Quelle déontologie pour les hauts fonctionnaires ?

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, à l'Ecole nationale d'administration le 27 mars 2013.

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Quelle déontologie pour les hauts fonctionnaires ?

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Ecole nationale d’administration,

mercredi 27 mars 2013

***

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1],

vice-président du Conseil d’Etat

 

Quelle déontologie pour les hauts fonctionnaires ? Il y a quelques années, une telle interrogation n’aurait pu constituer l’intitulé d’un cours ou d’une conférence à l’Ecole nationale d’administration. L’enseignement de la déontologie ne relevait pas, en effet, de la sphère académique, ni d’une école d’application, fût-elle du service public, et l’on pensait qu’il était suffisamment pourvu à cette éducation par le cercle familial et les autres expériences de la vie. Cette tradition fait écho à l’observation de Bergson, selon laquelle « en temps ordinaire, nous nous conformons à nos obligations plutôt que nous ne pensons à elles »[2]. L’objet d’un enseignement de la déontologie est précisément d’inverser ce présupposé, chez les fonctionnaires, afin que ceux-ci se conforment à leurs obligations parce qu’ils les connaîtront et les auront pensées, méditées et évaluées. La déontologie, entendue au sens de Jeremy Bentham[3], à qui est attribuée la paternité du mot, comme la connaissance de ce qui est juste ou convenable, rapporté à l’activité professionnelle, doit en effet être au cœur de l’action des fonctionnaires et, plus particulièrement, de ceux d’entre eux qui exercent les responsabilités les plus importantes.

Je commencerai cet exposé en posant deux questions : pourquoi une déontologie de la fonction publique ? (I) Quels instruments pour cette déontologie ? (II) Dans une troisième partie, j’évoquerai quelques domaines d’application de la déontologie des hauts fonctionnaires (III).

I. Pourquoi une déontologie de la fonction publique ?

A. La déontologie n’est pas une mode, c’est une nécessité.

Interrogations éthiques et volonté de moralisation, guides déontologiques et chartes de bonnes pratiques sont des signes visibles de la transformation actuelle de la vie publique et, plus particulièrement, de la fonction publique. L’administration, de surcroît, n’hésite pas à afficher ses progrès en la matière et à communiquer sur les nouveaux instruments qu’elle adopte. La déontologie ne serait-elle dès lors qu’une mode, une tentation à laquelle il serait d’autant plus attrayant de succomber que notre société de transparence et de communication est légèrement ostentatoire, voire impudique, et s’attache autant à ce que l’on donne à voir qu’à ce que l’on fait ?

Répondre positivement à cette question reviendrait à oublier les enseignements de l’histoire. Car l’exigence déontologique ne date pas d’aujourd’hui, loin s’en faut. Par sa grande ordonnance de 1254, véritable catalogue des maux de son temps, Louis IX exigea de ses officiers qu’ils réforment tout abus moral et politique et demanda aux baillis d’agir avec désintérêt et sans désinvolture. L’ordonnance sur la réformation du Royaume de Philippe Le Bel, en 1303, était, selon les termes de Christian Vigouroux, « un code de déontologie des fonctions publiques pratiquement utilisable de nos jours »[4]. Et régulièrement, au cours de l’histoire, la question des devoirs déontologiques des fonctionnaires s’est posée de manière récurrente, ce « sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne », pour reprendre les termes de l’ordonnance du 9 octobre 1945[5] qui a notamment porté création de l’Ecole nationale d’administration.

Pourtant, il est des périodes noires où une telle réflexion a été singulièrement défaillante. Ce qui, en temps normal, relève du dysfonctionnement de la fonction publique peut devenir, en temps de crise, une implacable machine de démantèlement de l’Etat de droit et d’accomplissement d’une volonté politique funeste. Le constat de la part prise par la fonction publique française dans le régime de l’Etat français[6] exhorte à ce que soient pensés, spécialement dans la haute fonction publique, les ressorts et les conditions d’une déontologie adaptée aux temps de crise. Lorsque la xénophobie et l’antisémitisme ont acquis force de loi, avec les lois sur la déchéance de la qualité de Français, l’épuration de la fonction publique ou la révision des naturalisations, lorsque des violations massives des principes démocratiques et républicains ont été commises, il fallait un discernement et une force de conviction dignes d’éloges pour s’affranchir du devoir d’obéissance ou, à tout le moins, prendre ses distances, alors même que l’ensemble des institutions publiques s’affaissaient.

Mais la réflexion déontologique ne doit, bien entendu, pas servir qu’à anticiper les périodes de crise. C’est au jour le jour qu’elle doit guider le comportement des fonctionnaires. Certains exemples, qui ont défrayé la chronique, suffisent à illustrer le besoin de déontologie : un professeur d’université tenant des propos de nature à semer le doute sur l’existence des chambres à gaz[7], d’anciens diplomates éminents mentionnés dans le rapport d’une commission indépendante de l’Organisation des Nations Unies sur le détournement du programme « Pétrole contre nourriture »[8], des gendarmes brûlant, sur ordre d’un préfet, une paillotte située sur le domaine public maritime[9], une fonctionnaire territoriale qui publie un livre dévalorisant pour ses collègues et l’institution qui l’emploie[10] – autant d’actes qui, sans parler des sanctions pénales ou disciplinaires qui sont susceptibles d’en découler, posent question au regard des obligations déontologiques de ces fonctionnaires.

Mais ce sont beaucoup plus souvent les actes et agissements quotidiens de la vie publique et administrative qui appellent des réponses conformes à la déontologie. Que recouvre au juste le devoir d’obéissance et de loyauté ? Un fonctionnaire peut-il recourir individuellement ou collectivement à l’anonymat pour prendre des positions publiques ? Jusqu’où l’exercice d’un mandat syndical permet-il à un fonctionnaire de déroger à l’obligation de réserve[ 11] ? Cette obligation est-elle appréciée de manière différente en ce qui concerne un haut fonctionnaire ? Quel type de comportement adopter face aux sollicitations des usagers ou des partenaires de l’administration et, d’une manière générale, aux intérêts privés ? Quelle attitude avoir face aux « fuites » qui peuvent provenir de son service ? Comment prendre en compte le secret qui s’attache à certains documents, par exemple des listes d’« évadés fiscaux » qui finissent leur course sur les bureaux de la DGFIP ? Un membre de la juridiction administrative ayant annoté un jugement dans une revue juridique doit-il s’abstenir de participer à la formation de jugement saisie de la contestation de cette décision[12] ? Comment concilier le secret médical ou le secret des affaires avec d’autres intérêts généraux ? Et lorsqu’un agent public est mis en cause judiciairement, quelle conduite son supérieur hiérarchique peut-il ou doit-il adopter ? D’apparence plus ou moins anodine, ces questions relatives aux pratiques professionnelles revêtent une grande importance et elles posent peu ou prou la question de ce que doit être la déontologie des fonctionnaires.

Il faut donc réfuter la thèse de la « mode déontologique », même si l’on constate, récemment, de nombreuses initiatives dans ce champ, et ce quels que soient les milieux professionnels concernés. Le surgissement contemporain d'une demande de déontologie qui s'étend à toutes les professions tient à de multiples facteurs sociaux et culturels. Tout d’abord, la plus grande complexité de nos sociétés, caractérisée par des interactions toujours plus poussées entre acteurs économiques, politiques et sociaux, conduit à une multiplication des situations où des conflits d’intérêts peuvent surgir et où une déontologie précisément exprimée s’impose[13]. Ensuite, jouent un rôle l’affaissement des idéologies fédératrices, l’effondrement des corps intermédiaires et le délitement du lien social : ainsi, prospère à l’heure actuelle un individualisme exacerbé qui débouche sur une potentielle mise en cause, notamment sur les réseaux numériques, de chacun par chacun, sans lieu de médiation préalable. En troisième lieu, la culture de la transparence qui s’est développée fait que ce qui était bénin et toléré est maintenant réprouvé et flétri. Enfin et surtout, les exigences quant à la rectitude morale et professionnelle des agents publics ou privés progressent tout simplement. Qui pourrait s’en affliger, dès lors qu’il s’agit de traiter de véritables problèmes et non de chimères ?

B. La déontologie est une exigence au cœur de la fonction publique française.

De la spécificité même de l’action publique et de ceux qui la servent naît le besoin d’une déontologie particulière.

Spécificité de l’action publique tout d’abord, avec en son cœur la notion d’intérêt général. Notre conception de l’intérêt général n’est pas d’essence libérale et ne se satisfait pas d’une conjonction provisoire et aléatoire d’intérêts économiques et personnels. D’essence volontariste, elle exige le dépassement des intérêts particuliers : dans cette perspective, elle est d’abord l’expression de la volonté générale, ce qui confère à l’Etat la mission de poursuivre des fins qui transcendent la somme des intérêts particuliers. Il ne peut y avoir de confiance publique, ni même de représentation dans l’exercice du pouvoir que si les citoyens ont la conviction que ceux à qui la souveraineté est déléguée agissent au service de l’intérêt général « pour l’avantage de tous » et non pour leur « utilité particulière »[14]. La spécificité de la mission des agents publics tient précisément à la finalité de l’Etat, qui est la poursuite du bien commun, du « vivre ensemble ». Cette spécificité est, on le sait, parfois remise en cause. L’Etat à la fois limité, contourné et encadré, est critiqué ; sa mission particulière est niée, lorsque certains le considèrent comme une entreprise comme une autre ; la spécificité de sa fonction publique est contestée, lorsqu’est envisagée sa banalisation progressive.

Pourtant, il existe bien une spécificité de ceux qui servent l’Etat et conduisent l’action publique. L’administration française est ainsi le produit de siècles d’histoire qui l’ont installée comme un élément inhérent à l’idée même d’Etat, à la fois dans la réalité et dans nos représentations. L’Etat, en France, est la matrice de la Nation. Au travers des soubresauts de l’histoire, par-delà les ruptures les plus marquées, même celle de la Révolution française, l’Etat a constitué le socle sur lequel s’est construite notre Nation. Patiemment, le système administratif s’est formé dans notre pays parallèlement au développement de l’Etat. La Révolution elle-même, ainsi que l’a analysée Tocqueville, quelque radicale qu’elle ait été, « a moins innové qu’on ne le suppose généralement »[15], effaçant les traces de la féodalité, la société ordinale et les privilèges qui lui étaient liés, mais conservant beaucoup d’acquis, notamment une administration « très centralisée, très puissante, prodigieusement active », dont les traits étaient cristallisés avant même le XVIIIème siècle[16].

Des règles particulières ont découlé de ces spécificités de l’administration et de l’action administrative en France, règles qui ont longtemps paru immuables et qui conservent encore, pour beaucoup d’entre elles, leur pertinence : les notions de recrutement et de carrière fondés sur le mérite, de subordination hiérarchique et, plus largement, les principes de neutralité, d’égalité, de continuité et d’adaptation des services publics. Les valeurs de probité, d’impartialité et d’efficacité sont aussi fondamentales. « Ces trois exigences, qui sont en même temps des valeurs, fondent toutes les fonctions publiques » écrit Christian Vigouroux[17]. Probité tout d’abord : le fonctionnaire doit exercer sa tâche de manière intègre et désintéressée, en toute conscience et avec loyauté. De multiples interrogations se rattachent à cette exigence de probité : quels sont, par exemple, les cadeaux, les invitations ou les libéralités qu’un fonctionnaire peut accepter ? Est-il possible de cumuler plusieurs activités ? A quelles conditions un fonctionnaire peut-il franchir le Rubicon et passer dans le secteur privé pour, dit-on de manière familière, « pantoufler » ? Qu’est-ce qu’un usage excessif des moyens matériels du service ? Impartialité, ensuite : il s’agit d’un principe général du droit qui s’impose aux autorités administratives comme aux juridictions[18]. Le fonctionnaire doit savoir ne pas servir ses propres convictions ou ses préférences[19], mais la loi et l’intérêt général. Il doit également savoir ne pas préjuger des solutions à donner aux cas, problèmes ou situations qui lui sont soumis. Enfin, il faut insister sur l’efficacité : le service public doit répondre à des impératifs de qualité. Cela implique la disponibilité et l’investissement des fonctionnaires, mais également le développement et la mise en valeur de leurs compétences. L’une des traductions en est, au plan collectif, les projets annuels de performance qui étayent les lois de finances et, au plan individuel, non plus la notation, mais l’évaluation individuelle des fonctionnaires.

Toutes ces règles ont pour but d’assurer que le fonctionnaire sert l’intérêt général. Elles ont aussi pour but de garantir le bon fonctionnement des services publics au profit des usagers. C’est ainsi que l’administration, impartiale, intègre, exemplaire et efficace, pourra conserver la confiance des citoyens. La confiance du citoyen dans la puissance publique est en effet « au fondement du contrat social et de la démocratie, en ce qu’elle est au cœur de la relation entre souveraineté populaire et représentation ». Dès lors, « parce qu’il confie la gestion et l’exécution de l’action publique aux gouvernants et à l’administration, et parce que ceux-ci agissent en son nom, le citoyen est en droit d’exiger de toute personne qui concourt à ces missions une réelle exemplarité »[20].

Ce principe de confiance, comme le montre Christian Vigouroux, est reconnu dans toute l’Europe[21] et, au-delà, l’ensemble des Etats démocratiques. Plus généralement, les exigences déontologiques propres à la fonction publique, qui sont en quelque sorte inhérentes à notre modèle national d’administration publique, ne sont pas pour autant l’apanage de la France. Certains pays sont même culturellement plus disposés à interroger les pratiques de leurs fonctionnaires. Les pays anglo-saxons notamment, où les mots mêmes de revolving doors illustrent les échanges nourris et même la porosité entre fonction publique et secteur privé, sont ainsi plus sensibilisés à l’importance des règles déontologiques applicables à ces situations de passage d’un secteur à l’autre.

Ces exigences déontologiques sont en revanche propres à l’action publique. Elles ne peuvent, du fait de la spécificité de celle-ci, être assimilées aux principes déontologiques applicables aux activités privées, même si, bien sûr, certaines normes se recoupent. Dans le secteur public, tous les principes se référent à l’intérêt général ; dans le privé au contraire, un principe déontologique peut céder le pas devant l’intérêt général : un avocat peut ainsi voir son obligation de secret professionnel restreinte par les exigences de la lutte contre le blanchiment. La déontologie applicable à la fonction publique ne peut davantage être assimilée à celle applicables aux élus, dont la déontologie est nécessairement spécifique.

Dernier point : la culture déontologique n’est pas innée. Elle ne peut reposer sur la seule conscience individuelle des agents publics. Elle exige de la vigilance, du discernement et du conseil et doit s’inscrire dans une démarche collective reposant sur des responsabilités personnelles – celles des agents,– mais aussi sur un engagement des chefs de service et, en dernier lieu, des ministres dans l’appareil d’Etat. Il revient à cet effet aux services d’élaborer et diffuser des principes et des bonnes pratiques, de former les agents et de mettre en place une organisation destinée à assurer une réelle régulation déontologique. Il leur revient aussi de susciter la plus grande lucidité sur les comportements, de favoriser les questionnements et la réflexion individuelle et collective. Il ne peut y avoir de déontologie sans maïeutique. Ou, pour le dire autrement, la déontologie est une terre d’élection pour la casuistique : car, s’il faut tenir fermement aux principes éthiques des fonctionnaires, leur application dans une situation concrète n’est pas toujours immédiatement et évidemment discernable ou perceptible. D’où un nécessaire travail de réflexion et de discernement. L’émergence et le développement d’une déontologie de la vie publique ne peuvent par conséquent procéder que d’un changement d’état d’esprit et de culture des acteurs publics. A l'indifférence et au déni, au goût pour l'opacité et le flou, doit succéder une culture fondée sur la responsabilité et l'acceptation de règles claires. Ce changement de culture implique aussi la mise en place d'une véritable politique de la déontologie dans la vie et les services publics.

II. Quels instruments pour une déontologie de la fonction publique ?

Cette question en soulève en réalité deux : ces instruments doivent-ils être préventifs ou répressifs ? Quel est le support normatif adéquat pour les exprimer ?

A. En France, les régimes répressifs ne sont ni suffisants, ni pleinement efficaces, et il apparaît nécessaire de mettre en oeuvre une approche préventive.

La volonté de prévenir, dans la sphère publique, les manquements aux obligations déontologiques, constitue dans notre pays une préoccupation ancienne. Celle-ci se traduit par des régimes répressifs, en droit pénal, applicables à diverses situations qui vont très au-delà de la corruption, la concussion ou du détournement de biens publics. Ainsi, la conscience du préjudice qui peut résulter pour la collectivité des conflits d’intérêts dans la vie publique s’est traduite par l’élaboration précoce d’un cadre pénal très rigoureux. La prise illégale d’intérêts, dont le principe était connu du droit romain et qui avait été reprise dans l’ordonnance de Saint Louis, était déjà réprimée par le Code pénal de 1810 sous le nom de « délit d’ingérence ». Le « délit de pantouflage », c'est-à-dire le passage dans une entreprise dont l’agent public a exercé la surveillance ou le contrôle a, pour sa part, été consacré par une loi du 6 octobre 1919.

Notre pays a institué, en matière d’atteinte à la chose publique et de manquements au devoir de probité des agents publics, des régimes pénaux parmi les plus sévères au monde. C’est par exemple le cas pour l’infraction de prise illégale d’intérêts. Les éléments en sont définis de manière objective et non subjective ; l’intérêt personnel qui est incriminé est défini de manière large, puisqu’il s’agit, aux termes de l’article 432-12 du code pénal, d’un « intérêt quelconque » ; et les peines encourues sont très lourdes (cinq ans d’emprisonnement, 75 000 euros d’amende et surtout la possibilité de prononcer une privation des droits civiques ou une interdiction d’exercer une fonction publique pour une durée de cinq ans). Cette infraction n’a d’équivalent dans aucun Etat de l’OCDE : si plusieurs Etats – mais pas tous – répriment des comportements proches, les éléments constitutifs de l’infraction y sont généralement définis de manière plus limitée et les peines encourues sont beaucoup plus bénignes. En pratique, cependant, le nombre de condamnations prononcées en France sur le fondement de l’article 432-12 du code pénal est très limité et le quantum des peines prononcées, modeste.

Cet état de fait illustre les limites de l’approche pénale des fautes déontologiques. Une telle approche est sans nul doute nécessaire. Elle est toutefois peu usitée. Cette situation peut s’expliquer de deux manières : de façon optimiste, par la faible occurrence de ce type de délits, peut-être ; mais aussi, de façon plus pessimiste, par les freins à leur révélation. L’article 40 du code de procédure pénale, qui fait obligation à tout agent public d’aviser le procureur de la République des délits dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions, n’est en effet que très rarement mis en œuvre. En outre, l’absence de mécanisme d’alerte éthique à l’intérieur des services publics affaiblit l’efficacité des dispositifs de prévention, mais aussi de répression des manquements à la déontologie.

En ce qui concerne le « pantouflage » (article 432-13 du code pénal), le délit pénal, qui est aussi lourdement sanctionné[22] , s’assortit d’un contrôle préventif par la Commission de déontologie des fonctionnaires, qui vérifie que l’agent ne risque pas de se placer en situation d’infraction au regard du code pénal, mais qui s’assure aussi que l’activité privée envisagée ne porte pas atteinte à la dignité des fonctions publiques antérieurement exercées ou ne risque pas de compromettre le fonctionnement normal du service : la prévention au regard du droit pénal va ainsi de pair avec un contrôle déontologique. Mais ce dispositif a également montré ses limites : il est à la fois excessivement rigide par son approche objective et il a révélé de réelles insuffisances, notamment pour les membres des cabinets ministériels dont les responsabilités réelles ont été, dans certains cas, occultées par les pétitionnaires ou sous-estimées par la Commission de déontologie.

Le répressif ne se résume pas au pénal : il faut en effet prendre également en compte le droit disciplinaire. Les deux procédures, pénale et disciplinaire, ont un objet différent et sont indépendantes l’une de l’autre. Seuls s’imposent à l’autorité disciplinaire, comme au juge de ses décisions, les faits constatés par le juge pénal[23]. Mais le recours au droit pénal n’est pas toujours pertinent pour l’autorité administrative et il est de surcroît rarement nécessaire. Ainsi, la maîtrise de soi que l’usager est en droit d’attendre d’un fonctionnaire peut entraîner, en cas de manquement, une sanction disciplinaire, sans que n’aient été commis des actes de violence délictueux. Et combien de fonctionnaires indélicats ou carrément véreux ont été révoqués, bien avant qu’un jugement pénal, a fortiori passé en force de chose jugée, ne soit intervenu !

On trouve bien entendu dans la jurisprudence de nombreux exemples de fautes disciplinaires de fonctionnaires. A ainsi été récemment soulevée devant le Conseil d’Etat la question de savoir si avait manqué à son devoir de réserve un chef d’escadron de la gendarmerie nationale qui avait signé, sous le titre « Feu la Gendarmerie nationale »[24], un article critiquant la politique gouvernementale de rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur et pris position dans les médias sur ce sujet. Le Conseil d’Etat a jugé qu’en « critiquant directement la politique d’organisation des deux grands services publics dédiés à la sécurité publique, au moment même où celle-ci était en débat devant le Parlement », cet officier avait manqué à son obligation de réserve et encourait une sanction disciplinaire. Il a relevé que « ni la circonstance que l’intéressé collabore, avec l’accord de sa hiérarchie, à des travaux du Centre national de la recherche scientifique, […] ni celle qu’il occuperait un rang modeste dans la hiérarchie militaire ne sauraient l’exonérer de sa responsabilité quant aux propos ainsi tenus ». Le Conseil d’Etat a cependant censuré la sanction de la radiation des cadres comme étant manifestement disproportionnée au regard de la faute commise.[25]

Mais le droit disciplinaire, s’il est plus souple et moins contraignant à mettre en œuvre que le droit pénal, ne répond pas nécessairement aux objectifs recherchés en matière de déontologie. Ainsi, selon Marcel Pochard, « les gestionnaires répugnent à exercer leur pouvoir disciplinaire, notamment pour ce qui est de la discipline quotidienne : respect des horaires, absentéisme, délais de réponse, négligences dans le traitement des dossiers... Ceci explique le nombre infime des sanctions courantes, comme le blâme ou l'avertissement (environ 3 500 par an), pourtant les plus adaptées à ces manquements quotidiens qui sont une des plaies de la fonction publique. Les sanctions les plus lourdes sont elles-mêmes peu pratiquées. Surtout elles ne sont vraiment mises en œuvre que pour un type de manquement, le détournement direct de deniers publics […] Inversement, les insuffisances professionnelles sont rarement à l'origine de sanction. Et que dire de ces cas d'inertie complète, où des faits graves ne donnent lieu à aucune poursuite disciplinaire ? »[26]. Ce que soulève Marcel Pochard, c’est un problème, régulièrement identifié, de pratique, c’est-à-dire l’absence de volonté de mise en œuvre, par les responsables des services, des sanctions appropriées aux manquements constatés aux obligations professionnelles et à la déontologie. L’absence d’efficacité ou d’effectivité des principes déontologiques tient moins au manque d’instruments juridiques qu’à une défaillance dans leur mise en œuvre et à une culture déontologique encore insuffisante à tous les étages des services publics.

En même temps, l’insuffisance des instruments répressifs est presque inhérente à la matière déontologique, qui ne peut et ne doit pas être envisagée qu’a posteriori, sous l’angle de la sanction. Car la déontologie est moins affaire d’interdits et de sanctions que de valeurs et de principes positifs qui doivent être mis en œuvre préventivement.

On peut se demander si, sur ce sujet, la France est en retard. Il existe, il est vrai, une relative indifférence ou, en tout état de cause, un certain défaut de vigilance sur ces questions et, en particulier, un vrai déficit de pratiques préventives : les règles du jeu sont lacunaires et, en tout cas, trop rarement explicitées, les dispositifs préventifs limités, les démarches déontologiques, quoiqu’en progrès, encore trop souvent absentes. Il existe ainsi une réelle solitude déontologique des acteurs publics en général et des hauts fonctionnaires en particulier, qui sont trop souvent livrés à eux-mêmes, mais aussi, paradoxalement, une forte réticence de certains d’entre eux à clarifier les règles du jeu. Cette situation peut ainsi favoriser des arrangements discrets et parfois inavouables avec la simple morale.

Une véritable stratégie de prévention des conflits d’intérêts doit donc être développée. Notre pays n’est pas dépourvu d’atouts en cette matière. Il dispose notamment d’une fonction publique de qualité, constituée d’hommes et de femmes qui sont, en règle générale, intègres et dévoués au service public et à la chose publique. Le système dit de la « carrière » conduit en outre les fonctionnaires, dans leur très grande majorité, à effectuer l’intégralité de leur parcours professionnel au sein de la fonction publique, ce qui limite les risques de conflits d’intérêts avec le privé. Notre pays dispose d’un autre atout, non négligeable : en se basant sur les grands principes sur lesquels prennent appui nos services publics, la jurisprudence a précisé, depuis de nombreuses années, les règles applicables aux agents publics et elle a dessiné les lignes de conduite à suivre sur des sujets tels que le devoir de réserve, l’obligation de loyauté, de dignité, de neutralité ou d’impartialité.

La Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique que j’ai présidée en 2010, puis la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique qu’a présidée M. Lionel Jospin en 2012 ont insisté sur la nécessité de mettre en place une stratégie globale de prévention des conflits d’intérêts. A cette fin, le premier pas réside sans doute dans l’adoption d’une définition des conflits d’intérêts qui, à l’heure actuelle, reste floue – j’y reviendrai. Ensuite, deux principes devraient être mis au cœur de la réflexion sur les conflits d’intérêts.

Le premier est celui d’une meilleure identification des situations critiques ou problématiques au plan déontologique. En ce qui concerne les emplois comportant des responsabilités particulières, il conviendrait, par exemple, de généraliser l’exigence de déclarations d’intérêts qui devraient porter sur tous les intérêts susceptibles d’interférer avec la mission publique et être souscrites lors de la prise de poste, renouvelées annuellement et lors de tout changement significatif de situation. Ces déclarations, surtout si elles étaient rendues publiques, favoriseraient l’émergence d’une culture de la déontologie et, plus concrètement, d’une prévention plus active des conflits d’intérêts.

Le second principe est celui de l’externalisation partielle des questions de déontologie. Si les chefs de service et les fonctionnaires sont en premier lieu responsables de ces questions et si c’est à eux qu’il incombe au premier chef de définir et mettre en œuvre les règles et les bonnes pratiques qui s’imposent, il apparaît nécessaire qu’à l’intérieur où à la périphérie de l’administration, des tiers ou des autorités compétentes en matière de déontologie puissent apporter un appui à la réflexion et la délibération et assurer une mission de questionnement, de conseil ou de contrôle. La déontologie a en effet besoin de référents. Plusieurs propositions se rattachent à cet objectif : la création de réseaux de déontologues permettant de conseiller les acteurs publics et, en particulier, les fonctionnaires ; la mise en place d’une Autorité nationale de déontologie de la vie publique, chargée tant d’un rôle d’avis, d’évaluation et de recommandation que d’une mission de contrôle des déclarations individuelles d’intérêts et d’activités ; le recours à des intermédiaires qui, par mandat, seraient chargés de la gestion des éléments de patrimoine mobilier susceptibles d’interférer avec les missions d’un acteur public, pendant le d’exercice de ses fonctions.

C’est donc vers un meilleur équilibre entre répression et prévention qu’il faut tendre, le seconde devant être résolument privilégiée. Cela implique l’émergence d’une culture renouvelée de la déontologie, ainsi que la mise en place d’une véritable politique de la déontologie dans la vie des services publics, s’appuyant à la fois sur des instruments normatifs traditionnels, mais ayant aussi recours à des instruments de droit souple.

B. Quel peut être le support normatif adéquat ?

Parmi les instruments normatifs classiques, la voie législative ne peut être éludée. Elle permettrait tout d’abord de définir la notion de conflits d’intérêts, qui est un préalable incontournable[27]. Plus généralement, ce vecteur permettrait également de fixer quelques grands principes déontologiques applicables à tous les acteurs publics, au-delà de la diversité de leurs fonctions. Il s'agit ainsi d'affirmer les valeurs fondamentales de l'action publique : les principes d’impartialité, d’intégrité, d’objectivité et de probité, qui sont au cœur de la vie publique, existent certes, soit en tant que principes généraux, soit dans des textes spécifiques. Il serait cependant à la fois symboliquement fondateur et juridiquement utile de les rassembler dans un texte législatif. Une loi permettrait en outre, le cas échéant, de fixer les obligations relatives aux déclarations d’intérêts, d’instituer un régime juridique applicable aux lanceurs d’alerte éthique dans les services publics – comme il en existe un dans les entreprises privées - ou de réformer les régimes répressifs pour mieux les circonscrire et leur conférer une plus grande efficacité. Une loi permettrait aussi de créer l’Autorité de déontologie de la vie publique, qui vient d’être évoquée. Un corpus normatif minimal, avec en son cœur une loi sur la déontologie et les conflits d’intérêts, apparaît donc comme un préalable nécessaire à l’instauration d’une nouvelle culture de la déontologie.

Mais le changement de culture en matière déontologique doit aussi reposer sur de nouveaux instruments : les codes et les chartes de déontologie énonçant les principes et les devoirs des acteurs publics et, notamment, des fonctionnaires dans le contexte professionnel concret dans lequel ils opèrent. Ces codes ou chartes peuvent être accompagnés de guides ou d'indications pratiques exposant, à partir de cas concrets, les situations problématiques dans lesquelles les intéressés peuvent se trouver et apportant des éléments de réponse sur les conduites à tenir ou les erreurs à éviter. Ces instruments, qui relèvent de la soft law ou plutôt du droit souple, présentent l'intérêt de pouvoir être élaborés en étroite concertation avec les agents publics auxquels ils ont vocation à s'appliquer. Ils doivent en réalité émaner de ces agents et exprimer leurs valeurs et, pas seulement, leurs devoirs et leurs obligations. Ils doivent être adaptés à la diversité des missions et des métiers propres à chaque service public et traduire, dans chaque cas, la dimension spécifique des exigences de probité, d'intégrité, d'impartialité et de prévention des conflits d'intérêts, qui sont communes à l’ensemble des agents publics. Sans être dotés d'une force juridique contraignante, de tels instruments peuvent contribuer à faire évoluer et à sécuriser les pratiques professionnelles. Ils constituent aussi un instrument précieux pour nourrir le dialogue déontologique qui doit s'établir entre les agents publics et leurs responsables hiérarchiques. Ils doivent enfin servir de référence pour les déontologues et les autorités sectorielles ou nationales de déontologie.

La récente Charte de déontologie des membres de la juridiction administrative adoptée et diffusée à la fin de 2011 constitue un exemple de clarification des règles et des bonnes pratiques applicables à cet ordre de juridiction. Elle représente une garantie nouvelle pour les justiciables comme pour les magistrats. Elle porte, en outre, création d'un collège de déontologie chargé d'éclairer les membres de la juridiction administrative sur l'application des principes et des bonnes pratiques qu'elle définit. A cette fin, elle peut être saisie en particulier par les chefs de juridiction, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, mais aussi par tout membre de la juridiction pour une question le concernant personnellement. Les avis et les recommandations de ce collège sont systématiquement rendus publics après avoir été anonymisés. Le ministère des affaires étrangères a aussi mis en place un comité d’éthique[28] qui a préparé un guide de déontologie pour les agents du département. Ce guide est régulièrement complété par des fiches supplémentaires, au fur et à mesure des questions qui se posent, ce qui permet d’actualiser les termes de référence déontologiques, mis à la disposition des diplomates.

III. Quelques domaines d’application de la déontologie des hauts fonctionnaires

Je souhaite maintenant aborder concrètement quatre points, qui illustrent les exigences déontologiques applicables au fonctionnaire, dans ses rapports avec le politique, la hiérarchie, les intérêts privés et l’espace public.

A. Le fonctionnaire et le politique

Il s’agit sans doute de l’une des relations les plus complexes à appréhender. D’abord, parce que les légitimités respectives de l’un et de l’autre sont différentes : la légitimité démocratique du politique n’est pas la légitimité méritocratique du fonctionnaire ; l’une n’épuise pas l’autre, et inversement, et les deux sont faites pour se conforter et s’enrichir mutuellement. Ensuite, parce qu’existe une tendance, plus ou moins palpable, mais croissante, du politique à se substituer à l’administratif – c’est l’un des aspects de la relation entre les cabinets ministériels et les administrations centrales – ainsi que, parfois, une tentation des fonctionnaires de se substituer au politique – ce qui peut se traduire par une connivence déplacée ou encore, par exemple, par une anticipation erronée de ce qu’ils pensent être la volonté politique. Enfin, cette relation est complexe à appréhender, parce que le fonctionnaire est confronté à une double exigence de collaboration / distanciation par rapport au politique.

Le fonctionnaire doit manifester, à l’égard du pouvoir politique, sa loyauté, parce que ce pouvoir, d’essence démocratique, est investi par la Constitution de la mission de déterminer et conduire la politique de la Nation et qu’il dispose, à cette fin, de l’administration. Mais le fonctionnaire n’est pas au service d’une personne, d’un parti ou d’un programme politique : la fonction publique ne relève pas de la catégorie des « services à la personne ». Le fonctionnaire est au service de l’Etat et de l’intérêt général. Il se doit de servir de manière impartiale, de mettre loyalement sa compétence technique au service des projets, quels qu’ils soient, portés par l’autorité politique. Il doit aussi être une force de proposition et d’impulsion des politiques menées. Cela n’est toutefois possible que si le lien entre l’autorité et ses services n’est pas coupé, que si cette relation n’est pas étouffée, phagocytée par l’écran ou l’activisme des cabinets des ministres ou des exécutifs territoriaux. Il y a là aussi un enjeu de taille pour le haut fonctionnaire intégrant un cabinet : il lui appartient de concevoir son rôle, non comme celui de « super administrateur » doublant et répliquant les services mais, au contraire, comme celui de collaborateur assumant pleinement le rôle d’impulsion politique qui lui échoit.

En toutes circonstances, le fonctionnaire doit conserver son impartialité et ne pas abdiquer son indépendance d’esprit. Il ne doit pas faire preuve de « suivisme », ni renoncer à présenter des mises en garde ou des objections au regard de la bonne administration, de l’efficacité des politiques conduites ou du respect de la règle de droit. L’administration ne fait pas toujours preuve d’une suffisante fermeté face à certains projets de décision manifestement erronés ou inadaptés au regard de ces principes. Au final, c’est l’autorité politique qui peut pâtir de cette autocensure et elle a parfois lieu de maudire le zèle ou la prudence avec lesquels l’administration l’a servie. Mais le fonctionnaire doit aussi rechercher et proposer des alternatives qui concilient de manière plus pertinente les objectifs poursuivis par l’autorité politique avec les principes qu’il rappelle ou les observations qu’il présente. Il est certes possible d’aborder ces questions de manière générale et abstraite. Mais elles revêtent pour chaque fonctionnaire une dimension toujours très concrète et parfois décapante.

Pour donner quelques exemples que je connais mieux puisqu’ils me sont personnels, j’ai ainsi été conduit, comme directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur et, à ce titre, chargé de la police des casinos et des cercles de jeu, à recommander au ministre dont je relevais, et contre ses inclinations les plus transparentes, la plus grande réserve à l’égard de certains projets d’ouverture d’établissements de jeux et des investisseurs qui les présentaient. J’ai pleinement soutenu et assumé, à tous les stades de la procédure, ma position défavorable dans un ministère où personne ne semblait alors estimer possible, non point de résister au ministre, ce qui n’aurait pas fait sens, mais tout simplement de parler clair et d’appeler un chat, un chat. Les autorisations sollicitées ont fini par être accordées. J’avais entre temps quitté mes fonctions. Plus de 7 ans plus tard, j’étais entendu comme témoin en commission rogatoire dans le cadre d’une information pénale pour des faits de corruption, abus de confiance… liés à l’ouverture d’un casino. Plus de 7 ans plus tard à nouveau, j’étais cité comme témoin par le parquet général devant la Cour de justice de la République, le ministre en cause ayant été renvoyé devant cette cour. Les investisseurs, ou du moins certains d’entre eux, ont finalement été condamnés par la cour d’appel de Paris pour corruption, financement illégal de campagne électorale, abus de confiance… Le ministre a, quant à lui, bénéficié d’une relaxe, notamment des poursuites pour corruption passive. Ma position dans cette affaire n’était évidemment pas fondée sur la connaissance d’un quelconque pacte de corruption ou d’une autre infraction – qui aurait pu justifier de ma part une saisine du parquet –, mais sur les doutes étayés qu’un fonctionnaire raisonnablement avisé devait nourrir sur la moralité de certains investisseurs et l’origine des fonds investis. Ce qui, sans établir une responsabilité pénale, suffisait à fonder légalement un refus d’autorisation en police administrative et me faisait le devoir de recommander clairement un tel rejet. Sans que je n’en  tire aucune vanité, les pièces de ce dossier réel pourraient sans doute nourrir un cas pratique pour une épreuve de déontologie à l’ENA.

Par ailleurs, comme secrétaire général du Gouvernement qui a travaillé pendant plus de 11 ans avec quatre Premiers ministres différents et qui a connu dans cette fonction deux alternances, j’ai été conduit à donner mon avis sur de très nombreux projets, parfois totalement antinomiques, d’un Gouvernement à l’autre. Dans chaque cas, je me suis attaché à évaluer objectivement et impartialement ces projets, sans chercher à plaire, ni craindre de déplaire. Dans chaque appréciation que j’ai portée, je me suis gardé de toute formule ou commentaire qui aurait pu constituer une forme d’allégeance, une marque de complaisance ou de soumission à l’égard du Gouvernement ou encore comme une forme de critique directe ou indirecte de l’opposition, bref de tout ce qui aurait pu laisser penser que j’étais inféodé à un camp ou à une équipe ou que j’étais en lien de sympathie, avouée ou non, avec celle-ci. Car, je ne l’étais pas et ne voulais pas l’être, ni le paraître. De même, le style des relations interpersonnelles est déterminant pour garder ses distances, sans paraître arrogant ou ombrageux, ni se soustraire à aucune de ses obligations. Il n’est nullement incompatible avec la confiance qui doit s’établir dans une relation professionnelle.

Dans les fonctions que vous allez embrasser, vous avez un devoir de compétence, de loyauté, de franchise et d’initiative, mais vous ne devez pas vous enrôler sous une bannière déterminée, avoir une attitude partisane ou une approche politicienne des questions qui vous sont confiées : une telle attitude serait dommageable pour la chose publique et notre vie démocratique, ne serait-ce qu’au regard des principes de neutralité et de continuité de l’Etat. Compétence, objectivité et impartialité seront, dans les situations difficiles comme les jours ordinaires, la garantie du bon exercice de votre rôle.

B. Le fonctionnaire et la hiérarchie

La hiérarchie signifie, nous dit Maurice Hauriou, « superposition de degrés dans une organisation autoritaire des agents »[29]. La hiérarchie qui est la seule forme d’organisation administrative ou bureaucratique qui soit conforme au principe démocratique et la seule qui ait fait ses preuves, suppose donc un rapport d’autorité, qui se caractérise par la notion d’obéissance. L’obéissance du fonctionnaire est à la fois obéissance à la loi et obéissance à sa hiérarchie[30], qui est clairement énoncée à l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (le fonctionnaire « doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique »). Cette obéissance se vit dans le cadre du principe de loyauté du fonctionnaire, qui est seul à même de procurer la confiance indispensable à tout travail en équipe.

L’obéissance suppose une attitude générale de coopération et de mise en œuvre loyale des ordres reçus. Elle suppose, tout d’abord, d’identifier clairement la hiérarchie. Cela peut ne poser aucun problème ; mais il est également possible qu’existent des conflits de légitimité, en particulier lorsque le fonctionnaire dépend en droit de plusieurs personnes – c’est le cas de l’administration placée sous l’autorité de plusieurs ministres ou lorsqu’un ministre combat certaines orientations du Gouvernement auquel il appartient ou choisit de s’affranchir de certaines directives du Président de la République ou du Premier ministre ou, à tout le moins, de biaiser avec elles. Les injonctions contradictoires peuvent, dans ces cas, être complexes à gérer : elles le sont même presque toujours. L’obéissance implique ensuite une exécution loyale des ordres, sans dissimulation, détournement ou dénigrement. Elle suppose enfin un compte rendu, c'est-à-dire un rapport diligent, pertinent et éclairant, si possible prospectif, rendu par le subordonné à son supérieur pour l’informer de ses actions et de l’évolution des missions auxquelles il participe. Le fonctionnaire doit éviter, en particulier, de fournir à son supérieur des « cartes biseautées », de manière à le « conditionner » à son insu et à déterminer la décision qu’il doit prendre.

L’obéissance hiérarchique ne doit pas être caricaturée. On n’attend pas du fonctionnaire et, spécialement, du haut fonctionnaire qu’il n’ait aucune conviction, qu’il ne fasse part d’aucun questionnement ou critique, qu’il ne prenne aucune initiative ou qu’il garde pour son for intérieur ses propositions. Il est aussi des cas où le fonctionnaire doit savoir prendre de la distance face à l’obligation d’obéissance. De ce point de vue, le fonctionnaire français ne partage pas les exigences pesant sur le fonctionnaire allemand, telles que les a décrites Max Weber dans « Le savant et le politique »[31]. Dans des cas significatifs, qui ne sont pas toujours évidents à déterminer car, en la matière, il faut éviter le « précautionnisme »[32], le fonctionnaire se doit d’alerter son supérieur sur les instructions qui mettent en péril le bon fonctionnement du service ou sur d’éventuelles erreurs qui pourraient être commises. Il existe même une obligation de désobéissance du fonctionnaire aux ordres manifestement illégaux et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Construction jurisprudentielle[33], cette règle est désormais inscrite à l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983. Pour cela, il faut non seulement que l’ordre soit illégal, mais encore qu’il le soit manifestement. Une simple illégalité, formelle par exemple, ou relative à la compétence de l’auteur de l’acte[34], n’est ainsi pas suffisante. De même, il convient que l’ordre soit de nature à compromettre gravement un intérêt public.

Désobéir dans la légalité n’est pas chose aisée. Cette problématique place le fonctionnaire dans une situation risquée à un double point de vue, car l’obéissance, comme la désobéissance, peut être coupable. Sans aller jusqu’à la désobéissance formelle, il m’est arrivé dans de très rares cas de refuser de signer, en tant que directeur des libertés publiques, des décisions d’expulsion d’étrangers, qui n’étaient dictées que par des convenances diplomatiques et non par les exigences de l’ordre public, seul fondement légal d’une mesure d’expulsion. J’ai estimé que, dans ces cas, il appartenait au ministre de prendre ses responsabilités en signant lui-même, s’il le croyait indispensable, une décision évidemment illégale que je ne voulais pas assumer en usant de ma délégation de signature, même couvert par une instruction écrite. Je n’ai pas davantage accédé, dans des fonctions de directeur antérieurement exercées à la chancellerie, bien avant que ne soit institué en 1991 le délit de favoritisme[35], aux pressantes recommandations d’un proche collaborateur du Président de la République tendant à ce que j’attribue, sans mise en compétition et donc sans concours, à un architecte connu la maîtrise d’œuvre d’équipements pénitentiaires. Au demeurant, de telles recommandations, incompatibles avec les règles applicables et l’intérêt public, n’émanaient pas d’une autorité compétente pour me donner des instructions.

Je ne me suis en revanche pas dérobé devant la signature personnelle de mesures de rigueur, notamment d’expulsion d’étrangers dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou la criminalité ou de fermeture de cercles de jeu et de casinos pour des motifs d’ordre public, mesures que je proposais d’ailleurs moi-même le plus souvent, alors pourtant que je ne bénéficiais, à la différence des ministres dont je relevais, d’aucune forme de protection policière.

Enfin, dans le rapport du fonctionnaire à sa hiérarchie, se pose aussi la question de la responsabilité déontologique de ce supérieur hiérarchique. Si celui-ci a le devoir de rappeler ses subordonnés à leurs obligations déontologiques, il faut qu’il évite, autant que faire se peut, de les placer dans une situation de dilemme ou de difficulté déontologique et, plus encore, de les exposer au risque de commettre des infractions pénales. Il faut aussi, cela est de nos jours central, qu’il promeuve une formation ou une sensibilisation à ces questions et qu’il veille à ce que ses subordonnés puissent bénéficier de conseils utiles en la matière. Le supérieur hiérarchique doit encore savoir faire preuve de solidarité avec eux, comme, lorsque c’est nécessaire, proposer d’engager une procédure disciplinaire en cas de manquement grave.

C. Le fonctionnaire et les intérêts privés

L’exigence de probité est inhérente à l’exercice de fonctions publiques. La corruption, la collusion et les conflits d’intérêts sont des maux dévastateurs. Ils étaient répandus à certaines époques et n’ont jamais été totalement éradiqués : il suffit de rappeler, non seulement les maux de la monarchie auxquels entendaient remédier les ordonnances sur la réformation du Royaume que j’ai mentionnées, mais aussi, les scandales ayant rythmé la Troisième République, de l’affaire de Panama à celle des fiches ou l’affaire Stavisky. Ces mœurs ont d’ailleurs inspiré les auteurs les plus variés, notamment Zola : dans La Curée, Aristide Rougon, qui prendra le nom de Saccard pour ne pas compromettre son frère ministre en cas de problèmes, amasse une rapide fortune en spéculant sur les ventes d’immeuble et de terrains à l’occasion des grands travaux d’Haussmann et ce, grâce à des informations qu’il obtient indûment du fait de ses fonctions d’employé à l’Hôtel de ville.

Mais on le sait, ces « petits arrangements avec la probité »[36] , comme les nomme Pierre Lascoumes, existent encore aujourd’hui. Le péché peut paraître assez véniel : c’est le premier « violon solo super soliste » de l’opéra de Bordeaux qui ne peut exercer, dans le même temps, la même fonction à l’opéra de Montpellier[37]. C’est aussi, la question, qui se posera sans doute à nombre d’entre vous, de savoir à partir de quand vous devez refuser un cadeau – je ne parle pas ici de la situation du substitut du procureur légalement révoqué pour avoir reçu de personnes impliquées dans un délit une montre et le prêt d’une Mercedes pendant ses vacances[38]. Le péché commis peut ainsi, on le voit, être moins rémissible. C’est encore le maire qui recrute des fils de deux de ses adjoints, sans qu’aucune publicité n’ait été donnée à ces postes, ni aucune procédure d’examen organisée et, oserais-je ajouter, alors que le même jour, l’un de ces adjoints recrutait le fils du maire[39]… Ce sont des agents des douanes qui vendent des matériels radio dont ils avaient signé de faux procès-verbaux de destruction[40]. C’est, aussi, le juge administratif qui, selon les termes du décret prononçant sa mutation d’office, « est personnellement intervenu(e) soit pour retarder, soit pour accélérer anormalement le traitement d'affaires touchant directement ou indirectement aux intérêts de son frère »[41].

Lorsque l’on parle des rapports entre le fonctionnaire et les intérêts privés, sans doute faut-il d’abord savoir de quels intérêts il est question. C’est tout l’enjeu d’une définition des conflits d’intérêts, qui devrait, selon moi, recevoir dans notre pays une traduction législative. De telles définitions ont été adoptées par certains pays, notamment le Canada par la loi du 12 décembre 2006, et des organisations internationales, en particulier l’OCDE et le Conseil de l’Europe. Ces définitions divergent, mais font apparaître des caractéristiques communes : l’importance des apparences, l’existence d’une certaine intensité des intérêts en cause ainsi que la temporalité multiple des conflits d’intérêts. Il faut en outre prendre garde, en définissant le conflit d’intérêts, de ne pas tomber dans l’excès, car le risque du procès permanent est réel. Tout acteur public a des intérêts, mais tous les intérêts ne sont pas générateurs, par eux-mêmes, de conflits, soit qu’ils soient trop minimes, soit qu’ils relèvent d’une liberté fondamentale : ainsi du cas, par exemple, des opinions (qui doivent être soigneusement distinguées des mandats ou des responsabilités) politiques, philosophiques, syndicales ou religieuses ou encore de l’orientation sexuelle.

Outre l’arsenal pénal existant, il convient surtout de développer – je l’ai dit de la déontologie en général, cela vaut en particulier pour les conflits d’intérêts - une culture de la prévention, qui repose à la fois sur une organisation collective, une formation et un dialogue. La déontologie est affaire de responsabilité individuelle, mais aussi d'organisation collective. Pour prévenir plus efficacement les fautes déontologiques et les conflits d’intérêts, l'organisation des administrations doit donc être adaptée, la déontologie ne pouvant être en déshérence et absente des organigrammes.

D. Le fonctionnaire et l’espace public

L’expression des fonctionnaires dans l’espace public pose d’autres questions. Les règles à respecter oscillent alors entre deux pôles : la liberté de conscience, d’opinion et d’expression des fonctionnaires, d’une part, le devoir de réserve ensuite, qui est le corollaire de la neutralité du service, d’autre part.

Il n’est pas aisé d’apprécier la portée du devoir de réserve à l’égard de l’administration. Ce devoir limite, mais ne supprime bien entendu pas la liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme veille ainsi à ce que le devoir de réserve des magistrats n’empiète pas, de manière excessive, sur la possibilité pour ceux-ci de critiquer, en raison de leurs compétences juridiques, des projets de loi du gouvernement[42]. Dans cette affaire, Cesare Previti, membre du parti Forza Italia, qui avait été condamné à une peine d’emprisonnement de plusieurs années, contestait l’impartialité des magistrats ayant prononcé sa condamnation. Selon la Cour, « la circonstance que, en application des principes de la démocratie et du pluralisme, certains magistrats ou groupes de magistrats puissent, en leur qualité d'experts en matière juridique, exprimer des réserves ou des critiques à l'égard des projets de loi du gouvernement ne saurait nuire à l'équité des procédures judiciaires auxquelles ces projets pourraient s'appliquer ». Néanmoins, si ce principe s'applique pleinement « à des juges autres que ceux qui siégeaient dans l'affaire », « la plus grande discrétion s'impose aux autorités judiciaires lorsqu'elles sont appelées à juger, afin de garantir leur image de juges impartiaux. Cette discrétion doit les amener à ne pas utiliser la presse, même pour répondre à des provocations. Ainsi le veulent les impératifs supérieurs de la justice et la grandeur de la fonction judiciaire »[43].

A la lumière de cette jurisprudence qui, il est vrai, concerne des juges, mais dont les enseignements sont aisément transposables aux fonctionnaires, c’est avec retenue que les fonctionnaires et, plus encore, les hauts fonctionnaires doivent s’exprimer publiquement. Plus généralement, ils doivent faire preuve de prudence en ce qui concerne toute expression qui pourrait être médiatisée – ce qui, avec le développement d’Internet, conduit à devoir redoubler de précaution. Ils doivent en outre évidemment s’abstenir, en particulier les hauts fonctionnaires, de critiquer, même indirectement, la politique qu’ils sont chargés, ès qualités, de mettre en œuvre.

Il arrive aussi que des fonctionnaires choisissent de s’exprimer publiquement, de manière collective et masquée, comme les Gracques – des fonctionnaires ayant pris parti dans les débats des campagnes présidentielles en 2007 et 2012 –, le groupe Marly – des diplomates critiques de la politique du Gouvernement – ou, plus récemment, un « Cercle des recteurs disparus » qui a publié une tribune dans l’Express sous l’appellation Navisrector [44]. Il m’apparaît que, même anonymes et agissant collectivement, les fonctionnaires doivent en principe s’abstenir de se livrer à des exercices pouvant s’apparenter à une pétition ou une protestation publique, de provoquer ou d’animer en tant que tels des débats politiques ou encore d’y prendre part publiquement, ce rôle incombant aux acteurs politiques. Les fonctionnaires n’ont pas la légitimité pour ce faire et ne doivent pas s’y substituer. Seules des circonstances très particulières et graves de transgression de l’Etat de droit pourraient, à mes yeux, justifier ce type d’attitude, au demeurant périlleuse si des prises de position publiques manquaient au devoir de réserve et si leurs auteurs étaient identifiables.

En revanche, on peut admettre, me semble-t-il, que des fonctionnaires participent à des débats d’idées dans le cadre du devoir de réflexion qui leur incombe et que cette participation puisse déboucher sur des publications collectives, sous couvert ou non de pseudonymes, à condition qu’elles soient mesurées et suffisamment distanciées par rapport au débat politique. Je me réfère ainsi à la tradition du Club Jean Moulin qui fait presque partie de notre patrimoine national et que le général de Gaulle a d’ailleurs laissé se développer. Mais ce devoir de réflexion ne doit pas déboucher sur des prises de position dans les polémiques ou le débat partisans ou  politiques.

Les exigences de l’obligation de réserve ne doivent pas être sous-estimées. Ainsi manque à cette obligation le sous-préfet qui publie, sous sa signature sous le titre « Quand le lobby pro-israélien se déchaîne contre l’ONU », un article exprimant, de manière vivement polémique, des critiques à l’égard de personnalités françaises et d’un Etat étranger. Le Président de la République peut, dans ce cas, légalement mettre fin à ses fonctions. Ma collègue Isabelle de Silva a souligné justement dans ses conclusions de rapporteur public sur cette affaire devant le Conseil d’Etat que même si le requérant « n’était pas en poste dans la diplomatie française, un fonctionnaire occupant des fonctions d’un certain niveau ne saurait, en cette qualité, critiquer violemment la politique suivie par un autre Etat. Cette préoccupation vaut également à l’égard d’un fonctionnaire occupant les fonctions de sous-préfet territorial dans l’administration préfectorale, celle-ci devant faire preuve, en toutes circonstances, d’une parfaite neutralité »[45].

De même, un préfet peut légalement être sanctionné pour avoir critiqué publiquement le ministre de l’intérieur, car il manque ainsi à son obligation de réserve[46].

Cette obligation nécessite donc, de la part des fonctionnaires, un respect attentif qui ne doit pas pour autant se muer en silence, car ils conservent la pleine jouissance des libertés constitutionnellement garanties. Certains agents publics doivent toutefois veiller plus particulièrement à leur expression publique : les hauts fonctionnaires et, en particulier, les membres du corps préfectoral, mais aussi les juges, les militaires, les gendarmes… A l’inverse, d’autres agents publics disposent d’une plus grande liberté d’expression, comme par exemple les enseignants-chercheurs.

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Au fur et à mesure que vous progresserez dans votre carrière, vous mesurerez que l’action des fonctionnaires doit être principalement gouvernée par l’éthique de la responsabilité qui, quoi qu’ait pu dire Max Weber, n’est pas l’apanage du seul homme ou de la seule femme politique. Le fonctionnaire et, spécialement, le haut fonctionnaire est constamment confronté à la tension ou à la dialectique des moyens et des fins ainsi que des fins contradictoires ou malaisément compatibles entre elles. La protection de l’ordre public ou, plus concrètement, le maintien de l’ordre est par exemple une terre d’élection de l’éthique de la responsabilité dans la mesure où, à tout instant, se pose la question du dosage pertinent entre les moyens utilisés – la violence légitime – et les fins poursuivies – la garantie de la paix publique. Jusqu’où le fonctionnaire peut-il, dans un Etat de droit, disposer librement des outils de contrainte qui sont entre ses mains pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés ? De même, en matière de politique de l’immigration se vit quotidiennement la tension entre la maîtrise des flux migratoires et le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes : quand la police aux frontières réveille un directeur du ministère de l’intérieur à trois heures du matin pour signaler l’arrivée à Roissy de 120 demandeurs d’asile sri-lankais, en rappelant que leur nombre est allé croissant depuis un mois et que la plupart des requêtes d’asile étaient abusives, et pour demander des instructions, alors qu’un avion part pour Colombo trois heures plus tard, que faire[47] ? Autoriser l’entrée en France, au risque d’élargir des filières d’immigration irrégulière ? Ordonner le refoulement, au risque d’exposer de véritables réfugiés  à des traitements inhumains ou dégradants ? Réveiller le directeur du cabinet du ministre, au risque de passer pour un agent qui ne sait pas prendre ses responsabilités ? A ces moments, on peut nourrir la nostalgie de la loi que l’on avait proposée et qui aurait permis de faire face de manière cohérente à des impératifs contradictoires. Mais guère plus d’une seconde, car il faut trancher sans délai le nœud gordien.

Cette tension des moyens et des fins a une dimension évidemment politique et juridique : elle est aussi éminemment éthique. L’éthique de la responsabilité conduit le fonctionnaire à assumer les conséquences des actes qu’il pose. « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes »[48] , a écrit Max Weber. Lorsqu’elles sont civiles ou pécuniaires, ces conséquences peuvent être atténuées dans le cadre du régime de la responsabilité des personnes publiques. Il n’en demeure pas moins que le fonctionnaire doit jour après jour assumer, auprès de l’autorité politique et dans le cadre de sa délégation, la tension entre les objectifs légitimes qu’il poursuit et les moyens mis en œuvre – matériels ou juridiques – qui peuvent être inadéquats, insuffisants ou en délicatesse avec la légalité. Il doit aussi constamment concilier des buts contradictoires, car l’action publique ne cesse pas de poursuivre une série d’objectifs d’intérêt général qui ne s’emboîtent pas spontanément. Plus le niveau de responsabilité exercé est élevé, plus risquent de s’entrechoquer les fins poursuivies : chacune, dans le cadre des orientations de l’autorité politique, ne peut être pleinement atteinte, sans compromettre la réalisation d’autres objectifs également importants auxquels cette autorité ne peut renoncer.

Le décideur politique, comme le haut fonctionnaire, sont donc embarqués dans une pesée constante ayant pour objet, sans jamais renoncer à l’action, à la décision, de concilier au mieux des impératifs contradictoires ou des moyens et des fins qui ne s’accordent pas, les premiers pouvant par leur mise en œuvre compromettre les secondes, à moins qu’ils ne soient défaillants. Et le haut fonctionnaire sait en outre qu’il doit se mouvoir entre les finalités les plus nobles, les plus élevées, les plus politiques et les conditions d’exécution les plus triviales et les plus humbles et répondre des unes comme des autres dans un continuum sans faille.

Il sait aussi qu’il doit, selon le cas, rechercher, proposer ou décider un sous-optimum crédible, sans se retrancher derrière le fait que l’idéal est hors de portée, et que, si l’action publique exclut la précipitation et l’improvisation, il ne peut se soustraire à ses devoirs et à sa condition en invoquant l’excès d’urgence, le manque de temps ou le déficit des moyens. Quand la montée des eaux d’une rivière menace une usine chimique classée Seveso et expose au risque d’une catastrophe majeure, le préfet doit pourvoir coûte que coûte à la sécurité de la population[49] : l’absence de ressources en provenance de la zone de défense n’est évidemment pas une circonstance atténuante ou un alibi pour l’inaction. Et si, pour secourir une agglomération de près de 100 000  habitants plongée sous les eaux, il faut créer une zone d’expansion de crue et inonder des milliers d’hectares de terres agricoles ainsi que des bourgs et villages peuplés de quelques milliers d’habitants, le préfet doit prendre la décision conduisant, pour sauvegarder des intérêts vitaux, à concéder des atteintes à des intérêts de moindre rang, en assumant les décisions prises vis-à-vis des personnes et collectivités qu’il expose délibérément à une catastrophe, pour prévenir et soulager une catastrophe plus grande encore. De telles décisions doivent en outre être prises sans négliger quelques précautions juridiques : le droit des temps de crise a ses flexibilités et ses commodités ; il ne disparaît pas.

Le fonctionnaire sait encore que de son coup d’œil, de ses réflexes, de sa vigilance, de son aptitude à embrasser et analyser correctement l’ensemble des paramètres d’un problème, dépend la capacité de l’Etat à prévenirune erreur, une maladresse, une faute, une faute lourde, une atteinte grave à des droits fondamentaux, un scandale ou une catastrophe avec, en filigrane, potentiellement, le risque de démission d’un ministre, voire du Gouvernement. De cela, chacun de vous pourra faire l’expérience dans les multiples domaines de l’action publique. Il vous faudra des compétences solides pour conseiller, proposer et mettre en œuvre les politiques publiques auxquelles vous serez associés. Il vous faudra aussi toujours être prêt à endosser les conséquences des décisions que vous prendrez et des conseils que vous donnerez, en sachant que rien n’est jamais déterminé à l’avance, même dans le cadre d’une politique gouvernementale aux arêtes claires, que beaucoup reposera aussi sur votre lucidité et votre courage, votre épaisseur humaine et, exceptionnellement, vos refus. Comme l’a écrit Max Weber dans sa célèbre conférence : « Je me sens bouleversé très profondément par l’attitude d’un homme mûr – qu’il soit jeune ou vieux – qui se sent réellement et de toute son âme responsable des conséquences de ses actes et qui, pratiquant l’éthique de responsabilité, en vient à un certain moment à déclarer : ‘Je ne puis faire autrement. Je m’arrête là !’. Une telle attitude est authentiquement humaine et elle est émouvante. Chacun de nous, si son âme n’est pas encore entièrement morte, peut se trouver un jour dans une situation pareille. On le voit : l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l’une l’autre et constituent ensemble l’homme authentique, c’est-à-dire un homme (ou une femme) qui peut prétendre à la vocation politique» [50] et, ajouterais-je, à celle de haut fonctionnaire. Là réside votre vocation.

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Tels sont les principes et les orientations en matière de déontologie que je souhaitais évoquer devant vous au seuil de votre carrière ou au moment où celle-ci rebondit. Je n’en ai pas tout à fait terminé.

Vous avez choisi la voie du service de l’Etat dans la haute fonction publique. Cette mission est l’une des plus belles et des plus exigeantes de celles que puissent choisir des jeunes hommes et femmes hautement qualifiés, dotés ou non d’une expérience professionnelle antérieure. Servir la collectivité, servir son pays, promouvoir concrètement l’intérêt général, c’est une mission éminente, motivante et captivante. Toute carrière comporte son lot d’insatisfactions et de déceptions. Mais rien, ni personne ne pourra vous ôter la dignité des fonctions que vous allez exercer.

Il n’est en effet pas donné à tout le monde d’œuvrer, comme vous êtes appelé à le faire, au service du bien commun et de participer pas à pas, jour après jour, à l’exercice de la souveraineté nationale. Les temps difficiles que vit notre pays, après des décennies d’insouciance et même de frivolité, ne doivent pas être à cet égard des motifs de découragement, mais au contraire d’espoir : vous êtes appelés à prendre part à une nécessaire entreprise de redressement. Car je ne m’imagine pas d’autre destin pour la France.

Mais votre mission de serviteur de l’Etat a aussi des contreparties. Dès à présent, et cela ira croissant, vos devoirs vont excéder ceux qui sont communément imposés à d’autres professions, car la déontologie du fonctionnaire est plus exigeante que bien d’autres déontologies professionnelles. Je crois l’avoir montré. Vous allez devoir intérioriser, pratiquer, vivre toutes ces obligations que j’ai évoquées, dans ce qu’elles ont de simple et d’univoque, comme dans ce qu’elles ont de complexe et, parfois, de presque indéchiffrable, voire d’indéterminé. Si des exigences telles que le désintéressement n’impliquent pas de chercher le juste chemin pendant de longues veilles, la loyauté, la réserve, l’obéissance hiérarchique, la neutralité impliquent un discernement souvent difficile. A cet égard, sachez que l’on peut et que l’on doit s’entourer de conseils qui peuvent être ceux d’un supérieur hiérarchique, d’un collègue ou d’un ami. Sachez aussi tirer parti de vos tâtonnements et de vos erreurs. Le mythe du surhomme que véhicule notre société avec une certaine complaisance est l’un des plus culpabilisants et des plus déshumanisants qui soit. Chacun fait des erreurs, y compris en matière de déontologie. J’en ai moi-même évidemment commis. Mais nous grandissons autant par nos échecs que par nos réussites.

L’Etat attend de vous, non point une mythique perfection, non point seulement des talents, des compétences, de l’intelligence, de l’imagination, du réalisme, de la souplesse, toutes qualités bien sûr indispensables que vous êtes présumés posséder. Il attend aussi de vous du courage. Qu’est-ce que le courage pour un fonctionnaire ? La capacité de penser par soi-même, le cas échéant à contre-courant, à défendre et assumer son point de vue et ses propositions, sans entêtement, ni rigidité ; la capacité de proposer et promouvoir des positions utiles pour l’Etat et la collectivité ; de servir effectivement le bien commun ; l’aptitude à assumer la tension éthique entre l’obéissance et la loyauté, d’un côté, l’indépendance et la liberté de parole, de l’autre ; la fermeté d’âme dans l’adversité ; le refus des solutions de facilité et des faux-fuyants, même si les compromis sont à tout moment nécessaires ; l’aptitude à assumer pleinement les devoirs et les ambitions de l’Etat, mais aussi à rappeler, chaque fois que c’est nécessaire, avec tact mais clarté, les principes, les limites et les lignes rouges à ne pas franchir. En un mot le sens des responsabilités, la capacité d’assumer jour après jour une éthique de la responsabilité qui n’oblitère pas toute forme d’éthique de la conviction.

De tout cela, vous serez comptables durant votre vie professionnelle.

Je ne vous ai pas livré des recettes ou des clefs pour réussir dans la vie. J’ai simplement suggéré quelques pistes pour réussir votre vie professionnelle. Chaque voie est singulière et chacun d’entre vous construira la sienne. Mais je souhaite que vous retiriez de votre réflexion sur la déontologie, la conviction que servir l’Etat est à la fois une chance, une responsabilité et un honneur, parfois redoutables mais qui donnent sens à une vie. Je souhaite surtout que, dans quelques décennies, en vous retournant sur votre parcours, vous puissiez mesurer ce qu’a été, pour vous concrètement, l’honneur de vivre au service de la chose publique et que vous puissiez penser, comme je le pense, et dire : « Cela en valait la peine ».

 

[1] Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat. Ce texte a été enrichi après le prononcé notamment par des références tirées de la célèbre conférence donnée par Max Weber en 1919 à l’Université de Munich sur « Le métier et la vocation d’homme politique » (« Politik als Beruf ») et publiée sous le titre Le savant et le politique (Paris, Plon, 10/18, 2002, préface de R. Aron, p. 123 et s.), ce livre ayant été l’ouvrage de référence de l’auteur, lorsqu’il était directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur.

[2]H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, Quadrige, 4e éd., 1990, p. 11.

[3]J. Bentham, Déontologie ou science de la morale, Paris, Charpentier, 1834, disponible sur Gallica.

[4]C. Vigouroux, Déontologie des fonctions publiques, Dalloz, 2012, n° 00.11.

[5]Ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945 relative à la formation, au recrutement et au statut de certaines catégories de fonctionnaires et instituant une direction de la fonction publique et un conseil permanent de l’administration civile.

[6]Voir par exemple M. O. Baruch, Servir l'état français. L'administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997.

[7] CE, 19 mars 2008, M. Gollnisch, n° 296984, Rec. t. p. 759.

[8]Commission d’enquête indépendante, Manipulation of the Oil-for-Food Programme by the Iraqui regime, dit rapport Volcker, disponible sur http://www.iic-offp.org/documents/IIC%20Final%20Report%2027Oct2005.pdf.

[9]C. Lavialle, « L'affaire ‘des paillotes’ et la domanialité publique », RFDA, 2005, p. 105.

[10]Z. Shepard, Absolument dé-bor-dée ! – ou le paradoxe du fonctionnaire, Albin Michel, 2010.

[11]En ce qui concerne ce point, le cadre juridique a été fixé à partir de la décision CE, 1er décembre 1972, Demoiselle Obrego, Rec. p. 711.

[12]Avis n° 2012/1 du 4 juin 2012 du collège de déontologie de la juridiction administrative.

[13]Sur son île déserte, Robinson Crusoé n’est pas exposé au risque de conflit d’intérêts. Ce risque naît avec l’apparition d’une vie sociale et, peut-être, dès la rencontre avec son compagnon Vendredi.

[14]Cf. les termes de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée ».

[15]A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, Gallimard, 1952, p. 50.

[16]Ibid., avant-propos à l’édition de 1856, Michel Lévy Frères, p. IX, disponible sur Gallica.

[17]C. Vigouroux, op. cit., n° 10.09.

[18]J.-M. Sauvé, « Un juge indépendant et impartial », in Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Costa, Dalloz, p. 539.

[19]Max Weber dans Le savant et le politique insiste sur cet aspect de la déontologie du fonctionnaire, même si sa terminologie a vieilli, y compris dans sa référence à « l’ordre établi » pour les plus hauts fonctionnaires : « Le véritable fonctionnaire […] ne doit pas faire de politique, justement en vertu de sa vocation : il doit administrer, avant tout de façon non partisane. Cet impératif vaut également pour les soi-disant fonctionnaires ‘politiques’, du moins officiellement, dans la mesure où la ‘raison de l’Etat’, c’est-à-dire les intérêts vitaux de l’ordre établi, n’est pas en jeu. Il doit s’acquitter de sa tâche sine ira et studio, ‘sans ressentiment et sans parti-pris’. Par conséquent il ne doit pas faire ce que l’homme politique, aussi bien le chef que ses partisans, est contraint de faire sans cesse et nécessairement, à savoir combattre » (op. cit., p. 156-157).

[20]Commission de réflexion pour la prévention des conflits dans la vie publique, Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, rapport remis au Président de la République le 26 janvier 2011, disponible sur http://www.conflits-interets.fr/pdf/rapport-commission-conflits-interets-vie-publique.pdf.

[21]C. Vigouroux, op. cit., n° 02.12.

[22]Deux ans d’emprisonnement, 30 000 euros d’amende et possibilité de prononcer une peine de complémentaire de privation des droits civiques ou d’interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans.

[23]CE, 25 juin 1952, Moizant, Rec. p. 332.

[24]J.-H. Matelly, C. Mouhanna, L. Mucchielli, “Feu la Gendarmerie nationale”, Pouvoirs locaux, n° 1, 2009, p. 12.

[25]CE, 12 janvier 2011, Jean-Hugues Matelly, n° 338461 Rec p. 899. Auparavant, le juge des référés avait suspendu l’exécution du décret de radiation en tant qu’il privait M. Matelly du versement de sa rémunération et de la jouissance de son logement de fonction (CE, ordonnance du 28 avril 2010, Jean-Hugues Matelly, n° 338462, Rec. p. 3)

[26]M. Pochard, « Quel avenir pour la fonction publique ? », AJDA, 2000, p. 3.

[27]Et ce quelle que soit la définition retenue ; voir par exemple celles proposées par la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique ou par la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique (« Commission Jospin »).

[28]Ce comité d’éthique a été consacré par le décret n° 2007-1849 du 26 décembre 2007.

[29]M. Hauriou, Droit administratif, 1927, Sirey, p. 50.

[30]Sur cette double dimension, voir C. Vigouroux, op. cit., n° 33.11 et s.

[31]« L’honneur du fonctionnaire consiste dans son habileté à exécuter consciencieusement un ordre sous la responsabilité de l’autorité supérieure, même si – au mépris de son propre avis – elle s’obstine à suivre une fausse voie. Il doit plutôt exécuter cet ordre comme s’il répondait à ses propres convictions. Sans cette discipline morale, dans le sens le plus élevé du terme, et sans cette abnégation, tout l’appareil s’écroulerait » (Max Weber, Le savant et le politique, op. cit., p. 157). Cette analyse exclut, selon Max Weber, toute possibilité de désobéissance ou de contestation et aussi, par conséquent, toute responsabilité. Car comme il le dit, « L’activité [du chef politique] est subordonnée à un principe de responsabilité totalement étranger, voire même opposé, à celui du fonctionnaire » (ibid.).

[32]C. Vigouroux, op. cit., n° 13.62.

[33]CE, 10 novembre 1944, Langneur, Rec. p. 288.

[34]CE, 28 février 1979, Deschomets, Rec. p. 86.

[35]Loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marché et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence. Le délit de favoritisme a été codifié à l’article 432-14 du code pénal.

[36]P. Lascoumes (dir.), Favoritisme et corruption à la française. Petits arrangements avec la probité, Paris, Presses de Sciences-Po, 2010.

[37]CE, 18 mai 2011, Mme Anderszewska, n° 329413.

[38]Sanction validée par CE, 23 mars 2005, Voirain, n° 265665.

[39]CE, 27 juillet 2005, Ministre de l’outre-mer c/ Hitia’a O Te Ra, n° 263714, Rec. t. p. 761.

[40]CE, 5 février 1996, Zapata, n°120499.

[41]Décret du 1er mars 2005 prononçant la sanction disciplinaire du déplacement d'office à l'encontre d'un membre du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

[42]CEDH, 8 décembre 2009, Previti c/ Italie, n° 45291/06.

[43]Voir notamment les § 253 à 257 de cette décision.

[44]Publié en ligne le 27 février 2013, disponible sur http://www.lexpress.fr/education/education-le-cri-d-alarme-des-recteurs_1224587.html?xtmc=recteur&xtcr=1.

[45]CE, 23 avril 2009, Guigue, n° 316862, Rec. p. 165.

[46]CE, 24 septembre 2010, Girot de Langlade, n° 333708.

[47]Episode que le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques a vécu à l’automne de 1991.

[48]M. Weber, op. cit., p. 206.

[49]Exemple tiré des crues de l’Aisne et de l’Oise dans le département de l’Aisne en janvier et février 1995, spécialement sur les rives droite (agglomération de Chauny, Tergnier et La Fère) et gauche de l’Oise.

[50]M. Weber, op. cit., p. 219.