Fichier judiciaire des auteurs d'infractions de terrorisme

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État relatif au projet de fichier judiciaire des auteurs d’infractions de terrorisme. Retrouvez ci-dessous l'analyse juridique que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

CONSEIL D’ÉTAT
Section de l’intérieur
Séance du mardi 7 avril 2015

N° 389.851

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

Avis relatif au projet de fichier judiciaire des auteurs d’infractions de terrorisme

Le Conseil d’État, a été saisi par le Premier ministre des questions suivantes :

Dans le cadre de la discussion au Parlement du projet de loi relatif au renseignement, le Gouvernement envisage de déposer un amendement relatif à la création d’un fichier judiciaire des auteurs d’infractions de terrorisme :

1° Ce projet satisfait-il aux exigences constitutionnelles et aux engagements internationaux de la France ?

2° En cas de réponse négative à la première question, quelles seraient les évolutions qu’il conviendrait d’apporter au projet afin d’assurer sa conformité aux normes supérieures à la loi?

Les caractéristiques du fichier résultant des éléments transmis au rapporteur seront les suivantes.

Tenu par le service du casier judiciaire national sous l’autorité du ministre de la justice et sous le contrôle d’un magistrat il aura pour finalité de prévenir le renouvellement de ces infractions et de faciliter l’identification de leurs auteurs. Son architecture générale sera analogue à celle du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, régi par les articles 706-53-1 et suivants du code de procédure pénale.

Y seront enregistrées les personnes ayant commis ou tenté de commettre un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal - à l’exception des faits de provocation directe à commettre de tels actes ou de leur apologie - à condition d’avoir fait l’objet d’une condamnation, même non définitive, d’une décision d’irresponsabilité pénale pour trouble mental ou d’une décision, même non définitive, prononcée en application de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

S’agissant des personnes majeures, la décision sera automatiquement inscrite, sauf décision contraire de la juridiction. Les personnes mineures, de treize à dix-huit ans, ne seront pas inscrites dans le fichier, sauf décision expresse de la juridiction ou du procureur de la République. Seront en outre inscrites, sur décision du juge d’instruction, les personnes faisant l’objet d’une mise en examen.

Les informations seront effacées en cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. La durée de conservation des données enregistrées serait de quarante ans à compter du prononcé de la décision ou, dans le cas d’un mineur, de trente ans. Dans l’hypothèse d’une incarcération dans le cadre de la condamnation entraînant enregistrement dans le fichier, le délai ne commencera à courir qu’à compter de la libération de la personne concernée.

Les personnes ayant méconnu l’interdiction de sortie du territoire régie par l’article 224-1 du code de la sécurité intérieure qui les vise pourront être inscrites au fichier en cas de condamnation pour ce motif, sur décision du juge. La durée de conservation des informations les concernant sera limitée à dix ans pour les majeurs et cinq ans pour les mineurs.

Toute personne inscrite dans le fichier sera astreinte pendant une durée de vingt ans - dix ans pour les mineurs - aux obligations suivantes : justifier de son adresse tous les trois mois, déclarer ses changements d'adresse et tout déplacement à l’étranger. En cas d’inscription au titre de la méconnaissance d’une interdiction de sortie du territoire la durée de ces obligations sera ramenée, à cinq ans pour les majeurs et trois ans pour les mineurs.

La méconnaissance de ces obligations sera constitutive d’un délit puni d’une amende de 30 000 euros et d’une peine d’emprisonnement de deux ans. Leurs auteurs pourront faire l’objet des actes prévus à l’article 74-2 du code de procédure pénale - interceptions téléphoniques par exemple - et d’une mesure de géo localisation judiciaire, en application de l’article 230-32 du même code.

Les informations enregistrées dans le fichier seront accessibles aux autorités judiciaires, aux officiers de police judiciaire, aux agents spécialement habilités des services spécialisés de renseignement, aux agents du ministère des affaires étrangères, à certaines administrations de l’Etat dont la liste sera définie par le décret d’application, et aux agents des greffes pénitentiaires. Toute interconnexion avec un fichier ne dépendant pas du ministère de la justice, à l’exception du fichier des personnes recherchées, sera exclue. Les personnes enregistrées seront automatiquement mentionnées au fichier des personnes recherchées.

Toute personne figurant dans le fichier aura un droit d’accès à l’intégralité des informations enregistrées la concernant et pourra saisir le procureur de la République d’une demande de relèvement dans le cas où la conservation des informations n'apparaîtrait plus nécessaire compte tenu notamment de la finalité du fichier, de la nature de l'infraction, du temps écoulé et de la personnalité de l'intéressé, la décision du procureur étant susceptible de recours devant le juge des libertés et de la détention puis devant le président de la chambre de l’instruction.

Des dispositions transitoires prévoiront l’inscription des personnes ayant commis l’une des infractions visées avant la date de publication de la loi et fait postérieurement l’objet d’une des décisions justifiant une telle inscription, des personnes exécutant une peine privative de liberté à raison des faits justifiant l’inscription au fichier ainsi que de celles figurant au casier judiciaire à raison des mêmes faits.

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la sécurité intérieure ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment son article 26 ;
Vu l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés du 7 avril 2015 ;

EST D’AVIS DE REPONDRE DANS LE SENSDES OBSERVATIONS QUI SUIVENT :

Le Conseil d’État considère en premier lieu que la particulière gravité des infractions de terrorisme et de la menace que ses auteurs représentent pour l’ordre public justifient la création d’un fichier judiciaire des auteurs d’infractions de terrorisme en vue de prévenir la récidive et de faciliter la recherche des auteurs de ces infractions. Le Conseil d’État relève que le projet envisagé par le Gouvernement, qui revient à créer dans le code de procédure pénale, d’une part un dispositif de conservation des données relatives aux auteurs d’infractions terroristes accessibles aux services judiciaires et administratifs compétents et, d’autre part, un dispositif de sûreté constitué par l’obligation faite aux auteurs de ces infractions de signaler leur adresse, leurs déplacements entre la France et l’étranger, et de se présenter à cette occasion personnellement, selon les cas, au commissariat de police, à la brigade de gendarmerie ou au consulat de France, est adapté à cette finalité.

En deuxième lieu, le Conseil d’État s’est assuré que les différentes dispositions du projet, qui relèvent de la loi au titre des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, permettent d’assurer la conciliation entre les nécessités propres aux objectifs légitimes poursuivis - la sauvegarde de l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions de terrorisme - et les principes et droits constitutionnellement et conventionnellement applicables aux mesures qui, comme l’inscription à ce fichier judiciaire, ont le caractère non d’une peine mais d’une mesure de police.

A cet égard, doivent être prises en compte les garanties prévues par le projet, notamment celles tenant à ce que :
- le fichier est géré par le service du casier judiciaire du ministère de la justice, sous le contrôle d'un magistrat ;
- l’inscription dans le fichier résulte de décisions judiciaires limitativement énumérées ;
- le droit d’accès aux données est reconnu aux intéressés ainsi que la possibilité d’obtenir le relèvement, sous le contrôle du juge, lorsque la conservation des données n’apparaît plus nécessaire ;
- la loi du 6 janvier 1978 est applicable au fichier ;
- les possibilités d’interconnexion avec d’autres fichiers sont limitées.

Compte tenu de ces garanties le Conseil d’État estime que les dispositions du projet relatives aux données enregistrées et à la durée de leur conservation, ainsi qu’aux obligations de sûreté imposées aux personnes inscrites au fichier et à la durée de celles-ci, prises dans leur ensemble, sont proportionnées au regard des objectifs poursuivis par le traitement et ne méconnaissent ni le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que par les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, et 7 de la charte européenne des droits fondamentaux, ni les principes relatifs à la protection des données à caractère personnel protégés par l’article 8 de la même charte.

L’inscription au fichier d’une personne mise en examen sur décision du juge d’instruction, que celui-ci pourra à tout moment retirer, et qui pourra être contestée devant la chambre de l’instruction comme les ordonnances statuant sur le contrôle judiciaire, n’est pas disproportionnée.

En rendant les articles 230-32 et suivants du code de procédure pénale relatifs à la géo localisation applicables aux manquements aux obligations déclaratives imposées par l’inscription au fichier, le projet n’impose pas une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs de ces manquements, eu égard à la gravité des infractions qui justifient tant l’inscription au fichier que ces mêmes obligations déclaratives, et au danger que leurs auteurs peuvent représenter pour l’ordre public.

L’extension de la compétence concurrente donnée par le projet à la juridiction parisienne mentionnée aux articles 706-17 et suivants du code de procédure pénale pour connaître de ces mêmes manquements ne se heurte à aucune règle de valeur constitutionnelle ou conventionnelle ni aux exigences de bonne administration de la justice.

L’enregistrement au fichier des personnes recherchées des personnes inscrites au fichier judiciaire des auteurs d’infractions de terrorisme est justifié par la nécessité d’assurer l’effectivité des obligations auxquelles sont astreintes les personnes inscrites au fichier, pour la durée de celles-ci.

Le Conseil d’État relève enfin que, conformément aux exigences constitutionnelles en matière de droit pénal des mineurs, le projet comporte plusieurs adaptations en leur faveur, tenant notamment à la non inscription des mineurs de treize ans au fichier, à l’absence d’automaticité de l’inscription des autres mineurs, et à une procédure particulière de requête en effacement de fichier.

En troisième lieu le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur les points suivants.

Les données personnelles collectées devront être, dans le décret d’application, précisément définies, et se limiter à ce qui est nécessaire à l’identification de la personne (état civil), à sa localisation (adresses successives de la personne inscrite au fichier, y compris celles de tiers en cas d’hébergement par ceux-ci), aux faits générateurs de l’enregistrement (décision entrainant l’inscription, nature de l'inscription : ordonnée ou de droit), aux obligations (notifications et justifications d’adresse et de déplacements à l’étranger), à l’inscription au FPR et aux incarcérations (mise sous écrou et libération).

La durée et le contenu des obligations auxquelles les personnes seront astreintes gagneraient, en termes de proportionnalité, à prendre en compte davantage la gravité de l’infraction.

La liste des autorités administratives, services et agents administratifs de l’État ayant accès au fichier devra être définie en fonction des finalités de leur mission, et la durée de leur accès aux informations contenues dans le fichier, limitée à celle des obligations de la personne.

L’accès direct des services spécialisés de renseignement aux informations contenues dans le fichier sans restriction quant au motif de la consultation est sans équivalent s’agissant d’un fichier judiciaire. Eu égard aux finalités du fichier et des mesures de sûreté qui découlent de l’inscription dans celui-ci, le Conseil d’État estime que cet accès devrait être limité aux agents de ces services individuellement désignés et spécialement désignés dans le seul cadre de la prévention du terrorisme.

Enfin, le dispositif envisagé ajoute aux cas déjà prévus par l’article 74-2 du code de procédure pénale, relatifs à des personnes en fuite faisant l’objet d’un mandat d’arrêt d’une juridiction de jugement ou d’instruction, les deux nouveaux cas, plus incertains dans leur caractérisation, de manquements aux obligations imposées aux personnes inscrites dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions de terrorisme ou dans le fichier des auteurs d’infractions sexuelles. Ce dispositif ouvrirait la possibilité, sans définir de critères de choix précis entre les deux options procédurales, de mettre en oeuvre une procédure parallèle et cumulative à l’enquête judiciaire qui peut être menée pour la poursuite des manquements aux obligations précitées, que ce soit, selon le droit commun, par une enquête de flagrance ou préliminaire ou par une information judiciaire. Le dispositif envisagé permettrait, en outre, au procureur de la République de mettre en œuvre, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, des interceptions de conversations téléphoniques, alors qu’une telle possibilité n’existe aujourd’hui que pour la poursuite des infractions de criminalité organisée, prévues à l’article 706-73 du code de procédure pénale.

Dans ces conditions, la création d’un fichier judiciaire des auteurs d’infractions de terrorisme ne se heurtant à aucune règle de valeur constitutionnelle ou conventionnelle, il y a lieu de répondre par l’affirmative à la question 1, la question 2 étant sans objet.

Cet avis a été délibéré par la section de l’intérieur du Conseil d’État dans sa séance du mardi 7 mars 2015.