Introduction de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, lors du colloque organisé par le Conseil d’Etat, le Comité national olympique et sportif français et le Centre de droit et d’économie du sport de l’Université de Limoges, le 7 juin 2013.
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L’intégrité des compétitions sportives
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Colloque organisé par le Conseil d’Etat,
le Comité national olympique et sportif français
et le Centre de droit et d’économie du sport
de l’Université de Limoges
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Conseil d’Etat
Vendredi 7 juin 2013
***
Introduction de Jean-Marc Sauvé[1],
vice-président du Conseil d’Etat
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Mesdames et Messieurs les représentants du mouvement sportif,
Mesdames et Messieurs,
Mes chers collègues,
Je suis heureux de pouvoir accueillir aujourd’hui au Conseil d’Etat un colloque consacré à l’intégrité des compétitions sportives. Cette manifestation résulte d’une collaboration fructueuse entre le Centre de droit et d’économie du sport de l’Université de Limoges, le Comité national olympique et sportif français et le Conseil d’Etat. Elle fait suite à un premier colloque, organisé en juin 2011 à la Cour de cassation sur le règlement des litiges au sein du mouvement sportif[2]. Cette collaboration a vocation à se poursuivre, par la publication du recueil des interventions écrites complètes de chaque participant ; les interventions orales prononcées aujourd’hui se concentreront pour leur part uniquement sur les points essentiels. Je remercie donc les organisateurs de ce colloque et, plus particulièrement, le président Edmond Honorat, le professeur Jean-Pierre Karaquillo, M. Charles Dudognon ainsi que le CNOSF pour leur implication dans la préparation de cette journée et son bon déroulement. Je remercie également la section du rapport et des études qui organise cet évènement dans nos murs.
L’intégrité des compétitions sportives est un sujet aussi ambitieux qu’anxiogène. Ambitieux, car l’affirmation d’un principe d’intégrité des compétitions sportives et sa mise en œuvre constituent des enjeux juridiques, éthiques et sportifs de grande importance. Anxiogène, car chaque année révèle, en matière sportive, son lot d’affaires et de scandales qui incitent l’observateur à penser que l’intégrité est un objectif inaccessible et que toute tentative de régulation ou de sanction est, inéluctablement, en retard sur la dernière innovation des fraudeurs.
C’est donc à un col hors catégorie que s’attaquent les intervenants d’aujourd’hui : c’est le Tourmalet, le mont Ventoux et ses vents violents ou les 21 lacets de l’Alpe d’Huez qu’il leur faudra escalader pour que la réflexion éthique et juridique menée dans cette enceinte puisse aboutir et, de surcroît, se parer de vertus pratiques. Je n’ai aucun doute, toutefois, sur la capacité de l’assemblée aujourd’hui réunie à pouvoir relever ce défi, tout en précisant, pour que chacun soit rassuré, qu’il ne sera procédé à aucun contrôle anti-dopage à l’arrivée.
Dans cette introduction, je souhaite simplement faire écho au besoin et même à l’exigence d’intégrité qui, depuis plusieurs années, est exprimé par des acteurs du monde sportif comme par tous ceux qui, de l’extérieur, manifestent de l’intérêt pour les compétitions sportives et, d’abord, le public. Ce besoin trouve sa source dans un idéal qui, sans plus faire de place, sinon à la marge, à la gratuité et au désintéressement, continue en principe et à juste titre à révérer l’honneur, le respect de la règle, le dépassement de soi, une certaine forme de générosité, la loyauté de l’activité sportive et l’égalité entre les concurrents. Force est de reconnaître que cet idéal est, à l’heure actuelle, menacé et même altéré. A dire vrai, la réalité projette une lumière crue sur cet idéal déçu, pour ne pas dire désabusé, en particulier au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sportive (1). Assurer l’intégrité des compétitions sportives, en particulier au travers d’instruments juridiques divers, voire dégager un principe d’intégrité de ces compétitions, apparaît dès lors comme une étape essentielle de la consolidation ou de la refondation d’une éthique sportive, de telle sorte que des compétitions propres et loyales restent, en toutes circonstances, la marque de fabrique de l’activité sportive (2).
1. L’idéal déçu
Le sport moderne s’est construit, à partir du milieu du XIXème siècle, sur un idéal d’égalité, d’impartialité et de loyauté[3]. Il faut en saisir la vigueur (a) pour mesurer l’impact des pratiques portant atteinte à l’intégrité des compétitions sportives (b).
a. Vigueur de l’idéal sportif d’abord. Les discontinuités historiques dévoilées par Norbert Elias[4] ou Georges Vigarello[5] ne permettent certes pas de souscrire à une conception intemporelle et universelle de l’éthique sportive. Les jeux grecs étaient ainsi fondés sur une éthique d’origine militaire, dans laquelle l’efficacité seule était valorisée et où l’intégrité physique pouvait être menacée[6]. Quant aux jeux pratiqués sous l’Ancien régime, ils étaient certes l’occasion de moments récréatifs et festifs répandus, mais les moralistes y voyaient surtout des risques d’excès, de passion et de cupidité, condamnant ces pratiques ressortissant à l’ordre du désir et de la chair.
La rupture moderne a pris forme à partir du milieu du XIXème siècle. Le système sportif commença alors à s’organiser et un principe démocratique selon lequel chacun peut participer aux compétitions est apparu. Dans le même temps, s’est développé un discours moral, porté en particulier par Pierre de Courbertin. Dans l’idéal olympique, le sportif est un gentleman pour qui la vigueur du corps ne peut se départir de la droiture du caractère[7]. L’idée olympique, disait Coubertin, c’est en effet « la conception d’une forte culture musculaire appuyée d’une part sur l’esprit chevaleresque, ce que vous appelez si joliment le fair play et, de l’autre, sur la notion d’esthétique, sur le culte de ce qui est beau et gracieux »[8]. Le sport a de surcroît été pensé comme socialement utile en démocratie : il n’égalise certes pas les conditions, mais il égalise les relations ; il engendre de la concurrence, mais aussi de l’entraide et du lien ; il permet encore, parfois, de « renverser le sablier social en portant un modeste artisan au-dessus d’un prince »[9].
Ces valeurs ont érigé le sport en un espace mythique, en un univers pensé comme vertueux où le respect et la générosité, dans l’effort comme dans la relation aux autres, valent autant sinon plus que la victoire et les records. L’univers sportif apparaît alors comme « un refuge de perfection opposant au désenchantement du monde une des ultimes illusions du sacré »[10], comme un espace préservé et exemplaire nécessaire à notre société.
b. Ce mythe est aujourd’hui aussi vivace qu’il est altéré. Ma génération a grandi avec les images de la mort de Tom Simpson sur les pentes du mont Ventoux le 13 juillet 1967, succombant à un cocktail de chaleur, d’amphétamines et d’alcool. Les plus jeunes d’entre nous ont été bercés par les échos des affaires OM-VA, Festina ou Puerto. Autant que des résultats, ce sont désormais des « affaires » qui rythment la chronique sportive, marquée d’épisodes assez éloignés d’un quelconque esprit chevaleresque : dopage, corruption de joueurs ou d’officiels, matchs truqués, blanchiment d’argent... Les idéaux d’égalité, de loyauté et d’intégrité des compétitions sportives sont malmenés. Et dans le même temps, ce qui est très préoccupant, ces scandales, contre lesquels l’indignation, d’abord unanime, finit par s’émousser, ont une fonction de purge et conduisent paradoxalement à renforcer le mythe préexistant du champion[11].
Sans doute, de telles pratiques ont-elles de longtemps existé. Au début du siècle dernier, il était commun que les marathoniens usent de strychnine[12] durant la course[13] et le recours aux anabolisants fut massif chez les athlètes allemands lors des Jeux olympiques de 1936. Pierre de Coubertin dénonçait aussi déjà, en 1908, ce « chancre » qu’était « la folie du pari » et voulait une « croisade contre le gambling »[14].
Mais ce qui frappe l’observateur contemporain, c’est la métamorphose des pratiques et des compétitions sportives, leur mutation sous des influences diverses. Le sport est en effet de plus en plus professionnalisé. Il est également saisi et transformé par les forces du marché et par les enjeux comme les flux financiers qui le traversent et qu’illustrent les budgets parfois astronomiques des clubs et compétitions, les gains des sportifs, les sommes générées par les droits de retransmission, l’explosion du parrainage sportif, la cotation en bourse de certains clubs ou encore les luttes homériques que se livrent les chaînes de télévision pour la diffusion de certains évènements. Cette dernière circonstance fait craindre, au passage, au téléspectateur des seules chaînes gratuites qu’il lui soit un jour impossible de pouvoir suivre ceux-ci. Le « sport business » est devenu une réalité saisissante. Les résultats de certaines compétitions, comme des championnats, apparaissent ainsi prédéterminés par le volume des moyens financiers mis en œuvre. Le sport devient aussi, de plus en plus, un spectacle et, parfois, ne semble plus poursuivre d’autre fin que celle de divertir les foules, à l’exclusion de toute finalité prophylactique ou éducative.
Le choc de ces contraintes avec l’idéal sportif crée des tensions qui, vraisemblablement, ne peuvent être évitées. Elles se traduisent par des questions aigües, par exemple celle de savoir comment garantir une certaine forme de fair-play financier entre clubs participant à une même compétition, et par des dérives contre lesquelles il convient de lutter, en particulier pour éviter que le sport ne devienne un terrain de jeu pour des pratiques contestables au regard de l’éthique sportive comme de la loi pénale et, parfois, un terrain de jeu pour des pratiques se rattachant à la grande délinquance. Dans ce contexte, la question de la plus grande intégrité des compétitions sportives se pose avec acuité.
2. La recherche d’une plus grande intégrité des compétitions sportives
Au questionnement sur ce que signifient l’intégrité des compétitions sportives et, tout simplement, le principe d’intégrité (a), ainsi que sur sa mise en œuvre concrète (b), il faut sans doute ajouter une réflexion sur les obstacles à la reconnaissance de ce principe (c).
a. L’intégrité des compétitions est l’un des principes qui doit permettre de guider le mouvement sportif et les autorités publiques dans les décisions qu’ils doivent prendre, tout comme le juge dans les litiges qu’il doit régler.
Comment définir ce principe ? L’intégrité est l’état qui caractérise ce qui est intact. Pour être intègre, une compétition sportive doit, par définition, reposer sur le respect de règles du jeu, sauf à accepter une évolution vers un sport uniquement voué à la production d’un simple spectacle. Par compétition, on entend en effet « la façon de briguer une place, un titre, par des moyens établis au préalable et acceptés par tous »[15]. Dès lors, l’utilisation de tout moyen non prévu par les règles préétablies, quel que soit ce moyen, porte atteinte à l’intégrité des compétitions et doit être prévenu ou sanctionné. Par conséquent, des actions très diverses peuvent porter atteinte à l’intégrité du sport, même si ce sont surtout les moyens déloyaux, car cachés, qui posent question. Il appartient en priorité au mouvement sportif d’édicter les règles garantissant l’intégrité du sport, de veiller à leur respect et d’en sanctionner les manquements. Le respect de l’objectif d’intégrité, qui est indissociable d’une éthique du sport, est donc d’abord l’affaire des entités qui structurent le sport et organisent les compétitions. La responsabilité des pouvoirs publics en la matière apparaît, en première analyse, non pas accessoire, mais seconde.
Mais d’autres aspects doivent aussi être abordés, qui ne sont pas sans lien avec l’idée d’intégrité. La préservation de la santé publique constitue ainsi une priorité de politique publique, dont les personnes publiques ne peuvent se désintéresser : elle est reconnue législativement comme telle dans la lutte contre le dopage[16]. Le chapitre relatif à la lutte contre le dopage dans le code du sport s’insère d’ailleurs dans un titre relatif à la santé du sportif. La lutte contre la grande délinquance est également une exigence relevant des pouvoirs publics. Cela est vrai pour le blanchiment d’argent et la corruption. Cela est vrai aussi du dopage, puisque les affaires récentes ont révélé de véritables filières criminelles d’approvisionnement en produits prohibés.
b. Beaucoup a déjà été fait pour favoriser concrètement l’intégrité des compétitions sportives. Institutionnellement tout d’abord, avec la création de l’Agence française de lutte contre le dopage par la loi du 5 avril 2006[17] et de l’Autorité de régulation des jeux en ligne par la loi du 12 mai 2010[18]. Ces deux institutions contribuent, dans leurs domaines respectifs, à l’affirmation du principe d’intégrité des compétitions sportives et je suis heureux que mon collègue le président Bruno Genevois, qui connaît bien ces lieux, et le président Jean-François Vilotte aient accepté de nous éclairer sur le rôle et les compétences des instances qu’ils président.
L’objectif d’intégrité des compétitions sportives trouve une traduction, non seulement dans des institutions, mais aussi dans des normes juridiques matérielles. En témoignent les nouvelles incriminations qui ont contribué à continuellement renforcer les moyens de lutte contre le dopage : par exemple, la sanction du non-respect des obligations de localisation, afin de permettre la réalisation de contrôles individualisés[19] ; la sanction de la détention de produits dopants par le sportif sans raison médicale dûment justifiée ou la répression accrue du trafic des produits dopants[20]. L’introduction, il y a un peu plus d’un an, du profilage des paramètres biologiques des sportifs ainsi que de la possibilité de prononcer des sanctions disciplinaires sur la base de ce profilage constitue également une avancée importante[21]. Les lois récemment votées montrent qu’à côté des méthodes traditionnelles de détection du dopage se développe, avec le passeport biologique, un suivi longitudinal d’un certain nombre de variables biologiques d’un sportif, qui sont susceptibles de révéler indirectement des pratiques dopantes.
De nombreuses autres dispositions existent, qui concourent à l’intégrité des compétitions. Cela explique que, sous l’intitulé général d’« intégrité des compétitions sportives », se retrouvent des actions de nature différente, des règles de fond très diverses qui ressortissent à des politiques publiques ne poursuivant pas nécessairement le même but. Est-il dès lors possible de dégager un principe juridique d’intégrité des compétitions sportives ? Ce principe relève-t-il principalement de l’éthique ou du droit ? Quel est son contenu, s’il existe ? Dans quels champs se déploie-t-il ? Autant de questions qui seront, en grande partie, l’objet des interventions regroupées ce matin dans la première table ronde sous le titre de « L’affirmation du principe d’intégrité des compétitions sportives ». Je note, en préambule et sans empiéter sur l’intervention de mon collègue Damien Botteghi, que le Conseil d’Etat reconnaît, dans certaines de ses décisions, non seulement l’objectif de protection de la santé des sportifs, mais également l’importance de la « garantie de l’équité et de l’éthique des compétitions sportives »[22]. Notre colloque constitue, on le voit, une occasion unique de faire le point sur l’objet juridique émergent que constitue le principe d’intégrité des compétitions sportives et je m’en réjouis.
c. Enfin, cette journée sera aussi sans doute l’occasion d’analyser les obstacles qui s’opposent, le cas échéant, à la réalisation complète de l’objectif d’intégrité des compétitions sportives. Ces obstacles sont potentiellement nombreux. L’une des difficultés majeures résulte de la globalisation qui est une réalité du monde du sport, tout autant que de celui des affaires. Les enjeux et les défis globaux ne peuvent être correctement appréhendés et traités qu’au niveau international. Or l’organisation de la société internationale est encore très imparfaite. La création de l’Agence mondiale anti-dopage, instituée le 10 novembre 1999, l’adoption, le 5 mars 2003, du code mondial antidopage comme celle de la convention internationale contre le dopage signée sous l’égide de l’UNESCO le 19 novembre 2005, ont certes constitué des progrès décisifs. Il faut aussi, sans renoncer au renforcement de ces instruments et des autres leviers existant au plan international, veiller à l’articulation des politiques nationales et internationales[23]. Entre l’Agence mondiale antidopage et l’AFLD, des approches trop divergentes seraient, par exemple, désastreuses. Autre exemple : les règles de fair play financier adoptées par l’UEFA[24] et qui s’appliquent progressivement tendent à une plus grande équité entre les clubs qui devront respecter une exigence d’équilibre financier qui, jusqu’à présent, variait grandement selon le pays concerné.
Un autre obstacle de taille est constitué par la multiplicité des acteurs en présence et par le choix entre l’autorégulation du secteur sportif et la régulation par la puissance publique. L’autorégulation qui est évidemment plus aisée à mettre en place, puisqu’elle est interne au mouvement sportif, a le plus souvent donné des résultats insuffisants faute de règles assez ambitieuses ou de détermination assez forte dans leur application – le cyclisme en est un exemple parlant – : c’est donc sans doute vers une plus grande intervention publique et vers la définition de règles et d’instruments juridiquement contraignants qu’il faut se tourner, d’autant que les questions de santé publique comme de lutte contre la grande délinquance ressortissent en premier lieu à la compétence de la puissance publique.
Mais jusqu’à quel point ? La bonne entente et l’articulation harmonieuse des interventions du mouvement olympique, des fédérations sportives internationales et nationales et des Etats sont sur ce point, comme sur bien d’autres, fondamentales : mais elles sont difficiles à bâtir, fragiles par construction et, surtout, elles ne sont parfois pas vraiment voulues par des acteurs qui poursuivent des objectifs différents et qui ont donc des priorités et des ordres du jour divergents. Il est par exemple profondément regrettable, tant pour la lutte contre des pratiques déviantes que pour l’image de l’activité sportive, que poursuivant autant des objectifs de préservation de leur sport (malgré les scandales) que de sanction des tricheurs, certaines fédérations aient maintenu ou maintiennent des règles propres plus laxistes que celles de nombreux pays d’accueil des compétitions, voire que les standards internationaux, ou, en tout cas, qu’elles ne fournissent pas les efforts nécessaires pour se mettre en conformité avec ces réglementations et ces standards. Il est aussi problématique que, dans certains domaines, tant le mouvement olympique que les fédérations sportives et les Etats, forts les uns les autres d’une légitimité propre, mais différente, ne parviennent pas à s’entendre dans le but de promouvoir des pratiques sportives plus rigoureuses et plus éthiques. Le prix à payer peut certes, à court terme, être élevé. Mais, sous peine d’obérer les perspectives de long terme, l’effort à fournir ne peut être ignoré.
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* *
Les fondateurs de l’éthique sportive moderne étaient bien conscients des risques pouvant menacer celle-ci. « Aujourd’hui, comme jadis », écrivait Pierre de Coubertin, « [l’action du sport] sera bienfaisante ou nuisible selon le parti qu’on saura en tirer et la direction dans laquelle on l’aiguillera. L’athlétisme peut mettre en jeu les passions les plus nobles comme aussi les plus viles : il peut développer le désintéressement et le sentiment de l’honneur comme l’amour du gain ; il peut être chevaleresque ou corrompu ; viril ou bestial ; enfin on peut l’employer à consolider la paix autant qu’à préparer la guerre »[25].
Cet avertissement vaut encore aujourd’hui. Chevaleresques ou corrompues, nobles ou viles, les compétitions sportives jouent dans notre société un rôle central. Il n’en est que plus dommageable que les valeurs que véhicule le sport aient été autant mises en péril, voire, dans certains cas, carrément bafouées ces dernières années. Les organisateurs du colloque de ce jour, en choisissant le thème de l’intégrité des compétitions sportives, ne concluront pas, je l’espère, à l’impuissance du droit face à des phénomènes qu’il convient de combattre. Ils ne concluront pas non plus, je l’espère encore, à une nécessaire évolution vers des modèles autres, par exemple un modèle entièrement capitalistique et sans considération pour la santé des sportifs, dès lors que le spectacle resterait assuré. Je forme plutôt le vœu que les intervenants contribuent à dévoiler des normes, des instruments et des pratiques permettant de promouvoir l’intégrité dans un monde qui, parfois, donne l’impression de s’en être éloigné.
La sauvegarde et le renforcement de l’intégrité des compétitions sportives ne forment qu’un maillon dans la chaîne du sport. Ils ont des vertus propres, puisqu’ils touchent à quelque chose d’essentiel, la compétition, qui est la pointe ultime de l’activité sportive, que celle-ci concerne le haut niveau ou le monde amateur. Dans cette mesure, la préservation de l’intégrité des compétitions peut et doit avoir un impact systémique sur l’ensemble de la chaîne du sport. Si une telle action devait échouer à moyen ou long terme, alors il faudrait peut-être, pour éviter la poursuite de certaines dérives des dernières années et prévenir le risque, certes minime, d’un effondrement du modèle et du mythe du sport tels que nous les connaissons aujourd’hui, entreprendre de reconstruire ce modèle sur des bases entièrement nouvelles. Tout le monde a donc intérêt – dans tous les sens du terme – à ce que nous progressions de manière rapide et décisive sur le seul chapitre de l’intégrité des compétitions. Il en va de la responsabilité de chacun.
Pour toutes ces raisons, je présente des vœux chaleureux de réussite pour ce colloque et pour la poursuite des actions conjointes menées entre notre juridiction, l’Université de Limoges et le CNOSF. Je laisse sans plus attendre la parole à M. Jean-Michel Brun, secrétaire général du CNOSF.
[1]Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.
[2]C. Dudognon, B. Foucher, J.-P. Karaquillo, A. Lacabarats, Règlement des litiges au sein du mouvement sportif, Dalloz, Juris éditions, 2012.
[3] G. Vigarello, « Le sport dopé », Esprit, 1999, p. 82.
[4]N. Elias, E. Dunning, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Pocket, col. Agora, 1998.
[5]G. Vigarello, Du jeu ancien au show sportif. La naissance d’un mythe, Paris, Seuil, 2002.
[6]Ainsi d’Arrachion de Phigalie, qui est mort étranglé en 561 en tentant d’obtenir une troisième couronne olympique au pancrace. Ironie de l’histoire, les juges considérèrent toutefois qu’en brisant les orteils de son adversaire, il contraignit celui-ci à l’abandon et ils couronnèrent donc son cadavre.
[7]P. de Courbertin, « Rapport du secrétaire général de l’UFSA », Revue athlétique, 25 juillet 1890, publié dans Revue française d’histoire des idées politiques, 2005, n° 22, p. 383.
[8]P. de Courbertin, « Les trustees de l’idée olympique », Revue olympique, 1908, publié dans Revue française d’histoire des idées politiques, 2005, n° 22, p. 391.
[9]P. de Coubertin, « Le sport et la question sociale », Revue olympique, 1913, publié dans Revue française d’histoire des idées politiques, 2005, n° 22, p. 393.
[10]G. Vigarello, « Le sport dopé », op. cit., p. 82.
[11]P. Chantelat, « Sport, enjeux économiques et corruption : crépuscule ou renaissance de l’utopie sportive ? », in J.-C. Basson (dir.), Sport et ordre public, La documentation française, 2001, p. 251.
[12]Stimulant du système nerveux central et permettant d’augmenter les capacités respiratoires, la strychnine est aussi, à plus haute dose, un violent poison. Elle est encore utilisée parfois de nos jours par certains athlètes.
[13]Ce fut notamment le cas de Thomas Hicks qui, lors du marathon olympique de 1904, fut déclaré vainqueur après avoir reçu deux doses de strychnine accompagnées de cognac. Fred Lorz, qui avait franchi la ligne en premier mais avait couvert une partie de l'épreuve en voiture, fut disqualifié.
[14]P. de Courbertin, « Les trustees de l’idée olympique », op. cit., p. 392.
[15]F. Alaphilippe, J.-P. Karaquillo, Dictionnaire juridique du sport, Dalloz, 1990, p. 113.
[16]Constitue par exemple aussi une question de santé publique la lutte contre l’entraînement intensif précoce, qui consiste à entraîner les enfants dès leur plus jeune âge.
[17]Loi n° 2006-405 du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs. L’AFLD succède à la fois au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, qui était une autorité administrative indépendante, et au Laboratoire national de détection du dopage de Châtenay-Malabry, établissement public.
[18]Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.
[19]Loi du 5 avril 2006 précitée. L’obligation de localisation est actuellement énoncée à l’article L. 232-15 du code du sport.
[20]Loi n° 2008-650 du 3 juillet 2008 relative à la lutte contre le trafic de produits dopants, codifiée aux articles L. 232-9 et L. 232-10 du code du sport.
[21]Loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l’organisation des manifestations sportives et culturelles ; articles L. 232-12-1 et L. 232-22-1 du code du sport.
[22]Par exemple CE, 24 février 2011, Union nationale des footballeurs professionnels et autres, n° 340122, Rec. p. 934.
[23]J. Demeslay, P. Trabal, « De quelques contraintes du processus d’harmonisation des politiques antidopage », Terrains et Travaux, 2007, n° 12, p. 138 ; Centre de droit et d’économie du sport, « Le droit du sport et ses spécificités. L’exemple de l’harmonisation mondiale de la lutte contre le dopage », Mélanges en l’honneur de Jean-François Lachaume, Dalloz, 2007, p. 269.
[24]Règlement de l’UEFA sur l’octroi de licences aux clubs et le fair-play financier, 2012, disponible sur http://fr.uefa.com/MultimediaFiles/Download/Tech/uefaorg/General/01/80/54/11/1805411_DOWNLOAD.pdf.
[25]P. de Coubertin, « Le caractère de notre entreprise », Bulletin du Comité international des jeux olympiques, octobre 1894, publié dans Revue française d’histoire des idées politiques, 2005, n° 22, p. 389.