Réunion annuelle des chefs de juridiction administrative

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État au ministère de la justice le 15 mars 2017

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Réunion annuelle des chefs de juridiction administrative

Ministère de la Justice, Mercredi 15 mars 2017

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’Etat

 

Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice,

Mesdames et Messieurs les présidents,

Chers collègues,

Je voudrais tout d’abord vous remercier, Monsieur le garde des sceaux, d’accueillir aujourd’hui, à l’occasion de leur réunion annuelle, les 46 chefs de juridiction administrative ainsi que les responsables des services en charge de leur administration. 46, c’est le même nombre que l’an passé : il n’y a ni inflation des cadres – rigueur budgétaire oblige –, ni absentéisme bien sûr. Chacun ici est sensible à votre invitation et mesure l’intérêt que vous portez à notre ordre de juridiction que vous avez honoré de multiples visites, encore à Pau la semaine dernière.

La juridiction administrative a profondément évolué  depuis la création des cours administratives d’appel par la loi du 31 décembre 1987 et la transformation subséquente du Conseil d’Etat en une véritable juridiction suprême. L’évolution concomitante du mode de gestion des tribunaux et des cours a conduit à élaborer une politique globale sur les objectifs poursuivis par notre ordre de juridiction et les modalités de son action. De nombreux chantiers ont été ouverts pour accroître la célérité des procédures et leur fiabilité, la transparence du procès administratif et des décisions, comme la place donnée aux parties. Mais aussi pour revoir notre gestion interne, nos « modes de production » et nos relations externes, en prenant notamment appui sur les technologies de l’information. Ces transformations ont permis d’améliorer nos résultats et nos indicateurs. Elles ne sont pas achevées. De nouveaux chantiers sont en cours pour continuer à progresser dans la voie de la qualité, de l’efficacité et de l’efficience de la justice administrative dans son ensemble.

I. Dans le prolongement des dernières années, les juridictions ont poursuivi, en 2016, la consolidation de leur situation.

1. Un rapide survol de leur activité l’an passé permet d’en prendre la mesure.

En 2016, le nombre des requêtes nouvelles n’a que faiblement progressé dans les juridictions du fond : de 2,2 % dans les cours administratives d’appel et de 0,6% dans les tribunaux administratifs. Par rapport à 2015, les sorties ont, quant à elles, marqué une légère hausse dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel. Si, en dépit des efforts accomplis, le délai prévisible moyen de jugement a augmenté de 9 jours dans les cours et est resté stable en première instance, le délai effectivement constaté a, quant à lui, été réduit de 5 jours dans les tribunaux et de 6 jours dans les cours. En parallèle, la mobilisation des magistrats et des agents de greffe, ainsi qu’une gestion active des stocks ont permis de poursuivre le règlement des affaires les plus anciennes. Leur nombre a nettement diminué à tous les niveaux de la juridiction : il est inférieur à 1,9 % du stock dans les cours et à 8,6 % dans les tribunaux. L’an passé, ce stock a baissé de 5,5 % dans les tribunaux administratifs, où, pour la deuxième fois depuis des décennies, il est inférieur à 10 %.

A la Cour nationale du droit d’asile, la forte hausse des entrées constatée en 2015 s’est poursuivie en 2016. La Cour a ainsi enregistré près de 40 000 nouvelles requêtes en 2016, soit 3,4% de plus qu’en 2015. Mais dans le même temps, les sorties ont bondi de 19,4%. Par conséquent, son stock a diminué de 13% par rapport à 2015 et son délai prévisible moyen de jugement a été réduit de 2 mois et 3 jours pour s’établir à 5 mois et 15 jours. La CNDA n’est pas encore parvenue à respecter les délais fixés par le législateur, de 5 mois effectifs pour les décisions collégiales et de 5 semaines pour les décisions rendues par un juge unique. Mais elle est sur une bonne trajectoire.

2. L’année 2016 a aussi été marquée par la prolongation de l’état d’urgence et la nécessité d’adapter nos procédures et nos outils à ce nouveau défi.

Le contentieux des mesures prises sur le fondement de l’état d’urgence a significativement pesé sur l’activité des juridictions du fond. Depuis sa déclaration le 14 novembre 2015, près de 800 requêtes (791) en relation avec l’état d’urgence ont été enregistrées par les tribunaux : 449 concernaient des assignations à résidence et 104 des demandes d’autorisation d’exploitation des données informatiques saisies dans le cadre d’une perquisition administrative. Cette nouvelle procédure, inédite devant les juridictions administratives, représente 12,7% du contentieux de l’état d’urgence. Plus du tiers des recours introduits l’ont été par la voie du référé-liberté, ce qui implique une réactivité et une disponibilité particulières des équipes de magistrats et d’agents de greffe chargés de ces dossiers.

L’irruption de ce nouveau contentieux, très délicat, a imposé d’adapter l’organisation et les méthodes de travail des juridictions, en lien avec le secrétariat général et le bureau des référés du Conseil d’Etat. Je tiens à souligner qu’il a fait l’objet d’un traitement exemplaire de la part des tribunaux et, en particulier, des juges des référés qui ont examiné ces dossiers avec diligence, sérieux et rigueur. Je tiens à saluer leur engagement.

II. Dans ce contexte, il nous faut poursuivre les réformes engagées et continuer d’adapter nos méthodes de travail.

1. Nous devons tout d’abord pleinement appliquer les réformes qui ont abouti l’an passé.

Les garanties d’indépendance et les exigences déontologiques applicables aux membres du Conseil d’Etat et de la juridiction administrative ont été renforcées pour tenir compte de la spécificité de leurs missions. La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires a ainsi consacré le principe d’une Charte de déontologie adoptée en interne dès 2011et qui vient d’être révisée. Elle a élargi la composition du collège de déontologie à un quatrième membre, nommé en qualité de personnalité qualifiée. Une ordonnance du 13 octobre 2016 a par ailleurs rénové le statut des magistrats administratifs et renforcé leurs garanties d’indépendance. Les membres de la juridiction administrative vont aussi déclarer leurs intérêts et ceux de leurs conjoints pour mieux assurer leur impartialité et prévenir tout conflit d’intérêts. Tous ces textes doivent concrètement être mis en œuvre.

Nous devons aussi nous approprier plusieurs réformes importantes ayant abouti au cours de l’année écoulée, qui visent à améliorer le fonctionnement de notre ordre de juridiction pour lui permettre de faire face à un contentieux qui augmente et se complexifie. De nouveaux outils procéduraux ont ainsi été créés par un décret du 2 novembre dernier pour améliorer le traitement des requêtes, dynamiser l’instruction des dossiers et réduire les délais de traitement des requêtes manifestement infondées. La loi de modernisation de la justice du XXIème siècle – la loi du 18 novembre 2016 - permet aussi de présenter des actions collectives devant le juge administratif, l’action de groupe et l’action en reconnaissance de droits, qui devraient contribuer à réduire les séries contentieuses, lesquelles parfois se développent par milliers sur une unique question de droit. Le décret d’application de cette loi sur les actions collectives va être prochainement adopté.

Enfin, après plus de trois ans de montée en puissance de l’application Télérecours, et alors que 80 % des requêtes éligibles de première instance et d’appel étaient reçues et instruites par voie électronique, les parties éligibles doivent, depuis le 1er janvier, obligatoirement recourir à cette application et indexer par des signets les pièces jointes à leurs écritures, à peine d’irrecevabilité de la requête, si l’invitation à régulariser qui leur a été adressée est restée sans réponse.

2. Au-delà de ces réformes, il nous faut poursuivre l’adaptation et la modernisation de nos procédures.

Plusieurs projets ont été lancés pour faciliter l’accès aux juridictions par l’extension des procédures dématérialisées aux parties non représentées. Dans le cadre du nouveau schéma directeur des systèmes d’information et de communication pour les années 2017 à 2019, il sera procédé au lancement d’un portail « Citoyens » et d’un portail « Avocats et grandes parties », respectivement conçus pour permettre l’accès aux téléprocédures par les parties non représentées et pour alléger la charge de Télérecours. Il nous faut aussi avancer, par l’émulation et la diffusion des meilleures pratiques, dans la dématérialisation du travail des magistrats dont les nombreux avantages l’emportent nettement sur les inconvénients.

Le recours à la médiation, dont le champ a été élargi à tous les différends en matière administrative par la loi du 18 novembre 2016, doit aussi être favorisé. Ce mode de règlement des litiges, qui est rapide, efficace, consensuel et, par conséquent, moderne, va bénéficier de la suspension des délais de recours et de prescription. Son développement nécessite l’investissement de tous et c’est pourquoi le Conseil d’Etat a créé un comité « justice administrative et médiation », présidé par M. Xavier Libert, ancien président du tribunal administratif de Versailles, qui a la charge de piloter ce projet. Ce comité doit en particulier explorer les possibilités d’orientation des litiges vers les procédures amiables, élaborer un guide de la médiation et définir le contenu des actions de formation à destination des magistrats et des agents de greffe. Des « référents médiation » ont en parallèle été désignés dans chacune des juridictions, pour mettre en œuvre ces orientations et constituer un vivier de personnes et institutions aptes à conduire des procédures de médiation.

Nous devons aussi expérimenter concrètement le recours obligatoire à la médiation avant l’exercice des voies de recours, que permet la loi du 18 novembre dernier pour les litiges individuels en matière de fonction publique et certains contentieux sociaux.

Nous devons également tirer les conséquences des travaux menés sur la rédaction de nos décisions. Les expérimentations menées au sein du Conseil d’Etat, comme des cours et des tribunaux, ont été approfondies, notamment sous l’influence bénéfique du Conseil constitutionnel. Les juges des référés y sont parties prenantes et toutes les formations de jugement du Conseil d’Etat rédigent désormais des arrêts en nouveau style. Nous procédons maintenant à l’évaluation de ces expérimentations, avant de les ajuster, de les approfondir et de les étendre à d’autres chambres et juridictions.

La juridiction administrative s’attache également à mieux gérer ses ressources humaines. Les missions des agents des greffes ont été valorisées par le décret du 2 novembre 2016 et leur formation initiale a été renforcée. Par ailleurs, le processus de qualification des magistrats intéressés par les fonctions de chef de juridiction se professionnalise avec la création d’un cycle de formation adapté à leurs besoins spécifiques. Les magistrats qui ont été sélectionnés ont commencé leur parcours de formation au début de cette année et ils suivent plusieurs modules destinés à leur donner des outils leur permettant de faire face aux responsabilités de chef de juridiction. Ce projet offre des perspectives réelles d’amélioration de notre dispositif de recrutement et de qualification des futurs chefs de juridiction. La formation des magistrats administratifs tout au long de leur carrière est également encouragée par l’ouverture d’un droit annuel à cinq jours de formation, avec décharge corrélative d’activité juridictionnelle.

Enfin, l’amélioration des conditions matérielles de travail et de sécurité des magistrats et des agents des greffes va être poursuivie. Plusieurs juridictions vont être relogées ou réaménagées. La sécurisation des locaux et, spécialement, des accès de l’ensemble des juridictions est également en cours.

La réunion annuelle des chefs de juridiction est pour nous l’occasion de débattre de toutes ces orientations et réformes, de réfléchir ensemble aux défis auxquels nous sommes confrontés, comme la mesure et l’évolution de la charge de travail des magistrats, pour que notre organisation, nos méthodes et notre gestion puissent être à la fois adaptées et maîtrisés par l’ensemble des membres et agents de notre ordre de juridiction.

 

Monsieur le garde des sceaux, la justice administrative doit continuer, ainsi qu’elle le fait depuis sa création, à garantir et faire progresser l’Etat de droit et à assurer la défense des droits et des libertés dans le respect des impératifs de la vie en société et de l’intérêt général. Nous sommes conscients du rôle qui nous incombe et, spécialement, des devoirs et des responsabilités qui sont les nôtres dans la situation particulière que connaît notre pays. Nous sommes, vous l’avez compris, résolus à poursuivre avec détermination et sans états d’âme la modernisation et l’adaptation de nos outils, de notre organisation et de nos procédures pour mieux répondre aux attentes et aux exigences de nos concitoyens, pour mieux les servir et pour faire face aux rudes défis auxquels notre pays est confronté.

 

[1] Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.