L’ordre juridique national en prise avec le droit européen et international : questions de souveraineté ?

Par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État
Discours
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Colloque organisé par le Conseil d’État et la Cour de cassation au Conseil d’État le vendredi 10 avril 2015

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Extraits des ouvrages mentionnés par le vice-président dans sa conclusion :

- <a href="/admin/content/location/41319"> Lien à reprendre : Stendhal, La Chartreuse de Parme, chapitre III</a>

- <a href="/admin/content/location/41317"> Lien à reprendre : V. Hugo, Les Misérables, IIe partie, livre 1, chapitre 9, « Waterloo »</a>

- <a href="/admin/content/location/41318"> Lien à reprendre : F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, IIIe partie, livre 23, chap. 16, « Bataille de Waterloo »</a>

L’ordre juridique national en prise avec le droit européen et international : questions de souveraineté ?

Colloque organisé par le Conseil d’État et la Cour de cassation

Conseil d’État,vendredi 10 avril 2015

Ouverture par Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État

Monsieur le Premier président,

Monsieur le Procureur général,

Mesdames et Messieurs les juges et les professeurs,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers collègues,

Parce qu’elle est le fruit « d’une longue invention où le rationnel [le dispute] à l’insolite »[2], la souveraineté interroge et cristallise les controverses. Que les juristes la nomment et aussitôt se lèvent les cohortes de ses thuriféraires et de ses contempteurs ; qu’ils analysent ses attributs et les esprits s’échauffent ; qu’ils lui cherchent un titulaire et la bataille s’engage. Il faut donc refroidir la question de la souveraineté et porter, avec le recul nécessaire, un regard net et lucide sur les rapports qu’entretient notre ordre juridique avec le droit international et, en particulier, le droit européen. C’est ce à quoi nous invite le présent colloque organisé conjointement par le Conseil d’État et la Cour de cassation, après les deux précédentes manifestations qui ont porté en 2011 sur le thème de la santé et de la justice et en 2013 sur celui des sanctions.

La « globalisation du droit »[3] déstabilise, sans la rendre tout à fait caduque, une conception « classique » de la hiérarchie des normes et des rapports entre ordres juridiques[4]. A un modèle strictement pyramidal, s’est substitué un réseau[5] de normes qui, d’un système à l’autre, miroitent ou se répondent ; à la jonction des ordres internes et internationaux, s’est développée une zone continue d’échanges et d’influences permanents ; dans les interstices du monopole de la fonction normative des États, s’est épanouie une diversité de « foyers de juridicité »[6], où s’élaborent de nouveaux instruments plus souples, mais pas moins directifs. A l’ère du pluralisme juridique[7], les « vrayes marques de souveraineté »[8], telles que définies par Jean Bodin au XVIe siècle, demeurent, mais elles sont redistribuées, ce qui, loin de conduire au dépérissement des États-nations, nous impose d’imaginer et de régler un « exercice collectif »[9] de la souveraineté. La recomposition des rapports entre ordres juridiques ne va pas sans interrogations légitimes sur l’identité et la souveraineté nationales, ni sans risques inédits d’insécurité juridique, de frottement et même de rivalité. C’est pourquoi, il faut prendre au sérieux l’exigence contemporaine et partagée d’une régulation systémique. Les ordres juridiques ne sauraient simplement co-exister, ils doivent se combiner, tantôt s’harmoniser et se confondre, tantôt se compléter et se différencier, tantôt être re-hiérarchisés.

S’il faut écarter une conception superlative, voire obsidionale, de la souveraineté, c’est que notre ordre juridique a su de longue date, sans renoncer à son identité, s’ouvrir au droit international et, en particulier, au droit européen (I). Pour autant, l’efficacité des instruments permettant de maîtriser et de réguler cette ouverture doit être réexaminée (II).

I. L’ouverture de notre ordre juridique au droit international se manifeste par un triple phénomène d’incorporation (A), d’appropriation (B) et d’imbrication (C).

A. Le droit international n’entre pas par effraction dans notre ordre juridique, il y pénètre par les voies et selon les modalités définies depuis 1946[10] par notre Constitution et il s’y incorpore dans le respect d’une hiérarchie des normes qui lui préexiste, l’englobe et lui confère sa valeur et sa portée. La France a fait, il y a près de 70 ans, le choix du monisme juridique, à la différence d’autres grands États dualistes ou à tendance dualiste comme le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Allemagne. Que l’on juge ce choix pertinent – ce que je crois – ou non, c’est celui du constituant et il procède par conséquent de l’expression la plus solennelle du peuple français.

Dans ce cadre, les juges en France contrôlent le respect des conditions constitutionnelles d’introduction d’un traité dans l’ordre interne, qu’il s’agisse de l’existence d’un acte de ratification ou d’approbation[11] ou de la compétence de l’autorité qui l’a édicté[12] et, en particulier, de l’obligation d’une autorisation législative[13]. Sur le fondement de l’article 55 de la Constitution et selon la « règle de conflit de normes »[14] édictée par cet article, les juges de notre pays veillent depuis 40 ans en ce qui concerne le juge judiciaire[15], depuis 25 ans s’agissant du juge administratif,[16] à la primauté des traités sur les lois même postérieures, comblant ainsi le « vide juridictionnel »[17] créé par la décision IVG du Conseil constitutionnel[18]. Cette primauté a été conférée en particulier au droit dérivé de l’Union européenne, à ses règlements[19] et à ses directives[20], mais elle ne s’étend ni à la coutume internationale[21], ni aux principes généraux de droit international[22]. La primauté des traités dans l’ordre interne s’arrête cependant là où commence celle de la Constitution qui la précède et la fonde. La suprématie des engagements internationaux de la France « ne s’applique pas [en effet] aux dispositions de nature constitutionnelle »[23], qui culminent au « sommet de l’ordre juridique interne »[24], et lorsque de tels engagements « contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, l’autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle »[25]. Comme le relevait le président Ronny Abraham, « dans l’ordre interne, tout procède de la Constitution. (…) Cette suprématie est donc, aussi longtemps que la société internationale sera fondée sur le fait politique de la souveraineté des États, une vérité première et incontournable »[26].

B. En deuxième lieu, l’appropriation du droit international par les citoyens et les justiciables a été régulée grâce à la théorie de l’effet direct qui, à la manière d’une « écluse », permet « aux normes internationales de pénétrer dans l’ordre interne à un débit mesuré et, surtout, maîtrisé »[27].

Toute personne peut en effet se prévaloir directement des stipulations d’un traité, lorsqu’elles « n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à [leur] égard »[28]. Comme l’a précisé le Conseil d’État, ces deux critères tenant à l’objet et à la complétude des stipulations invoquées sont mis en œuvre eu égard « à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes », de sorte que l’absence d’effet direct « ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation [invoquée] désigne les États parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit »[29]. Lorsqu’est invoqué un traité aux fins d’examen de la validité du droit de l’Union européenne, le juge français met lui-même en œuvre[30], en l’absence de difficulté sérieuse, les critères analogues de l’effet direct qui ont été dégagés par la Cour de justice de l’Union[31]. Dans le cas des directives européennes, qui ne sont pas en principe d’effet direct, un régime particulier a été élaboré, afin de pouvoir s’en prévaloir sous certaines conditions. Tout justiciable peut en effet faire valoir, par voie d’action ou d’exception, qu’après l’expiration du délai imparti pour leur transposition, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister, ni continuer de faire application de règles, écrites ou non écrites, du droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. En outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’État n’a pas pris les mesures de transposition nécessaires dans le délai imparti[32]. Cette invocabilité particulière, reconnue au double visa du Traité instituant la Communauté européenne et de l’article 88-1 de la Constitution, n’a cependant pas été étendue et ne saurait l’être en l’état au cas des engagements internationaux classiques qui sont dépourvus d’effet direct[33].

D’une manière générale, l’appropriation du droit international par les particuliers a été rendue possible grâce à un perfectionnement de l’office du juge, qui interprète les stipulations des traités[34], y compris une clause de réciprocité[35], et, le cas échéant, concilie entre elles des conventions internationales[36], sans pour autant se prononcer sur la validité de l’une au regard des autres[37]. Lorsqu’il assume son office, le juge national recherche, intègre et même anticipe le point de vue des juges européens : il fait un usage pertinent[38] des voies de dialogue institutionnalisées – questions préjudicielles devant la Cour de justice, demain procédure d’avis consultatif devant la Cour européenne des droits de l’Homme[39] - ; il confère toute sa portée à l’autorité des arrêts de la Cour de Luxembourg[40] et il veille à ce que les autorités administratives prennent dûment en compte les arrêts de la Cour de Strasbourg et en tirent toutes les conséquences, sans toutefois, en l’absence de loi nationale qui l’y autorise[41], remettre en cause, même en cas de violation de la Convention européenne des droits de l’Homme, l’autorité de la chose jugée au niveau national[42].

C. En troisième lieu, l’imbrication de l’ordre interne avec une pluralité d’ordres internationaux, loin de dissoudre notre identité, a au contraire agi comme un révélateur.

Les mêmes juges appliquent et protègent les droits des mêmes personnes, énoncés dans des termes similaires, mais appartenant à des ordres juridiques autonomes et mis en œuvre selon des techniques différentes. Dans cet environnement marqué par une pluralité de systèmes normatifs distincts mais imbriqués, le risque de cacophonie est naturellement élevé et le risque d’un « conflit des primautés » n’est pas nul. Notre Constitution a anticipé et intériorisé ces risques et les exigences de complémentarité qui en découlent. En s’ouvrant, notre ordre interne a diversifié ses sources et s’est restructuré ; en se combinant à d’autres ordres, il s’est re-hiérarchisé ; en « s’européanisant », il a gardé la maîtrise des transferts de compétence qui ont été consentis et il s’est réservé le pouvoir de prononcer le « dernier mot » dans des cas exceptionnels. C’est ainsi qu’a été reconnue la spécificité du droit de l’Union européenne et de son ordre juridique « intégré ». La participation de la France à la « création et au développement d’une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision »[43] est en effet devenue une source autonome d’exigences constitutionnelles, combinant de l’intérieur les objectifs d’intégration et de protection des traditions constitutionnelles communes aux États membres[44]. A cet égard, si l’obligation de transposer les directives européennes a été déduite de l’article 88-1 et revêt une valeur constitutionnelle[45], elle ne saurait toutefois autoriser la transposition de directives qui iraient à l’encontre de règles ou de principes inhérents à « l’identité constitutionnelle de la France »[46] - sauf à ce que le constituant y ait expressément consenti. De même, si l’article 88-2[47] de la Constitution prescrit de mettre en œuvre le mandat d’arrêt européen selon les actes pris à cet effet par les institutions de l’Union, cette obligation ne saurait porter atteinte à des droits et principes constitutionnels, lorsque les autorités nationales font usage de leurs marges d’appréciation[48]. Par conséquent, sur le chemin de l’intégration européenne, des clauses de réserve de la souveraineté ont été introduites, comme autant de cordes de rappel. Elles ont fonctionné moins comme des freins à l’intégration, que comme des garde-fous salutaires.

Dans ces conditions, l’ouverture de notre ordre juridique au droit international a été l’un des facteurs les plus féconds de transformation de notre État de droit, tout en préservant notre faculté d’autodétermination. Les acquis sont considérables, que les garanties internationales aient élevé le niveau des garanties internes ou qu’elles aient servi de tremplin ou d’aiguillon pour les développer, parfois au-delà des standards européens. Cette dynamique vertueuse doit être préservée et entretenue, même si des risques permanents d’embolie subsistent.

 

II. L’intensité des « interactions normatives »[49] entre ordres juridiques appelle aujourd’hui des actions renforcées de coordination (A), d’homogénéisation des droits protégés par plusieurs ordres juridiques (B) et aussi d’intégration à l’échelle de l’Union européenne (C).

A. En premier lieu, l’objectif d’une meilleure coordination entre des systèmes normatifs distincts mais imbriqués est une responsabilité partagée entre les États et les instances européennes ou internationales.

Le principe de subsidiarité est l’instrument privilégié de ce partage. Dans le système de la Convention européenne des droits de l’Homme, les États disposent,  « grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays »[50], de marges nationales d’appréciation, lorsqu’ils veillent à l’application des droits et libertés garantis par la Convention. L’ampleur de ces marges n’est ni uniforme, ni illimitée, et elle varie suivant la nature des intérêts en cause et le degré de consensus entre les législations des États du Conseil de l’Europe. Elles sont d’autant plus restreintes que les intérêts protégés touchent à « un aspect essentiel de l’identité des individus », comme par exemple la filiation[51], ou encore lorsqu’est affecté un « fort intérêt pour une société démocratique », comme la liberté d’expression[52]. Ces marges sont en revanche d’autant plus larges que sont en jeu des choix de société, « des questions de politiques générales (…), [touchant notamment aux] relations entre l’État et les religions »[53] ou encore à des questions délicates de morale ou de bioéthique[54]. Dans de tels cas, la Cour de Strasbourg s’impose à elle-même « de faire preuve de réserve dans l’exercice de son contrôle de conventionnalité, dès lors qu’il la conduit à évaluer un arbitrage effectué selon des modalités démocratiques »[55]. Les marges nationales d’appréciation sont en outre d’autant plus larges qu’il n’existe pas de « dénominateur commun »[56], ni de « consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe »[57]. Pour que le principe de subsidiarité exerce pleinement ses vertus régulatrices, il doit conduire les autorités nationales à analyser de façon systématique, approfondie et, si possible, préventive la compatibilité du droit interne avec les garanties européennes.  Mais ce principe requiert aussi de la Cour européenne des droits de l’Homme des prises de position stables et cohérentes, une explicitation des dénominateurs communs, c’est-à-dire de ce qui fait consensus en Europe, et une évaluation raisonnable des marges nationales d’appréciation, pour que les autorités des États parties puissent se les approprier sans hésitation, ni auto-censure. Sur chacun de ces points, des progrès sont possibles, nécessaires même, et j’ai eu l’occasion de le souligner le 30 janvier dernier à Strasbourg lors du séminaire de rentrée de la Cour.

B. En deuxième lieu, l’homogénéisation de droits fondamentaux protégés par différents ordres juridiques passe par une clarification des points d’accord et de convergence et par une adaptation des contrôles juridictionnels.

La technique de l’interprétation conforme contribue à cet objectif. Les juges nationaux veillent en effet à ce que les règles internes soient interprétées conformément aux engagements internationaux souscrits par leur pays et, en particulier, aux règles et principes du droit de l’Union européenne[58] et à la Convention européenne des droits de l’Homme.  Le Conseil constitutionnel[59] et le Conseil d’État[60] ont ainsi interprété conformément aux exigences du droit de l’Union les dispositions de l’ordonnance du 7 novembre 1958 relatives à la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, comme l’a confirmé ultérieurement la Cour de justice de l’Union[61]. Combinant les techniques de l’interprétation conforme et de « l’acte clair »[62], le juge national veille en outre à l’harmonie des garanties offertes par le droit de l’Union et la Convention européenne des droits de l’Homme, comme l’a illustré d’une manière remarquable l’affaire Conseil national des barreaux[63].

L’homogénéisation des droits est par ailleurs assurée grâce à la reconnaissance de l’équivalence des protections. Lorsqu’il est saisi d’un moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’un décret de transposition d’une directive, le juge administratif opère ainsi, selon l’expression de M. Guyomar, un « transport du bloc de constitutionnalité français vers l’ordre juridique communautaire »[64] : cette « translation »[65] le conduit ainsi à rechercher s’il existe une règle ou un principe du droit de l’Union dont l’application concrète puisse garantir l’effectivité de la règle ou du principe constitutionnel invoqué. Ce n’est que dans le cas contraire qu’il lui revient d’examiner directement la conformité des dispositions contestées au regard de la Constitution. De tels mécanismes d’homogénéisation des droits se mettent aussi en œuvre dans le dialogue que nouent les cours suprêmes européennes. Ainsi, les juges de Luxembourg se réfèrent aux instruments internationaux auxquels ont adhéré les États membres[66] et, en particulier, à la Convention européenne des droits de l’Homme[67] pour découvrir des principes généraux du droit, comme le rappelle l’article 6 § 3 du TUE. Les juges de Strasbourg, quant à eux, estiment qu’un État membre faisant application du droit de l’Union est présumé respecter les exigences de la Convention, sauf à ce que soit démontrée une « insuffisance manifeste »[68]. Enfin, la Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne comportent chacune en leur article 53 une clause de concordance au bénéfice de la protection la plus élevée[69].

Pour autant, le mécanisme d’équivalence des protections, que l’on retrouve aussi dans la jurisprudence Solange de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, n’a rien d’une évidence, ni d’un automatisme[70]. La Cour européenne des droits de l’Homme n’hésite pas en effet à le neutraliser, lorsque les États membres disposent d’un pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre du droit de l’Union. C’est notamment le cas pour les mesures de renvoi des demandeurs d’asile prises dans le cadre du dispositif « Dublin » en raison de la « clause de souveraineté » qu’il comporte[71]. En l’absence d’équivalence présumée, les juges doivent s’efforcer d’utiliser les mêmes critères pour interdire le renvoi d’un demandeur d’asile vers un État membre[72]. Par ailleurs, lorsque l’équivalence des protections trouve en principe à s’appliquer, la Cour européenne des droits de l’Homme n’hésite pas non plus à renverser la présomption de conformité et à estimer que, « dans un tel cas, le rôle de la Convention en tant qu’instrument constitutionnel de l’ordre public européen dans le domaine des droits de l’Homme [doit l’emporter] sur l’intérêt de la coopération internationale »[73]. Comme en témoigne l’affaire Michaud contre France, un tel renversement de la présomption de conformité à la Convention n’est pas qu’une hypothèse d’école, elle montre combien la combinaison des techniques de l’interprétation conforme, de l’acte clair et de l’équivalence des protections n’est pas toujours aisée[74].

C. En troisième lieu, à l’échelle de l’Union européenne, l’effort d’intégration doit être renforcé avec l’entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

En s’étendant au champ d’application du droit de l’Union, le champ d’application de la Charte, tel qu’interprété par la Cour de justice[75], vient coïncider, sauf exception[76], avec celui des principes généraux du droit de l’Union et, ce faisant, il rencontre directement et parfois frontalement les droits protégés par d’autres traités, mais aussi les garanties constitutionnelles des États membres. Dans ces conditions, les risques de divergence et de « dysharmonie » entre le droit de l’Union et la Convention européenne des droits de l’Homme se sont ainsi intensifiés - la Cour de justice n’hésitant pas à retenir une conception « autonome » des principes protégés par ces deux traités. L’arrêt Ǻkerberg Fransson en est une illustration remarquable : si les cours de Luxembourg et de Strasbourg utilisent les mêmes critères pour apprécier le caractère pénal d’une sanction fiscale, la première, se démarquant de manière assumée de la seconde[77], conditionne l’application du principe non bis in idem, tel qu’énoncé à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux, à ce que « les sanctions restantes soient effectives, proportionnées et dissuasives »[78]. En outre, la co-application du droit de l’Union et des garanties constitutionnelles des États membres a été strictement encadrée par la décision Melloni[79]rendue le même jour par la Cour de justice. Ainsi, lorsqu’un acte du droit de l’Union appelle des mesures nationales de mise en œuvre, la Cour de justice estime que s’« il reste loisible aux autorités et juridictions nationales d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux », c’est à la double condition cumulative que « cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union »[80]. Lorsque cette dernière condition n’est pas satisfaite, le standard national, fût-il le plus protecteur, fût-il constitutionnel, doit être écarté.

La défense d’un ordre juridique européen autonome est ainsi susceptible de générer des frictions nouvelles dans les États membres comme au niveau du Conseil de l’Europe, alors que la perspective d’une adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’Homme apparaît moins évidente, pour ne pas dire incertaine, à la suite de l’avis rendu par la Cour de justice en décembre dernier[81].

L’histoire des rapports entre ordres juridiques pourrait s’écrire à la manière des chroniques de guerre : « on rappellerait la succession des batailles et, pour chacune d’elles, la nature et la disposition des forces engagées (…), la tactique de chaque parti et l’emploi par lui du feu et du mouvement »[82]. Si l’on succombait à cette tentation, il ne serait pas certain que nous progressions dans la compréhension et la régulation du droit globalisé : nous serions comme le héros de Stendhal, Fabrice del Dongo, sur le champ de bataille de Waterloo, subissant l’épreuve du feu, sans y rien comprendre et comme étranger à l’Histoire dont il est le témoin[83]. Le point de vue, ordonné et épique, que Victor Hugo développe toujours sur Waterloo dans Les Misérables[84], nous serait hors de portée. Tout au plus pourrions-nous, comme Chateaubriand dans Les Mémoires d’outre-tombe, percevoir les lointains échos de cette bataille et nous abîmer dans nos pensées sur l’arrêt des destinées[85]. Nous devons cependant nous garder, même en cette année du bicentenaire d’une bataille funeste, au moins pour nous Français, de cette tentation et de ces échappées dans des chroniques de guerre, qui seraient des impasses. S’il faut prendre au sérieux les rivalités, les affrontements, voire les aspirations quasi-conquérantes de certains systèmes ou ordres juridiques – je pense en particulier aux effets extraterritoriaux de certaines lois nationales -, il est pour autant nécessaire de ne pas s’enfermer dans une posture insulaire et non coopérative, qui serait inefficace et nécessairement perdante. Il faut au contraire résolument s’inscrire dans une démarche de souveraineté partagée, qui préserve à la fois la diversité juridique et le cœur des identités constitutionnelles nationales ainsi que les chances d’une coopération harmonieuse entre ordres juridiques. Je ne doute pas que le présent colloque permette d’établir des diagnostics utiles, d’ouvrir des perspectives et d’envisager des solutions pragmatiques. Dans cet effort, puissent notre pays et notre système juridictionnel, du Conseil constitutionnel à la Cour de cassation en passant par le Conseil d’État, s’exprimer d’une seule voix et rechercher la combinaison harmonieuse des ordres juridiques au service de l’État de droit, d’une souveraineté refondée mais préservée et du projet européen.

[1]Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2]A. Rigaudière, « L’invention de la souveraineté », Pouvoirs, 67, 1993.

[3]J.-B. Auby, La globalisation, le droit et l’État, éd. LGDJ, 2010.

[4]Sur ce point, voir B. Bonnet, Repenser les rapports entre ordres juridiques, éd. Lextenso, 2013.

[5]F. Ost et M. Van de Kerchove, De la pyramide au réseau. Pour une dialectique du droit, éd. Presses des facultés universitaires de Saint Louis, 2002.

[6]A. Garapon, in P. Bouretz, La force du droit. Panorama des débats contemporains, éd. Esprit, 1991, p. 222.

[7] Phénomène qui revêt des aspects tant normatifs, institutionnels que sociologiques, voir sur ce point, J.-B. Auby, La globalisation, le droit et l’État, éd. LGDJ, 2010, p. 204.

[8] J. Bodin, Les six livres de la République, 1576, rééd. 1986, éd. Fayard, Livre I, chap. X, p. 306. Selon Bodin, la puissance absolue du souverain impose que « ceux-là qui sont souverains ne soyent aucunement sujects aux commandements d’autruy et qu’ils puissent donner loy aux sujects et casser ou anéantir les loix inutiles pour en faire d’autres » (ibid, p. 191) ; voir pour une interprétation des thèses de Bodin : F. Chaltiel, La souveraineté de l’État et l’Union européenne, l’exemple français, éd. LGDJ, 2000.

[9]F. Chaltiel, La souveraineté de l’État et l’Union européenne, l’exemple français, éd. LGDJ, 2000, p. 466.

[10] Voir l’art. 26 de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Les traités diplomatiques régulièrement ratifiés et publiés ont force de loi dans le cas même où ils seraient contraires à des lois françaises, sans qu'il soit besoin pour en assurer l'application d'autres dispositions législatives que celles qui auraient été nécessaires pour assurer leur ratification » ; art. 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » La réserve exprimée par l’art. 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 n’a pas substantiellement modifié la portée de la règle énoncée par l’art. 26 de la Constitution du 27 octobre 1946.

[11]CE 16 novembre 1956, Villa, Rec. 433.

[12] CE, Ass., 13 juillet 1965, Société Navigator, Rec. 1965, n°5278.

[13] CE, Ass., 18 décembre 1998, SARL du parc d’activité de Blotzheim, Rec. 484, n°181249 ; voir pour l’exercice de ce contrôle par voie d’exception : CE, Ass., 5 mars 2003, Aggoun, Rec. 77, n°242860.

[14] CE 2 janvier 2005, Deprez et Baillard, Rec. 1, n°257341.

[15] Cour de Cassation, ch. mixte, 24 mai 1975, Société « Café Jacques Vabre », n°73-13.556.

[16]CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190, n°108243.

[17]Concl. P. Frydman sur aff. Nicolo précitée, Rec. p. 194.

[18] CC n°74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse.

[19]CE 24 septembre 1990, Boisdet, Rec. 251, n°58657.

[20]CE, Ass., 28 février 1992, SA Rothmans International France et SA Philip Morris France, Rec. 81, n°56776 et 56777.

[21]CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, Rec. 206, n°148683.

[22]CE 28 juillet 2000, Paulin, Rec. 317, n°178834.

[23] CE, Ass., 30 octobre 1996, Sarran et Levacher, Rec. 368 ; Cour de Cassation, Ass. plén., 2 juin 2000, Fraisse, n°99-60.274, bull. p. 813.

[24] CC n°2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une constitution pour l’Europe, cons. 10.

[25]CC n°2007-560 DC du 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne, cons. 9.

[26]R. Abraham, Droit international, droit communautaire et droit français, éd. Hachette, 1989, pp. 35-36.

[27] M. Gautier et F. Melleray, « Applicabilité des normes internationales », Jurisclasseur Adm., fasc. 20, 04.2013.

[28] CE, Ass., 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, Rec. 142, n°322326 ; voir par ex. pour des cas d’invocabilité directe : CE 4 juillet 2012, Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes, n°341533 (art. 15 de la Charte sociale européenne), CE 10 février 2014, Fischer, n°358992 (art. 24 de la Charte sociale européenne), CE 30 janvier 2015, Union syndicale solidaires, n°363520 (art. 2 de la partie II de la Charte sociale européenne) ; pour un cas où l’invocabilité directe n’a pas été reconnue : CE, Ass., 12 avril 2013, Association coordination interrégionale stop THT, n°342409. (art. 6 § 9 de la Convention d’Aarhus)

[29]CE, Ass., 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, Rec. 142, n°322326.

[30] CE 6 décembre 2012, Société Air Algérie, Rec. 398, n°347870 : « les stipulations d’un traité international ne peuvent toutefois être utilement invoquées aux fins de l’examen de la validité de l’acte du droit de l’Union que si, d’une part, la nature et l’économie de la convention en question n’y font pas obstacle et si, d’autre part, elles apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, dès lors qu’elles comportent une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur ».

[31]CJUE, Grande chambre, 3 juin 2008, Intertanko, C-308/06, § 45 et CJUE, Grande chambre, 9 septembre 2008, FIAMM, C-120/06, § 110 : « il résulte notamment de la jurisprudence de la Cour que celle‑ci considère qu’elle ne peut procéder à l’examen de la validité d’une réglementation communautaire dérivée au regard d’un traité international que lorsque la nature et l’économie de celui‑ci ne s’y opposent pas et que, par ailleurs, ses dispositions apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises ».

[32] CE, Ass., 30 octobre 2009, Perreux, Rec. 407, n°298348, ccls M. Guyomar ; voir pour un cas d’invocabilité directe d’une directive à l’encontre d’un acte administratif non réglementaire : CE, avis, 21 mars 2011, Jin et Thiero, n°345978 ; voir pour l’absence d’invocabilité directe d’une directive à l’encontre d’un acte administratif non réglementaire : CE 1er mars 2013, Société Roozen France, CRIIRAD et autres, n°340859.

[33]Comme l’a souligné le Conseil d’État dans l’arrêt Gisti du 11 avril 2012 précité, contrairement aux conclusions de son rapporteur public.

[34]En ce qui concerne le juge administratif : CE, Ass., 29 juin 1990, GISTI, Rec. 171, n°78519 ; en ce qui concerne le juge civil : Civ. 1er, 19 décembre 1995, Banque africaine du développement, Bull. n°470, p. 327 ; en ce qui concerne le juge pénal : Crim., 11 février 2004, n°02-84.472, Bull. crim. n°37, p. 150.

[35] CE, Ass., 9 juillet 2010, Cheriet-Benseghir, Rec. 251, n°317747.

[36]CE, Ass., 23 décembre 2011, Kandyrine de Brito Paiva, n°303678 ; CE 11 avril 2014, Giorgis, n°362237.

[37]CE 8 juillet 2002, Commune de Porta, n°239366 ; CE, Ass., 9 juillet 2010, Fédération nationale de la libre pensée, n°327663.

[38]Voir en ce qui concerne la théorie de l’ « acte clair » : CE, Ass., 19 juin 1964, Société des pétroles Shell-Berre, Rec. 344, n°47007 ; CJCE 6 octobre 1962, CILFIT, Rec. 3415, C-283-81.

[39] Lorsqu’entrera en vigueur le protocole n°16, signé par la France le 2 octobre 2013.

[40]Voir not. en ce qui concerne l’interprétation du droit de l’Union : CE, Ass., 11 décembre 2006, Société de Groot en Slot Allium BV et société Bejo Zaden BV, Rec. 512, n°234560 ; en ce qui concerne la possibilité de moduler les effets d’une annulation contentieuse : CE 28 mai 2014, Association Vent de colère !, n°324852.

[41]Voir l’ancien art. 626-1 du code de procédure pénale, créé par la loi n°2000-516 du 15 juin 2000, dont la substance a été reprise à l’art. 622-1 du même code, créé par la loi n°2014-640 du 20 juin 2014 relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive : « Le réexamen d'une décision pénale définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue coupable d'une infraction lorsqu'il résulte d'un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme que la condamnation a été prononcée en violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne, pour le condamné, des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable accordée en application de l'article 41 de la convention précitée ne pourrait mettre un terme. Le réexamen peut être demandé dans un délai d'un an à compter de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Le réexamen d'un pourvoi en cassation peut être demandé dans les mêmes conditions ».

[42] CE, Sect., 4 octobre 2012, Baumet, n°328502 ; CE, Ass., 30 juillet 2014, Vernes, n°358564.

[43] CC n°92-308 DC du 9 avril 1992, Traité sur l’Union européenne (« Maastricht I »), cons. 13.

[44]Ainsi que le souligne l’article 6 du Traité sur l’Union européenne.

[45] CC n°2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, cons. 7. 

[46]CC n°2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 19 ; par la même décision, le Conseil constitutionnel précise que « devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne » et « qu'il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer » (cons. 20). Le Conseil rappelle à ce titre qu' « en tout état de cause, il appartient aux juridictions administratives et judiciaires d'exercer le contrôle de compatibilité de la loi au regard des engagements européens de la France et, le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel » (voir pour cette formulation : CC n°2014-694 DC du 28 mai 2014, Loi relative à l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifiés, cons. 4).

[47] CC n°2013-314 QPC du 14 juin 2013, Jeremy F., cons. 6.

[48]CC n°2013-314 QPC du 14 juin 2013, Jeremy F., cons. 9.

[49]Voir, sur ce point : Les interactions normatives, droit de l’Union européenne et droit international, éd. Pedone, 2012.

[50] CEDH, Cour plénière, 7 décembre 1976,  Handyside c/ Royaume-Uni, n°5493/72, § 48.

[51] CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n°65192/11, § 80.

[52] CEDH, Grande chambre, 22 avril 2013, Animal Defenders c/ Royaume-Uni, n°48876/08, §102.

[53] Voir en ce qui concerne l’exposition de crucifix dans des salles de classe à l’école publique : CEDH 18 mars 2011, Grande Chambre, Lautsi c/ Italie, n°30814/06 ; en ce qui concerne le port du foulard islamique dans des établissements d’enseignement supérieur : CEDH 10 novembre 2005, Grande chambre, Leyla Sahin c/ Turquie, n°447774/98, §109-110.

[54]Voir en ce qui concerne la réglementation du droit à l’avortement : CEDH, Grande chambre, 16 décembre 2010, A., B., C. c. Irlande, n°25579/05 ; en ce qui concerne les conditions de recours à la fécondation in vitro : CEDH, Grande chambre, 3 novembre 2011, S.H. c/ Autriche, n°57813/00 ; en ce qui concerne le recours au suicide assisté : CEDH 20 janvier 2011, Haas c/ Suisse, n°31322/07.

[55] CEDH, Grande chambre, 1er juillet 2014, SAS c/ France, n°43835/11, § 154.

[56] CEDH 28 novembre 1984, Rasmussen c/ Danemark, n°8777/79, § 40.

[57]CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n°65192/11, § 77.

[58]Voir par ex. en ce qui concerne l’interprétation conforme de dispositions législatives au regard de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 : CE 16 décembre 2013, Nouri-Shakeri, n°366722 ; ou encore au regard de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 : CE 15 décembre 2014, SA Technicolor, n°380942.

[59] CC n°2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, cons. 14 et 15.

[60] CE 14 mai 2010, Rujovic, n°312305.

[61] CJUE, Grande chambre, 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10, § 50.

[62]CE, Ass., 19 juin 1964, Société des pétroles Shell-Berre, n°47007 ; CJCE 27 mars 1963, Costa, 28/62 et CJCE 6 octobre 1982, CILFIT, 283/81.

[63] CE, Sect., 10 avril 2008, Conseil national des barreaux, n°296845 (interprétation au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme de la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001, modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux). La décision du Conseil d’État de ne pas saisir dans cette affaire la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle afin que soit examinée la compatibilité de cette directive avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme a conduit dans une affaire ultérieure la Cour de Strasbourg à estimer d’une manière stricte que « le mécanisme international pertinent de contrôle du respect des droits fondamentaux, en principe équivalent à celui de la Convention, [n’avait pas] pu déployer l’intégralité de ses potentialités », de sorte que la « présomption de protection équivalente » ne pouvait trouver à s’appliquer, tout en concluant in fine à l’absence de violation de l’article 8 (voir CEDH 6 mars 2013, Michaud c/ France, n°12323/11, not. § 115-132).

[64]Voir sur ce point les conclusions de M. Guyomar sur CE, Ass., 8 février 2007, Arcelor Atlantique et Lorraine, Rec. 55, n°287110 (RFDA, 2007, p. 384).

[65]Ibid.

[66]CJCE 14 mai 1974, Nold, 4-73, §13.

[67]CJCE 28 octobre 1975, Rutili, 36-75, § 32.

[68] CEDH, Grande chambre, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi c/ Irlande, § 156 ; comme l’a relevé la Cour européenne des droits de l’Homme à propos de la Charte des Nations-Unies, « la présomption de protection équivalente vise en particulier à éviter qu’un État partie soit confronté à un dilemme, lorsqu’il lui faut invoquer les obligations juridiques qui s’imposent à lui en raison de son appartenance à une organisation internationale non partie à la Convention » (CEDH 26 novembre 2013, Al-Dulimi et Montana management Inc. c/ Suisse, n° 5809/08, §116).

[69]Voir art. 53 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de  l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie » ; art. 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d'application respectif, par le droit de l'Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l'Union, ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres ». En outre, voir l’art. 52 § 3 de la Charte : « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue ».

[70] Le juge administratif met lui-même en œuvre, dans l’exercice de son contrôle de conventionnalité, des mécanismes similaires de présomption de conformité dans le domaine du droit d’asile : voir CE, ord. 29 août 2013, Xhafer Gashi, n°371572 ; CE, Ass., 13 novembre 2013, Cimade et Oumarov, n°349735 et 349736.

[71] Voir en ce qui concerne une décision de renvoi vers la Grèce : CEDH, Grande chambre, M.S.S. c/ Belgique et Grèce, n°30696/09, §358 ; en ce qui concerne une décision de renvoi vers l’Italie : CEDH, Grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c/ Suisse, n°29217/12, §120-122.

[72] Ce qui n’est pas toujours le cas : selon la Cour de justice, seules des « défaillances systémiques » peuvent justifier de ne pas procéder à un transfert « Dublin » : voir sur ce point CJUE 21 décembre 2011, N.S. c/ Secretary of State for the Home Department, C-411/10, §85.

[73] CEDH 6 mars 2013, Michaud c/ France, n°12323/11, §103.

[74]CEDH 6 mars 2013, Michaud c/ France, n°12323/11, §115.

[75] Voir l’interprétation extensive retenue par la Cour de justice par son arrêt CJUE, Grande chambre, 26 février 2013, Ǻkerberg Fransson, C-617/10.

[76]Voir en ce qui concerne le champ d’application de l’article 41 de la Charte : CJUE 17 juillet 2014, YS, C-141/12, § 67 ; le droit d’être entendu, consacré par cet article, fait cependant « partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l’Union » : voir sur ce point CJUE 5 novembre 2014, Sophie Mukarubega, C-166/13, § 45 ; CJUE 11 décembre 2014, Khaled Boudjlida, C-249/13, § 34.

[77] Voir sur ce point V. Skouris, « Développements récents de la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne : les arrêts Melloni et Åkerberg Fransson », Dir. Un. Eur., fasc. 2, 2013, p. 229.

[78] CJUE, Grande chambre, 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C-617/10, § 36.

[79] CJUE, Grande Chambre, 26 février 2013, Stefano Melloni, C-399/11.

[80] CJUE, Grande Chambre, 26 février 2013, Stefano Melloni, C-399/11, § 60 ; voir également, l’obiter dictum de l’arrêt Ǻkerberg Fransson du même jour :CJUE, Grande chambre, 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C-617/10, § 29.

[81]CJUE, Assemblée plénière, 18 décembre 2014, avis 2/13 ; voir sur ce point, H. Labayle et F. Sudre, « L’avis 2/13 de la Cour de justice sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme : pavane pour une adhésion défunte ? », RFDA, 2015, p.3.

[82]G. Vedel, « Les racines de la querelles constitutionnelle sur l’élection du Parlement européen », Pouvoirs, 2, 1981.

[83]Stendhal, La Chartreuse de Parme, chapitre III.

[84]V. Hugo, Les Misérables, IIe partie, livre 1, chapitre 9, « Waterloo ».

[85]F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, IIIe partie, livre 23, chap. 16, « Bataille de Waterloo ».