L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État de France, vice-président de l’Association des conseils d’État et des juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne (ACA-Europe) lors de la table ronde organisée par le Conseil des barreaux européens le 20 mai 2011 à Luxembourg.

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L’adhésion de l’Union européenne

à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

et des libertés fondamentales

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 Table ronde organisée par le Conseil des barreaux européens

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 Vendredi 20 mai 2011

Luxembourg

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 Introduction par Jean-Marc Sauvé[1]

vice-président du Conseil d’Etat de France,

vice-président de l’Association des conseils d’Etat et des juridictions administratives suprêmes de l’Union européenne

(ACA-Europe)

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Monsieur le Président,

Je vous remercie de m’avoir invité à exprimer les vues d’un juge national sur la question essentielle et délicate de l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme. Les juges nationaux seront au cœur d’un nouveau système juridique intégré… Ils ont des attentes, des espoirs et parfois aussi des craintes. Il faut confirmer les premiers et conjurer les secondes.

Le point de départ de notre route est clair. Le Conseil de l’Europe et les Communautés européennes sont nés ensemble d’une même volonté : celle d’unir entre eux les peuples d’Europe sur le chemin des libertés. Cette volonté, chacun des traités constitutifs des deux systèmes juridiques européens l’exprime en des termes, sinon identiques, du moins analogues[2]. Depuis 60 ans, ces deux systèmes évoluent de concert, non sans interactions réciproques, mais en parallèle. Bientôt, un nouveau cap sera franchi, qui se traduira par un lien organique et, par suite, une plus grande intégration entre eux.

L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme est une chance pour la garantie des droits en Europe. Car du pluralisme des juges et de leurs interactions, de la « diversité organisée », peuvent naître une cohérence et un équilibre accrus entre les pouvoirs, qui sont le propre de la démocratie et de l’Etat de droit. Cette cohérence au service de la garantie des droits est déjà une réalité depuis les origines du dialogue entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne (I). Mais l’adhésion de l’Union européenne à la Convention impose de la renforcer(II).

I. La cohérence entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne est d’ores et déjà une réalité au service de la garantie des droits fondamentaux.

Dès maintenant, la transposition par les Etats membres de l’Union du droit produit par celle-ci constitue le principal point de jonction entre l’ordre juridique de l’Union et celui de la Convention européenne des droits de l’homme. S’y ajoute, bien sûr, l’attention que porte chacune des deux cours européennes à l’autre. En l’absence de règle fixée par les traités européens pour coordonner la compétence de ces deux cours, la cohérence entre elles a procédé d’un dialogue fondé sur une authentique dynamique de coopération, dynamique accentuée par l’entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

A.- Les deux cours européennes s’attachent en effet, depuis leurs origines ou presque, à construire des ponts entre elles et entre leurs ordres juridiques respectifs.

1.- La Cour de justice des Communautés, puis de l’Union européenne, soutenue en cela par l’évolution des traités, est ainsi devenue un juge européen des droits fondamentaux, en s’inspirant, à bien des égards, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’interprétation de cette Convention par la Cour de Strasbourg. La convention revêt en effet dans la jurisprudence de la Cour de justice, ainsi que celle-ci le rappelle de manière constante, « une signification particulière »[3]. Les principes généraux du droit de l’Union, pour nombre d’entre eux, ont été explicitement construits par la Cour de justice en référence à la Convention européenne des droits de l’homme. Tel est le cas, par exemple, du principe de non discrimination à raison de la nationalité, dont cette Cour a déterminé la consistance, dès l’arrêt Rutili du 28 octobre 1975, en référence aux articles 8 à 11 de cette Convention[4]. Le Traité sur l’Union européenne a renforcé ce pont entre les deux ordres juridiques, puisqu’il rappelle depuis 1992 que « L'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales […] »[5]. La Cour de justice de l’Union européenne fait en outre explicitement référence, aujourd’hui, aux jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme sur lesquelles elle s’appuie en s’inspirant également des solutions adoptées par celle-ci. Si des divergences de jurisprudence peuvent parfois exister, celles-ci se présentent avant tout comme les étapes normales d’un dialogue serein entre les deux cours et à ma connaissance, elles se sont normalement résorbées[6].

2.- Si les références faites par la Cour européenne des droits de l’homme au système juridique de l’Union européenne ou à la jurisprudence de la Cour de justice, peuvent, pour leur part, paraître moins nombreuses, cela tient essentiellement au fait que la compétence de cette Cour est limitée par le texte de la Convention. La Cour  européenne n’en a pas moins manifesté, elle aussi, sa volonté d’un dialogue serein et fructueux avec l’Union européenne. Elle l’a fait en reconnaissant pleinement la spécificité de l’ordre juridique des Communautés européennes, dans ses arrêts Moustaquim c/ Belgique du 18 février 1991 et C. c/ Belgique du 7 août 1996[7]. Elle l’a fait bien plus encore en reconnaissant une véritable présomption d’équivalence des protections entre l’ordre juridique de l’Union et le système de la Convention, par son arrêt Bosphorus c/ Irlande du 30 juin 2005[8]. La dynamique de dialogue et de responsabilité qui guide ainsi, d’ores et déjà, les relations entre les deux cours européennes, est un fondement et un facteur de cohérence dans la garantie des droits en Europe

B.-Cette dynamique s’est trouvée accentuée par l’adoption de la  Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

1.- Avant même qu’elle ne devienne opposable, la Charte s’est en effet peu à peu affirmée comme une source d’inspiration commune à la Cour de justice et à la Cour européenne, créant de ce fait un mouvement de rapprochement entre les deux systèmes juridiques, dans le sens d’une protection accrue des droits fondamentaux. La Charte a ainsi concouru à la place renforcée des droits fondamentaux dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne au cours de la dernière décennie[9]. La Cour européenne des droits de l’homme a elle aussi, pour sa part, fait de la Charte un texte de référence qu’elle vise et cite régulièrement. L’on peut mentionner en particulier à cet égard l’arrêt Christine Goodwin c. Royaume-Uni du 11 juillet 2002[10].

2.- Tout autant qu’une source d’inspiration partagée, les dispositions de la Charte sont également, par elles-mêmes, une incitation au dialogue entre les deux cours, a fortiori depuis que cette Charte est devenue juridiquement opposable et invocable. Les clauses dites « horizontales » que contient la Charte, en particulier celle de son article 52, ne peuvent qu’inviter les deux cours européennes à dialoguer entre elles et à s’inspirer de leurs solutions jurisprudentielles respectives. C’est par exemple « à la lumière […] de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » que la Cour de justice a interprété le principe de protection juridictionnelle effective consacré par l’article 47 de la Charte[11]. Elle a ainsi témoigné qu’un dialogue construit, fondé sur la responsabilité des juges, est un pilier essentiel dans l’affermissement de la garantie des droits.

II.- La réussite de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme impose cependant de structurer et de renforcer la coopération entre les deux cours européennes.

Cette adhésion représente une chance et un défi : une chance parce que les actes et agissements de l’Union pourront, comme ceux des Etats membres, être directement passés au « crible » de la convention, non seulement par les juridictions de l’Union, mais aussi ultimement par la Cour européenne des droits de l’homme, sans qu’il soit nécessairement besoin de faire le détour par le contrôle des mesures nationales de transposition. Mais cette adhésion est aussi un défi, car elle peut conduire, si l’on n’y prend garde, à des contradictions entre les cours européennes, voire à un éclatement du contrôle et de l’interprétation du droit de l’Union, ce qui pourrait exposer les juridictions nationales à des situations d’indétermination, lorsqu’elles seront confrontées à l’application de règles de l’Union contestées au regard des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. Les litiges mettant en cause le droit de l’Union se tranchent aujourd’hui en principe à Luxembourg. Demain, faudra-t-il faire l’étape supplémentaire Luxembourg-Strasbourg pour être fixé sur son sort ? Au-delà de la question centrale des délais de jugement qui intéresse au premier chef les juridictions des Etats membres, risque de se poser une question de sécurité juridique en cas de divergences trop fréquentes de jurisprudences entre les juridictions de l’Union et la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour « empocher » les bénéfices escomptés de l’adhésion, mais aussi pour conjurer ces risques, plusieurs voies ont été explorées, parfois depuis plus d’une décennie, de manière à ce que le mécanisme d’adhésion de l’Union à la Convention soit aussi pertinent et efficace que possible. La voie qui a été retenue, qui est de préserver l’autonomie des deux systèmes de droit en renforçant les mécanismes de coordination entre eux, me paraît la plus sûre. L’Etat de droit, qui puise à bien des égards sa source dans les écrits de Montesquieu, ne repose-t-il pas avant tout sur une pluralité de pouvoirs indépendants, mais de pouvoirs ordonnés qui s’équilibrent dans un dialogue organisé[12] ? Pour parvenir à ce résultat, il faut conjuguer des règles et une pratique.

A.- Des règles d’abord : c’est bien l’organisation d’un tel dialogue que visent les travaux en cours de la conférence intergouvernementale sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme.

1.- Certes, en l’état de ces travaux, tels qu’ils ont été rendus publics, notamment, par le Conseil de l’Europe[13], plusieurs questions importantes restent encore en suspens. La première de ces questions est celle de la portée du mécanisme de co-défendeur, qui permettrait à l’Union européenne et à un ou plusieurs Etats d’être ensemble parties à une instance devant la Cour européenne des droits de l’homme -et, le cas échéant, conjointement responsables d’une éventuelle violation-. Une autre question en suspens est celle de la justiciabilité limitée, devant la Cour de justice de l’Union européenne, des actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune[14] : cette restriction des compétences de la Cour ne risque-t-elle pas d’être contestée devant la Cour européenne des droits de l’homme, notamment, au regard du droit à un recours effectif prévu par l’article 13 de la Convention ? Une troisième question importante, enfin, est celle de la justiciabilité, devant la Cour européenne des droits de l’homme, du droit primaire de l’Union. Si l’hypothèse d’une contradiction entre les principes fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme paraît peu probable, il n’en va pas nécessairement de même de certaines règles d’organisation de l’Union ou d’accords particuliers d’adhésion : l’arrêt Matthews c. Royaume-Uni peut en témoigner [15]. Les travaux de la conférence intergouvernementale, dont le mandat vient d’être prolongé jusqu’à la fin de l’année, mais aussi les travaux préparatoires à l’adoption des règles internes nécessaires à l’Union pour adhérer à la Convention permettront, je n’en doute pas, de trouver des voies de réponse à ces questions.

2.- Mais ce qui me paraît essentiel, c’est qu’au-delà de ces questions, les mécanismes prévus qui organiseront les relations entre les deux cours européennes, préservent l’autonomie du système juridique de l’Union, dans une logique de subsidiarité qui est au fondement même de l’organisation du système de la Convention européenne des droits de l’homme. Il en va ainsi du mécanisme de co-défendeur que j’évoquais. Celui-ci devrait permettre d’aboutir à un équilibre, entre, d’une part, la responsabilité première des Etats membres à raison des mesures d’application du droit de l’Union qu’ils mettent en œuvre dans leur ordre juridique et, d’autre part, le fait que leur marge d’appréciation peut être limitée, voire inexistante, du fait même des obligations qui résultent pour eux du droit de l’Union : d’où l’utilité que l’Union et pas seulement les Etats membres puissent être simultanément défendeurs devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le mécanisme envisagé d’« implication préalable » obéit à une logique analogue : en permettant à la Cour de justice de se prononcer systématiquement, avant la Cour de Strasbourg, sur la question de la conformité d’une disposition du droit de l’Union à la Convention européenne, il vise à préserver le monopole de la Cour de Luxembourg en matière d’interprétation et d’invalidation des actes de l’Union. Mis en œuvre selon une logique de dialogue et de responsabilité, il doit permettre de remédier, directement dans l’ordre juridique de l’Union européenne et conformément au principe de subsidiarité, aux éventuelles incompatibilités entre le droit de l’Union et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. A cet égard, la mise en œuvre des recommandations contenues dans la communication des présidents des deux cours européennes, MM. Costa et Skouris, en date du 24 janvier 2011 apparaît comme une piste de travail extrêmement féconde.

B.-  Les règles sont nécessaires : elles ne dispenseront cependant jamais d’une pratique de coopération et de recherche des convergences. Quelles que soient en effet les modalités d’organisation du dialogue entre les deux cours européennes, « le prix d’une démocratie vivante où le pluralisme s’affirme conduit à la pluralité des structures et à une certaine complexité »[16]. Et la réponse à cette complexité, lorsqu’elle procède d’une pluralité de systèmes juridiques qui s’entrecroisent mais se complètent, réside avant tout, j’en suis convaincu, dans la responsabilité des juges, sur lesquels reposera le succès de l’adhésion.

1.- Cette responsabilité est celle –conjointe- de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-là devra continuer, comme elle l’a fait jusqu’à présent, à prendre pleinement en considération la Convention européenne des droits de l’homme et son interprétation par la Cour de Strasbourg. Celle-ci, quant à elle, devra continuer à regarder l’ordre juridique de l’Union européenne comme un ordre spécifique dans lequel, sauf insuffisance manifeste[17], la garantie des droits fondamentaux est déjà assurée. Le défi que représente pour les juridictions nationales suprêmes le contrôle externe du système juridique de l’Union par la Cour européenne des droits de l’homme –puisque tel était l’un des thèmes qu’il m’était proposé d’aborder - réside donc avant tout, je le crois, dans le maintien de l’esprit de responsabilité qui a, jusqu’à présent, guidé le dialogue entre les deux cours européennes. Il s’agit d’un défi. Mais je le traduirai avant tout, pour ma part, comme l’expression d’une confiance dans l’avenir.

2.- Autant, si ce n’est plus que sur la responsabilité des deux cours européennes, le succès du mécanisme d’adhésion reposera aussi sur la responsabilité des juges nationaux et, en particulier, des juridictions nationales suprêmes, qui sont les premiers acteurs de l’application du droit de l’Union et de la Convention européenne des droits de l’homme. Il leur appartiendra, en premier lieu, de veiller à la cohérence entre ces deux ordres juridiques et à l’harmonie de leur ordre juridique interne avec ceux-ci. L’éthique de responsabilité des juges nationaux de l’Union européenne est, je le crois, la meilleure assurance d’un contrôle interne efficace des normes au regard des droits fondamentaux. Elle doit se traduire par une sorte de « déférence » à l’égard des deux systèmes européens qui, loin d’être nos concurrents, complètent et fortifient les mécanismes nationaux de garantie des droits. Il serait donc vain de vouloir les contester ou les disqualifier. C’est, à bien des égards, la ligne que suit, notamment, la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe depuis sa décision « Solange II »[18], en jugeant qu’un recours constitutionnel contre le droit dérivé de l’Union n’est admissible que dans la mesure où le requérant démontre l’existence d’un déficit général -et pas seulement dans son cas particulier- de la protection des droits fondamentaux de l’Union. C’est aussi, implicitement mais assurément, la ligne que suit le Conseil constitutionnel français dans sa jurisprudence qui sait s’inspirer, chaque fois que cela s’avère nécessaire, notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[19]. Cette éthique de responsabilité doit aussi se traduire, pour les juges nationaux, par le respect des compétences et de la jurisprudence des deux cours européennes et, le cas échéant, par l’utilisation du renvoi préjudiciel, comme l’ont déjà fait cinq cours constitutionnelles, dont en particulier celle de Belgique[20] . Les juges nationaux doivent en effet veiller, demain plus encore qu’hier, à appliquer sans restriction les règles résultant des deux ordres juridiques européens, hier séparés, demain expressément reliés entre eux, sans chercher à les opposer et en faisant preuve d’imagination constructive pour trouver, sous le contrôle des cours européennes, et chaque fois que cela est nécessaire, les voies d’une conciliation ou d’une coordination entre eux. Cette ligne est celle que s’est efforcée d’explorer, notamment, le Conseil d’Etat de France, ainsi qu’en témoigne sa décision du 10 avril 2008, Conseil national des barreaux et autres et Conseil des barreaux européens[21] </INT>, rendue à propos de la transposition de la deuxième directive « blanchiment »[22]. Dans un monde de pluralisme juridique, il n’est de salut que dans le dialogue et la coopération.

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La pluralité et l’entrecroisement des systèmes de protection des droits de l’homme en Europe est une chance pour la garantie des droits. Mais elle implique aussi des devoirs et une plus grande responsabilité, en particulier pour les juges, tous les juges. Cette responsabilité doit être fondée sur une éthique qui, pour ces juges, est une éthique de responsabilité plus qu’une éthique de conviction, pour reprendre la célèbre distinction de Max Weber. Ainsi que l’écrivait l’auteur de « Le savant et le politique », « le partisan de l'éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l'homme […] et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu'il aura pu les prévoir »[23]. Cette éthique est au fondement de la mission du juge dans un Etat de droit. De son respect dépendra, je le crois, la cohérence de la garantie des droits en Europe. 

[1] Texte écrit en collaboration avec M. Timothée Paris, premier conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du Vice-président du Conseil d’Etat.

[2] Ainsi «Le but du Conseil de l’Europe » qui est « de réaliser une union plus étroite entre ses membres », selon les termes du Préambule de la Convention européenne de sauvegarde des droit de l’homme et des libertés fondamentales,  peut être rapproché de la détermination des signataires du Traité instituant la Communauté européenne de mars 1957, « à établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples » et de a résolution des signataires du Traité de Lisbonne à « à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe ». 

[3] CJCE 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone, affaire C‑305/05, § 29.

[4] CJCE 28 octobre 1975, Rutili c. ministre de l’intérieur, aff. n° 36-75, § 32  les « limitations apportées aux pouvoirs des Etats  membres en matière de police des étrangers se présentent comme la manifestation spécifique d’un principe plus général consacré par les articles 8,9, 10 et 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ratifiée par tous les Etats membres, et de l’article 2 du protocole n° 4 à la même convention, signé à Strasbourg le 16 septembre 1963, qui disposent en des termes identiques que les atteintes portées, en vertu des besoins de l’ordre et de la sécurité publics, aux droits garantis par les article cités ne sauraient dépasser le cadre de ce qui est nécessaire à la sauvegarde de ces besoins dans une société démocratique ».

[5] Traité sur l’Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992, article F, § 2. Cet article est devenu l’article 6 du Traité à la suite de l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam. L’article 6, § 3, du Traité sur l’Union européenne, tel qu’il résulte du traité de Lisbonne, dispose que : « 3. Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. »

[6] La divergence entre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 30 mars 1989, Chappel c. Royaume-Uni, Série A n. 152-A, p. 13 § 25 b) et la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE 21 septembre 1989, Hoechst AG c. Commission, aff. n° 46/87 et 227/88, § 17-18) sur la possibilité d’invoquer le doit à la protection de la vie privée prévu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme à raison des locaux utilisés à des fins professionnelles a ainsi été résorbée en 2002.  

[7] CEDH 18 février 1991 Moustaquim c. Belgique, aff n° 12313/86 et CEDH 7 août 1996, C . c. Belgique, aff n° 21794/93.

[8] CEDH gr. ch. 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande, requête n° 45036/98.

[9] Voir sur ce point, notamment, M. Cartabia, « Europe and Rights : taking dialogue seriously », European constitutional Law Review, 2009-5, Cambridge journals, p. 10 notamment.

[10] CEDH gr. ch. Christine Goodwin c. Royaume-Uni, requête n° 28957/95.

[11] CJUE 22 décembre 2010, DEB Deutsche Energiehandels- und Beratungsgesellschaft mbH c. Bundesrepublik Deutschland, aff. n° C‑279/09.

Voir également CJCE 13 mars 2007, Unibet, aff n°C-432/05 pt 37.

[12] Le projet de déclarations de la Conférence des représentants des gouvernements des Etats membres chargé de préparer le Traité de Lisbonne, prenait ainsi expressément acte du dialogue entre les deux cours européennes et envisgeait la perspective de son renforcement du fait de l’adhésion : « La Conférence convient que l'adhésion de l'Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales devrait s'effectuer selon des modalités permettant de préserver les spécificités de l'ordre juridique de l'Union. Dans ce contexte, la Conférence constate l'existence d'un dialogue régulier entre la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'Homme, dialogue qui pourra être renforcé lors de l'adhésion de l'Union à cette Convention ». Document CIG 3/07 du 23 juillet 2007, Déclaration ad article [I-9, paragraphe 2] du Traité sur l'Union européenne.  

[13] Voir notamment sur ce point le Projet révisé de rapport explicatif de l’accord d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme issu de la 7ème réunion de travail du groupe de travail informel du CDDH sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme (CDDH-UE) avec la Commission européenne, document CDDH-UE(2011)08 du 2 mai 2011. Voir également le Projet d’accord d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, publié à l’issue de la 6ème réunion du même groupe de travail, document CDDH-UE(2011)04 du 25 février 2011.

[14] Article 275 TFUE.

[15] CEDH gr. ch. 18 février 1999, Matthews c. Royaume-Uni, requête n° 24833/94.

[16] J.-Y. Carlier, « la garantie des droits fondamentaux en Europe : pour le respect des compétences concurrentes de Luxembourg et de Strasbourg », Revue québécoise de droit international, 2000, volume 13.1, p. 58.

[17] CEDH gr. ch. arrêt Bosphorus précité.

[18] Arrêt du 22 octobre 1986, BVerfGE 86, p. 345 et sq.

[19] Ainsi, à la suite de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 28 octobre 1999, Zielinski, Pradal et Gonzalez, le Conseil constitutionnel français a renforcé, dans le sens d’un rapprochement avec la jurisprudence de la Cour, le contrôle qu’il exerce sur les lois de validation, en exigeant que la justification de la validation repose désormais sur des exigences constitutionnelles ou sur des motifs d’intérêt général suffisants. Le Conseil constitutionnel pratique aujourd’hui un véritable contrôle de proportionnalité entre, d’un côté, les effets de la rétroactivité et, de l’autre, les finalités d’intérêt général poursuivies, qu’il apprécie in concreto. Voir sur ce point, par exemple, l’analyse de cette évolution qui figure dans les Cahiers du Conseil constitutionnel, sous le commentaire de la décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005 (Cahier n° 18).

[20] Voir notamment CEDH gr. Ch.1er mars 2011, Association belge des consommateurs test-achats, aff. C-236/09.

[21] CE sect. 10 avril 2008, Conseil national des barreaux et autres et Conseil des barreaux européens, Lebon p. 129 avec les conclusions de M. Guyomar.

[22] Directive 91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, modifiée par la directive 2001/97/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 décembre 2001.

[23] M. Weber, Le Savant et le Politique, trad. J. Freund revue par E. Fleischmann et E. de Dampierre, Plan, 1959,  p. 206-207.