Intervention à Lille, le 18 avril 2016.
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Inauguration des nouveaux locaux du tribunal administratif de Lille
Lille,le lundi 18 avril 2016
Intervention de Jean-Marc Sauvé[i], vice-président du Conseil d’État
Monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice,
Madame le maire de Lille,
Monsieur le président du Conseil départemental,
Mesdames, Messieurs les membres du Parlement et les représentants des collectivités territoriales, des autorités judiciaires, civiles et militaires,
Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui, au cœur de la capitale de la Flandre, s’ouvre un nouveau lieu de justice. Un lieu qui appartient au patrimoine de cette Cité et à son histoire sociale ; un lieu où s’exerce désormais la première des fonctions régaliennes, si précieuse en ces temps d’épreuve ; un lieu solennel et symbolique ; mais aussi un lieu ouvert, accessible et accueillant. C’est donc pour moi une grande joie de participer, sous l’égide du garde des sceaux, ministre de la justice, et avec Madame le maire de Lille, à l’inauguration du nouveau siège du tribunal administratif de cette ville. Cette inauguration marque l’aboutissement d’un projet collectif de longue haleine, attendu de nos concitoyens et des justiciables, soutenu par les magistrats et agents du tribunal et défendu par le Conseil d’Etat ainsi que les responsables publics, locaux et nationaux. C’est une réussite collective à laquelle chacun a apporté sa pierre et, d’abord, la Ville de Lille. Je tiens à saluer l’engagement sans faille de la ville, de son maire et de ses équipes, avec qui a œuvré la direction de l’équipement du Conseil d’Etat, à laquelle je rends aussi hommage. En ces lieux rénovés, d’abord consacrés à l’enseignement scientifique, puis à la vie syndicale, le même esprit, sous des formes diverses, demeure et se renouvelle depuis la fin du XIXème siècle : l’esprit du bien commun et du service de l’intérêt collectif.
I. Revenons sur la genèse de ce projet et sa réalisation.
A. Le relogement du tribunal administratif de Lille s’imposait pour le bon accomplissement de ses missions.
Il fallait, en premier lieu, remédier à la vétusté des anciens locaux. Le bâtiment occupé par le tribunal depuis 1983 rue Jacquemart-Giélée présentait en effet de nombreux défauts de conformité technique. Les travaux entrepris en 2010 et 2011 n’avaient pas permis d’y remédier durablement. La sécurité des personnels et du public devenait une préoccupation et les défaillances de l’alimentation électrique perturbaient le fonctionnement de la juridiction.
Il fallait, en deuxième lieu, trouver des locaux plus adaptés à une destination juridictionnelle qu’un banal immeuble de bureaux, dans lequel la tenue des audiences, en particulier avec des escortes et des enjeux de sécurité, soulevait de très réelles difficultés.
Il fallait, enfin et surtout, augmenter les espaces d’accueil et de travail, devenus au fil du temps beaucoup trop exigus. Quand il s’est établi en 1983 sur son ancien site, le tribunal administratif de Lille comptait trois chambres et ne recevait qu’un plus de 1000 requêtes par an. Il en a enregistré 10 800 en 2015. En 31 ans, la demande de justice a été multipliée par 8 à Lille, contre 4 au niveau national. Par conséquent, les trois chambres de 1983 ne pouvaient suffire à la tâche : elles sont passées à cinq dans les années 90, puis six en 2002. Mais ces six chambres étaient bien sûr très à l’étroit dans leurs anciens locaux, comme j’ai pu m’en rendre compte lors de ma première visite au tribunal en juin 2007. La situation n’a cessé de s’aggraver par la suite car, depuis 2012, la demande de justice à Lille s’est encore fortement accrue : le nombre des requêtes y augmente de plus de 10% par an, ce taux ayant même atteint 17% au premier trimestre de cette année. Le tribunal de Lille est ainsi devenu, hors région d’Ile-de-France, le troisième et, en fait, le deuxième tribunal administratif de France, après celui de Lyon, par le nombre des requêtes reçues. Il dépasse nettement ceux de Marseille et Versailles.
B. Une réinstallation était nécessaire ; encore fallait-il trouver des locaux adaptés aux besoins d’une juridiction.
Au terme de recherches entreprises avec résolution en 2007, mais d’abord restées vaines, le site de l’ancienne Bourse du travail, proposé par la ville de Lille, s’est imposé comme la meilleure solution. J’ai pu le visiter lors de ma deuxième visite à Lille en février 2012, ce qui m’a permis de prendre la mesure de son potentiel. Proche du centre-ville, il est aisément accessible par les justiciables, les magistrats et les agents du tribunal. Par ses dimensions et ses volumes, il peut accueillir le public et une communauté de travail élargie : le tribunal dispose désormais d’un peu plus de 3000 m² utiles, c'est-à-dire d’une superficie supérieure des 2/3 à ce qu’elle était naguère, sans compter les locaux d’archives et techniques, eux aussi nettement plus spacieux. Le tribunal peut ainsi à la fois se redéployer et accueillir, dès maintenant, des magistrats délégués et, à compter du 1er septembre, l’indispensable septième chambre qui a été créée par un arrêté du 26 février.
Cette opération permet de faire d’une pierre deux coups. Car ce bâtiment, par son architecture et son histoire, ancre le tribunal dans son environnement urbain et institutionnel et sa reconversion permet, de surcroît, de sauvegarder un élément remarquable du patrimoine lillois. Edifié en 1894 par l’architecte Alfred Mongy, le père du « Grand Boulevard » reliant Lille, Roubaix et Tourcoing, ce vaste bâtiment de 90 mètres de long avait été conçu pour abriter un établissement d’enseignement supérieur laïc, capable de rivaliser avec les Facultés catholiques de Lille inaugurées en 1877. L’Institut de chimie, devenu en 1953 l’Ecole nationale supérieure de Chimie, a ainsi été installé dans ce vaisseau de briques rouges. En 1966, cette école a pris ses quartiers dans la cité scientifique de l’Université de Lille I à Villeneuve d’Ascq. Après le départ des étudiants, ces locaux ont accueilli la Bourse du travail : pendant quarante ans, ils sont devenus l’un des hauts lieux du syndicalisme français. Depuis 2012, la Bourse du travail ayant transféré son siège dans l’ancien site industriel de Fives-Cail-Babcock, ce bâtiment, abandonné et dégradé, attendait une nouvelle destinée qui soit au moins à la hauteur de ses précédentes affectations.
L’installation du tribunal administratif, si elle a permis de préserver et réhabiliter ce bâtiment, a imposé d’importants travaux d’aménagement. Il a fallu libérer au rez-de-chaussée le volume de trois salles d’audience et, en contrepartie, il a été nécessaire de subdiviser les espaces du deuxième étage, afin de créer un niveau supplémentaire. La faisabilité technique et financière de ces travaux a été évaluée de concert par les services de la ville et du Conseil d’Etat. Le montage contractuel qui repose sur un bail emphytéotique avec la Société nationale immobilière, à qui je tiens à rendre hommage, a été conçu avec le précieux concours de France-Domaine. Il faut le souligner : ce projet n’aurait pu voir le jour sans la fructueuse coopération entre la Ville de Lille, le Conseil d’Etat et les services de l’Etat, qui ont su, en amont comme en aval, travailler main dans la main. Il faut aussi saluer l’implication personnelle des présidents successifs du tribunal administratif, en dernier lieu, Joëlle Adda, et des magistrats et agents de greffe, qui ont aidé à la définition des besoins et participé aux réunions de suivi du chantier. Grâce à l’action de tous et au grand professionnalisme des entreprises de construction, les travaux, débutés en décembre 2013, se sont achevés avec un peu d’avance sur le calendrier prévu, en décembre dernier.
II. Le résultat est à la hauteur de nos attentes. Le tribunal administratif de Lille peut désormais relever dans les meilleures conditions les défis qui se présentent à lui.
A. Notre premier défi est de faire face efficacement à la forte croissance de la demande de justice.
Il s’agit d’une tendance structurelle : depuis vingt ans, le nombre d’affaires nouvelles augmente en moyenne de 6% par an dans les tribunaux administratifs. A Lille, la pression contentieuse est particulièrement forte, très supérieure à la moyenne nationale, comme je l’ai montré.
L’activité du tribunal présente par ailleurs un profil bien spécifique, marqué par le poids du contentieux des étrangers. Celui-ci représente 38% des affaires traitées et, parmi celles-ci, 70% concernent des procédures d’urgence, imposant au juge de statuer en 72 heures lorsqu’est décidé le placement en rétention ou l’assignation à résidence de l’intéressé. C’est cette circonstance qui m’a déterminé à mettre en place des renforts temporaires dans ce tribunal sous forme de magistrats délégués et le relogement du Tribunal permettra en outre de lui apporter, au-delà de sa 7ème chambre, d’autres renforts pérennes, si c’est nécessaire.
B. Dans ce contexte, nous n’avons pas seulement besoin de locaux plus spacieux et adaptés et de magistrats et d’agents de greffe plus nombreux : nous devons aussi faire preuve de capacité d’adaptation et d’imagination réformatrice.
Nous devons ainsi poursuivre la modernisation de nos méthodes de travail. Depuis près de trois ans, toutes les juridictions métropolitaines proposent aux avocats et aux administrations de correspondre avec elles par voie électronique grâce à l’application Télérecours. Pour que cette application produise tous ses effets bénéfiques, nos méthodes de travail doivent en interne pleinement intégrer les apports de la dématérialisation et, par conséquent, être revues, rationalisées et modernisées.
Nous devons aussi continuer à améliorer l’accessibilité « intellectuelle » de nos décisions. Dans cette optique, nous continuerons d’expérimenter de nouvelles manières de rédiger nos décisions de justice. Nous sommes persuadés qu’il est possible, sans renoncer à la rigueur de l’analyse juridique, de rédiger nos décisions dans un style plus simple, plus transparent et plus pédagogique.
Enfin et surtout, nous devons concevoir et mettre en œuvre une stratégie globale, pour faire durablement face aux hausses actuelles et futures des contentieux. Une réflexion d’ensemble a été conduite l’année dernière par le groupe de travail dirigé par la présidente de la Mission permanente d’inspection des juridictions administratives. Plusieurs de ses propositions vont faire, je l’espère, l’objet cette année d’une révision du code de justice administrative. D’autres mesures vont être adoptées dans le cadre du projet de loi sur la justice du XXIème siècle en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Le renouveau – si ardemment espéré - du tribunal administratif de Lille incarne et nourrit le mouvement général de modernisation de la justice administrative. Par sa capacité d’adaptation et de réforme, la justice administrative contribue à la sauvegarde du pacte républicain et à la garantie de l’Etat de droit. C’est ainsi qu’elle restera à la hauteur des missions qui lui sont confiées et qu’elle pourra répondre aux attentes de nos concitoyens et de tous les administrés en litige avec la puissance publique. C’est ainsi qu’elle conservera leur confiance pour le présent et, plus encore, pour l’avenir.
[i]Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, magistrat administratif, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.