La place accrue du contrat dans le droit public français reflète les importants changements intervenus dans le contexte politique et économique des années 1970-2000 : la modification des rapports entre l’État et le marche, la construction européenne qui a encadre l’exercice de leurs compétences paries États membres et totalement appréhendé la matière des contrats administratifs, l’ouverture à la concurrence mondiale et la pénétration croissante du droit angle-saxon qui privilégie le contrat par rapport a l’acte unilatéral, la décentralisation qui a installe de nouvelles sources de légitimité concurrentes de celle de l’État, les évolutions de notre propre système juridique comportant notamment la reconnaissance, depuis peu, de la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle.
Cette ascension du contrat traduit aussi l’irruption du consumérisme dans la sphère administrative, comme dans le reste de la société. L’usager n’est, du moins le soutient-on, plus un être anonyme qu’on peut éconduire de derrière un guichet ou a qui on peut imposer des sujétions en ignorant ses réactions ou ses particularités. Mieux éduqué et mieux informe, doué d’une raison calculatrice, il est devenu une personne qui connait plus précieusement ses droits, entend les faire valoir et veut des réponses adaptées a sa situation ou a son cas particulier, l’État tutélaire et source d’obligations pour un citoyen anonyme est devenu un État Providence qui dispense ses bienfaits a des catégories sociales ou a des personnes ayant des besoins spécifiques. Le discours politique, pour corriger le déséquilibre des rapports entre le service public et l’usager, a des lors volontiers recouru au vocabulaire contractuel: les chartes des droits, les engagements de service ont fleuri.
La contractualisation correspond à un nouveau style et a un nouveau registre de l’action politique et administrative se fondant sur la négociation et le consensus plutôt que sur l'autorité. L’État contemporain recherche l’adhésion des acteurs de préférence a l'action unilatérale, ce que les spécialistes de la gouvernance publique désignent de manière quelque peu euphorique comme la «coproduction » ou la «coconstruction » de la norme publique et de l’action publique.
Le Président de la République s’est clairement exprime en ce sens lorsqu’il a tire les conclusions du Grenelle de l'environnement le 25 octobre 2007: « Nous l’avons prouve avec le Grenelle. Il faut avoir le courage de décider autrement. Il faut avoir le courage de changer les méthodes et de préférer la décision issue de la négociation plutôt que la décision issue de l'administration ».
Cette nouvelle posture reflète, dans la sphère publique, la crise d’autorité qui a affecte les sociétés développées, avec notamment la remise en cause des institutions (famille, mariage, autorité parentale...) et des corps intermédiaires, et qui débouche sur un autre mode d’exercice du pouvoir et de l’autorité.
Le contrat a donc bonne presse : devenu synonyme de modernité, substituant la régulation au rapport de tutelle, libérant faction administrative de ses rigidifies, il apporterait une nouvelle légitimité & faction administrative car, après tout, « Le contrat (...) c’est la reforme permanente, c’est la démocratisation de l'action administrative (...)».
Se référant a f autre versant de la tradition politique française, la suprématie de la loi, expression de la volonté générale, le Vice-président du Conseil d’État pouvait écrire en 2003 « on ne saurait (...) élever l’administration contractuelle au rang de panacée. On ne peut pas gouverner par contrat. Il y a et il doit toujours y avoir une part de commandement qui s’exprime par l’ordre de la loi ou du règlement, le cas échéant, sous la menace de peines applicables en cas de manquement ».
Le prestige dont jouit le contrat n’empêche de fait pas que l’annonce d’une loi demeure dans notre pays l'acte cathartique et l'outil privilégié de tout Gouvernement pour tenter de désamorcer les crises dans l’urgence. Malgré cela, le contrat n’a cesse de gagner du terrain & la fois dans la gestion publique et dans l’élaboration de la norme juridique. Après avoir passe en revue cette dynamique contractuelle, le rapport du Conseil d’État entend apporter des éléments de réponse aux questions suivantes :
l'ascension du contrat répond-elle a un simple phénomène de mode ou a de véritables nécessites ?
pourquoi l’administration a-t-elle de nos jours besoin de recourir davantage au contrat ?
a quoi sert exactement le contrat en droit administratif ?
en quoi le contrat se distingue-t-il des autres normes ou modes d’action de l’administration ?
dans quels cas est~il plus avantageux et plus efficace pour l’administration de recourir au contrat qu’a l'acte administratif unilatéral ?
faut-il envisager de nouvelles extensions pour la sphère contractuelle, a quelles conditions et dans quelles limites ?
est-t-il nécessaire de revoir la définition du contrat pour tenir compte de ses nouvelles fonctions et du droit communautaire ?
quelles sont les actions prioritaires à conduire pour améliorer la sécurité juridique des contrats administratifs ?