modalités de recrutement

13. Le Conseil d’État a appelé l’attention du Gouvernement sur l’importance qui s’attache à ce que les nouvelles modalités de recrutement par la voie des concours ou de l’intégration directe, les renouvellements des fonctions des juges de proximité et des magistrats exerçant des activités temporaires ainsi que le recrutement des magistrats honoraires soient assorties des précautions appropriées pour assurer le meilleur exercice des fonctions juridictionnelles et ainsi garantir le droit à une justice de qualité et l’égalité de traitement des justiciables devant la justice, conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel.

Sur la commission d'avancement

14. Le Conseil d’État a relevé qu’il était opportun de redéfinir la compétence de la commission d’avancement en raison de l’inscription désormais quasiment automatique des candidats au premier grade de la hiérarchie judiciaire, en concentrant ses attributions sur l’examen des recours contre les refus d’inscription et les évaluations.
Sur l'obligation de mobilité

15.  Le Conseil d’État n’a pu donner un avis favorable à la suppression de l’obligation de mobilité statutaire pour accéder à la « hors hiérarchie », la mobilité devenant ainsi facultative, en relevant que cette mesure contrariait l’objectif proclamé d’ouverture du corps judiciaire vers l’extérieur, alors que doivent être développées et valorisées les possibilités d’un exercice temporaire d’une autre activité professionnelle, lequel constitue une source de compétences personnelles  supplémentaires  et  un  facteur  de  dynamisme  pour  l’institution.  Il  a  seulement accepté de reporter l’application de l’obligation de mobilité à compter de 2020.

Sur les modalités d'évaluation

16. Le Conseil d’État a apporté des modifications aux conditions d’évaluation prévues dans le projet du Gouvernement.
    · S’agissant des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, si la pratique d’entretiens professionnels  avec,  selon  le  cas,  le  Premier  président  pour  les  magistrats  du  siège  ou  le Procureur général pour les magistrats du parquet, permettant d’évoquer l’activité professionnelle de chaque magistrat lui paraît toujours possible, il a écarté l’application à ces magistrats de l’évaluation telle qu’elle est proposée par le projet de loi. En effet, outre qu’elle serait peu opérante dès lors que la plupart de ces magistrats arrivent au terme de leur carrière et ne sont donc plus candidats à une promotion, il est apparu qu’elle serait inappropriée et sans précédent pour une juridiction suprême. Elle aboutirait au surplus, en l’état du texte, à permettre à un magistrat du siège ou du parquet général de la Cour de cassation qui serait insatisfait de son évaluation  d’exercer  contre  une  décision  d’un  chef  de  cette  Cour  un  recours  devant  la commission d’avancement présidée par le président de chambre doyen de cette même Cour. Elle conduirait aussi à ce que soient évalués par les chefs de la Cour de cassation les magistrats du siège et du parquet de cette Cour qui siègent au sein de chacune des deux formations du Conseil supérieur de la magistrature et qui sont respectivement appelés à présider chacune de ces formations en cas d’empêchement,  selon le cas, du Premier président ou du Procureur général.
    · Ensuite, s’agissant de l’évaluation des chefs des cours d’appel, le Conseil d’État a considéré qu’il  n’était  pas  pertinent  que  le  Premier  président  ou  le  Procureur  général  qui  prend  ses fonctions établisse un état du fonctionnement de la cour d’appel et des juridictions du ressort avant de définir ses objectifs alors qu’il dispose, d’une part, des rapports de son prédécesseur sur l’administration  des  services  judiciaires  et  des  juridictions  du  ressort  ainsi  que sur la cour d’appel, d’autre part, des rapports qui ont pu être établis par l’inspection générale des services judiciaires, voire par le Conseil supérieur de la magistrature lui-même. En revanche, l’établissement régulier d’un bilan d’activité des juridictions du ressort a paru pertinent.
Le Conseil d’État a estimé opportun de ne pas prévoir une rédaction identique des dispositions concernant respectivement le Premier président et le Procureur général de la cour d’appel dans la mesure où ce dernier, s’agissant de la politique pénale, ne peut définir ses objectifs que sous réserve des dispositions afférentes à la détermination de la politique pénale par le Gouvernement. Il a tenu à préciser que la prise en compte des conditions d’organisation et de fonctionnement du service auquel appartient le magistrat évalué devait être le fait, non pas de ce dernier, mais de l’autorité qui procède à l’évaluation. Enfin, il a précisé que l’évaluation devait être effectuée non seulement en cas de présentation à l’avancement, comme cela est actuellement prévu, mais aussi à  l’occasion  du  renouvellement  des  fonctions  dans  la  mesure  où  les  fonctions  de  juge  de proximité ou de magistrat exerçant à titre temporaire sont désormais renouvelables.

Sur les magistrats honoraires

17. Le Conseil d’État a souhaité harmoniser les fonctions ouvertes aux magistrats honoraires au siège et au parquet, en précisant  les fonctions dont ils pourraient être chargés au parquet.
Sur la protection des magistrats

18. Le Conseil d’État a précisé que la protection des magistrats par la prise en charge des frais d’avocat valait pour la procédure devant la commission d’admission des requêtes, mais cessait quand l’affaire est renvoyée à la formation disciplinaire compétente du Conseil supérieur de la magistrature.

Sur le maintien en activité

19. Enfin, le Conseil d’État a considéré que ne pouvait être admise la disposition prévoyant le maintien en activité des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation sous la réserve de leur aptitude et de l’intérêt du service, sans que soient précisés les titulaires de cette appréciation. Une telle évaluation, si elle était laissée à la seule appréciation du pouvoir exécutif, pourrait en effet conduire à porter atteinte au principe d’inamovibilité des magistrats du siège. Le Conseil d’État a par conséquent introduit dans le projet de loi l’intervention de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, dans les conditions prévues à l’article 65 de la Constitution, seul l’avis conforme de cette instance pour un magistrat du siège ou l’avis pour un magistrat du parquet permettant de faire échec à une demande de maintien en activité pour l’un des deux motifs mentionnés ci-dessus.

Cet  avis  a  été  délibéré  par  l’assemblée  générale  du  Conseil  d’État  dans  sa  séance  du jeudi 9 juillet 2015.