Le juge administratif et l’expression des convictions religieuses

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L’organisation des relations entre l’État et les Églises en France repose sur un principe simple et clair : la religion relève de la sphère privée, l’État affirmant son indépendance et sa neutralité à l’égard des institutions religieuses. Toutefois, la liberté religieuse ne se borne pas à la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle implique une certaine extériorisation qu’il s’agisse de l’exercice du culte ou tout simplement de l’expression – individuelle ou collective – d’une croyance religieuse. Il convient dès lors de garantir la conciliation entre l’intérêt général et l’ordre public, d’une part, la liberté de religion et son expression, d’autre part. Le juge administratif est au cœur de la construction et de la pérennisation de cet équilibre qui peut être regardé comme la traduction juridique de ce qu’est la laïcité.

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Le juge administratif est au cœur de la construction et de la pérennisation de cet équilibre qui peut être regardé comme la traduction juridique de ce qu’est la laïcité. Il apparaît ainsi, pour reprendre les propos de Marceau Long, ancien Vice-président du Conseil d’État, comme le « régulateur de la laïcité ». Lorsque la neutralité de l’État est invoquée, le juge administratif s’attache à ce qu’elle ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d’expression religieuse des agents publics. Lorsqu’il est en revanche question de la liberté religieuse des citoyens, le juge administratif cherchera à en garantir l’effectivité tout en restant attentif aux exigences relatives, notamment, à la protection de l’ordre public.

1. Les principes  : liberté de religion et neutralité de la puissance publique

a)      La reconnaissance de la liberté de religion

La liberté de religion a une dimension avant tout individuelle : c’est la liberté de croire ou de ne pas croire. Les textes, internes et internationaux, qui garantissent la liberté de religion en font, d’ailleurs, un élément de la liberté de pensée ou de conscience de chaque individu.

L’article 10 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dispose : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Le Conseil constitutionnel a également érigé la liberté de conscience en principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC, 23 novembre 1977, Liberté d’enseignement, n°77-87 DC). Le Conseil d’État évoque, pour sa part, « un principe constitutionnel de liberté d’expression religieuse » (CE, 27 juin 2008, Mme M…, n° 286798). Dans le cadre du référé « liberté », le Conseil d’État a, en outre, qualifié la liberté de culte de liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (JRCE, 16 févr. 2004, M. B., n° 264314).

Les engagements internationaux auxquels a souscrit la France ont renforcé la protection de la liberté de religion entendue comme la liberté de l’individu de se déterminer face à la question religieuse. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (convention EDH) garantit ainsi la liberté de religion dans plusieurs de ses articles. Son article 9 – (dont le contenu est repris par l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) - stipule que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique le droit de changer de religion ou de conviction, ainsi que le droit de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. » Son article 14 interdit les discriminations, notamment celles fondées sur la religion, tandis que l’article 2 du premier protocole additionnel à la convention EDH prévoit le droit pour les parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) fait d’ailleurs de la liberté consacrée à l’article 9 un élément essentiel pour le fonctionnement des sociétés démocratiques. Elle juge ainsi traditionnellement : « Telle que la protège l’article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une "société démocratique" au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme -chèrement conquis au cours des siècles -consubstantiel à pareille société » (ex : CEDH, 25 mais 1993, Kokkinakis c. Grèce).

b)      La neutralité de l’État

Jusqu’en 1905, les rapports entre les Eglises et l’État étaient organisés, en France, par le Concordat conclu entre Napoléon Ier et Pie VII en 1801. Ce régime reposait sur la reconnaissance des cultes : outre la religion catholique, qualifiée de « religion de la majorité des Français », étaient aussi reconnus les cultes réformé, calviniste et israélite. Ces quatre cultes reconnus étaient érigés en services publics.

Mettant fin à ce régime, la loi du 9 décembre 1905 fonde la neutralité de l’État en matière religieuse. Son article 2 dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (…). » La loi de 1905 ne consacre pas uniquement l’indifférence de l’État à l’égard du phénomène religieux, elle lui impose aussi de garantir l’effectivité de la liberté de culte. L’article 1er de cette loi dispose ainsi : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. » L’exigence de neutralité de l’État est consacrée à l’article 1er de la Constitution de 1958 qui affirme : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Le Conseil d’État a qualifié la laïcité de principe fondamental reconnu par les lois de la République (CE, 6 avril 2001, Syndicat national des enseignants du second degré, n°219379).

Le régime concordataire reste toutefois en vigueur dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Les prêtres, pasteurs et rabbins qui y officient sont ainsi rémunérés sur les deniers publics. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point, le Conseil constitutionnel a jugé que le maintien du Concordat dans ces territoires ne méconnaît pas l’exigence constitutionnelle de laïcité (CC, 21 février 2013, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité, n°2012-297 QPC).

Les États européens retiennent d’ailleurs des schémas très variés d’organisation des relations entre puissance publique et cultes. Certains États comme la Belgique ou l’Allemagne ont mis en place un système de financement public des religions reconnues. D’autres confèrent un statut particulier à certaines religions. C’est le cas notamment de l’Italie avec les accords de Latran de 1929 modifiés par les accords de Villa Madame de 1984 conclus avec le Saint-Siège. Enfin, certaines religions ont le statut d’Église d’État comme l’église anglicane en Grande-Bretagne ou l’église orthodoxe en Grèce.

2. Le juge administratif veille à la neutralité de la puissance publique tout en préservant les droits de ceux qui la servent.

Le principe de laïcité de l’État, qui intéresse les relations entre les collectivités publiques et les particuliers, et le principe de neutralité des services publics, corollaire du principe d’égalité qui régit le fonctionnement des services publics, sont la source d’une exigence particulière de neutralité religieuse de ces services.

Cette exigence se traduit notamment par l’interdiction des subventions publiques pour l’exercice des cultes et l’encadrement de la liberté de religion des agents publics.

a)      L’interdiction de principe d’un financement public des cultes et ses aménagements

L’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (…) ». Une collectivité publique ne peut ainsi légalement apporter son soutien financier à une association cultuelle quand bien même cette dernière aurait également des activités sociales et culturelles (CE Sect., 9 octobre 1992, Commune de Saint-Louis c/ association « Siva Soupramanien de Saint-Louis », n°94455).

Mais ce principe n’exclut pas dans certaines hypothèses la possibilité ou même l’obligation, pour la puissance publique, d’organiser activement l’exercice de la liberté religieuse, voire d’apporter des financements à des activités en rapport avec l’exercice du culte.

- Les personnes publiques doivent assurer le libre exercice du culte de certains publics

Le deuxième alinéa de l’article 2 de  la loi de 1905 prévoit, en effet, que : «Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons».

En d’autres termes, la puissance publique a l’obligation d’assurer le libre exercice du culte des personnes qui, comme dans les hôpitaux ou les prisons, ne peuvent l’exercer librement par elles-mêmes. Si les aumôniers des établissements pénitentiaires sont simplement agréés sur le fondement des articles R. 57-9-4 et D. 439 du code de procédure pénale, les aumôniers militaires, qui ont le statut de « militaires servant en vertu d’un contrat » en application du décret n°2008-1524 du 30 décembre 2008, sont des agents publics de même que ceux des établissements publics hospitaliers qui sont recrutés comme contractuels.

Faute de prendre les mesures permettant de garantir la liberté d’exercice du culte de ces publics se trouvant dans une situation particulière, la personne publique engage sa responsabilité. Le Conseil d’État a ainsi mis en cause de la responsabilité de l’État pour ne pas avoir agréé des ministres du culte en nombre suffisant pour permettre à toute personne détenue la pratique du culte qu’elle revendique (CE, 16 octobre 2013, Garde des Sceaux c/ M. F. et autres, n°351115, s’agissant d’une personne détenue, témoin de Jéhovah). Saisi, dans le cadre d’une procédure de référé-liberté, de la décision de fermeture d’une salle utilisée pour la prière dans le bâtiment d’une résidence universitaire, le Conseil d'État a, en revanche, refusé de faire droit aux conclusions des requérants dès lors, d’une part, que la fermeture était justifiée par des considérations liées à la sécurité et, d’autre part, que l’administration était disposée à examiner les conditions de la mise à disposition de nouveaux locaux (JRCE, 6 mai 2008, M. M., n°315631).

Plus généralement, le Conseil d’État juge que ces publics captifs ne peuvent pas, en principe, être totalement privés du droit de pratiquer leur religion. Il a ainsi précisé que les personnes placées en cellule disciplinaire conservent, d'une part, le droit de s'entretenir avec un aumônier en dehors de la présence d'un surveillant et, d'autre part, le bénéfice de l'autorisation prévue par l'article R. 57-9-7 du code de procédure pénale de recevoir ou conserver en leur possession les objets de pratique religieuse et les livres nécessaires à leur vie spirituelle quand bien même les dispositions de l’article R. 57-7-44 prévoit que le placement en cellule disciplinaire emporte la suspension de l’accès aux activités (CE, 11 juin 2014, M. S., n°365237).

- La contribution financière des personnes publiques à l’entretien de certains lieux

L’article 13 de la loi de 1905 dispose que «L'État, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte » dont elles sont propriétaires.»

L’entretien des édifices cultuels nationalisés en 1789, c’est à dire la grande majorité des édifices catholiques qui sont demeurés la propriété de l’État, des départements et des communes et sont laissés gratuitement à la disposition des associations cultuelles par la loi de 1905, est ainsi pris en charge par la puissance publique.

Zoom

Financement public des travaux en lien avec des pratiques cultuelles : l’apport des décisions d’assemblée du 19 juillet 2011

La multiplication des contentieux relatifs à l’aide financière apportée par certaines collectivités territoriales pour la réalisation de travaux en lien avec des pratiques cultuelles a conduit le CE, par cinq décisions d’assemblée du 19 juillet 2011, à préciser les conditions dans lesquelles pouvait intervenir ce type d’aides. Il a ainsi rappelé qu’en application de la loi de 1905 les collectivités publiques peuvent financer les dépenses d’entretien et de conservation des édifices servant à l’exercice public d’un culte dont elles sont demeurées ou devenues propriétaires lors de la séparation des Eglises et de l’État mais aussi accorder des concours aux associations cultuelles pour des travaux de réparation d’édifices cultuels. En revanche, il leur est interdit d’apporter une aide à l’exercice d’un culte.

Ces principes laissent une certaine marge de manœuvre aux personnes publiques. Le Conseil d’État a ainsi jugé que, sous réserve de l’existence d’un intérêt public local et dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues, une personne publique pouvait par exemple prendre en charge des travaux d’aménagement de locaux appelés à être utilisés comme abattoir pour ovins afin d’y permettre l’exercice de pratiques à caractère rituel, compte tenu des impératifs d’ordre public liés à la protection de la salubrité publique et de la santé publique, dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte (CE, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n°309161).

De même, le juge administratif a estimé qu’une collectivité publique pouvait participer au financement de la construction d’un ascenseur destiné à faciliter l’accès des personnes à mobilité réduite à la basilique Notre-Dame de Fourvière compte tenu de l’intérêt public local, lié notamment à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique de son territoire, sous réserve toutefois, d’une part, que cet équipement ne soit pas destiné à l’exercice du culte et, d’autre part, que la participation financière de la collectivité ne soit pas versée à une association cultuelle et qu’elle soit exclusivement affectée au financement du projet, ce dernier point étant garanti par un engagement contractuel (CE, 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et P., n°308817).

Le Conseil d’État a fait application des principes dégagés dans ces décisions pour juger que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ne pouvait légalement refuser l’octroi d’une subvention à une association au seul motif qu’elle se livrait à des activités cultuelles alors que le projet au titre duquel le financement était sollicité ne présentait pas lui-même un caractère cultuel et que le versement des subventions accordées dans le cadre du programme s'accompagnait de la conclusion de conventions permettant de garantir que les subventions seraient exclusivement affectées au financement du projet à l’exclusion de toute activité cultuelle (CE, 26 novembre 2012, ADEME, n°344379).

En revanche, les subventions se rapportant à des cérémonies cultuelles demeurent prohibées quand bien même ces dernières présenteraient un intérêt culturel et économique et qu'en marge de ces processions sont organisées des manifestations à caractère culturel ou historique (CE, 15 février 2013, Association Grande confrérie de Saint Martial et autres, n°347049, s’agissant de l’organisation des ostensions septennales dans le Limousin).

b)      La neutralité, source d’obligations mais aussi de protection pour les agents

Le principe de neutralité des services publics justifie que des restrictions soient apportées à la liberté d’expression religieuse des agents publics dans l’exercice des fonctions sans pour autant permettre de discriminations à raison de leurs convictions religieuses.

- L’interdiction faite aux agents de manifester leur religion dans leurs fonctions

Le Conseil d’État a ainsi précisé que le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses (CE avis, 3 mai 2000, Demoiselle J. X., n°217017).

Le juge administratif est généralement saisi de ces questions dans le cadre du contentieux disciplinaire. La légalité de la sanction sera alors fonction de la nature de l’expression des convictions religieuses, du niveau hiérarchique de l’agent ainsi que des fonctions qu’il exerce ou encore des avertissements qui auraient déjà pu lui être adressés. La sanction doit également être proportionnée. Le Conseil d’État a ainsi confirmé la sanction prise à l’encontre d’un agent public qui faisait apparaitre son adresse électronique professionnelle sur le site d’une association cultuelle (CE, 15 octobre 2003, M. O., n°244428) ou encore qui avait distribué aux usagers des documents à caractère religieux à l’occasion de son service (CE, 19 février 2009, M. B., n° 311633). Le service public de l’enseignement fait l’objet d’une attention toute particulière compte tenu des risques de prosélytisme (CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, n°91.406, rec. p. 463 ; 3 mai 1950, Demoiselle Jamet, n°98.284, Rec. p. 247 ; CE Ass., Avis, 21 septembre 1972, n°309354).

Le fait que le service public soit confiée à une personne privée ne change pas la nature des obligations inhérentes à l’exécution du service public (CE, Sect., 31 janvier 1964, CAF de l’arrondissement de Lyon, Rec. p.76). La chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi rappelé, dans un arrêt du 19 mars 2013 CPAM de Seine-Saint-Denis, que « les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé » (Cass. Soc., 19 mars 2013, n°12-11.690, publié au bulletin).

- Le droit des agents publics au respect de leurs convictions religieuses .

Les exigences relatives à la laïcité de l’État et à la neutralité des services publics ne doivent pas conduire à la négation de la liberté de conscience dont les agents publics peuvent se prévaloir au même titre que les autres administrés. La liberté d’opinion notamment religieuse est d’ailleurs rappelée par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

L’avis Mlle Marteaux du 30 mai 2000 (précité) prohibe toute discrimination fondée sur la religion dans l’accès aux fonctions et le déroulement de carrière. Les convictions religieuses, surtout lorsqu’elles sont notoires, doivent être indifférentes au recrutement des fonctionnaires et agents publics. Dans une décision célèbre (CE, 10 mai 1912, Abbé Bouteyre, n°46.027, Rec. p. 561), le CE avait validé la décision du ministre d’écarter du concours d’agrégation de philosophie l’abbé Bouteyre, déclarant que les textes avaient pu légalement donner au ministre la possibilité de réserver ce concours aux candidats agréés par l’autorité administrative. Cette jurisprudence a été remise en cause par un avis de l’Assemblée du Conseil d’État du 21 septembre 1972 selon lequel aucun texte n’écarte plus désormais des fonctions de l’enseignement secondaire les personnels non laïcs.

De manière générale, la pratique d’une religion ne doit en aucun cas constituer un critère discriminant à l’encontre d’un candidat (CE, 25 juillet 1939, Demoiselle Beis, rec. p. 524) ou d’un agent contractuel prétendant à la titularisation (CE, 3 mai 1950, Demoiselle Jamet, précité). Un concours d’officiers de police a ainsi été annulé en raison des questions que le jury avait posées à un candidat sur son origine et sur ses pratiques confessionnelles ainsi que sur celles de son épouse (CE, 10 avril 2009, M. E.H., n°311888).

Le juge administratif veille également au respect de ces principes dans le cadre de la carrière des agents publics. Le Conseil d’État juge que ni l’appartenance à une religion, ni sa pratique à titre privé, même connue par les autres agents du service, ne peut justifier une mesure défavorable à l'encontre d'un agent comme une mauvaise appréciation sur une feuille de notation (CE, 16 juin 1982, Epoux Z., n°23277), une sanction (CE, 28 avril 1938, Demoiselle Weiss, au recueil p. 379) ou, a fortiori, un licenciement (CE, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, précité).

Certains aménagements du temps de travail des agents publics sont également autorisés au nom de la liberté religieuse dans la mesure où ces aménagements restent compatibles avec le bon fonctionnement du service public (JRCE, 16 février 2004, M. B., précité : autorisation d’absence refusée à raison des nécessités de service public). Une circulaire peut ainsi légalement déterminer la liste des fêtes religieuses pour lesquelles les agents peuvent solliciter une autorisation d’absence sans que cette dernière puisse être regardée comme exhaustive (CE, 12 février 1997, Melle H., n°125893).

3. La garantie d’un équilibre entre la libre expression des convictions religieuses des citoyens et la protection de l’intérêt général et de l’ordre public

Les normes constitutionnelles et conventionnelles rappellent que la liberté de religion ne saurait avoir une portée absolue. Qu’il s’agisse de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ou encore de la convention EDH, des restrictions à la liberté de religion sont toujours autorisées au nom, principalement, de la protection de l’ordre public. La Cour EDH laisse une grande marge de manœuvre aux États dans l’encadrement de l’expression religieuse (s’agissant de l’interdiction du voile en milieu scolaire et universitaire : CEDH, 4 décembre 2009, Dogru et Kervanci c/ France ; CEDH, 10 novembre 2005, Sahin c/ Turquie).

Le juge administratif contrôle la légalité des restrictions apportées à la libre expression des convictions religieuses et veille à leur stricte nécessité.

a)      Les motifs justifiant d’encadrer l’extériorisation des convictions religieuses

Dans la vie en société

Le juge administratif contrôle la légalité des mesures restreignant la libre expression des convictions religieuses ou refusant la reconnaissance des associations cultuelles à raison de la protection de l'ordre public.

L’encadrement des manifestations religieuses relève principalement du pouvoir de police administrative du maire, notamment compétent pour réglementer les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, comme les sonneries des cloches. La police du culte à l’intérieur de l’édifice est en revanche prise en charge par les autorités affectataires (CE, 24 mai 1938, Abbé Touron, Rec. p. 462).

Les autorités de police administratives sont également compétentes pour réglementer les conditions de l’abattage rituel d’animaux s’agissant par exemple de la création d’un agrément des organismes religieux susceptibles d’habiliter des sacrificateurs (CE 25 novembre 1994, association cultuelle israélite Cha’are Shalom Ve-Tsedek, n°110002). S’agissant de l’abattage rituel, le Conseil d’État a également rappelé que le principe de laïcité impose l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et le respect de toutes les croyances, mais aussi que la République garantisse le libre exercice des cultes. Il a, dès lors, jugé que la possibilité de déroger à l'obligation d'étourdissement préalable pour la pratique de l'abattage rituel ne porte pas atteinte au principe de laïcité (CE, 5 juillet 2013, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, n°361441).

Conformément à la jurisprudence Benjamin, le juge administratif s’assure toutefois que les mesures prises sont strictement nécessaires au maintien de l’ordre public. Le Conseil d’État a ainsi annulé l’arrêté d’un maire qui avait interdit au clergé revêtu d’habits sacerdotaux d’accompagner à pied des convois funèbres (CE, 19 février 1909, Abbé Olivier, n°27355, au recueil) ou encore l’arrêté préfectoral interdisant toute cérémonie et tout office religieux dans un bâtiment à l'intention, notamment, des personnes y ayant leur résidence (CE, 14 mai 1982, Association internationale pour la conscience de Krisna, n°31102).

Le Conseil d’État a jugé que le refus opposé à une association cultuelle de lui accorder la location d'une salle municipale, surtout lorsqu'il est consécutif à d’autres refus de même nature opposés à des associations identiques et annulés précédemment par le juge administratif, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion dès lors que la commune ne fait état d’aucune menace à l’ordre public, mais seulement de considérations générales relatives au caractère sectaire de l’association, ni d’aucun motif tiré des nécessités de l’administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services (JRCE, 30 mars 2007, Ville de Lyon, n° 304053).

Des considérations d'ordre public peuvent également justifier le rejet d'une demande de reconnaissance du statut d’association cultuelle.

Conformément aux articles 1er, 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905, les associations qui revendiquent le statut d’association cultuelle, en premier lieu, doivent avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte, en deuxième lieu, ne peuvent mener que des activités en relation avec cet objet telles que l’acquisition, la location, la construction, l’aménagement et l’entretien des édifices servant au culte ainsi qu’à l’entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l’exercice du culte et, en troisième lieu, ne peuvent bénéficier de ce statut si certaines des activités de l’association peuvent porter atteinte à l’ordre public.

Ce statut présente certains avantages notamment en matière fiscale qui incite les religions dites nouvelles ou les sectes à en réclamer le bénéfice.

Le Conseil d’État a été amené à juger de la qualité d’association cultuelle (CE, Ass., 1er février 1985, Association chrétienne Les témoins de Jéhovah de France, n°46488, au recueil) mais aussi de la légalité de décisions de refus prises au motif de l’existence de troubles à l’ordre public. Le juge administratif a ainsi confirmé le refus de l’État de conférer le statut d’association cultuelle au mouvement du « Vajra triomphant » à raison des procédures pénales engagées contre son fondateur et contre certaines associations dont elle était proche (CE, 28 avril 2004, Association cultuelle du Vajra Triomphant, n°248467). Dans d’autres cas d’espèce, il a admis le caractère cultuel de certains associations (CE, 23 juin 2000, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/ Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Clamecy, n°215109).

Dans les relations avec les usagers du service public

La neutralité du service public est le corollaire du principe d’égalité qui régit le fonctionnement des services publics et implique notamment l’égal accès des usagers au service public et leur égal traitement. Elle garantit tout à la fois la liberté de conscience, de religion et l’absence de discrimination.

La qualité d’usager du service public n’implique par en elle-même, aucune limitation à la liberté de d’opinion et de croyance, ni à la possibilité de les exprimer. Si un devoir de stricte neutralité s’impose à l’agent des services publics, qui incarne un service qui doit lui-même être neutre, les usagers ont, a priori, le droit d’exprimer leurs convictions religieuses.

Des restrictions à la liberté des usagers des services publics de manifester leur conviction peuvent toutefois être envisagées. Elles résultent alors soit de textes particuliers soit de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service public.

L’exemple le plus significatif est l’article L. 141-15-1 du code de l’éducation, créé par la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics qui interdit aux élèves de ces établissements, usagers du service, le port de signes ou tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse (ex : voile, kippa, grande croix) ou ceux dont le port manifeste ostensiblement une appartenance religieuse en raison du comportement de l'élève.

Le Conseil d’État avait admis, préalablement à l’intervention du législateur, le principe d’un encadrement de la liberté religieuse des élèves sous réserve qu’il ne conduise pas à une interdiction générale et absolue de porter des signes distinctifs qui serait contraire à la liberté d’expression des élèves (CE, 2 novembre 1992, Kherouaa, n°130394).

Depuis l’adoption de cette loi, le Conseil d’État a notamment confirmé la sanction prise à l’encontre d’une jeune femme qui avait systématiquement refusé de retirer un bandana et ainsi donné à ce dernier le caractère d’un signe manifestant de manière ostensible son appartenance religieuse (CE, 5 décembre 2007, M. et Mme G., n°295671). Il a également jugé que le « keshi » sikh, bien qu’il soit d’une dimension plus modeste que le turban traditionnel et de couleur sombre, ne peut être qualifié de signe discret et que, par suite, le seul port de ce signe manifeste ostensiblement l'appartenance à la religion sikhe de celui qui le porte (CE, 5 décembre 2007, M. S., n°285394).

La CEDH a confirmé la conformité à la CESDH de mesures d’expulsion d’un établissement scolaire intervenues en application de la loi de 2004 (CEDH, 4 décembre 2009, affaires Dogru et Kervanci c. France).

Par ailleurs, le principe de laïcité interdit « à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers » (Conseil constitutionnel, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n°2004-505 DC). Le Conseil d’État considère ainsi que ni les dispositions de l’article 10 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ni les stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ne justifie qu’un individu puisse être dispensé, compte tenu de ses pratiques religieuses, de figurer tête nue sur les photographies destinées à l’établissement de la carte nationale d’identité (CE, 15 décembre 2006, Association United Sikhs et Mann Singh, n°289946 ; CE, 27 juillet 2001, Fonds de défense des Musulmans en justice, n°216903).

b)      La prise en compte de pratiques radicales dans l’examen de situations individuelles

Si la neutralité de l’État implique que l’administration soit indifférente à la question religieuse, le juge administratif accepte néanmoins que l’administration tienne compte de pratiques religieuses jugées radicales dans l’examen de situations individuelles.

L’indifférence de l’État à l’égard de la religion s’exprime ainsi chaque fois que l’administration ou le juge tranchent une question de droit sans égard pour l’objet religieux de la demande ou le caractère religieux du demandeur. L’application de la norme juridique est en principe indifférente au fait religieux, pour des raisons d’égalité devant la loi.

Le Conseil d’État accepte, cependant, que l’administration tienne compte, dans le cadre du traitement de certaines demandes, de pratiques religieuses particulièrement radicales.

Il a ainsi rejeté le recours dirigé contre une décision de refus d’agrément opposé, dans le cadre d’une procédure d’adoption d’un pupille de l’État, à un couple ayant fait connaître leur adhésion personnelle à la doctrine des Témoins de Jéhovah en matière de transfusion sanguine et leur opposition à l'usage de cette méthode thérapeutique (CE, 24 avril 1992, Département du Doubs c/ Epoux F., n°110178, au recueil).

Le Conseil d’État a également jugé que l’adhésion à certaines pratiques radicales pouvait constituer un « défaut d’assimilation » au sens de l’article 21-4 du code civil qui prévoit que le Gouvernement peut, par décret en Conseil d’État, s’opposer à la déclaration acquisitive de nationalité française d’un conjoint de Français. Saisi d’une affaire portant sur l’épouse d’un ressortissant français se réclamant du courant salafiste et revendiquant notamment le port du niqab, le Conseil d’État a relevé que la requérante avait « adopté une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe d’égalité des sexes » (CE, 27 juin 2008, Mme M., précité). Le seul port du voile ne peut, en revanche, justifier, à lui seul un défaut d’assimilation (CE, 19 novembre 1997, B.H., n°169368 ; CE, 3 février 1999, Mme E.Y., n°161251).

La nécessaire neutralité des pouvoirs publics à l’égard des convictions religieuses de chacun admet donc des limites qui ne tiennent pas uniquement à la protection de l’ordre public dans sa conception classique. Le Conseil constitutionnel a confirmé cette évolution dans sa décision du 7 octobre 2010 relative à la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public n°2010-613 DC). Il a ainsi jugé : « que les articles 1er et 2 de la loi déférée ont pour objet de répondre à l’apparition de pratiques, jusqu’alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l’espace public ; que le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu’il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ; qu’en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l’ordre public ».