Le Conseil d'État annule l'autorisation délivrée par l'Autorité de la concurrence.
> Lire les décisions n°363978 et 363702
L'essentiel
Les sociétés M6 et TF1 ont demandé au Conseil d'État d'annuler la décision par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé le rachat de Direct 8 et Direct Star par les groupes Vivendi Universal et Canal +.
Le Conseil d'État annule l'autorisation pour un vice de forme et indique qu'elle était également partiellement illégale sur le fond. L'annulation vaut pour l'avenir à compter du 1er juillet 2014.
Par voie de conséquence, le Conseil d'État annule partiellement l'agrément qu'avait donné le Conseil supérieur de l'audiovisuel à l'opération d'acquisition en s'appuyant en partie sur la décision de l'Autorité de la concurrence.
Les faits à l'origine de la procédure
Par un protocole d’accord signé le 1er décembre 2011, le groupe Bolloré s’est engagé à apporter au groupe Vivendi 60 % du capital des sociétés Direct 8 et Direct Star et 100 % du capital des sociétés Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia.
Pour avoir lieu, cette opération de concentration devait être autorisée par l'Autorité de la concurrence et agréée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
L'Autorité de la concurrence, chargé d’apprécier l’incidence de l’opération sur la situation concurrentielle des marchés concernés, peut assortir son autorisation d'injonctions ou de prescriptions, ou encore la subordonner à la réalisation effective d’engagements pris devant elle par les parties. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, chargé d’apprécier les effets de l’opération au regard de l’intérêt du public et du pluralisme des courants d'expression, peut lui aussi subordonner son agrément à la mise en œuvre d’engagements pris par les parties ou au respect d’obligations fixées par lui.
Par une décision n° 2012-DCC-101 du 23 juillet 2012, l'Autorité de la concurrence a autorisé l'opération sous réserve de la réalisation effective des engagements pris par les parties. Ces engagements visaient à réduire les effets potentiellement anti-concurrentiels d'un tel rachat.
Le CSA a donné son agrément par une délibération du 18 septembre 2012.
Les sociétés Métropole Télévision (M6) et Télévision Française 1 (TF1), concurrentes de Canal+, ont demandé au Conseil d'Etat d'annuler l'autorisation délivrée par l'Autorité de la concurrence. M6 lui a également demandé d'annuler la délibération du CSA.
Les décisions du Conseil d'Etat
L'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence
Après un examen approfondi des dossiers ayant donné lieu à une audience d'instruction au cours de laquelle l'ensemble des parties ont été entendues, le Conseil d'Etat a annulé l'autorisation donnée par l'Autorité de la concurrence au rachat en raison d'un vice substantiel de procédure. En effet, le code de commerce prévoit que les décisions d'autorisation relatives à des opérations de concentration faisant l'objet d'un examen approfondi doivent être adoptées par une formation collégiale et non par le seul président de l'Autorité. Or si le collège de l'Autorité de la concurrence a, le 2 juillet 2012, entendu les parties, délibéré de leurs propositions d'engagement et adopté une première décision sur les effets anticoncurrentiels de l’opération et les mesures correctives à prendre, il ne s'est pas réuni ensuite pour délibérer collégialement des derniers engagements présentés, en fin de procédure, en réponse à cette première décision. Le Conseil d'Etat, constatant que ces derniers engagements sont pourtant intégrés dans la décision finale d'autorisation, en a déduit que le principe de collégialité n'a pas été respecté.
En outre, le Conseil d'Etat a estimé que l'Autorité de la concurrence avait commis une erreur d'appréciation en acceptant l'un des engagements des parties censé éviter le verrouillage des marchés de droits de rediffusion de films français en clair. Il a relevé que les droits de rediffusion exclusifs se négociaient dès le stade du préfinancement des films et que Canal+, compte tenu de sa position dominante sur les marchés de droits de diffusion de films français en télévision payante, disposait d'un effet de levier pour obtenir les droits exclusifs de rediffusion de ces films en clair. Il a estimé que l'engagement pris par Canal+ de ne pas acquérir pour plus de vingt films français par an les droits de diffusion à la fois en télévision payante et en clair n'était manifestement pas de nature à prévenir la réalisation dans un avenir proche de cet effet anticoncurrentiel.
En conséquence, le Conseil d'Etat a annulé la décision de l'Autorité de la concurrence autorisant la concentration.
Il a toutefois relevé que l'annulation immédiate de l'autorisation de concentration ôterait toute valeur contraignante aux engagements pris par les parties contenus dans cette décision, alors que l'opération de concentration avait eu lieu. Pour éviter un tel vide juridique, il a décidé que l'annulation prononcée ne prendrait effet qu'à compter du 1er juillet 2014 et ne vaudrait que pour l'avenir.
D'ici au 1er juillet 2014, il appartiendra à l'Autorité de la concurrence de réexaminer l'opération de concentration litigieuse et d’user, le cas échéant, de ses pouvoirs d’interdiction, d’injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements.
L’annulation de la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel
Le Conseil d’Etat a distingué différents aspects de la délibération du CSA.
En ce qui concerne l’appréciation favorable portée par le CSA sur les effets de l’opération en termes de diversification des opérateurs et de maintien des engagements pris par les deux sociétés rachetées quant à la diffusion et à la production d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques françaises et européennes, le Conseil d’Etat a écarté les différents arguments de la société M6.
Le Conseil d’Etat n’a pas non plus remis en cause l’agrément délivré par le CSA en tant que celui-ci a estimé que, compte tenu des engagements pris par le groupe Canal +, l’opération permettrait de préserver un accès équilibré au marché des droits de diffusion en clair de films français récents.
En revanche, le Conseil d’Etat a constaté que, pour estimer que l’opération permettait également de maintenir un accès équilibré aux autres marchés de droits ainsi qu’à la ressource publicitaire, le CSA s’était fondé sur l’existence d’engagements suffisants pris par les groupes Vivendi Universal et Canal+ devant l’Autorité de la concurrence, engagements qui avaient conduit cette Autorité à donner son autorisation à l’opération de concentration.
Dès lors qu’il annulait l’autorisation de l’Autorité de la Concurrence, le Conseil d’Etat ne pouvait qu’annuler partiellement, par voie de conséquence, l’agrément du CSA, dans la seule mesure où celui-ci ne contenait pas d’engagements suffisants pour assurer un accès équilibré de tous les opérateurs aux marchés de droits autres que le marché des droits de diffusion en clair de films français récents ainsi qu’à la ressource publicitaire.
Il appartiendra désormais au CSA de réexaminer ce seul aspect de la demande d’agrément, en tenant compte des nouvelles mesures correctives que l’Autorité de la concurrence est susceptible d’adopter d’ici au 1er juillet 2014, et en usant, le cas échéant, de ses pouvoirs propres qui lui permettent de ne délivrer l’agrément qu’à certaines conditions ou d’exiger des opérateurs concernés le respect de certains engagements.