Intervention de Jean-Marc Sauvé lors de la remise du prix de thèses de la Fondation Varenne le 12 décembre 2016
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Remise du prix de thèses de la Fondation Varenne
La protection des libertés et des droits fondamentaux dans le contexte de la menace terroriste
Fondation Varenne, Lundi 12 décembre 2016
Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État
Monsieur le président de la Fondation Varenne,
Monsieur le doyen,
Mesdames et Messieurs les professeurs
Mesdames et Messieurs,
Chers lauréats,
Avocat et juriste, Alexandre Varenne a toujours manifesté le plus grand attachement aux valeurs républicaines et à la défense des libertés et des droits fondamentaux. Opposant au régime de Vichy, il a notamment assisté Jean Zay lors de son procès en 1940. A cette époque, tous n’ont pas eu ses convictions, son courage et sa vision. Le Conseil d’État lui-même, quoique tenu en lisière par le régime de Vichy et profondément épuré en 1940, n’a alors pas su s’affranchir des pièges du formalisme et du syllogisme juridiques, comme de la lettre et de l’intention du législateur du régime de Vichy[2]. Les temps ont heureusement changé, mais la protection des libertés et la défense des droits fondamentaux restent des sujets centraux dans notre société, que les attentats récents et l’état d’urgence ont profondément affectée. Cet état d’urgence, qui se prolonge désormais depuis plus d’un an, est un défi pour un État de droit comme la France. Nous sommes en effet confrontés à un double impératif catégorique : assurer, d’une part, une lutte efficace contre le terrorisme, tout en continuant, d’autre part, à garantir une protection élevée des droits et des libertés fondamentales. Aucune de ces branches ne doit, ni ne pourra, céder le pas devant l’autre. Plus que jamais, la défense des droits et des libertés doit être une priorité et le Conseil d’État, dans ses missions consultative et contentieuse, s’attache à ne pas laisser cet objectif lettre morte. Ainsi, si la lutte contre le terrorisme requiert des dispositifs législatifs et réglementaires efficaces, ces derniers ne peuvent conduire à la mise en péril des principes et des valeurs qui sont les nôtres et que nous avons proclamés dès 1789 avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (I). Dans cette quête, le juge administratif a montré la force et la résilience des principes qu’il promeut ainsi que l’efficacité de son action dans la protection des libertés et des droits fondamentaux (II).
I. La lutte contre le terrorisme est un défi pour une société démocratique et un État de droit comme la France.
A - Elle a nécessité le déploiement de mesures exceptionnelles, qui doivent désormais laisser place à des dispositifs pérennes.
1. Depuis plus d’un an, la lutte contre le terrorisme s’incarne d’abord dans la déclaration, le 14 novembre 2015[3], de l’état d’urgence. A l’exception de dispositions autorisant le contrôle des moyens de communication[4] et instituant la compétence de la juridiction militaire pour juger des crimes et délits[5], toutes les autres dispositions de la loi du 3 avril 1955[6] ont été rendues applicables sur l’ensemble du territoire métropolitain, puis dans les départements et les collectivités d’outre-mer, sauf celles du Pacifique et de Saint-Pierre-et-Miquelon[7]. Concrètement, cela implique une extension des pouvoirs préventifs, dits aussi de police administrative, du ministre de l’intérieur et des préfets. Ces derniers peuvent ainsi définir des zones de protection ou de sécurité dans lesquelles le séjour des personnes est réglementé, voire interdire le séjour dans tout ou partie d’un département de personnes cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics[8]. Le régime des assignations à résidence, prévu par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, a été encadré, clarifié mais aussi complété dans le sens d’un renforcement des pouvoirs du ministre de l’intérieur. La référence à « une activité dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics » a en effet été remplacée par celle, plus large, de « comportement [constituant] une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». L’article 11 de cette loi prévoit également la possibilité pour l’autorité administrative d’effectuer des perquisitions administratives, dont le régime a été modifié et complété par la loi du 21 juillet 2016[9] pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel qui avait partiellement censuré le dispositif[10]. Ces pouvoirs exceptionnels doivent permettre aux autorités administratives de faire face à « un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public »[11]. Ils ne peuvent toutefois constituer la seule réponse pertinente à un danger comme le terrorisme qui, par définition, s’inscrit dans un temps relativement long.
2. Au-delà de l’état d’urgence, la lutte contre le terrorisme doit en effet s’inscrire dans une action judiciaire au long cours et déterminée pour identifier, poursuivre et mettre hors de combat les auteurs de crimes ou de délits terroristes. Par conséquent, elle a impliqué des adaptations législatives et réglementaires de fond destinées à lutter durablement contre les causes et les manifestations du terrorisme. Le Conseil d’État a eu l’occasion de le rappeler, au contentieux dès 2005[12], puis dans son avis du 2 février 2016[13] rendu sur la loi prorogeant pour la deuxième fois l’état d’urgence et dans ses avis subséquents, y compris celui du 8 décembre 2016[14], en soulignant que l’état d’urgence est un « état de crise » par nature limité dans le temps : il ne peut être indéfiniment renouvelé. Pour en sortir, les autorités publiques doivent disposer de moyens pérennes de lutte contre le terrorisme. Plusieurs lois ont ainsi été adoptées pour renforcer la législation pénale et les moyens des services de renseignement. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement[15] a fixé pour la première fois un cadre juridique pour l’activité des services de renseignement et défini les conditions dans lesquelles ils peuvent avoir recours à des techniques d’interception, de localisation, de sonorisation et de captation d’images et de données ainsi qu’à des mesures de surveillance internationale. Cette loi a aussi institué un dispositif d’autorisation préalable du Premier ministre, après avis d’une autorité administrative indépendante – la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La loi du 3 juin 2016 a visé, quant à elle, à renforcer l’efficacité des investigations judiciaires et la répression du terrorisme[16]. Elle a aussi étendu les possibilités de contrôle d’identité, de visite des véhicules et de fouille de bagages dans un cadre administratif et elle s’est attachée à renforcer les dispositifs de lutte contre la cybercriminalité et la répression des infractions en matière d’armes.
Dans la lutte contre le terrorisme, les autorités publiques doivent pouvoir bénéficier de tous les moyens nécessaires pour répondre efficacement à la menace. A titre transitoire, dans le cadre de la police administrative, comme de manière plus pérenne pour mener des investigations utiles, poursuivre et condamner les auteurs d’actes de terrorisme, il est nécessaire de disposer d’instruments législatifs et réglementaires pertinents. C’est ce qui pour l’essentiel a été fait.
B - Dans un État de droit, le renforcement des pouvoirs de l’administration doit toutefois être accompagné d’un renforcement corrélatif des garanties offertes aux citoyens.
1.Dans sa fonction consultative, le Conseil d’État s’est attaché à définir un équilibre entre la préservation d’une action efficace de l’administration et la garantie des libertés et des droits fondamentaux protégés, notamment, par la Constitution et les traités internationaux auxquels la France est partie. Chaque fois qu’il a été saisi d’un texte relatif à l’état d’urgence ou, de manière plus générale, à la lutte contre le terrorisme, le Conseil d’État a procédé à un examen très attentif avec toujours la même volonté de trouver l’équilibre le plus fin et le plus adéquat entre la protection de l’ordre public et la garantie des libertés fondamentales. Il a ainsi vérifié, pour chaque projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, que cette prorogation et l’extension des pouvoirs de l’administration dans ce cadre n’étaient pas excessives au regard des objectifs poursuivis et que les dispositions proposées étaient assorties de garanties suffisantes pour les personnes concernées[17]. S’agissant des assignations à résidence, il a ainsi estimé que le dispositif proposé était proportionné à l’objectif poursuivi, dès lors que sa rigueur était tempérée par des garanties pour les personnes assignées à résidence[18] – notamment par la limitation de la durée de l’astreinte et du nombre de présentations aux services de police et la limitation de l’interdiction d’entrer en contact avec certaines personnes - et, en outre, que les mesures d’assignation à résidence devaient faire l’objet d’un réexamen à chaque nouvelle prorogation de l’état d’urgence[19]. En décembre 2015, le Gouvernement a demandé l’avis du Conseil d’État sur la possibilité d’imposer des mesures privatives ou restrictives de liberté à certaines personnes connues des services de police pour leur radicalisation et, plus précisément, aux personnes faisant l’objet d’une fiche « S » qui est le signalement le plus minime du fichier des personnes recherchées, la lettre « S » renvoyant à l’idée de surveillance. A cette occasion, le Conseil d’État n’a pas hésité à rappeler, dans son avis du 17 décembre 2015, qu’une telle mesure, pour des personnes uniquement suspectées de liens avec la mouvance terroriste et n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation pénale, serait contraire à la Constitution et aux engagements internationaux de la France. Il a aussi émis des réserves quant à la possibilité d’instaurer une rétention de sûreté, c'est-à-dire une privation de liberté pour des personnes déjà condamnées pour des actes de terrorisme et ayant purgé leur peine. Il a demandé, en pareille hypothèse, de prévoir des garanties et un encadrement suffisants du dispositif[20], par analogie avec ce qui est existe, et en conformité avec la Constitution et nos engagements européens, pour les auteurs de crimes particulièrement graves[21].
Si le 8 décembre dernier, le Conseil d’État a donné un avis favorable à la prorogation de l’état d’urgence en considération, notamment, de la multiplicité des attentats déjoués depuis juillet (une douzaine), du retour prochain de Syrie en Europe de plusieurs milliers de djihadistes et de la perspective des campagnes électorales présidentielle et législatives, il a demandé de plafonner à un an la durée maximale des assignations à résidence en l’absence d’élément nouveau.
2. Saisi de quatre questions prioritaires de constitutionnalité à l’initiative du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a lui aussi veillé à ce que les dispositifs autorisant les assignations à résidence et les perquisitions administratives soient conformes à la Constitution. Il a ainsi jugé que les dispositions de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, autorisant les assignations à résidence, étaient conformes aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui protègent la liberté personnelle[22]. Exerçant un véritable contrôle de proportionnalité, le Conseil constitutionnel a estimé que si le fait d’être assigné à résidence portait atteinte à la liberté d’aller et de venir et au droit au respect de la vie privée et familiale, ces atteintes étaient justifiées par la préservation de l’ordre public et n’étaient pas disproportionnées eu égard aux buts poursuivis, compte tenu des garanties mises en place. S’agissant des perquisitions administratives, le Conseil constitutionnel en a admis le principe, tout en censurant la partie du dispositif qui permettait sans autorisation d’un juge d’exploiter les données informatiques saisies[23]. Il a aussi admis, dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité, la conformité à la Constitution des restrictions à la liberté de réunion et la fermeture des lieux publics[24]. Dans une décision du 2 décembre 2016, faisant suite à la transmission d’une quatrième question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État[25], il a déclaré le dispositif issu de la loi du 21 juillet 2016, conforme à la Constitution, à l’exception de l’alinéa ne fixant aucune durée de conservation des données informatiques saisies en lien avec le motif de la perquisition, lorsqu’elles ne constituent pas une infraction pénale[26].
L’ensemble des pouvoirs publics, juridictionnels ou non[27], sont ainsi mobilisés pour assurer que la lutte contre le terrorisme ne remette pas en cause les principes de l’État de droit, dont la protection des libertés et des droits fondamentaux est le socle.
II. Dans ce contexte, le juge administratif a montré la robustesse de ses principes et l’efficacité de son action
A - De longue date, le Conseil d’État assure un contrôle approfondi en matière de police administrative.
1. Avant même la consécration constitutionnelle des droits et des libertés contenus dans la Déclaration de 1789, par la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971[28], le Conseil d’État a garanti une conciliation efficace entre la protection des libertés fondamentales, d’une part, et la préservation de l’ordre public, d’autre part. Puisant son inspiration dans le texte de la Constitution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République[29] et la tradition républicaine, il a eu « l’audace »[30] de consacrer des « principes généraux du droit applicables même en l’absence de texte »[31], dont la reconnaissance a nettement contribué à l’essor d’un ordre juridique libéral[32] respectueux des droits des administrés[33]. Comme l’a déclaré, en 1917, le commissaire du gouvernement Corneille, la Déclaration des droits de l’homme placée « au frontispice des constitutions républicaines » garantit, avec les principes du droit public, que « la liberté est la règle et la restriction de police l’exception »[34]. Depuis la décision Benjamin de 1933[35], le juge administratif exerce un triple contrôle de proportionnalité sur les mesures de police administrative, comme l’interdiction des réunions ou des manifestations. Il s’assure en effet que ces mesures sont nécessaires eu égard au risque de trouble invoqué, qu’elles sont adaptées et qu’elles sont proportionnées à l’objectif poursuivi[36]. Il vérifie, notamment, que des mesures moins attentatoires aux libertés ne pourraient être prises.
2. Sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 modifiée, l’administration a la possibilité d’édicter un certain nombre de mesures ayant vocation à prévenir la réalisation d’une atteinte grave à l’ordre public, mais qui, par leur nature, sont susceptibles de limiter la liberté des personnes. Dans ce contexte, le juge administratif a appliqué sa jurisprudence habituelle. En raison de l’objet et des effets des assignations à résidence, le Conseil d’État a ainsi jugé que l’urgence du recours des personnes concernées devait être présumée et que celles-ci pouvaient saisir le juge du référé-liberté à qui il appartient, le cas échéant, de prononcer une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde dans un délai de 48 heures[37]. A l’issue d’une audience au cours de laquelle les parties débattent contradictoirement de l’ensemble des pièces du dossier, y compris des notes des services de renseignement, le juge administratif se prononce sur l’existence ou non d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et il opère à cette occasion la nécessaire conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect des libertés mises en cause. Par ailleurs, le Conseil d'État a précisé que, dans le cadre de son contrôle de légalité comme en urgence, il exerçait sur ces mesures d’assignation le triple contrôle de leur caractère nécessaire, adapté et proportionné[38], comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 décembre 2015[39].
Récemment, le Conseil d’État a aussi eu l’occasion de préciser le régime des perquisitions administratives ordonnées dans le cadre de l’état d’urgence, sur lesquelles il a décidé d’exercer un contrôle approfondi de même nature[40]. Il a également rappelé que la responsabilité de l’État pouvait être engagée pour faute simple, à raison des illégalités affectant la décision de perquisition, mais aussi des conditions matérielles de son exécution, notamment en cas d’usage excessif et non nécessaire de la force ou lorsque des enfants mineurs sont présents.
Depuis la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence à la suite de l’attentat de Nice, l’autorité administrative peut certes accéder aux données stockées sur un système informatique, mais elle ne peut les exploiter qu’après avoir obtenu l’autorisation du juge administratif qui statue dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine[41]. Cette autorisation ne peut être donnée que pour des éléments en lien avec la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée[42].
B - La protection juridictionnelle offerte par le juge administratif a montré son efficacité dans le cadre de l’état d’urgence.
1. La loi du 30 juin 2000[43] est venue pallier les insuffisances des procédures d’urgence devant le juge administratif en instaurant des procédures enfin crédibles et efficaces. Au référé-suspension, qui a avantageusement remplacé l’ancien sursis à exécution, s’est ajouté le référé-liberté qui permet au justiciable de saisir en urgence le juge administratif afin de faire cesser « toute atteinte grave et manifestement illégale » à une « liberté fondamentale »[44]. Statuant en 48 heures, il dispose de pouvoirs étendus et peut ordonner toute mesure nécessaire à la cessation de l’atteinte relevée[45]. Dans le cadre de l’état d’urgence, cette procédure a révélé son efficacité, notamment pour les recours dirigés contre des décisions d’assignation à résidence[46]. Saisi de l’examen du projet de loi, le Conseil d’État avait d’ailleurs souligné que la garantie juridictionnelle apportée par le juge des référés administratifs était très supérieure à ce qui était antérieurement prévu et qu’un tel contrôle était de nature à offrir des garanties suffisantes aux personnes assignées à résidence[47].
2. Quelques statistiques donnent la mesure de l’efficacité du contrôle opéré par le juge administratif dans ce cadre : plus de 30 % des assignations à résidence prises au titre de l’état d’urgence depuis le 14 novembre 2015 et contestées devant le juge des référés des tribunaux administratifs ont cessé d’être appliquées, soit qu’elles aient été suspendues en tout ou partie par ce juge, soit qu’elles aient été préventivement abrogées, avant ou après l’audience devant le juge, par le ministre de l’intérieur. En appel devant le Conseil d’État, le taux de remise en cause des assignations s’est élevé à 56%. Depuis le 21 juillet 2016, les tribunaux administratifs ont par ailleurs été saisis de 80 demandes d’autorisation d’exploiter des données informatiques saisies dans le cadre d’une perquisition. Le Conseil d'État a eu l’occasion de se prononcer à six reprises sur ces jugements en exerçant également un entier contrôle sur la régularité et la nécessité de ces mesures[48]. Le juge administratif a aussi été saisi de plusieurs recours contre des interdictions de séjour dans toute ou partie d’un département. Dans plus de 53 % des cas, les juges des tribunaux administratifs ont prononcé une suspension partielle ou totale de ces décisions.
Je tiens par ailleurs à souligner qu’une formation spécialisée du Conseil d’État est aussi chargée d’examiner les recours des personnes souhaitant vérifier qu’elles ne font pas l’objet de l’utilisation à leur encontre et à mauvais escient d’une technique de renseignement[49], comme une écoute ou un enregistrement.
La nature du contrôle exercé par le juge administratif et la rapidité de son intervention dans le cadre de l’état d’urgence renforcent l’idée désormais acquise qu’il est un juge protecteur des libertés et des droits fondamentaux.
Confrontés à des menaces terroristes d’une ampleur et d’une gravité sans précédent, il nous appartient de trouver un juste équilibre entre l’efficacité de l’action répressive du Gouvernement, du Parlement et de la justice pénale et la nécessaire préservation des libertés et des droits qui sont au cœur de l’État de droit. Depuis plus d’un an, notre système juridique a su faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et de résilience. Il a réaffirmé son attachement aux principes et aux valeurs contenus, notamment, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il a su aussi agir avec efficacité et rapidité pour assurer la garantie effective de ces droits. L’ensemble des pouvoirs publics et des acteurs juridictionnels doit demeurer mobilisé sur la préservation de cet équilibre nécessaire et fragile. La ligne de crête sur laquelle nous avançons est étroite, mais la force de nos principes et de nos valeurs ainsi que notre attachement à l’État de droit peuvent nous inciter à nourrir, en dépit des difficultés, un optimisme raisonnable.
[1]Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.
[2] CE Ass., 24 avril 1942, Bloch Favier, Rec. 135.
[3] Décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifié par les décrets n° 2015-1476 et n° 2015-1478 du 14 novembre 2015. L’état d’urgence a été prorogé par quatre lois depuis cette date : la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions, la loi n° 2016-162 du 19 février 2016, la loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 et la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016. Un nouveau projet de loi de prorogation est actuellement en cours d’examen par le Conseil d’État.
[4]Article 11, 2° de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.
[5]Article 12 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.
[6]Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
[7]Décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.
[8]Article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.
[9]Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
[10]CC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme,n° 2016-536 QPC.
[11]Article 1er de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.
[12]CE ord., 9 décembre 2005, Mme Allouache, n° 287777.
[13]Avis CE n° 391124 du 2 février 2016.
[14]Avis CE n° 392427 du 8 décembre 2016.
[15]Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
[16]Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Voir aussi la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui crée notamment un dispositif d’interdiction de sortie du territoire et renforce les dispositions de nature répressive ainsi que les moyens de prévention et d’investigation.
[17]Avis CE n° 390786 du 17 novembre 2015.
[18] Avis CE n° 390786 du 17 novembre 2015.
[19] Article 14 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. Voir avis CE n° 391124 du 2 février 2016.
[20] Avis CE n° 390867 du 17 décembre 2015.
[21] Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
[22] CC, 22 décembre 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC, cons. 11 à 13 et 16.
[23]CC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme, n° 2016-536 QPC.
[24] CC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme, n° 2016-535 QPC.
[25] CE, 16 septembre 2016, Ariiveheataiteraipori, n° 402941 : le Conseil d’État décide de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC portant sur la conformité aux dispositions de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du dispositif prévu par l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 qui autorise les perquisitions administratives.
[26] CC, 2 décembre 2016, M. Raïme A., n° 2016-600 QPC.
[27] Conformément à l’article 4 de la loi du 3 avril 1955, telle que modifiée par la loi du 20 novembre 2015, « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délais des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence ».
[28] CC, 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, n° 71-44 DC.
[29] CE Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris : par cette décision, le Conseil d’État reconnaît dans la liberté d’association un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
[30] J. Rivero, « Dualité de juridictions et protection des libertés », RFDA, 1990, p. 734.
[31] L’expression apparaît la première fois dans la décision CE Ass., 26 octobre 1945, Sieur Aramu, Rec. 213.
[32] P. Wachsmann, « La jurisprudence administrative », in P. Gonot, F. Melleray et P. Yolka (dir), Traité de droit administratif T.1, Dalloz, 2011, p. 580.
[33] K. Weidenfeld, Histoire du droit administratif, du XIVe siècle à nos jours, Economica, 2010, p. 195.
[34] Commissaire du gouvernement Corneille dans les conclusions sous CE, 1917, 10 août Baldy, n°59855, Rec. 638.
[35] CE, 19 mai 1933, Benjamin, Rec. 541.
[36] CE Ass., 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image, Rec. 506.
[37] CE Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud, n° 395009.
[38] CE Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud, n° 395009.
[39] CC, 22 décembre 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC, cons. 12.
[40] CE Ass. Avis, 6 juillet 2016, M. Napol et M. Thomas, n° 398234 et 399135, conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016.
[41] Article 5 de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste modifiant la loi du 3 avril 1955.
[42] CE ord., 5 août 2016, Ministre de l’intérieur, n° 402139.
[43] Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives.
[44] Les libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont entendues largement. Au nombre des libertés fondamentales susceptibles d’être invoquées en référé-liberté figurent, notamment, la liberté de se marier (CE, 9 juillet 2014, M. Mbaye, n° 382145), le droit pour un fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral (CE, 19 juin 2014, Commune du Castellet, n° 381061), l’égal accès à l’instruction (CE, 15 décembre 2010, Ministre de l’éducation nationale c. Mme Peyrilhe, n° 344729), le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical (CE, 14 février 2014, Mme Lambert, n° 375081), la liberté d’aller et venir (CE, 19 janvier 2001, M. Deperthes, n° 228928), le principe de libre administration des collectivités territoriales 5CE, 18 janvier 2001, Commune de Venelles, n° 229247), le principe de libre disposition de ses biens (CE, 1er juin 2001, Ploquin, n° 234321), le droit de grève (CE, 9 décembre 2003, Mme Aguillon et autres, n° 262186), la liberté de culte (CE, 16 février 2004, Benaissa, n° 264314).
[45] Ordonnance du juge des référés du TA de Lille du 2 novembre 2015 relative aux conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans la « jungle » de Calais. Le juge des référés a ordonné le recensement des mineurs isolés en situation de détresse et la mise en place de mesures sanitaires (installation de toilettes et points d’eau, installation de dispositifs de collecte d’ordures, nettoyage du site).
[46]Sur 430 recours introduits devant les tribunaux administratifs contre des décisions d’assignation à résidence, 185 l’ont été par la voie du référé-liberté et 42 par la voie du référé-suspension.
[47] Avis CE n° 390786 du 17 novembre 2015 sur la première loi de prorogation de l’état d’urgence.
[48] CE ord., 5 août 2016, Ministre de l’intérieur, n° 402139.
[49] Articles 1 et 2 de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.