Audition de Jean-Marc Sauvé par le groupe de travail sur les moyens d’évaluation et de contrôle du Parlement à l'Assemblée nationale le 8 novembre 2017.
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Audition par le groupe de travail sur les moyens d’évaluation et de contrôle du Parlement
Assemblée nationale, Mercredi 8 novembre 2017
Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Je tiens à remercier le président Jean-Noël Barrot de m’avoir invité à venir m’exprimer sur l’évaluation et le contrôle des politiques publiques par le Parlement. Je salue l’initiative du président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, d’avoir créé ce groupe de travail sur les moyens d’évaluation et de contrôle du Parlement qui sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie et à l’équilibre des pouvoirs.
Avant d’entrer dans le vif de ma présentation je souhaiterais partager avec vous mon point de vue. Cela fait longtemps que l’on a dressé le constat de l’inflation, de l’instabilité et de la dégradation de la norme. Le Conseil d’État, il n’est pas le seul à l’avoir fait, a déjà souligné ce problème, je n’ose dire sonné le tocsin, à trois reprises, dès 1991, agissant en précurseur, puis en 2006 lorsqu’il a traité à nouveau de la sécurité juridique et dans sa dernière étude, celle de 2016, qui a été consacrée à la simplification et la qualité du droit. Pour ma part, c’est au moins la huitième fois que je m’exprime publiquement sur ce sujet en ma qualité de vice-président du Conseil d’État. Notre diagnostic et nos propositions n’ont toutefois pas encore été suivis d’effets visibles et des dispositifs normatifs complexes, peu efficaces ou redondants continuent d’être massivement adoptés. A cet égard, nous sommes tous responsables et le Conseil d’État ne s’exonère pas de sa part de responsabilité. Pour avancer et faire face à ce problème nous devons agir ensemble et faire preuve, collectivement, d’imagination, de volonté et de constance.
C’est pourquoi je voudrais dire qu’après la modification de l’article 39 de la Constitution en 2008 afin qu’il puisse donner un avis sur des propositions de loi, le Conseil d’État reste disponible vis-à-vis des saisines du Parlement, sans volonté de puissance, bien sûr, ni appel du pied, ni messages subliminaux aux présidents des assemblées, mais aussi sans peur, ni crainte particulière d’un dévoiement de son rôle. Car notre mission est de servir. Nous sommes heureux de le faire, chaque fois que nous pouvons être utiles.
Je structurerai mon propos liminaire autours de deux axes. Je reviendrai d’abord sur les instruments qui permettent l’évaluation ex ante des projets de texte et sur la manière dont ils pourraient être renforcés pour permettre un contrôle plus effectif de la part du Parlement. Je développerai ensuite brièvement les outils d’évaluation ex post des politiques publiques par le Parlement.
I - L’évaluation ex ante des projets de loi repose principalement sur deux outils : la réalisation d’études d’impact et la saisine du Conseil d’État pour avis.
A. Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 15 avril 2009[2], les projets de loi, c'est-à-dire uniquement les textes à l’initiative du Gouvernement, doivent obligatoirement être accompagnés d’une étude d’impact conformément à ce que le Conseil d’État avait proposé en 2006.
1 -L’objet des études d’impact est d’exposer les objectifs poursuivis, de recenser les options possibles en dehors de l’adoption de règles de droit nouvelles et d’indiquer les motifs du recours à une nouvelle législation[3].
Ce document doit exposer avec précision :
l’articulation du projet de loi avec le droit européen et son impact sur l’ordre juridique interne,
l’état actuel du droit dans le domaine concerné,
ses modalités d’application dans le temps,
ses effets économiques, financiers, sociaux ou environnementaux ainsi que leur méthode de calcul,
ses conséquences éventuelles sur l’emploi et la liste prévisionnelle des textes d’application nécessaires[4],
les conséquences que le texte est susceptible d’avoir sur les procédures et les démarches administratives : les effets bénéfiques escomptés existent-ils vraiment ? Ne sont-ils pas contrebalancés par les charges occasionnées par ce texte ?
Tout texte dont le bilan coût/avantages n’est pas établi de manière sincère et complète devrait être écarté sans faiblesse.
Depuis l’entrée en vigueur des études d’impact, le Conseil d’État exerce un contrôle aussi attentif que possible sur la qualité de ces études. Il veille en particulier à leur caractère complet et suffisant et il vérifie qu’elles comportent le résultat des consultations menées, l’ensemble des éléments nécessaires à l’examen du bien-fondé du projet et, notamment, les méthodes de calcul utilisées ainsi que les effets du texte proposé sur l’ordonnancement juridique et ses conséquences financières, économiques, sociales et procédurales.
Le cas échéant, le Conseil d’État invite le Gouvernement à procéder à des régularisations adaptées et proportionnées, afin d’améliorer l’information du Parlement. En cas d’absence d’étude ou de carence grave, le Conseil d’État peut procéder au rejet pur et simple du projet de loi. Ainsi, à propos du projet de loi de ratification de l’ordonnance relative à certaines installations classées pour la protection de l’environnement[5], le Conseil d’État a écarté les dispositions législatives nouvelles, le Gouvernement n’ayant pas présenté d’étude d’impact relative à ces dispositions[6].
Récemment, il s’est engagé, dans son étude annuelle de 2016, à se montrer plus exigeant quant au contenu et à la qualité des études d’impact qui lui sont soumises. Il entend ne plus se borner à identifier des lacunes, mais il exige qu’il y soit effectivement remédié[7]. Lors de l’examen de la loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne en juillet 2016, le Conseil d’État a ainsi relevé les nombreuses lacunes et insuffisances de l’étude d’impact alors, en outre, que le texte regroupait des dispositions distinctes les unes des autres quant à leur objet. Il a invité le Gouvernement à compléter l’étude d’impact avant le dépôt du texte au Parlement.
2 - L’intérêt de ces études d’impact tient à trois éléments :
Elles doivent permettre au Gouvernement de réfléchir, en amont, à l’ensemble des conséquences et implications d’une législation nouvelle ou d’un changement de législation et d’en jauger l’opportunité et leur faisabilité ;
elles rendent plus aisé le travail juridique, notamment du Conseil d’État, sur la loi ;
elles permettent une information plus complète et plus sincère du Parlement.
3 - Ces études ne sont toutefois obligatoires que pour les projets de texte à l’initiative du Gouvernement. Pour une meilleure évaluation ex ante des projets de texte, leur champ d’application pourrait être étendu aux propositions de loi émanant des membres du Parlement et leur contenu pourrait être enrichi, notamment lorsque la complexité ou la nature du projet de texte le justifie.
B. Le deuxième outil d’évaluation ex ante des projets de texte, c’est la saisine pour avis du Conseil d’État. Conformément aux articles 39 alinéa 2 et 38 alinéa 2 de la Constitution, cette saisine est obligatoire pour les projets de texte à l’initiative du Gouvernement, c'est-à-dire les projets de loi et d’ordonnance[8]. Par ailleurs, les principaux décrets d’application des lois sont soumis au Conseil d’État, sur habilitation du législateur[9]. Ce sont les « décrets en Conseil d’État », dont certains sont délibérés en Conseil des ministres.
1 - L’objet de cette saisine est que le Conseil d’État fournisse aux pouvoirs publics chargés de l’élaboration des lois, une information précise, sincère et complète pour leur permettre de mener à bien leurs missions.
En premier lieu, il appartient au Conseil d’État de vérifier que le texte qui lui est soumis, en particulier d’un projet de loi, n’est entaché d’aucune ambiguïté sérieuse et ne méconnaît ni le principe de « clarté de la loi », ni les objectifs à valeur constitutionnelle « d’accessibilité et d’intelligibilité » de la loi[10]. Le Conseil d’État veille par conséquent à la clarté et à la précision des termes employés et il s’attache à déceler les sources d’ambigüité qui pourraient faire naître ensuite des difficultés d’interprétation susceptibles de nourrir des difficultés d’application ou des contentieux.
En deuxième lieu, le Conseil d’État veille aussi, et de plus en plus, à la régularité juridique des projets qui lui sont soumis c'est-à-dire au respect par les projets de texte de la hiérarchie des normes et, en particulier, des principes constitutionnels et conventionnels qui s’imposent au législateur et des règles législatives ou supra-législatives que doit respecter le pouvoir réglementaire.
Enfin, si le Conseil d’État s’abstient de se prononcer sur les choix politiques qui ont présidé à l’élaboration d’un projet de loi, il en vérifie cependant « l’opportunité administrative »[11]. A ce titre, il s’assure que le texte proposé est utile et nécessaire[12] au regard des objectifs poursuivis et il contrôle son insertion dans l’environnement juridique existant[13]. Il s’interroge aussi sur la manière dont les textes seront appliqués et sur la pertinence et l’efficience des moyens juridiques proposés au regard des buts poursuivis et sur la capacité des services administratifs à appliquer les nouvelles dispositions.
2 - Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’article 39 alinéa 5 de la Constitution prévoit que le Parlement peut, lui aussi, saisir le Conseil d’État pour avis, mais dans ce cas la saisine est facultative et le membre du Parlement qui a déposé le texte peut s’y opposer.
Depuis l’entrée en vigueur de cette réforme, le Conseil d’État a été saisi de 22 propositions de loi dont 15 émanant de l’Assemblée nationale.
Son contrôle s’effectue toutefois très différemment, dès lors qu’il est saisi de textes déjà cristallisés, à la différence des projets de loi. Le Conseil d’État s’abstient donc de réécrire les propositions de loi, comme il le fait systématiquement pour les projets de loi, et il se borne à rédiger un avis contenant ses observations et des propositions permettant de surmonter les difficultés qu’il a, le cas échéant, identifiées. Il peut aussi, dans certains cas, suggérer des rédactions qui sont à même d’atteindre les objectifs poursuivis, tout en évitant certains écueils, notamment juridiques.
Comme pour les projets de loi, l’avis rendu sur les propositions de loi est purement consultatif.
3 - Quatre pistes d’amélioration pourraient être explorées pour accroître la qualité des projets de texte.
a- Il pourrait être envisagé que le Conseil d’État soit systématiquement saisi pour avis sur les propositions de loi ayant vocation à être inscrites à l’ordre du jour du Parlement. Cela permettrait d’évaluer, avec la même rigueur, les propositions et les projets de loi.
b- Il pourrait aussi être envisagé de compléter les propositions de loi par des études d’impact, de telle sorte que le Parlement soit complètement éclairé sur la nécessité et les conséquences des textes dont il délibère, quelle qu’en soit l’origine.
c- Il pourrait être instauré une procédure, au moins facultative, d’évaluation de certains amendements parlementaires et gouvernementaux débattus en cours de discussion parlementaire, qui conduisent à accroître sensiblement le volume des textes. Ces dispositions ne sont soumises à aucune consultation préalable (commission nationale d’évaluation des normes, Conseil d’État…), ce qui est susceptible de fragiliser leur cohérence et de les mettre en péril juridiquement. La grande majorité des censures opérées par le Conseil constitutionnel s’applique en effet à des textes issus d’amendements en cours de débat parlementaire. Il ne saurait bien sûr s’agir de remettre en cause le droit d’amendement parlementaire. Mais il pourrait être envisagé que les plus importants d’entre eux, ceux qui posent des problèmes lourds et complexes, puissent être soumis au Conseil d’État ou à toute autre instance compétente afin d’apprécier leur régularité juridique et leur opportunité administrative. Une telle faculté, qui impliquerait une révision de la Constitution, devrait toutefois demeurer exceptionnelle.
d- Il pourrait enfin être utile de créer auprès du Gouvernement une instance d’évaluation des études d’impact qui, trop souvent, constituent non de réelles justifications a priori de la nécessité de légiférer, mais des documents rédigés a posteriori à la seule fin de satisfaire à des obligations procédurales. C’est ce que le Conseil d’État a recommandé dans son étude de 2016[14].
C - La Constitution prévoit également un troisième outil qui n’a jusqu’à présent pas vraiment été mobilisé : le pouvoir de blocage par le Parlement d’un projet de loi non conforme à la procédure prévue par la loi organique. Le 4ème alinéa de l’article 39 de la Constitution prévoit en effet que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ». Cette procédure, qui intervient très en amont du cycle d’élaboration des lois, peut permettre de purger très tôt les textes de tout vice de procédure. Ces dispositions n’ont été mises en œuvre qu’une seule fois[15] et le Conseil constitutionnel a fait montre d’un faible niveau d’exigence, ce qui a contribué à affaiblir l’effet des dispositions sur les évaluations préalables adoptées en 2008.
II - Je serai plus bref sur le second axe de mon propos relatif aux moyens de contrôle ex post des politiques publiques par le Parlement.
A - Ce contrôle repose principalement sur les pouvoirs d’information des assemblées, qui ont été renforcés par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Depuis cette révision, la fonction de contrôle du Parlement est expressément reconnue par l’article 24 de la Constitution qui prévoit que « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »
1 - Plusieurs moyens d’information du Parlement sont prévus par la Constitution.
L’article 13 alinéa 5 prévoit un contrôle du Parlement sur les nominations par le Président de la République, le Parlement pouvant s’y opposer à la majorité des 3/5èmes des suffrages exprimés au sein des commissions compétentes dans les deux assemblées.
L’article 47-2 prévoit que le Parlement peut s’appuyer sur la Cour des comptes, mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet sur lequel vous avez déjà eu l’occasion d’entendre le Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud.
L’article 48 alinéa 4 de la Constitution prévoit qu’une semaine de séance par mois est réservée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques.
L’article 48 alinéa 6 prévoit également qu’une séance par semaine au moins est réservée aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement : chacun mesure cependant depuis 1974 que cette séance ne peut être le lieu d’un travail d’évaluation de la loi.
L’article 51-2 de la Constitution autorise le Parlement à créer des commissions d’enquête chargées de recueillir des éléments d’information. Ce n’est toutefois que la constitutionnalisation de dispositions législatives remontant à 1958[16].
Je souhaiterais aussi souligner que, en dehors de toute obligation constitutionnelle, un nombre accru de lois prévoient expressément l’information systématique du Parlement ou des rapports sur la manière dont elles sont appliquées ou sur les mesures prises sur leur fondement. C’est notamment le cas de la loi du 3 avril 1955 modifiée relative à l’état d’urgence[17] et c’est aussi ce que prévoit la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme[18].
2 - Il existe donc plusieurs outils susceptibles d’être mobilisés par le Parlement, même si ceux-ci ne confèrent pas aux députés et sénateurs la possibilité d’émettre des injonctions à destination du Gouvernement ou de contraindre ce dernier.
Cependant, l’analyse de la pratique des dernières années révèle que certains de ces outils font l’objet d’une utilisation assez limitée. La possibilité de réserver une semaine par mois au contrôle et à l’évaluation n’est ainsi pas systématiquement utilisée. L’évaluation des lois votées n’est pas encore entrée dans notre culture politique, moins encore que l’évaluation ex ante.
L’utilisation des pouvoirs de contrôle existants dépend, il est vrai, des moyens mis à la disposition du Parlement et de la possibilité pour ce dernier de disposer du temps nécessaire à l’examen des informations dont il est destinataire. Elle dépend aussi de la possibilité pour le Parlement de pouvoir faire appel à des instances extérieures afin de renforcer sa capacité d’expertise. Indépendamment des réformes constitutionnelles qui devraient alors s’imposer, il est nécessaire que le Parlement se saisisse de l’ensemble des possibilités qui lui sont ouvertes et, notamment, que les groupes d’opposition puissent exercer effectivement leur pouvoir de contrôle de l’action du Gouvernement.
Il pourrait aussi être utile que le Parlement se dote de moyens permettant plus systématiquement d’évaluer ex post les lois entrées en vigueur. L’étude annuelle de 2016 du Conseil d’État insistait ainsi sur la nécessité de ne pas seulement s’intéresser à la globalité d’une politique publique, mais aussi aux effets précis des différents textes qui la mettent en œuvre[19]. Le Conseil d’État suggérait que ce contrôle se fasse en plusieurs étapes :
Dans un premier temps, le contrôle, déjà institué, de la publication des décrets d’application à l’horizon de six mois ou un an permettrait d’identifier les premières difficultés d’application et pourrait être l’occasion de fixer le calendrier de l’évaluation proprement dite ;
Dans un deuxième temps, une évaluation à l’horizon de deux ans permettrait de mesurer les premiers résultats de chaque réforme ;
Dans un troisième temps, une évaluation à l’horizon de trois à cinq ans permettrait de dresser un bilan complet de chaque réforme avec le recul nécessaire.
En revanche, le Conseil d’État a résolument écarté l’idée d’une clause dite de « guillotine » selon laquelle, en l’absence d’évaluation, une loi deviendrait caduque, compte tenu de l’insécurité juridique et de l’instabilité normative qu’une telle disposition engendrerait.
B - Le contrôle ex post des politiques publiques devrait être coordonné avec celui des autres acteurs dont c’est aussi la mission. Il existe en effet dans notre pays de très nombreux évaluateurs qui effectuent un travail remarquable. Je pense notamment aux inspections générales ministérielles et interministérielles, mais aussi à la Cour des comptes, au Conseil économique, social et environnemental, voire au Défenseur des droits. Leurs travaux constituent une somme conséquente qui mériterait d’être davantage connue et exploitée.
Cela suppose, d’une part, que le Parlement ait accès à ces informations, dans le respect de la séparation des pouvoirs et en veillant à éviter tout conflit d’allégeance et de légitimité de l’administration entre le pouvoir exécutif et le Parlement, et, d’autre part, qu’il se dote de véritables moyens propres et du temps nécessaires pour exploiter toutes les informations qu’il recueille ou auxquelles il a accès. Cela implique en outre, toujours sous la même réserve, une meilleure coordination entre les instances d’évaluation, afin d’éviter les redondances, c’est-à-dire la multiplication de rapports sur un même sujet, ce qui peut conduire à noyer des informations pertinentes. Mais naturellement, ce travail devrait être effectué sur une base volontaire et l’indépendance du Parlement, comme des services relevant du pouvoir exécutif, devrait être scrupuleusement respectée. Sous ces réserves, l’élaboration d’un programme d’évaluation ex post concerté, commun et structuré autour d’échéances régulières d’évaluation des textes et sur la base d’une méthodologie elle-même concertée serait une perspective à envisager.
Voici quelques pistes, que je souhaitais tracer dans mon exposé liminaire. Un certain nombre de moyens existent déjà. Il s’agit pour le Parlement de s’en saisir et d’exploiter les informations dont il est déjà destinataire ou auxquelles il pourrait avoir accès. Mais ces moyens doivent être structurés, coordonnés et renforcés : il nous faut passer collectivement du mythe à la réalité de l’évaluation.
L’enjeu de l’évaluation n’est en effet pas simplement décoratif. Si la loi n’est pas davantage mûrie et réfléchie en amont de la délibération politique en commission ou dans l’hémicycle, si l’on ne cherche pas à mesurer les effets prévus ou pervers des lois votées au regard des objectifs poursuivis ou encore les raisons de la concordance ou de la discordance entre les uns et les autres, nous nourrirons la crise de la représentation et de la démocratie. Nous continuerons aussi à alimenter la crise du droit et de la loi. Pour dire le fond de ma pensée, l’évaluation ne doit pas brider l’inspiration et les projets politiques – car notre mission est tout simplement de contribuer à faire et mettre en œuvre la politique du pays –, mais son absence ou son insuffisance sont l’une des sources – nombreuses, il est vrai – du populisme qui nous ronge, mais qui ne nous a pas encore emportés. Il est encore temps de se mettre sérieusement à l’ouvrage.
Je me tiens maintenant à votre disposition pour prolonger la réflexion à partir de vos questions.
[1] Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.
[2] Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
[3] Cette obligation ne concerne pas les lois de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale, ni les projets de loi ayant pour objet la ratification ou l’approbation des traités ou accords internationaux (Article 11 de la loi du 15 avril 2009). Toutefois, certains projets de loi sont soumis à l’obligation d’étude d’impact en vertu de dispositions particulières. Ainsi, les projets de loi de finances doivent faire l’objet d’une évaluation préalable conformément aux articles 51 et 53 de la loi organique relative aux lois de finances, mais seulement pour une partie des dispositions de ces textes (les articles fiscaux, les dispositions relatives aux autres ressources de l’État inscrites en première partie de la loi dès lors qu’elles affectent l’équilibre budgétaire et les dispositions de la seconde partie énumérées à l’article 34, II, 7° de la LOLF). Les projets de lois de financement de la sécurité sociale doivent aussi, pour certaines dispositions, faire l’objet d’une évaluation préalable en vertu de l’article LO. 111-4 du code de la sécurité sociale, ces dispositions étant énumérées au V de l’article LO. 111-3 du même code.
[4] Article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
[5] Ordonnance n°2009-663 du 11 juin 2009 relative à l’enregistrement de certaines installations classées pour la protection de l’environnement.
[6] Rapport public 2010, p. 98.
[7] Etude annuelle de 2016, Simplification et qualité du droit, adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’État le 13 juillet 2016.
[8] Le Conseil d’État examine en moyenne une centaine de projets de loi par an et, selon les années, entre 30 et 90 ordonnances par an. Ce dernier chiffre a significativement crû au cours des dernières années. En 2011, le Conseil d’État a examiné 48 projets d’ordonnance. Ce chiffre était de 54 en 2014, 68 en 2015 et 87 en 2016. En 2016, le Conseil d’État a examiné 111 projets de loi.
[9] Selon les années, le Conseil d’État examine entre 700 et 900 projets de décret réglementaire environ. En 2016, le Conseil d’État a examiné 911 projets de décret réglementaire.
[10] CC, 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnances à l’adoption de la partie législative de certains codes, n° 99-421, cons. 13.
[11] M. Long, op. cit. note 12, p. 787.
[12] Par exemple, saisi du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE dans le domaine de la prévention des risques, le Conseil d’État a proposé l’abrogation de plusieurs dispositions qui étaient redondantes avec les dispositions générales du code de l’environnement (Rapport public 2016, Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2015, p.214).
[13] M. Long, « Mon expérience de la fonction consultative du Conseil d’État », RDP, n° 5/6, 1998, p. 1427.
[14] Proposition n° 7 de l’étude annuelle 2016, Simplification et qualité du droit, La documentation française, 2016, pp. 96-97.
[15] Décision n° 2014-12 FNR du 1er juillet 2014, Présentation du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
[16] Article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
[17] Article 4-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
[18] Article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
[19] Proposition n° 16 de l’étude annuelle 2016 du Conseil d’État, La simplification et la qualité du droit, La Documentation française, 2016, pp. 107-108.