Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Vice-Président du Conseil d’État,
Madame et Monsieur les députés,
Madame la Première présidente de la Cour de Cassation,
Madame la Procureure générale près la Cour des comptes,
Monsieur le Vice-Président honoraire,
Mesdames et Messieurs les Premiers présidents et Procureurs généraux honoraires,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les hautes personnalités en vos qualités respectives,
Mesdames et Messieurs, chers collègues,
Au nom du Vice-Président du Conseil d’État, Bruno Lasserre, et en mon nom personnel, je souhaite à chacune et chacun d’entre vous la bienvenue à la Cour des comptes, pour cette matinée de travail consacrée à la responsabilité des gestionnaires publics. Et nous commençons presque à l’heure.
Je veux d’abord remercier l’ensemble des animateurs et des intervenants qui ont accepté de prendre part aux tables-rondes qui vont se tenir devant nous ce matin ; ils nous permettront je l’espère de faire progresser notre réflexion sur le sujet complexe et passionnant qui nous rassemble aujourd’hui.
C’est avec beaucoup de joie que j’accueille également les très nombreuses personnalités qui ont tenu à assister à ce colloque. Personnalités politiques, membres ou anciens membres du Conseil constitutionnel, magistrats en activité ou honoraires des juridictions administratives, judiciaires et financières, fonctionnaires exerçant en administration centrale ou déconcentrée, universitaires, étudiants : votre présence témoigne des résonnances multiples qu’a la responsabilité des gestionnaires publics dans le quotidien des élus, agents, chercheurs ou simples citoyens que nous sommes.
Je salue aussi celles et ceux qui nous suivent en visioconférence depuis d’autres salles de la Cour, depuis les chambres régionales et territoriales des comptes, via la web-radio Lexradio ou en différé sur le site d’Acteurs publics que je veux remercier. Je me réjouis de l’engouement qu’a suscité cette manifestation.
Je veux, justement, exprimer toute ma reconnaissance aux artisans de ce succès, et, en premier lieu, à Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d’État, et à Michèle Pappalardo, présidente de chambre, rapporteure générale de la Cour des comptes, qui ont préparé ensemble ce colloque. J’étends bien sûr mes remerciements à leurs équipes et aux services du secrétariat général de la Cour, qui ont été très fortement mobilisés pour que cette journée se déroule dans les meilleures conditions.
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La manifestation qui nous rassemble aujourd’hui est un moment important pour nos deux institutions.
D’abord, je l’ai relevé, par l’affluence inédite qu’elle a occasionnée et par la grande qualité des intervenants qui vont se succéder devant nous. Notre colloque se tient aujourd’hui, si j’ose dire, « à guichets fermés », ce qui prouve que, contrairement peut-être à certaines idées reçues, le sujet de la responsabilité des gestionnaires publics ne se limite pas à de petits cénacles ; il figure, au contraire, parmi les préoccupations qui animent beaucoup d’institutions. J’ajoute que ce sujet intéresse aussi au plus haut point nos concitoyens ; j’y reviendrai.
Manifestation importante, également, car elle est le fruit d’une initiative conjointe du Conseil d’État et de la Cour des comptes prise il y a un an grâce à Martine de Boisdeffre et à notre collègue Roch-Olivier Maistre, alors rapporteur général de la Cour. Ce projet était naturel, instinctif même : au regard des missions respectives de nos deux juridictions, cela n’aurait eu, en effet, guère de sens de réfléchir à l’avenir du régime de responsabilité des gestionnaires publics chacun de notre côté. Au-delà, ce colloque témoigne aussi, Monsieur le Vice-Président, de la qualité des relations entretenues par la Cour et le Conseil, dans le respect des missions confiées à chacun.
Enfin, la manifestation qui nous rassemble rend compte des liens qui unissent nos deux institutions avec le monde de la recherche et de l’enseignement. En formant les futurs agents publics de notre pays, en publiant des travaux pédagogiques, en nous poussant, nous, praticiens, à nous interroger sur ce qui fait le quotidien de nos missions de juges, vous contribuez, chacun et chacune dans vos spécialités respectives, à faire de la responsabilité des gestionnaires publics un sujet vivant. Et je crois qu’il le mérite.
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Pourquoi avoir voulu vous réunir aujourd’hui sur ce sujet ?
La responsabilité des gestionnaires publics nourrit un dialogue constant avec les pouvoirs publics, entre la Cour des comptes et le Conseil d’État, avec nos collègues du Conseil constitutionnel, comme avec ceux de l’ordre judiciaire, avec les ministères économiques et financiers et le réseau des comptables publics, avec les élus ou le monde académique. Mais, au-delà de ces échanges réguliers, c’est l’actualité du sujet qui nous rassemble aujourd’hui qui a motivé l’organisation de ce colloque.
Dans le cadre des travaux conduits au sein du comité Action Publique 2022, le Gouvernement a en effet souhaité engager une réflexion sur l’avenir du régime de responsabilité des gestionnaires publics. En dépit de prises de parole parfois maladroites qui ont accompagné cette annonce, les juridictions financières ont accueilli favorablement cette initiative, qu’elles avaient déjà appelée de leurs voeux. J’ai fait part publiquement, en plusieurs occasions, de notre volonté de proposer à notre niveau des voies de réforme du régime actuel ; je l’ai fait notamment ici-même devant le Premier ministre, lors de notre dernière audience de rentrée le 17 janvier 2019.
J’ai par ailleurs demandé à Michèle Pappalardo, rapporteure générale, d’animer un groupe de travail interne destiné à dresser un état des lieux du régime de responsabilité actuel et à esquisser des pistes de réforme susceptibles d’être proposées ensuite aux pouvoirs publics.
Ce groupe se réunit depuis maintenant plusieurs mois, dans un esprit d’ouverture et d’échange à l’égard des principales administrations intéressées au sujet, des représentants des élus, de ceux des comptables publics, mais également avec les chercheurs et universitaires qui investissent ce champ de la gestion publique. Et si, à ce jour, nous n’en savons guère plus sur les intentions du Gouvernement, cette démarche nous permet déjà de prendre les devants, d’établir un diagnostic partagé et de formuler des propositions.
Mais, ces derniers mois, une autre tendance de fond a confirmé notre intérêt à agir.
Dans le sillage du mouvement dits des « gilets jaunes », nos concitoyens ont en effet été amenés à s’exprimer dans le cadre du Grand Débat national. Nous avons tenu à analyser une partie des contributions qui ont été réalisées à cette occasion. Elles nous ont donné à voir le sentiment partagé par un certain nombre de Français que ceux qui les gouvernent ou qui prennent les décisions ne rendaient pas toujours suffisamment compte de leur gestion et de leurs résultats. Certains ont aussi exprimé leur impression d’une forme d’impunité bénéficiant, selon eux, aux décideurs pris en faute ou auteurs d’irrégularités.
Ce sentiment diffus, nous ne l’avons pas découvert ; le Grand Débat national nous a simplement permis de l’objectiver davantage. Il constitue en tout cas une motivation supplémentaire pour promouvoir un système de responsabilité plus effectif, plus compréhensible et plus juste, et nous savons que nous disposons de marges substantielles pour y parvenir. Le régime actuel de responsabilité des gestionnaires publics doit en effet évoluer : c’est une conviction que je veux exprimer dès cet instant devant vous.
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Pour lancer notre réflexion, je voudrais vous faire part de quelques éléments de méthode et de diagnostic.
Vous le savez, en matière de gestion publique, la responsabilité repose sur une distinction fondamentale entre deux acteurs clés, les ordonnateurs et les comptables. Cette séparation, ancienne, est au coeur de notre ordre public financier ; elle fonde, à leur égard, des régimes de responsabilités distincts. J’y reviendrai.
Je parle ici de responsabilité devant un juge. Cette précision est importante car il me semble essentiel de bien délimiter le champ de la notion de responsabilité. C’est une précaution méthodologique que ne prennent d’ailleurs pas toujours ceux qui s’intéressent à ce sujet ou qui le commentent.
Ainsi, dans le domaine de la gestion publique, les responsabilités sont diverses, aussi bien dans leur forme que dans leur mise en oeuvre. Elles peuvent être managériale, financière, pénale ou politique. Elles s’entremêlent parfois, se superposent souvent, et sont séparées par des frontières qui ne sont pas toujours claires, tant pour les spécialistes du sujet que, surtout, pour les justiciables eux-mêmes. Mais quelle qu’elle soit, la responsabilité ne se décrète pas : l’on ne peut être ou se dire responsable que si cette responsabilité peut être mise en jeu, qu’elle le soit devant une assemblée élue, devant le suffrage universel, devant une autorité hiérarchique ou devant le juge judiciaire, administratif ou financier.
Je mets tout de suite de côté la responsabilité politique des gestionnaires élus, qu’il ne nous revient nullement d’apprécier et qui ne peut être sanctionnée que par le suffrage. Vient ensuite la responsabilité managériale, inhérente à toute forme d’action collective, et que nous évoquerons sans doute ce matin. Venant sanctionner la non-atteinte d’objectifs ou le défaut de performance, elle ne relève pas non plus du juge. Il est essentiel qu’elle soit encouragée et que l’on puisse en revenir, sur ce point, à l’esprit de la LOLF. Je suis de ceux qui considèrent que celui-ci a été dénaturé et que, malheureusement, de nombreuses pratiques déresponsabilisantes sont restées ou, pire, revenues, entretenant un climat de défiance généralisé peu propice à l’exercice de responsabilité. Les marges de progrès pour responsabiliser davantage les gestionnaires publics sont encore vraiment très importantes.
Dans notre office respectif de juges judiciaires, administratifs ou de juges des comptes, nous raisonnons en effet toujours à partir de la loi et des règlements. C’est la présomption d’y avoir contrevenu qui peut, seule, entraîner la mise en oeuvre de poursuites juridictionnelles.
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Dans ce registre, et puisque nous sommes à la Cour des comptes, je voudrais commencer par ce qui constitue notre mission historique, la mise en jeu de la responsabilité des comptables publics et vous soumettrai sur ce sujet deux pistes de réflexion.
Je souhaite d’abord dire quelques mots de la réforme opérée en 2011, dont j’imagine qu’il sera largement question ce matin. Cette réforme a introduit dans le raisonnement du juge des comptes la notion de préjudice, notion fondamentale dont découle désormais un système de mise en jeu de la responsabilité du comptable, selon que son manquement a entraîné ou non un préjudice à la collectivité publique.
La réforme de 2011 a constitué une avancée importante, une avancée qui, cependant – et chacun en était conscient à l’époque –, ne pouvait être qu’une étape.
Notre pratique quotidienne nous conduit en effet à constater que cette réforme n’est sans doute pas allée jusqu’au bout de la logique qui avait présidé à sa mise en oeuvre. Le maintien du pouvoir de remise gracieuse du ministre, la définition encore incertaine et parfois extensive du préjudice financier, l’insuffisante prise en compte des circonstances entourant le manquement reproché au comptable dessinent un régime qui hésite encore entre sanction et réparation, entre une logique restitutive et une logique punitive.
Ainsi, en de nombreuses occasions, les champs du préjudice et du manquement ne se recoupent pas toujours. Dit autrement, il peut y avoir préjudice financier sans que le manquement ne soit complétement imputable au comptable. C’est le cas par exemple lorsque ce manquement a pour origine une irrégularité interne, un dysfonctionnement dans l’organisme concerné ou une volonté délibérée de l’ordonnateur.
La mise en débet systématique n’a alors pas réellement de sens. Je crois même qu’elle suscite aujourd’hui une incompréhension chez les comptables, incompréhension d’autant plus forte lorsque l’absence de remise gracieuse peut faire supporter par le comptable les conséquences d’une irrégularité soit qui n’est pas de son fait, soit qui est largement formelle. Je pense dans ce dernier cas aux situations d’enrichissement sans cause, lorsque le conseil d’administration d’un établissement public, refusant la remise gracieuse, comme il en a la possibilité, impose au comptable le remboursement d’un débet sans qu’il n’y ait de préjudice pour l’établissement et au bénéfice de sa propre caisse.
Beaucoup de comptables, à cet égard, espéraient que la réforme de 2011 déboucherait sur une mise en jeu plus équilibrée de leur responsabilité, mais, force est de constater que nous sommes, d’une certaine manière, restés « au milieu du gué ».
Il me paraît donc nécessaire de donner désormais au juge des comptes toutes les cartes pour apprécier réellement les conditions d’exercice de la fonction comptable – ce que nous nommons « les circonstances de l’espèce ». La piste esquissée serait celle d’un régime où le montant mis à la charge du comptable ne serait pas systématiquement égal au montant du manquant, c’est-à-dire de la dépense irrégulière ou de la dépense non recouvrée ; il reflèterait en revanche plus directement et plus clairement la part de responsabilité respective de chaque acteur, comptable ou ordonnateur. La décision du juge financier n’en serait, je crois, que plus juste et plus équitable.
En clarifiant en ce sens les facteurs de mise en jeu de la responsabilité des comptables, on permettrait alors au juge des comptes d’établir réellement l’imputabilité du préjudice et, en particulier, la part dont la responsabilité incombe au comptable. C’est d’autant plus urgent que l’automatisation d’un certain nombre de procédés conduit à une imbrication de plus en plus grande des responsabilités des différents acteurs de la chaîne comptable.
Je crois aussi que nous avons à nous interroger davantage sur l’image que renvoie aux gestionnaires et aux citoyens le système actuel.
D’un côté, le juge des comptes dispose de la possibilité de prononcer des sommes non rémissibles, dans le cas de manquements sans préjudice. Aujourd’hui plafonnées, elles peuvent parfois être extrêmement modiques et intervenir à l’issue d’une procédure longue, coûteuse et éprouvante pour les comptables. D’un autre côté, quand le manquement a entraîné un préjudice, le pouvoir exécutif dispose de la faculté d’effectuer des remises gracieuses sur les sommes mises en débet.
Disons-le sans détour : cette immixtion du ministre-juge est d’un autre temps. Cette justice retenue est même parfaitement incompréhensible, tant elle porte atteinte à la séparation des pouvoirs. Je crois même que nous sommes d’ailleurs le seul pays à disposer de ce type de dispositif. Surtout, le système actuel envoie aux gestionnaires un signal qui me semble incohérent : d’un côté, dans le cas de manquements sans préjudice, le juge des comptes laisse à la charge du comptable une somme non rémissible, qui peut s’apparenter à une forme de sanction ; et de l’autre, dans le cas de préjudices – donc pour des affaires plus graves ! – le débet peut être remis grâce au pouvoir du ministre. Certes, un laisser à charge demeure, mais son montant est sans rapport avec le préjudice constaté.
Pour ces différentes raisons, il est nécessaire que notre système gagne en lisibilité, en cohérence et en indépendance. Et au niveau de la Cour, nous sommes tout à fait prêts bien sûr à y travailler avec les administrations concernées.
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Une autre source d’incompréhension, voire de frustration, chez les comptables publics, tient au déséquilibre qui existe aujourd’hui entre leur régime de responsabilité et celui des ordonnateurs, dont une partie seulement peut voir sa responsabilité engagée devant la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF – nous sommes un certain nombre ici dans cette salle à être membres de cette instance. Nous l’admettons sans difficulté : le système actuel ne donne pas pleinement satisfaction.
Pour y remédier, l’extension des compétences de la CDBF peut s’appréhender selon deux voies, celle des justiciables et celle des sanctions.
Côté justiciables, d’abord, la CDBF voit aujourd’hui échapper à sa compétence un grand nombre d’ordonnateurs. L’extension éventuelle de son champ de compétences aux ordonnateurs locaux peut néanmoins susciter des craintes. Je les entends, mais je crois que les élus devraient bien plus craindre le risque d’une confusion des responsabilités financières et pénales. Pour le dire plus clairement, le risque, pour les ordonnateurs locaux, si le juge financier ne peut remplir son office et sanctionner des infractions qui peuvent relever de lui, c’est que toutes les irrégularités de gestion relèvent in fine du seul juge pénal. Les élus feraient alors les frais d’une pénalisation à outrance de la vie publique, qui n’est pas l’assurance d’une République sereine.
Pour alimenter notre réflexion, nous pouvons utilement nous inspirer des systèmes déployés par certains de nos voisins, notamment portugais et italiens, dont il sera question ce matin. Chez eux, la responsabilité des élus locaux peut y être mise en jeu par le biais d’un régime d’exception dans les seuls cas d’irrégularités les plus graves, caractérisées par un préjudice financier et par l’intentionnalité d’un comportement fautif. C’est, à mon avis, un système dont on pourrait s’inspirer.
Cette comparaison m’amène à ma seconde piste de réflexion : l’office de notre CDBF serait sans doute beaucoup plus opérant si le champ des infractions qu’elle peut poursuivre était élargi, y compris, dans certaines conditions, aux ordonnateurs locaux. L’octroi d’un avantage injustifié à soi-même, la présentation de comptes manifestement insincères ou encore l’inaction répétée dans l’exécution de mesures de redressement sont autant de chefs de mise en cause qu’il nous faut creuser.
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Bien sûr, ces quelques mots introductifs n’épuisent pas le champ de notre réflexion, loin de là. Nos échanges ce matin nous conduiront, j’imagine, à aborder bien d’autres points – l’avenir de la responsabilité personnelle et pécuniaire dans un réseau comptable transformé et numérisé, l’opportunité de faire évoluer les dispositifs actuels de cautionnement ou encore l’éventualité d’un régime de responsabilité unique entre ordonnateurs et comptables.
Dans l’entreprise de rénovation du régime de responsabilité actuel dans laquelle nous voulons nous engager, je crois surtout qu’il nous faut veiller au respect de trois principes – et j’en terminerai là – fondamentaux, que je voudrais rappeler devant vous.
Ma première conviction, c’est que la séparation entre ordonnateurs et comptables doit demeurer le principe cardinal de notre ordre public financier. Ce principe ancien, que l’on retrouve en dehors de la sphère publique, est un système à la fois protecteur pour le comptable, à qui il évite de subir toute forme de pression, et pour l’ordonnateur, qui demeure assuré de la régularité des décisions qu’il prend, tout en lui évitant parfois la tentation coupable de s’immiscer dans le maniement de la caisse publique. Nous avons aussi un comptable à la Cour des comptes, qui dépend du ministère de l’économie et des finances ; son contrôle ne nous gêne pas, il n’entrave en rien notre esprit de responsabilité dans la gestion de nos crédits.
Aujourd’hui, au prétexte que le système actuel serait trop lourd ou trop contraignant, qu’il entraverait l’action publique et l’initiative – alors même que l’exigence d’un système de responsabilisation est à chercher ailleurs –, l’on voudrait lui ôter ce qui fait sa colonne vertébrale. Ce serait là prendre un bien grand risque et faire le pari audacieux d’un respect sans faille de la loi et de règles, tant par les ordonnateurs que par les comptables publics. Surtout, personne ne comprendrait dans le contexte actuel que la réflexion engagée aboutisse finalement à remettre en cause toute mise en jeu de responsabilités. Rénovation des
responsabilités sans diminution ou même disparition des contrôles a priori, voilà me semble-t-il un premier objectif.
Ma deuxième conviction, c’est que le régime de responsabilité des gestionnaires publics a toute sa place parmi les différents types de responsabilités qui incombent aux gestionnaires. Aux côtés de la responsabilité managériale, de la responsabilité politique ou pénale, je suis convaincu qu’il y a bien une place pour une responsabilité financière propre.
La responsabilité managériale, qui peut conduire à reconnaître l’échec d’un responsable public dans la gestion d’un service ou d’un projet, n’est ainsi pas conçue pour réparer les préjudices causés à la collectivité. À l’opposé, toutes les irrégularités de gestion ne sauraient directement engager la responsabilité pénale de leurs auteurs ; la responsabilité pénale qui est faite pour réprimer les atteintes à la probité et les fautes intentionnelles, ne peut à l’évidence constituer l’unique réponse aux défaillances ou irrégularités de gestion.
Sur ce point, sans doute devons-nous réfléchir encore aux moyens d’articuler plus étroitement les missions du juge pénal et du juge financier pour apporter les réponses les plus adaptées aux irrégularités de gestion. La relation entre la CDBF et les juridictions pénales avait à ce titre fait l’objet de travaux approfondis au début des années 2000 à l’initiative de mon prédécesseur Philippe Seguin. Cette démarche doit, je crois, être poursuivie. Rénovation des responsabilités sans confusion des responsabilités, voilà un deuxième objectif.
Ma troisième conviction c’est que le régime de responsabilité des gestionnaires doit « marcher sur ses deux jambes » et doit donc être plus équilibré qu’il ne l’est aujourd’hui. Notre réflexion mérite d’être globale : trop souvent par le passé, on a réfléchi, d’un côté, à l’avenir du régime de responsabilité des comptables publics, et, de l’autre, à celui des ordonnateurs. Je crois au contraire que nous devons aborder ce système dans son ensemble pour chercher à lui donner davantage de cohérence et d’efficacité. Rénovation des responsabilités sans déséquilibre des responsabilités, voilà notre troisième et dernier objectif.
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Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Vice-Président,
Mesdames et messieurs les hautes personnalités en vos qualités respectives,
La tâche qui nous rassemble aujourd’hui est ambitieuse : il nous revient d’établir ensemble un état des lieux du régime actuel de responsabilité des gestionnaires publics, de mettre en évidence ses forces et ses atouts, de s’efforcer d’envisager le régime de demain, à l’heure où les mutations de l’action publique transforment en profondeur le déploiement de la chaîne comptable. Nous le faisons dans un contexte où nos concitoyens n’acceptent pas que les irrégularités commises par des gestionnaires ne soient pas sanctionnées à partir du moment où, eux-mêmes, simples citoyens, le sont, dès qu’ils commettent une faute.
Sans doute n’aurons-nous pas le temps de traiter pleinement chacune des facettes de ce sujet. Aussi, je souhaite que ce colloque ne soit qu’une étape dans notre réflexion commune, y compris avec nos collègues du judiciaire, étape qui appelle, avec les institutions et parties prenantes que vous représentez, d’autres échanges. Je veux vous redire, en tout cas, l’esprit d’ouverture qui est celui de la Cour des comptes : nous n’avons pas peur de bouger, d’évoluer, d’être acteurs d’une transformation que nous appelons de nos voeux depuis longtemps et nous souhaitons y contribuer de façon constructive.
Derrière ce sujet que d’aucuns pourraient juger technique ou austère, se lisent des attentes profondes, à la fois d’ailleurs du côté des gestionnaires comme de nos concitoyens, en faveur de davantage de responsabilité, de transparence, de régularité et de probité de la gestion publique. En cherchant à y répondre, nous oeuvrons, j’en suis convaincu, nous oeuvrerons au rétablissement de la crédibilité de la parole publique et de la confiance que portent les Français envers leurs gestionnaires. Je crois que notre pays et les agents qui le servent en ont grandement besoin et le souhaitent.
Alors, bon travail à tous et merci encore pour votre attention et pour votre présence.
Je cède à présent la parole à la présidente Michèle Pappalardo, qui va vous donner quelques informations pratiques sur le déroulement de la matinée.
Merci à vous.