La mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité dans la juridiction administrative

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, lors de l'audience solennelle de rentrée du tribunal administratif de Lyon, le lundi 12 septembre 2011.

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Audience solennelle de rentrée du tribunal administratif de Lyon

Lundi 12 septembre 2011

 

La mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité dans la juridiction administrative

Intervention de Jean-Marc Sauvé[i], vice-président du Conseil d’Etat

Monsieur le président du tribunal administratif,

Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés,

Monsieur le président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le sénateur-maire de Lyon,

Mesdames et Messieurs les membres du Parlement,

Monsieur le préfet,

Messieurs les chefs des cours d’appel administrative et judiciaire,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles, militaires et judiciaires,

Madame le bâtonnier,

Mesdames, Messieurs, 

La question prioritaire de constitutionnalité est née d’une double volonté. Celle de permettre à tous les citoyens de s’approprier le texte fondateur de notre démocratie, en donnant aux justiciables la possibilité de contester directement devant leurs juges la conformité des lois aux droits et libertés que la Constitution garantit. Celle aussi de réaffirmer la suprématie de la Constitution dans notre ordre juridique interne, en la plaçant au cœur du dispositif de contrôle de la loi. Les engagements internationaux ne s’étaient imposés comme principales normes de référence à cet égard que par défaut.

Dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, la question prioritaire de constitutionnalité a, vue de la juridiction administrative, pleinement atteint les objectifs qui lui étaient assignés : non seulement elle se traduit par le « Passage d’une culture de la loi à une culture de constitution »[ii] qui va largement au-delà du cercle restreint des praticiens du droit mais, plus encore, cette procédure s’est résolument imposée comme la pierre d’angle du système de garantie des droits fondamentaux dans notre ordre juridique, aux côtés de l’apport qui demeure essentiel des deux ordres juridiques européens, celui de l’Union et celui de la convention européenne des droits de l’Homme.

Le succès de la question prioritaire de constitutionnalité procède, je le crois, de deux dynamiques fondamentales :

- d’une part, cette procédure permet, en donnant leur plein effet aux principes affirmés par notre Constitution, de parachever notre système de garantie des droits (I) ;

- d’autre part, en mettant l’accent sur la coopération et la responsabilité des juges, la question prioritaire de constitutionnalité contribue à affermir la cohérence de notre ordre juridique interne et à mieux l’articuler avec les systèmes juridiques européens et internationaux (II).

 

I/ En donnant leur plein effet aux principes affirmés par notre Constitution, la question prioritaire de constitutionnalité permet de parachever notre système de garantie des droits.

La création d’un contrôle de constitutionnalité des lois par la voie de l’exception, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, a sans nul doute constitué un accomplissement essentiel dans le processus de constitutionnalisation de notre ordre juridique et dans l’achèvement de notre système de garantie des droits.

A.- La question prioritaire de constitutionnalité permet en effet de donner toute leur portée aux stipulations de notre contrat social, c'est-à-dire aux principes et valeurs que, par la Constitution, le peuple souverain s’est donnés à lui-même.

1.- Elle conduit de fait à confronter à la Constitution des lois entrées en vigueur et, ce faisant, à renforcer la cohérence de notre corpus législatif en garantissant une remise à niveau constitutionnelle permanente de celui-ci[iii]. Elle permet aussi, dans un temps moins contraint que celui du contrôle a priori et plus affranchi du débat politique, de mobiliser toutes les normes constitutionnelles pertinentes et de soumettre – potentiellement- la totalité des lois au crible de ces normes[iv].

2.- La possibilité de contester une disposition législative en vigueur permet également de surmonter les limites du contrôle de conventionnalité et de donner une portée effective à l’ensemble des principes constitutionnels. Le contrôle de conventionnalité a constitué un apport essentiel à la garantie des droits fondamentaux. Mais il ne permet au juge que d’écarter l’application d’une loi et non de la censurer. A l’inverse, si la QPC est accueillie, le Conseil constitutionnel prononce l’abrogation de la loi. Dans une stratégie contentieuse, le choix de poser une telle question n’est donc pas exempt d’une certaine dimension « altruiste » et conduit à une solution plus efficace en raison de l’effet erga omnes qui s’attache à une telle abrogation.

En outre, s’il existe une convergence certaine entre, d’un côté, les droits et libertés garantis par la Constitution et, de l’autre côté, ceux protégés par les engagements européens et internationaux, il n’y a pas identité entre eux. La question de constitutionnalité permet donc de donner toute leur portée aux principes qui sont propres à notre tradition juridique et même philosophique. L’on peut citer, parmi ceux-ci, le principe de laïcité, celui de continuité des services publics, ou encore le droit au logement ou le droit à la santé.

Enfin, le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité permet de réordonner l’ordre juridique interne, d’un côté, et le droit européen et international, de l’autre. Le premier constitue le socle de la protection des droits. Le second n’est pas moins essentiel, mais il doit - sous les justes réserves d’interprétation de la Cour de justice de l’Union- n’être mobilisé qu’en second, en application du principe de subsidiarité. Cet ordre cohérent d’examen des moyens des justiciables a permis depuis 18 mois de donner un nouveau souffle, voire une seconde naissance à de nombreux principes fondamentaux d’origine constitutionnelle, comme la liberté d’association[v], le droit à un recours effectif[vi], la liberté individuelle[vii], le principe de responsabilité résultant de l’article 4 de la déclaration de 1789[viii] ou encore la présomption d’innocence résultant de l’article 9 de la même déclaration[ix].

B. La seconde raison qui permet de regarder la question prioritaire de constitutionnalité comme un accomplissement essentiel dans la constitutionnalisation de notre ordre juridique tient à l’efficacité de ce mécanisme, tel qu’il est interprété et mis en pratique par les juridictions qui concourent à son application.

1.- Si son respect scrupuleux de la loi et son expérience constitutionnelle, comme conseil juridique du Gouvernement et du Parlement et comme juge de l’administration, prédisposaient le Conseil d’Etat à participer pleinement et activement à la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, l’efficacité propre de ce mécanisme, qui tient d’abord aux règles fixées par le législateur organique, a été renforcée dans la juridiction administrative par une préparation et une organisation rigoureuses. En amont, c’est tout d’abord un travail de formation et d’information qui a été réalisé[x] afin de permettre une appropriation anticipée du nouveau mécanisme. Les choix de procédure et de méthode retenus par notre ordre de juridiction ont aussi permis un traitement efficient des demandes, dans les délais fixés par la loi. Les statistiques attestent que les mesures prises permettent de répondre pleinement aux objectifs d’efficacité et de rapidité qui sont au cœur de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité : au 1er septembre 2011, le Conseil d’Etat avait été saisi de plus de 400 questions[xi] ; plus d’un quart avait fait l’objet d’une transmission au Conseil constitutionnel[xii] et le délai moyen de traitement des questions reçues par le Conseil d’Etat était, à la même date, de 1 mois et 16 jours, soit la moitié de celui imparti par le législateur organique.  

2.- L’efficacité de la question prioritaire de constitutionnalité tient aussi au double filtre qui structure son fonctionnement. Le choix d’un tel mécanisme, qui ne connaît pas véritablement d’équivalent en Europe, était risqué, mais il a montré toute sa pertinence. Le double filtre conduit en effet l’ensemble des juridictions à participer au processus de contrôle de constitutionnalité des lois et il permet d’assurer que le Conseil constitutionnel soit effectivement saisi de toutes les questions, mais aussi des seules questions relevant de son office. La juridiction administrative, et le Conseil d’Etat en particulier, se sont résolument inscrits dans cette perspective, au travers notamment de l’interprétation qu’ils ont donnée des critères de renvoi d’une question au Conseil constitutionnel. Pour n’évoquer que l’appréciation que fait le Conseil d’Etat du caractère sérieux des questions qu’il reçoit, sa conformité à la lettre et à l’esprit du texte de la loi organique se traduit par le fait que 20 % des QPC transmises au Conseil constitutionnel ont à ce jour donné lieu à une déclaration de non-conformité des textes de loi contestés.

 

II/ En mettant l’accent sur la coopération et la responsabilité des juges, la question prioritaire de constitutionnalité contribue aussi – et c’est son deuxième apport - à affermir la cohérence de l’ordre juridique interne et à mieux l’articuler avec les systèmes juridiques européens et internationaux.

L’introduction d’un contrôle de constitutionnalité des lois par la voie de l’exception n’est pas sans effet sur l’équilibre des institutions, en particulier entre pouvoir législatif et autorités juridictionnelles, et sur les relations entre les juges internes qui concourent à ce contrôle, comme entre ces juges et les juridictions européennes. De fait, l’application de normes ou de principes équivalents, sans être nécessairement identiques, dans des systèmes juridiques national et européens qui sont corrélés, mais non pas hiérarchisés entre eux, peut conduire à des incertitudes, voire à des risques de jurisprudences divergentes.

A.- Pour que la question prioritaire de constitutionnalité soit pleinement un atout au service de la garantie des droits, et non une source de désordres, elle implique une régulation fondée sur une éthique de responsabilité et sur une coopération loyale entre les juges qui, seules, peuvent permettre de garantir la cohérence et la stabilité de notre ordre juridique.

1.- L’éthique de responsabilité est au fondement même du contrôle de constitutionnalité des lois. C’est elle qui, par exemple, a conduit le Conseil d’Etat à refuser d’exercer lui-même un tel contrôle. Soucieux de respecter l’équilibre des pouvoirs, le juge administratif ne s’est en effet jamais départi de sa jurisprudence Arrighi et Dame veuve Coudert[xiii] de 1936. Il l’a confirmée en 2005, sous l’empire de la Constitution de 1958, par un a fortiori, en rappelant que cette Constitution avait elle-même institué un juge constitutionnel spécialisé, le Conseil constitutionnel[xiv]. C’est la même éthique qui conduit le Conseil constitutionnel à juger avec constance qu’il ne dispose pas « d’un pouvoir général d’appréciation de même nature » que le Parlement et aussi à s’abstenir d’indiquer quelles modifications législatives permettraient de remédier aux inconstitutionnalités qu’il constate[xv].

2.- L’exigence de coopération loyale entre les juges découle, quant à elle, du principe de spécialisation qui fonde notre organisation juridictionnelle et de ce que, par-delà les domaines de compétence qui leur sont propres, tous les juges, plus encore avec la question prioritaire de constitutionnalité, ont en partage la Constitution.

Cette exigence de coopération loyale doit se traduire par une conscience accrue de chaque juge et, plus encore, de chacune des juridictions suprêmes, administrative et judiciaire, des limites de sa propre légitimité et de sa propre compétence et de la nécessité d’une attention scrupuleuse à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La ligne suivie à cet égard par le juge administratif est claire : quelle que soit, au plan strictement juridique, l’autorité de chose jugée qui s’attache à l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel d’une règle ou d’un principe constitutionnel, le Conseil d’Etat, s’il est amené à appliquer le même principe, voire un principe analogue, prend pleinement en considération cette interprétation et s’interdit de s’en écarter.

Ainsi, lorsqu’existe une correspondance entre un principe général du droit dégagé par le juge administratif et un principe constitutionnel, le Conseil d’Etat s’inspire dans ses décisions de l’interprétation qu’en donne le Conseil constitutionnel. De même lorsque le Conseil constitutionnel a interprété une loi en conformité avec la Constitution, le Conseil d’Etat retient la même interprétation de ce principe dans le contrôle des actes administratifs relevant de sa compétence[xvi]. C’est ainsi encore qu’en matière de QPC, il applique l’interprétation que donne le Conseil constitutionnel des critères de renvoi des questions, comme il tire complètement, et au besoin d’office, les conséquences des censures du juge constitutionnel sur les instances en cours à la date de publication de ses décisions, en se conformant en particulier aux mesures éventuellement prises pour remettre en cause les effets des lois censurées[xvii]. En pareil cas, le Conseil d’Etat fonde d’ailleurs expressément sa propre décision sur les décisions pertinentes du Conseil constitutionnel en les visant, ce qui a constitué une réelle innovation.

B.- Si l’éthique de responsabilité et la coopération loyale entre les juges s’imposent pour la cohérence de notre ordre juridique interne, elles sont également essentielles, dans le contexte de la QPC, pour assurer la pleine efficience en France des deux systèmes européens de protection des droits fondamentaux auxquels nous participons.

1.- Le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité n’est pas un témoignage de défiance de notre ordre juridique à l’égard du système de la Convention européenne des droits de l’homme ou de la protection des droits assurée dans l’Union européenne. Bien au contraire, cette procédure s’inscrit directement dans la logique de subsidiarité qui est au fondement même de l’organisation des deux systèmes européens et qui vise à assurer leur pleine efficacité. Selon cette logique, la fonction des deux cours de Strasbourg et de Luxembourg est d’assurer la régulation ultime des deux systèmes juridiques européens. Autrement dit, elles ne représentent pas un quatrième degré de juridiction et les Etats, en particulier au travers des juges nationaux qui disposent des pouvoirs les plus étendus à cette fin, demeurent les premiers responsables de la protection des droits fondamentaux. Par conséquent, en offrant aux justiciables une procédure supplémentaire – qui plus est, rapide et efficace – pour faire cesser directement dans l’ordre juridique interne d’éventuelles atteintes aux droits fondamentaux, la question prioritaire de constitutionnalité est un progrès évident dans le sens d’un fonctionnement optimal des deux systèmes juridiques européens et, donc, dans le sens d’un renforcement global de la garantie des droits.

2.- Mais parallèlement, la question prioritaire de constitutionnalité –comme sans doute, d’ailleurs, l’adhésion prochaine de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme-, implique une plus grande responsabilité des juges nationaux, à qui il revient en premier lieu de mettre en cohérence ou en harmonie, les différents systèmes juridiques dans lesquels ils s’inscrivent : à savoir les systèmes interne, européens et internationaux.

La mise en œuvre de cette responsabilité est, à l’évidence, rendue plus aisée en France par la claire répartition des compétences entre le juge constitutionnel et les juges ordinaires. Cette répartition, le Conseil constitutionnel l’a réaffirmée dès avant[xviii] et aussitôt après l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité, en jugeant que « le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité » et que « l'examen d'un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l'Union européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires »[xix].

Mais cette responsabilité implique aussi un dialogue permanent avec les autres juridictions suprêmes, en particulier européennes, et la pleine conscience de ce que la souveraineté de chacune de ces juridictions a pour limite un devoir, à tout le moins moral, de cohérence et de cohésion de l’ordre juridique. C’est ce devoir qui, à propos du décret de transposition de la directive sur les quotas de gaz à effet de serre[xx] , a conduit le Conseil d’Etat, saisi d’un moyen tiré de la violation du principe d’égalité garanti par la Constitution, à juger qu’il lui appartient, dès lors qu’un principe à la fois équivalent et effectivement protégé existe dans l’ordre juridique de l’Union européenne, de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne la question de la conformité de la directive à ce principe et donc indirectement à la Constitution française[xxi]. Ce faisant, le Conseil d’Etat a choisi de ne pas opposer la Constitution et le droit de l’Union. Il en a concilié l’application, sans faire l’impasse sur l’application de notre loi fondamentale, ni trancher des questions relevant de la compétence de la Cour de Luxembourg. Et c’est aussi en s’inspirant de cette éthique de responsabilité que, par son arrêt Melki et Abdeli du 22 juin 2010, cette Cour a posé les fondements d’une coexistence équilibrée et efficiente entre la question prioritaire de constitutionnalité et les exigences du droit de l’Union, en procédant à une interprétation du mécanisme de la QPC conforme au droit de l’Union après s’être notamment référée aux décisions rendues le 12 mai 2010[xxii] par le Conseil constitutionnel et le 14 mai 2010[xxiii] par le Conseil d’Etat. 

C’est dans cet esprit de responsabilité que doivent dialoguer les juges nationaux suprêmes et les juges européens, lorsqu’ils font application de principes identiques consacrés à la fois dans l’ordre juridique interne, comme dans l’un ou l’autre des systèmes juridiques européens. Chacun de ces juges ne peut s’affranchir sans raison grave de l’interprétation donnée par un autre juge des mêmes principes.

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Plus de vingt ans après le dépôt au Parlement du premier projet tendant à créer un contrôle de constitutionnalité des lois en vigueur[xxiv], les débuts de la question prioritaire de constitutionnalité sont indéniablement un succès : le mécanisme fonctionne ; les principales questions de procédure ont été clarifiées ; les justiciables posent des questions ; les juridictions, administratives et judiciaires, les renvoient ; le Conseil constitutionnel les tranche : des pans entiers de notre législation ont ainsi été visités, interprétés, validés, censurés ou refondés après vote du Parlement[xxv]

Avec ce succès, les craintes naguère avancées s’estompent : non, la QPC n’instaure pas le gouvernement des juges; non, elle ne crée pas d’insécurité juridique ; non, elle ne bouleverse pas la hiérarchie des normes, bien au contraire ; non, elle n’évince pas le droit européen et international ; non, elle n’enlise pas les procédures juridictionnelles. Loin de tout chauvinisme constitutionnel, elle joue un rôle essentiel de décantation entre l’ordre juridique national et les ordres internationaux, non pas pour borner des territoires, mais pour étendre et affermir le champ des garanties reconnues aux justiciables. Si tous les juges qui concourent à ce contrôle partagé continuent d’oeuvrer en pleine responsabilité et dans une dynamique de coopération loyale, je puis être confiant dans le fait que ni la guerre des droits, ni la guerre des juges n’aura lieu.

Je remercie très chaleureusement le président Etienne Quencez de son invitation. Je remercie également l’ensemble des magistrats et des agents du greffe du tribunal administratif de Lyon pour leur accueil et l’organisation de cette rentrée solennelle. Je me félicite de la richesse des réflexions et des débats qui ont accompagné la création de la question prioritaire de constitutionnalité, débats que cette audience prolonge. Les échanges de ce jour traduisent, je crois, pleinement que, de l’opposition entre l’infaillibilité de la loi d’inspiration rousseauiste et le courant constitutionnaliste inspiré par Montesquieu et les libéraux comme Benjamin Constant, il ressort que la Constitution, en tant qu’elle « intègre les données de la mémoire collective »[xxvi], engendre une continuité indispensable au consensus national et qu’elle devient plus encore qu’elle ne l’était auparavant, grâce à la question prioritaire de constitutionnalité, un régulateur sage et vivant de notre vie publique.

 

[i]  Texte écrit en collaboration avec M. Fabrice Brétéché, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel.

[ii]  M. Verpeaux, « Les QPC ou questions pour commencer », in AJDA n°22/2011, Juin 2011.

[iii] Alors que le contrôle a priori confronte une loi nouvelle à la Constitution, la QPC permet, elle, de soumettre à un examen de constitutionnalité des dispositions de rang législatif plus anciennes, cette « dimension assumée d’anachronisme » (Christine Mauguë et Jacques-Henri Stahl, La question prioritaire de constitutionnalité, Coll. « Connaissance du droit », 2011, Dalloz) consacrant ainsi une pratique résolument vivante et dynamique du contrôle de constitutionnalité.

[iv] Dans le cadre du contrôle a priori, au cours des années 2000, le Conseil constitutionnel a été saisi, selon les années, de 25 % à 45 % des 40 à 50 lois promulguées chaque année. Par ailleurs, moins de 10 % des dispositions des lois déférées au Conseil constitutionnel font l’objet d’un examen de constitutionnalité explicite. In Christine MAUGUE et Jacques-Henri Stahl, Op. Cit. ibid. 

[v]  Cons. Const., décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010, Union des familles en Europe.

[vi] Cons. Const., décision n° 2010-38 QPC du 29 septembre 2010, Jean-Yves G. .

[vii] Cons. Const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. (Garde à vue).

[viii]Cons. Const., décision n° 2010-39/37 QPC du 22 septembre 2010, Commune de Besançon (instruction CNI et passeports).

[ix] Cons. Const., décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean-Victor C. (fichier des empreintes génétiques).

[x] A travers, notamment, le Centre de formation de la juridiction administrative (CFJA) et les sites intranet et internet de la juridiction administrative. 

[xi] 401 en données nettes.

[xii]  Sur les 364 QPC jugées par le Conseil d’Etat au 1er septembre 2011, 23 % ont fait l’objet d’une transmission totale et 4 % d’une transmission partielle. Entre le 1er janvier et le 1er septembre 2011, le Conseil d’Etat a été saisi de 146 QPC, dont 85 par saisine directe du Conseil d’Etat et 61 par les juridictions relevant du Conseil d’Etat. Toujours en 2011, on relèvera que plus du quart des QPC ont été posées dans le cadre d’un contentieux fiscal, signe sans doute, dans un contentieux aussi stratégique pour l’Etat que pour les requérants, des espoirs placés dans ce mécanisme.

[xiii]  CE, sect. 6 novembre 1936, Arrighi et Dame veuve Coudert, Lebon p. 966, jugeant « qu’en l’état actuel du droit public français, le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi n’est pas de nature à être discuté devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux. ».

[xiv]  CE, 5 janvier 2005, Mlle Deprez et M. Baillard : « Considérant que l'article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel le soin d'apprécier la conformité d'une loi à la Constitution ; que ce contrôle est susceptible de s'exercer après le vote de la loi et avant sa promulgation ; qu'il ressort des débats tant du Comité consultatif constitutionnel que du Conseil d'Etat lors de l'élaboration de la Constitution que les modalités ainsi adoptées excluent un contrôle de constitutionnalité de la loi au stade de son application ; (…) ».

[xv]  Voir par exemple Cons const. décision 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W : le Conseil constitutionnel juge qu’il ne lui appartient pas, dans le cas d’espèce de la garde à vue, « d’indiquer les modifications des règles de procédure pénale qui doivent être choisies pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée  ».

[xvi]  Voir à cet égard Cons. Const., 12 janvier 2002, Décision n°2001-455 DC, cons.115, Loi de modernisation sociale etCE Sect. 22 juin 2007 M. Lesourd Lebon p. 253.

[xvii]  CE Ass. 13 mai 2011 Mme Lazare req. n° 329 290, à publier au Recueil Lebon ; CE Ass. 13 mai 2011, Mme Anne Delannoy et M. Eric Verzele, n° 317808, à publier au Recueil Lebon ; CE Ass. 13 mai 2011, Mme M’Rida req. n°316 734, à publier au Recueil Lebon. Ces décisions du Conseil d’Etat sont fondées, d’une part, sur la décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011 et, d’autre part, sur les décisions 2010-2 QPC du 11 juin 2010 (pour les décisions Lazare et Delannoy/Verzele) et 2010-1 QPC du 28 mai 2010 (pour la décision M’ Rida).

[xviii]   Cons. Const décision n°2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, considérant n° 14.

[xix]  Cons. const. décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne. Voir également Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse.

[xx] Directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre transposée par l’ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004 portant création d’un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre et par le décret 2004-832 du 19 août 2004 pris pour l’application des articles L229-5 à L229-19 du code de l’environnement et relatif au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. C’est le recours contre ce décret qui a donné lieu à l’arrêt Arcelor.

[xxi] CE Ass. 8 février 2007 Société Arcelor Atlantique et lorraine et autres Lebon p.55 concl. Guyomar. C’est cette même logique de conciliation et de responsabilité qui a conduit le conseil constitutionnel français (Cons. Const., décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une constitution pour l’Europe) et le tribunal constitutionnel d’Espagne (Tribunal constitutionnel d’Espagne, avis DTC 12/2004 du 13 décembre 2004) à ne pas déclarer contraire à leurs constitutions nationales le TFUE qui pourtant réaffirme sans détour la primauté du droit de l’UE sur l’ensemble des normes internes. 

[xxii] Cons. Const., décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

[xxiii]  CE, 14 mai 2010, Rujovic, n° 312305, à publier au Recueil Lebon.

[xxiv]  Préconisé en particulier à l’époque par Robert Badinter, président du Conseil constitutionnel, ancien garde des sceaux, ministre de la justice.

[xxv] Il n’est que d’évoquer les droits à pensions des anciens combattants d’outre-mer, l’hospitalisation d’office ou la garde à vue.

[xxvi] Laurent COHEN-TANUGI, Les métamorphoses de la démocratie française, De l’Etat jacobin à l’Etat de droit, 1993, Gallimard.