Le Conseil d’État valide la modification de la recommandation temporaire d’utilisation du baclofène pour la prise en charge de l’alcoolo-dépendance
L’Essentiel :
• Un particulier a demandé au Conseil d’État d’annuler la décision du 24 juillet 2017 du directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui a modifié la recommandation temporaire d’utilisation du baclofène dans la prise en charge des patients alcoolo-dépendants. Cette modification a consisté à abaisser la posologie maximale de 300 milligrammes à 80 milligrammes par jour.
• Par la décision du jour, le Conseil d’État rejette la demande, en précisant que la décision de l’ANSM n’interdit pas aux médecins de prescrire le baclofène à un dosage plus élevé pour ceux de leurs patients pour lesquels il jugerait le bénéfice supérieur aux risques ni aux pharmaciens de délivrer ce traitement dans ce type de cas.
Les faits et la procédure :
Le 24 juillet 2017, le directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a modifié la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) du baclofène dans la prise en charge des patients alcoolo-dépendants, dans les indications d’aide au maintien de l’abstinence après sevrage chez les patients dépendants à l’alcool et de réduction majeure de consommation d’alcool chez les patients alcoolo-dépendants à haut risque. Cette modification a consisté à abaisser la posologie maximale de 300 milligrammes à 80 milligrammes par jour.
Un particulier a demandé au Conseil d’État d’annuler cette décision du 24 juillet 2017 et d’enjoindre à l’ANSM et au ministre des solidarités et de la santé d’informer les professionnels de santé de la suspension de cette décision et de la possibilité de prescrire et de délivrer du baclofène à des doses plus élevées.
La décision de ce jour :
Par la décision du jour, le Conseil d’État rejette la requête.
Dans sa décision, le Conseil d’État rappelle tout d’abord qu’une RTU peut être adoptée par l’ANSM, pour sécuriser un usage d’un médicament « hors AMM » (hors autorisation de mise sur le marché), lorsqu’il est possible de présumer que le rapport entre le bénéfice attendu et les effets indésirables encourus est favorable. Inversement, l’ANSM peut modifier une RTU existante en cas de « suspicion de risque pour la santé publique ».
Le Conseil d’État précise la finalité poursuivie par les RTU et leur portée vis-à-vis des médecins prescripteurs et des pharmaciens. Il indique à cet effet qu’eu égard au développement de la pratique de prescription de certaines spécialités en dehors des indications ou des conditions d’utilisation de leur autorisation de mise sur le marché, aux bénéfices susceptibles d’en être attendus ainsi qu’aux risques courus, le législateur a entendu, par l’élaboration de RTU, renforcer les garanties associées à cette pratique par la mise à disposition des médecins, par l'ANSM, d’informations relatives notamment aux bénéfices attendus de la spécialité et aux risques courus dans l’indication ou les conditions d'utilisation en cause et par la mise en place d’un suivi des patients.
Il rappelle toutefois que l’élaboration d’une telle RTU ne dispense pas chaque médecin prescripteur de s’assurer que le recours à la spécialité faisant l’objet de la recommandation est indispensable pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient et, inversement, qu’elle ne lui interdit pas de prescrire la spécialité en dehors des indications ou des conditions d’utilisation mentionnées par la recommandation, dans les conditions et sous les réserves prévues par le deuxième alinéa du I de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique (CSP). Le Conseil d’État rappelle de même que s’il appartient au pharmacien, en vertu de l’article R. 4235-61 du CSP, de refuser de dispenser un médicament, le cas échéant en en informant le prescripteur, lorsque l’intérêt de la santé du patient lui paraît l’exiger, le seul fait que la spécialité ait été prescrite à un patient en dehors de l'indication ou des conditions d'utilisation prévues par une RTU n’interdit pas au pharmacien de la délivrer dans le respect de cette obligation déontologique.
Après avoir posé ces principes, le Conseil d’État les applique à la spécialité en litige, le baclofène. Il relève que s’il existe des études montrant l’intérêt du recours au baclofène pour réduire la consommation d’alcool de patients ayant une consommation à haut risque (telle l’étude dite Bacloville de 2016), ce recours peut toutefois être associé à des effets indésirables graves. Il note à cet égard que l’étude de la CNAM, de l'ANSM et de l'INSERM de juin 2017 intitulée "Le Baclofène en vie réelle en France entre 2009 et 2015. Usages, persistance et sécurité, et comparaison aux traitements des problèmes d'alcool ayant une autorisation de mise sur le marché" fait soupçonner que ces effets indésirables augmentent avec la dose prescrite, alors que celle-ci ne dépasse pas 80 milligrammes par jour, en dehors d’une administration en milieu hospitalier, dans les indications pour lesquelles les spécialités Baclofène Zentiva et Lioresal bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché. En outre, le Conseil d’État constate qu’alors que la RTU établie en 2014, avant sa révision en mars 2017, encadrait fortement les conditions d’augmentation de la dose prescrite aux patients dépendants à l’alcool, le baclofène était prescrit à des patients présentant ce type de pathologie le plus souvent en dehors des conditions d’utilisation qu’elle prévoyait.
Le Conseil d’État juge qu’en l’espèce, eu égard à l’objet d’une RTU tel que rappelé ci-dessus, le directeur général de l’ANSM n’a pas entaché son appréciation d’une erreur manifeste en estimant qu’existait, en l’état des connaissances scientifiques et des informations disponibles, une suspicion de risque pour la santé publique conduisant à considérer qu’il n’était pas possible de définir de façon générale les conditions d’utilisation dans lesquelles serait présumée, pour les posologies supérieures à celle de 80 milligrammes l’existence d’un rapport favorable entre, d’une part, le bénéfice attendu de l’usage du baclofène dans la prise en charge des patients dépendants à l’alcool et, d’autre part, les effets indésirables encourus.
C’est donc seulement sur le fondement du second alinéa du I de l’article L. 5121-12-1 du CSP qu’une prescription à une dose plus élevée peut intervenir, au profit de certains patients pour lesquels elle présenterait des bénéfices supérieurs aux risques eu égard notamment à la gravité des conséquences de l’alcoolisme et à l’échec des autres traitements disponibles. En outre, constatant que si la décision de modification de la RTU ne réserve pas la situation particulière des patients qui au moment de son adoption, suivaient un traitement reposant sur une posologie supérieure à celle de 80 milligrammes par jour, alors qu’un traitement au baclofène ne peut, sans risque, être diminué de façon brutale, le Conseil d’Etat juge que la poursuite d’un traitement pendant la durée nécessaire à la réduction progressive de la posologie ne peut qu’être regardée comme indispensable à la stabilisation de l’état clinique des patients considérés, justifiant temporairement une prescription non conforme à l’autorisation de mise sur le marché et à la recommandation temporaire d’utilisation ainsi modifiée.
Enfin, le Conseil d’État précise que cette décision de modification de la posologie maximale de la recommandation temporaire d’utilisation a été prise dans l’attente de l’aboutissement de l’instruction de la demande d’autorisation de mise sur le marché présentée pour une spécialité à base de baclofène dans le traitement de la dépendance à l’alcool et qu’il incombe au directeur général de l’agence de réexaminer régulièrement, en fonction des l’évolution des connaissances scientifiques et des autres informations disponibles, son appréciation du rapport présumé entre, d’une part, le bénéfice attendu de l’usage du baclofène dans la prise en charge des patients dépendants à l’alcool et, d’autre part, les effets indésirables encourus.