Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Retrouvez ci-dessous l'analyse juridique que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.
CONSEIL D’ÉTAT
Séance du 13 mai 2015
Assemblée générale
Section de l'administration
EXTRAIT DU REGISTRE
N° 390047 DES DELIBERATIONS
Avis sur projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense
1 - Le Conseil d’Etat a été saisi le 6 mai 2015 d’un projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Cette saisine a été modifiée et complétée par deux saisines rectificatives reçues le 7 mai et le 12 mai 2015.
2 - Ce projet de loi comporte cinq chapitres.
Le chapitre Iercomporte plusieurs articles dont l’objet consiste à actualiser la programmation militaire pour les années 2015 à 2019.
Le chapitre II autorise, pour tirer les conséquences de deux arrêts du 2 octobre 2014 de la Cour européenne des droits de l’homme, la création d’associations professionnelles nationales de militaires et définit le régime de ces associations.
Le chapitre III comporte des dispositions relatives aux ressources humaines, en matière de gestion des personnes, de positions statutaires et d’accès des militaires à la fonction publique civile.
Le chapitre IV institue, à titre expérimental, pour une durée maximale de deux ans, un service militaire volontaire visant à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes de dix-sept à vingt-cinq ans.
Enfin, le chapitre V, relatif aux dispositions diverses et finales, comporte notamment des dispositions concernant la situation des appelés vis-à-vis des obligations de service national et quinze mesures habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.
3 - Le projet de loi a fait l’objet de diverses améliorations rédactionnelles. Il appelle, par ailleurs, de la part du Conseil d’Etat, les observations suivantes.
Sur les consultations
4 - Le Conseil d’Etat a relevé que le projet de loi avait fait l’objet, ainsi qu’il devait le faire, de la consultation du Conseil national d’évaluation des normes et du Conseil commun de la fonction publique sur les dispositions du chapitre III visant à ouvrir plus largement les accès de la fonction publique aux militaires.
Il a estimé en outre que ce projet qui actualise la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 ne revêtait pas le caractère d’un projet de programmation à caractère économique, social et environnemental et que ne revêtaient pas davantage ce caractère ses dispositions non normatives relatives au service militaire volontaire. Ce texte n’avait donc pas à être soumis au préalable, même en partie, à l’avis du Conseil économique, social et environnemental.
Sur la structure générale du projet de loi
5 - Ainsi que le Conseil d’Etat l’a déjà observé dans plusieurs de ses avis, la coexistence, au sein d’un même texte, de dispositions de programmation, de dispositions normatives et de dispositions d’habilitation ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, dès lors que, comme dans le présent projet, les dispositions de programmation sont clairement séparées des autres dispositions.
Le Conseil d’Etat a relevé qu’en l’espèce, comme dans la précédente loi de programmation militaire, le nombre d’articles normatifs était important, étant précisé cependant que certains avaient un rapport direct avec l’objet de la programmation, à la mise en œuvre de laquelle ils contribuent, et que les autres étaient relatifs à la défense et à la sécurité nationale.
Sur le chapitre Ier (dispositions portant actualisation de la programmation militaire pour les années 2015 à 2019)
Sur la méthode d’actualisation de la loi de programmation militaire
6 - Le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’y avait pas d’obstacle constitutionnel à ce que, sur le fondement de l’antépénultième alinéa de l’article 34 de la Constitution, une loi de programmation vienne actualiser les objectifs et les moyens d’une précédente loi de programmation, en l’occurrence la loi du 18 décembre 2013. Il lui est apparu toutefois nécessaire que l’actualisation prenne la même forme pour le rapport annexé et pour le dispositif du chapitre Ier de la loi de 2013. Par suite, la rédaction retenue par le Conseil d’Etat a substitué aux articles 3 et 5 de la loi de programmation du 18 décembre 2013 une rédaction nouvelle intégrant la nouvelle programmation.
Sur le fond
7 - Bien que dépourvus de caractère normatif, les nouveaux objectifs fixés par le projet de loi d’actualisation dont le Conseil d’Etat était saisi ne sauraient pour autant méconnaître des normes et principes constitutionnels, ni s’avérer incompatibles avec les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En outre, le Conseil d’Etat a estimé que l’actualisation de la loi de programmation militaire ne conduisait pas le Gouvernement à méconnaître les engagements européens de la France. De même, il a estimé, au vu de l’étude d’impact qui a été complétée en ce sens à sa demande, que cette actualisation ne s’écartait pas de l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques mentionné à l’article 34 de la Constitution et que la loi de programmation militaire, ainsi actualisée, ne faisait pas apparaître d’incohérence manifeste avec la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.
8 - En revanche, le Conseil d’Etat n’a pu retenir deux alinéas de l’article 3 du projet du Gouvernement sur les conditions de financement de la programmation, qui auraient constitué un empiètement sur le domaine exclusif des lois de finances. Il les a, par suite, transférés dans le rapport annexé. De même, les dispositions de l’article 5 du projet tendant au dépôt d’un nouveau projet de loi d’actualisation en 2017, qui auraient constitué des injonctions au Gouvernement, ont été remplacées par la rédaction suivante : « Les dispositions des articles 3 et 5 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, dans leur rédaction résultant des articles 2 et 3 de la présente loi, font l'objet d’un rapport d’évaluation en 2017 en vue, le cas échéant, d'une nouvelle actualisation ».
Sur le chapitre II (dispositions relatives aux associations professionnelles nationales de militaires)
9 - Le droit public français a, de longue date, interdit aux militaires de créer des groupements à caractère professionnel ou syndical ou d’adhérer à de tels groupements. Cette interdiction est actuellement posée par L. 4121-4 du code de la défense. La Cour européenne des droits de l’homme a toutefois estimé, par deux rendus le 2 octobre 2014 (Matelly c/France, n° 10609/10 et ADEFDROMIL c/France, n° 32191/09), que cette interdiction générale méconnaissait les stipulations, relatives au droit d’association, de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tout en admettant que pour les membres des forces armées, des « restrictions légitimes » puissent être apportées par les Etats à la liberté d’association.
10 - Le projet de loi prévoit par conséquent d’instituer un droit d’association professionnelle adapté à l’état militaire, à l’exclusion de tout droit syndical. Tout militaire pourrait ainsi créer et adhérer librement à une association professionnelle nationale de militaires (APNM) régie par le code de la défense et, en tant qu’elles n’y sont pas contraires, par les dispositions de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Ces associations, qui auraient un champ d’action exclusivement national et devraient représenter les militaires sans distinction de grade, auraient pour seul objet de préserver et promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire, en toute indépendance et dans le respect des obligations s’imposant aux militaires, à peine de dissolution judiciaire. Les APNM pourraient, dans certaines limites, agir en justice ou se constituer partie civile. Celles qui satisfont à certaines conditions de représentativité, en particulier un effectif d’adhérents suffisant, auraient vocation à être entendues par les autorités civiles et militaires compétentes au niveau national. Parmi les associations représentatives, celles qui représentent les militaires d’au moins deux forces armées ou formations rattachées pourraient siéger au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM). Le projet de loi envisage, plus largement, de rénover le cadre institutionnel du dialogue entre les militaires et les autorités dont ils relèvent.
11 - Le Conseil d’Etat a estimé que le projet de loi, en créant cette catégorie particulière d’associations disposant de droits, mais aussi soumises à des restrictions, assurait une conciliation équilibrée entre, d’une part, le respect d’exigences constitutionnelles telles que la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et la nécessaire libre disposition de la force armée et, d’autre part, la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République.
12 - Le régime des APNM ne lui a pas semblé davantage méconnaître l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le Conseil d'Etat a admis, en particulier, que la disposition interdisant de contester la légalité des mesures d'organisation des forces armées et des formations rattachées puisse être regardée comme une « restriction légitime » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette disposition est au demeurant cohérente avec la jurisprudence selon laquelle les recours dirigés contre des mesures d’organisation du service ne sont en principe pas recevables. S’agissant de la disposition autorisant les associations professionnelles nationales de militaires à exercer tous les droits reconnus à la partie civile concernant des faits dont elles sont personnellement et directement victimes, il a relevé qu’elle ne s’éloignait pas du contenu de l’article 2 du code de procédure pénale.
13 - Le Conseil d’Etat a estimé utile de maintenir dans la loi le principe selon lequel, à l’exclusion des nouvelles associations, l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire.
14 - Le Conseil d’Etat a estimé nécessaire de préciser que non seulement l’activité, mais aussi les statuts des APNM ne pouvaient porter atteinte aux valeurs républicaines et aux principes fondamentaux de l’état militaire. La procédure de dissolution judiciaire lui a, par conséquent, paru devoir être étendue aux cas de non-conformité des statuts à la loi et limitée, en ce qui concerne l’activité des APNM, aux hypothèses de refus caractérisé d’une association de se conformer aux obligations auxquelles elle est soumise. Les simples manquements des militaires aux règles régissant les APNM relèvent des règles de la discipline militaire sous le contrôle du juge administratif.
15 - S’agissant de l’article qui renvoie au pouvoir réglementaire le soin de préciser les conditions d’application des nouvelles dispositions législatives, le Conseil d’Etat a estimé que les seuils de représentativité des associations devaient être fixés par décret en Conseil d’Etat et non par arrêté du ministre de la défense. Ces seuils devraient être exprimés notamment en proportion d’adhérents au regard des effectifs de militaires appartenant respectivement à la force armée, à la formation rattachée, aux forces armées ou aux formations rattachées dans lesquelles l’association entend exercer son activité. Le décret en Conseil d’Etat pourra comporter des dispositions transitoires permettant de fixer ces seuils sous forme de fourchettes, le nombre d’associations susceptibles de se créer n’étant pas à ce jour facilement déterminable.
16 - Enfin, le Conseil d’Etat n’a pas retenu une disposition qui envisageait de définir, au sein de la quatrième partie du code de la défense, la notion de « formations rattachées », cette définition ne trouvant pas sa place dans cette partie du code. Il a écarté également, comme ne relevant pas du domaine de la loi, une disposition prévoyant que le rapport annuel du Haut comité d’évaluation de la condition militaire porte une appréciation sur la qualité du dialogue organisé au niveau national avec les associations professionnelles nationales de militaires représentatives.
Sur le chapitre III (dispositions relatives aux ressources humaines)
17 - Ce chapitre, divisé en trois sections relatives à la gestion des personnels, aux positions statutaires et à l’accès des militaires à la fonction publique, comporte diverses dispositions de nature à faciliter les restructurations en cours au sein du ministère de la défense, en adaptant les évolutions de la pyramide des personnels, en favorisant les possibilités de reconversion et en élargissant les possibilités d’accès au trois fonctions publiques. Une disposition vise à répondre aux objectifs de la fonction protection en assouplissant les conditions d’emploi des réservistes opérationnels. Ces mesures ne se heurtent à aucune objection.
18 - Le Conseil d’Etat s’est en revanche interrogé sur l’extension de la notion de « Congé du blessé », attribué au militaire blessé en « opérations extérieures », au militaire blessé en « opération de sécurité intérieure visant à la défense de la souveraineté de la France ou à la préservation de l’intégrité de son territoire », dont le champ d’application était seulement défini, dans le projet soumis à son examen, par un arrêté interministériel. Le Conseil d’Etat, tout en respectant la finalité poursuivie par le projet, a estimé qu’il convenait, aux fins de ne méconnaître ni la compétence du législateur, ni le principe d’égalité, de définir dans la loi les caractères des opérations intérieures en cause, à savoir celles et seulement celles d’une intensité et d’une dangerosité particulières, assimilables aux caractères d’une opération extérieure, ainsi par exemple la lutte contre l’orpaillage en Guyane, la loi se bornant à renvoyer à l’arrêté le soin de désigner les opérations concernées.
19 - Par ailleurs, le Conseil d’Etat a considéré qu’il était possible de lever la condition de nationalité prévue à l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 pour les anciens militaires de la Légion étrangère, à condition cependant d’exclure l’accès aux emplois dont les attributions soit ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté, soit comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique.
Sur le chapitre IV (dispositions relatives à l’expérimentation d’un service militaire volontaire)
20 - Le Conseil d’Etat a estimé que le législateur était bien compétent pour instaurer, sur le fondement des articles 34 et 37-1 de la Constitution, un service militaire volontaire en métropole à titre expérimental.
21 - Il a toutefois considéré que si le cadre de l’expérimentation et ses caractéristiques (nature des activités, nombre de bénéficiaires, durée de l’expérimentation) ainsi que les règles générales régissant cette forme particulière de service national (statut des bénéficiaires et des militaires d’encadrement) devaient être fixés par la loi, il convenait, pour le surplus, de renvoyer, en tant que de besoin, l’édiction des autres règles au décret en Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat s’est par suite attaché à distinguer dans ce chapitre les règles relevant de l’article 34 et celles relevant de l’article 37 (par exemple, les dispositions détaillées sur le contenu du service militaire volontaire…).
22 - Enfin, le Conseil d’Etat a estimé qu’une disposition expresse devait être introduite dans le projet de loi afin de préserver le service militaire adapté, lequel ne sera pas affecté par l’expérimentation du service militaire volontaire.
Sur le chapitre V (dispositions diverses et finales)
23 - S’agissant des articles relatifs aux obligations des appelés du service national et modifiant plusieurs articles du code du service national, le Conseil d’Etat a considéré qu’il était inutile de poser expressément dans la loi l’interdiction de porter, lors de la journée défense et citoyenneté prévue à l’article L. 114-3 de ce code, des signes ou tenues par lesquels les participants à cette journée manifesteraient ostensiblement une appartenance religieuse. Il a relevé qu’en vertu de l’article L. 114-10 du même code, les jeunes Français tenus de participer à cette journée ont la qualité d’appelés du service national et sont placés sous la responsabilité de l’Etat. Malgré la courte durée de leur qualité d’appelés, ils sont soumis, pendant cette journée, à l’ensemble des obligations des agents publics, notamment à l’obligation de neutralité (CE, Avis, 3 mai 2000, Melle Marteaux, n° 127017). La disposition législative envisagée, qui ne ferait que confirmer l’état actuel du droit, pourrait en revanche susciter a contrario, en l’absence de disposition analogue, des questions sur l’étendue des obligations pesant sur les autres agents publics. L’article R.* 112-15 du code du service national rappelle d’ailleurs déjà, dès maintenant, que les appelés sont astreints à une obligation de neutralité et de laïcité.
24 - Le Conseil d’Etat a, par ailleurs, estimé que plusieurs mesures incluses dans l’article d’habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine de la loi n’avaient pas leur place dans un tel article. En effet, il a estimé que certaines de ces mesures ne relevaient pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire (dispositions relatives aux cimetières militaires). Par ailleurs, d’autres mesures d’habilitation, dont le contenu, explicité par l’exposé des motifs et l’étude d’impact, est déjà défini et dont la portée est limitée, doivent être transformées en dispositions directement normatives, le recours à une ordonnance étant, dans une telle hypothèse, non seulement inutile, mais encore étranger à l’objet même de l’article 38 de la Constitution.
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du mercredi 13 mai 2015.