Le Conseil d’Etat et la protection des droits fondamentaux

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Université de Nagoya, 27 octobre 2016

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Intervention de Jean-Marc Sauvé[1],

vice-président du Conseil d’Etat

 

Monsieur le vice-président de l’Université de Nagoya,

Monsieur le doyen de la Faculté de droit de Nagoya,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de m’exprimer aujourd’hui devant vous et je remercie tout particulièrement le vice-président de l’Université de Nagoya, le professeur Ichihashi, pour son invitation et son accueil bienveillant. Je remercie également très sincèrement le doyen Ishii et le professeur Hareyama.

La création de la juridiction administrative française a été l’« aboutissement »[2] d’une longue période de méfiance et, si j’ose dire, de défiance entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire incarné dans les Parlements d’Ancien régime. Le juge administratif est en effet né d’une conception radicale du principe de séparation des pouvoirs. Souhaitant éviter de nouvelles intrusions du juge dans le domaine exécutif, il a été formellement interdit au pouvoir judiciaire de « troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux [les juges] les administrateurs pour raison de leurs fonctions »[3] et « de connaître des actes d’administration »[4]. De cette interdiction est née en France la nécessité de repenser le contrôle de l’action administrative et de créer un juge spécialisé chargé de trancher les litiges qu’elle est susceptible de provoquer, car l’administration ne pouvait rester durablement sans contrôle externe. Le dualisme juridictionnel n’est pas une spécificité française, mais l’expansion de ce modèle, notamment en Europe[5], tout autant que son incontestable légitimité[6] ne sauraient nous dispenser d’une réflexion renouvelée sur l’étendue des compétences de chaque ordre juridictionnel, administratif et judiciaire, et sur leur impérative collaboration et communauté d’action. Plus encore que d’autres, la problématique des droits fondamentaux renforce aujourd’hui ce questionnement sur le dualisme juridictionnel. A l’instar de Jean Rivero, nous pouvons nous demander s’il est véritablement « rationnel » de confier à deux juridictions distinctes la protection des droits fondamentaux[7]. Cette coexistence est-elle bénéfique ou nuisible à la protection de ces droits ?[8] La Constitution française, dont le corps du texte se limite principalement à régir les rapports entre les pouvoirs publics, est assez discrète sur les droits fondamentaux et, hormis le fait que son préambule incorpore tout de même la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, elle se borne à préciser que « nul ne peut être arbitrairement détenu » et que l’autorité judiciaire « gardienne de la liberté individuelle,  assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi »[9]. Pour des raisons de terminologie alors en vigueur, aucune mention n’y est faite des droits fondamentaux - notion qui recouvre aussi bien des droits consacrés par les normes constitutionnelles et, notamment, le préambule de la Constitution, que des droits reconnus par les conventions internationales et notamment européennes[10] - ni de l’autorité chargée d’assurer leur protection et a fortiori du rôle du Conseil d’Etat dans ce cadre. Le Conseil d’Etat n’a pourtant jamais cessé, à coup « d’audaces prudentes »[11], de démentir le destin auquel sa création par un régime autoritaire pouvait le prédestiner. Gardien de la loi et protecteur des prérogatives de l’administration, il a dès l’origine été confronté à la nécessaire recherche d’un équilibre entre deux objectifs : d’une part, la régulation de la vie publique, d’autre part, la préservation des libertés et des droits de chacun – le premier objectif assurant, en réalité, les conditions de réalisation du second.

Par une jurisprudence prudente mais déterminée, le Conseil d’Etat a développé une jurisprudence protectrice des droits fondamentaux (I). Mais il s’appuie également sur des outils efficaces, qu’il a d’ailleurs contribué à créer, qui garantissent l’effectivité de sa protection, notamment en cette période d’état d’urgence (II).

 

I. Le Conseil d’Etat, qui a pu être qualifié de fruit du « péché originel » de l’absolutisme[12], s’est rapidement affranchi de l’ambiguïté de ses origines (A) pour développer une jurisprudence protectrice des droits fondamentaux (B).

A. Parce qu’il était partagé entre les exigences de l’action administrative et de l’ordre public et celles de la protection des droits fondamentaux[13], il pouvait apparaître mal armé pour s’affirmer dans cette seconde mission[14].

1. Le droit administratif, perçu comme un « droit de privilège »[15] « placé sous le signe de « l’unilatéralité »[16], a été de fait initialement conçu pour préserver les prérogatives de l’administration et assurer l’efficacité de son action.

Comme l’a souligné le professeur Jacques Chevallier, la soumission de l’Etat au droit ne relevait pas de l’évidence[17]. Les théories de la souveraineté, et notamment celle de l’école allemande[18], ne voient dans le droit qu’une « autolimitation » acceptée par l’Etat lui-même et dont la puissance « s’arrête là où l’intérêt supérieur de l’Etat commence »[19]. En France, le Conseil d’Etat, initialement érigé en protecteur de l’intérêt général et de l’ordre public, s’assurait principalement du bon fonctionnement de l’administration et n’était pas regardé comme un instrument au service du faible contre le fort ou de l’individu contre les autorités publiques. Sa consécration comme juridiction à part entière[20], exerçant à partir de la loi du 24 mai 1872 la justice déléguée[21], a certainement assuré la soumission de l’administration au droit, mais toujours dans le respect de ses prérogatives : « juger l’administration, [c’était] encore administrer », selon l’aphorisme du conseiller d’Etat Henrion de Pansey, devenu premier président de la Cour de cassation en 1828 et 1829 à la fin de sa vie, et les rapports entre les administrés et l’administration, qui ne sauraient être des rapports strictement égalitaires[22], demeuraient régis par un droit autonome[23].

Certes, le Conseil d’Etat a rapidement perçu, dès la fin du 19ème siècle, la nécessité de concilier les impératifs de l’ordre public et de l’action administrative avec la protection des droits des administrés. Cette « prise de conscience » s’est traduite par la réduction de la catégorie des actes de Gouvernement[24] caractérisés par leur immunité juridictionnelle[25]. Mais l’extension de son contrôle est toutefois restée mesurée, le Conseil d’Etat ne souhaitant pas laisser « l’exigence du contrôle prendre le pas sur les impératifs de l’ordre », comme l’a illustré la théorie des circonstances exceptionnelles développée pendant la première guerre mondiale[26]. Durant cette période, l’administration est certes restée soumise au principe de légalité et le juge n’a pas refusé par principe de connaître de la légalité d’un acte administratif, mais l’existence d’une situation grave et exceptionnelle a justifié que les mesures administratives soient contrôlées à l’aune d’une légalité aménagée, faisant une large place au pouvoir discrétionnaire de l’administration[27] .

2. Néanmoins, le « miracle » [28] d’un droit administratif équilibré et libéral s’est produit et le Conseil d’Etat a progressivement développé une jurisprudence protectrice des administrés sous l’influence d’un discours performatif efficace.

Le juge administratif exerce en fait une véritable « tutelle contentieuse »[29] sur les autorités administratives et il a très précocement rappelé la nécessité de préserver les intérêts et les droits des personnes, y compris dans leurs rapports avec l’administration. Certes les critiques libérales ont persisté[30], le Conseil d’Etat, par ailleurs lent à juger, étant stigmatisé pour son « tropisme » ou son « biais administratif ». Ces critiques ont suscité l’émergence d’un discours défensif d’une autre partie de la doctrine louant l’action du Conseil d’Etat devenu le « défenseur né des administrés contre l’arbitraire administratif »[31]. Du « chien de garde de la prérogative »[32], le Conseil d’Etat est ainsi progressivement devenu, aux yeux de la doctrine du XIXème siècle et du début du XXème siècle, « une garantie constitutionnelle contre les abus de l’administration »[33]. Ces affirmations étaient en réalité déjà plus que de simples discours : sous les mots[34], se dessinaient les prémisses d’une évolution du droit administratif et, partant, du juge administratif, d’un droit protecteur de l’administration à un droit protecteur des administrés, un nouveau rempart contre l’arbitraire[35].

Les premières décennies du Conseil d’Etat ont ainsi été marquées par l’affirmation de la spécificité de l’action administrative et la naissance d’un droit administratif autonome, dans lequel la protection des droits et des libertés, pourtant portée en étendard par la doctrine, ne s’est d’abord concrétisée que discrètement. La théorie de la voie de fait, consacrée tardivement en 1935 par le Tribunal des conflits et justifiant qu’il puisse être dérogé au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires[36], a été la traduction de la méfiance qu’engendrait la relative timidité du juge administratif.

B. Ayant affirmé sa « tutelle contentieuse » sur les autorités administratives, le Conseil d’Etat a ensuite assuré avec constance une protection efficace des droits fondamentaux.

1. Dans ce but, il a consacré, au sortir de la Seconde guerre mondiale, l’appartenance au bloc de légalité des principes généraux du droit ainsi que des normes conventionnelles et constitutionnelles.

Alors même que le Conseil d’Etat n’avait pas su s’affranchir de la rigueur du syllogisme juridique et de la lettre comme de l’intention du législateur sous le régime de Vichy[37], le libéralisme de l’après-guerre lui a donné un souffle nouveau. Puisant son inspiration dans les textes constitutionnels, les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République[38] et la tradition républicaine, il a « l’audace »[39] de consacrer des « principes généraux du droit applicables même en l’absence de texte »[40] dont le respect s’impose à l’administration et dont la reconnaissance a très nettement contribué à l’essor d’un ordre juridique libéral[41] respectueux des droits des administrés[42]. C’est ainsi que la législation sociale a inspiré la reconnaissance de principes généraux garantissant les droits des agents publics[43]. De même, le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre tout acte administratif a été reconnu, même lorsqu’aucun texte ne le prévoit[44], voire même lorsque la loi l’interdit expressément[45]. Le juge administratif a aussi dévoilé, à partir des principes du droit positif, un principe général selon lequel le respect de la personne humaine ne cesse pas à la mort du patient et s’impose au médecin[46] ou encore l’interdiction de remettre à son pays d’origine un réfugié politique[47].

L’essor du contrôle de conventionalité[48] - c’est-à-dire du contrôle des lois et des actes administratifs au regard des engagements européens et internationaux de la France - a renforcé le rôle de garant des droits et libertés du juge administratif, en autorisant la pleine prise en compte par le juge français de droits et de principes protégés notamment par la Convention européenne des droits de l’homme et ne trouvant pas toujours une exacte contrepartie dans les normes constitutionnelles. L’inopposabilité de la condition de réciprocité contenue dans l’article 55 de la Constitution en ce qui concerne les conventions internationales de protection des droits de l’homme a encore affermi la portée du contrôle de la loi et des actes administratifs au regard des engagements internationaux de la France[49]. L’extension du « bloc de constitutionnalité » - c’est-à-dire des principes constitutionnels opposables à la loi et aux actes administratifs - a aussi participé de cette évolution positive, en assurant la reconnaissance des droits et des libertés garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[50] et par le préambule de la Constitution de 1958[51]. Le Conseil d’Etat s’est ainsi très souvent appuyé sur la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ou sur les principes du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 pour dévoiler des principes généraux du droit[52], voire même des principes de niveau constitutionnel[53].

2. Cette consécration de nouveaux principes et règles de fond s’est doublée d’un renforcement de la nature du contrôle opéré par le juge administratif.

Décrit par le professeur Gaston Jèze comme « l’arme la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés »[54], le recours pour excès de pouvoir a incontestablement contribué à assurer la protection des libertés et des droits fondamentaux. Ce n’était pourtant pas sa fonction première – qui était le seul respect du principe de légalité –, de même que la défense des droits et des libertés n’est en réalité qu’un objectif incident du contrôle juridictionnel[55]. De la conception initiale de la fonction du recours pour excès de pouvoir, découlaient plusieurs insuffisances : des délais excessifs de jugement, l’absence de caractère suspensif de la saisine du juge et l’inexistence de tout pouvoir d’injonction du juge – qui remontait à la défiance révolutionnaire vis-à-vis des juges - contrecarraient l’effet radical et bénéfique de la rétroactivité des annulations contentieuses[56]. Mais la facilité d’utilisation de ce recours[57] en a fait l’une des armes favorites des justiciables. Saisi dans ce cadre, le Conseil d’Etat a rapidement délimité la nature[58] et l’intensité de son contrôle et il n’a cessé de l’approfondir au profit d’une meilleure protection des droits fondamentaux. Comme l’a déclaré, en 1917, le commissaire du gouvernement Corneille, la Déclaration des droits de l’homme placée « au frontispice des constitutions républicaines » garantit, avec les principes du droit public, que « la liberté est la règle et la restriction de police l’exception »[59]. La limitation d’une liberté fait donc l’objet d’un entier contrôle de proportionnalité, en particulier depuis la décision Benjamin de 1933. Le juge administratif s’y livre à un triple examen par lequel il s’assure que les mesures de police administrative sont nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi[60]. Le Conseil d’Etat a, par ailleurs, précisé les contours de la notion d’ordre public qui recouvre tant ses composantes classiques - la sûreté, la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques [61] - que les valeurs et les principes « consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine »[62] au nombre desquels figure le respect de la dignité de la personne humaine[63]. Récemment, le Conseil d’Etat a aussi fait évoluer la nature de son contrôle de conventionalité[64] en complétant formellement le contrôle in abstracto, auquel il procédait déjà, par un contrôle in concreto[65]qui était latent, mais réel, et qui devient explicite. Cette double évolution de l’intensité du contrôle du juge traduit une volonté accrue d’assurer une protection plus effective encore des droits fondamentaux.

Le juge administratif a par ailleurs continué d’étendre son contrôle en réduisant progressivement la catégorie des actes insusceptibles de recours. Les circulaires contenant des « dispositions impératives à caractère général » [66] et certaines mesures d’ordre intérieur prises dans les écoles, les hôpitaux ou les casernes, sont désormais susceptibles d’être déférées au juge administratif compte tenu notamment des conséquences qu’elles sont susceptibles d’avoir pour les droits des intéressés[67], Ne peuvent davantage relever de la catégorie des mesures d’ordre intérieur, les décisions qui portent atteinte « à l’exercice [des] droits et libertés fondamentaux » des intéressés[68].

Depuis la fin du 19ème siècle et sous l’impulsion de l’esprit libéral consécutif à la seconde guerre mondiale, le Conseil d’Etat s’est donc imposé comme un gardien des droits et des libertés des personnes et, ainsi que le relevait le professeur Chapus, il « tend à répondre à la façon dont [il] est communément [conçu] : une juridiction des droits de l’homme »[69].

II.                Le Conseil d’Etat a aussi su tirer parti de nouveaux outils de contrôle (A), pour devenir un protecteur plus efficace encore des droits fondamentaux (B).

A. Pour assurer l’effectivité de son contrôle, le Conseil d’Etat a été doté de nouveaux outils de contrôle.

1. Craignant d’outrepasser les limites de sa compétence, le juge administratif a longtemps refusé de dicter à l’administration sa conduite et il se bornait à prononcer l’annulation d’actes ou à condamner l’administration, sans jamais assortir ses décisions d’une quelconque injonction à son égard[70]. Mais alors comment garantir que l’administration exécute la décision juridictionnelle rendue, voire même soit en capacité de l’exécuter ? Certes, le Conseil d’Etat ne rechignait pas à expliquer, lorsque l’affaire le justifiait, les modalités d’exécution de l’annulation prononcée[71], mais, par une sorte de persistance de la tradition héritée de l’époque de la justice retenue, il se refusait à contraindre l’administration à exécuter ses décisions. Le législateur a comblé ces lacunes avec les lois du 16 juillet 1980[72] et du 2 mars 1982[73] d’abord, puis celle du 8 février 1995 ensuite[74]. Désormais, le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, peut enjoindre à l’administration d’exécuter la décision juridictionnelle dans un sens déterminé. A ces injonctions préventives, s’ajoutent des injonctions curatives, lorsque l’exécution d’une décision se révèle malaisée ou se heurte à la mauvaise volonté ou à l’obstruction de l’administration. Le juge administratif dispose également du pouvoir d’assortir, le cas échéant, ses injonctions, d’astreintes[75], c'est-à-dire de pénalités financières par jour de retard, par exemple de tant de milliers d’euros par jour de retard.

2. Alors que le juge judiciaire disposait, quant à lui, de procédures d’urgence efficaces[76], les outils à la disposition du juge administratif – référé administratif et sursis à exécution – tranchaient par leur lenteur et leur inefficacité. La loi du 30 juin 2000[77] est venue pallier ces insuffisances en instaurant devant le juge administratif trois nouvelles procédures : le référé-suspension, le référé-liberté et le référé-mesures utiles. Le référé-liberté, innovation principale de la loi du 30 juin 2000, permet au juge de prendre « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale »[78] en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à une telle liberté[79]. Tenu de statuer dans un délai de 48 heures, le juge dispose de pouvoirs d’injonction étendus et il peut ordonner toute mesure, en principe de caractère provisoire[80], nécessaire à la sauvegarde de la liberté en cause. Le juge peut ainsi obliger l’administration à prendre toutes les mesures utiles à l’éradication d’animaux nuisibles dans une prison[81] ou imposer au préfet de recenser tous les mineurs isolés dans la « jungle » de Calais, d’y créer des points d’eau supplémentaires et de prévoir un système de ramassage des ordures adéquat ainsi que le nettoyage du site[82]. Le juge administratif peut également ordonner toute mesure de nature à faire cesser une atteinte au droit de propriété, y compris lorsque cette atteinte présente le caractère d’une voie de fait[83]. Cette évolution a d’ailleurs abouti au rétrécissement de la notion de voie de fait que j’évoquais précédemment, preuve, s’il en était besoin, de l’effectivité de la protection désormais assurée par le juge administratif[84]. Le référé-suspension, qui a avantageusement remplacé l’ancien sursis à exécution, permet aux justiciables d’obtenir, en cas d’urgence, la suspension d’un acte administratif, lorsqu’il existe un simple « doute sérieux » quant à sa légalité. Le juge intervient dans un délai de quelques jours à quelques semaines. Enfin, le référé-mesures utiles complète cette protection, car s’il ne présente qu’un « caractère subsidiaire » par rapport au référé-liberté et au référé-suspension[85], il a autant qu’eux contribué à affirmer la capacité du juge administratif à juger rapidement et de manière efficace lorsque les circonstances le justifient[86]. Il est important de noter que, chaque année, les tribunaux administratifs traitent 15 500 référés urgents, ce qui représente plus de 8% de leurs décisions, et que le Conseil d’Etat rend chaque année en première instance, appel ou cassation plus de 1 000 décisions sur des référés, ce qui représente un peu plus de 10% de ses décisions.

Le développement du pouvoir d’injonction et l’essor des procédures d’urgence ont ainsi permis au juge administratif d’assurer la pleine effectivité des droits et libertés qu’il avait entrepris de reconnaître et protéger de longue date, notamment en dévoilant, dès la libération du territoire français en 1944, les principes généraux du droit.

B. Dans le contexte de l’état d’urgence consécutif aux attaques terroristes dont la France a fait l’objet, le Conseil d’Etat a su rester fidèle aux principes libéraux de l’Etat de droit et continue à assurer un contrôle effectif des mesures prises dans ce cadre.

L’état d’urgence décrété le 14 novembre 2015 en réponse aux attentats de Paris et de Saint-Denis et les décisions rendues par le Conseil d’Etat dans ce cadre renforcent l’idée désormais acquise que le juge administratif est un juge protecteur des libertés et des droits fondamentaux.

En raison de l’objet et des effets des assignations à résidence ordonnées en application de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, le Conseil d’Etat a jugé que l’urgence des recours des personnes concernées devait être présumée et que celles-ci pouvaient saisir le juge du référé-liberté à qui il appartient, le cas échéant, de prononcer une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde[87]. A l’issue d’une audience au cours de laquelle les parties débattent contradictoirement de l’ensemble des pièces du dossier, y compris des notes des services de renseignement, le juge administratif se prononce sur l’existence ou non d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et il opère à cette occasion la nécessaire conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect des libertés mises en cause. Par ailleurs, le Conseil d'Etat a précisé, dans le cadre de son contrôle de légalité, qu’il exerçait sur ces mesures un triple contrôle de leur caractère nécessaire, adapté et proportionné[88], comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 décembre 2015[89]. Récemment, le Conseil d’Etat a aussi eu l’occasion de préciser le régime des perquisitions administratives ordonnées dans le cadre de l’état d’urgence, sur lesquelles il exerce là encore un entier contrôle[90]. Il a également rappelé que les décisions de perquisitionner devaient être motivées, même s’il pouvait être tenu compte de l’urgence pour atténuer cette obligation, et que la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée à raison des illégalités affectant la décision de perquisition, mais aussi des conditions matérielles de leur déroulement, notamment en cas d’usage excessif et non nécessaire de la force ou lorsque des enfants mineurs sont présents.

Depuis la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence à la suite de l’attentat commis à Nice le 14 juillet dernier, l’autorité administrative peut accéder aux données stockées sur un système informatique, mais elle ne peut les exploiter qu’après avoir obtenu l’autorisation du juge administratif qui statue dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine[91]. Cette procédure nouvelle, il est vrai inédite pour le juge administratif, a donné lieu à ce jour à plus de quarante saisines des tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat a eu l’occasion de se prononcer à quatre reprises sur ces jugements en exerçant également un entier contrôle sur la régularité et la nécessité de ces mesures[92].

Si le droit administratif a « poussé » comme une plante livrée aux mains expertes d’un jardinier, plus qu’il n’a été créé de toutes pièces[93], le juge administratif français a, lui aussi, su croître pour s’affirmer comme un protecteur digne de confiance et incontournable des droits et des libertés, au même titre que son homologue judiciaire et que ses pairs européens. Confronté à des menaces nouvelles, ce juge a préservé l’efficacité de l’action administrative, tout en réaffirmant son attachement aux principes libéraux de notre démocratie qui doivent, à tout moment, accompagner et encadrer l’action administrative. Notre modèle juridictionnel a démontré sa solidité, sa plasticité et son efficacité, mais il ne peut conserver ses vertus que s’il poursuit l’approfondissement de la garantie des droits et s’il se fonde sur le rassemblement, l’entraide, la coopération et le dialogue des juges, chez nous et hors de nos frontières. C’est là, pour tous les juges français, qu’ils soient constitutionnels, administratifs ou judiciaires, une responsabilité à la fois personnelle, collective, mais aussi indivisible.

[1]Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2]F. Burdeau, « Droit administratif », in Dictionnaire de la culture juridique, sous la dir. de D. Alland et S. Rials, éd. PUF, coll. Quadrige/Lamy, 2003, p. 424.

[3]Article 13 de la loi des 16-24 août 1790.

[4] Décret du 16 fructidor an III.

[5]Y. Aguila, « La justice administrative, un modèle majoritaire en Europe », AJDA, 2007, p. 290.

[6]Légitimité renforcée par l’affirmation de l’indépendance de la juridiction administrative (CC, 22 juillet 1980, Loi portant validation d’actes administratifs, n° 80-119).

[7] J. Rivero, « Dualité de juridictions et protection des libertés », RFDA, 1990, p. 734.

[8]Ibid.

[9]Article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958.

[10] E. Picard, « Droits fondamentaux », in Dictionnaire de la culture juridique, sous la dir. de D. Alland et S. Rials, éd. PUF, coll. Quadrige/Lamy, 2003, p. 544.

[11] J. Rivero, « Dualité de juridictions et protection des libertés », RFDA, 1990, p. 734.

[12]J. Rivero, « Dualité de juridictions et protection des libertés », RFDA, 1990, p. 734.

[13]J-L Mestre, « L’histoire du droit administratif », in P. Gonot, F. Melleray et P. Yolka (dir), Traité de droit administratif T.1, Dalloz, 2011, p. 15.

[14]J-F. Lachaume, « Droits fondamentaux et droit administratif », AJDA, numéro spécial 1998, p. 92.

[15]J. Chevallier, « Le droit administratif, droit de privilège », Pouvoirs, 1988, n° 46, p. 57.

[16] Ibid, p. 70.

[17]J. Chevallier, L’élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, LGDJ, 1970.

[18]Ihering, 1877 ; Jellinek, 1900.

[19]J. Chevallier, L’élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, LGDJ, 1970, p.9.

[20] Loi du 24 mai 1872 portant réorganisation du Conseil d’Etat.

[21] Abandon de la théorie du ministre-juge (CE, 13 décembre 1889, Cadot).

[22]J-F. Lachaume, « Droits fondamentaux et droit administratif », AJDA, numéro spécial 1998, p. 92.

[23]TC, 8 février 1873, Blanco, Rec. 1er supplt 61.

[24]CE, 19 février 1875, Prince Napoléon, Rec. 155. La jurisprudence ultérieure du Conseil d’Etat confirme cette tendance à la réduction de la catégorie : par exemple, les décisions de police visant les adversaires du gouvernement en place (TC, 15 février 1890, Vincent, Rec. 183) ne sont plus considérées comme des actes de gouvernement.

[25]Etaient ainsi considérés comme des actes de gouvernement les actes pris pour des motifs politiques (CE, 1er mai 1822, Laffitte, Rec. 202 ; CE, 9 mai 1867, Duc d’Aumale et Michel Lévy, Rec. 472).

[26]K. Weidenfeld, Histoire du droit administratif, du XIVe siècle à nos jours, Economica, 2010, p. 95.

[27]Voir par exemple : CE, 28 juin 1918, Heyriès, Rec. 651, sur le droit des fonctionnaires à obtenir communication de leur dossier même en période de guerre ;CE, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent, Rec. 208, sur une autre application de la théorie des circonstances exceptionnelles, mais où cette fois le Conseil d’Etat juge que le préfet a fait un usage « légitime » de ses pouvoirs.

[28]P. Weil, Le droit administratif, PUF, 1964, p. 3, qui parle du « miracle sans cesse renouvelé » de la soumission de l’administration au droit.

[29]Selon l’expression du président J. Romieu dans ses conclusions sur l’affaire Jacquin (CE, 30 novembre 1906).

[30]J. Chevallier, « Le droit administratif, droit de privilège », Pouvoirs, 1988, n° 46, p. 58.

[31]G. Jèze, RDP, 1906, p. 55 cité dans K. Weidenfled, Histoire du droit administratif, du XIVe siècle à nos jours, Economica, 2010, p. 93.

[32]M. Hauriou, « Le développement de la jurisprudence administrative depuis 1870 », Bulletin de la société de législation comparée, 1922, p. 236 et s. cité dans K. Weidenfeld, Histoire du droit administratif, du XIVe siècle à nos jours, Economica, 2010, p. 93.

[33] R. Dareste, La justice administrative en France, Paris, 1862, p. 674-675.

[34]La fonction performatrice du langage a été très largement utilisé dans la présentation du Conseil d’Etat comme défenseur des libertés fondamentales : déjà à la fin du 19ème siècle mais aussi au sortir de la seconde guerre mondiale où la « doctrine Bouffandeau » a présenté le Conseil d’Etat de la France de Vichy comme un rempart contre les atteintes aux libertés portées par l’Etat français. Voir notamment l’article du président Bouffandeau, « La continuité et la sauvegarde des principes du droit public français entre le 16 juin 1940 et l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution », EDCE, 1947, p. 23-27.

[35]J. Chevallier, « Le droit administratif, droit de privilège », Pouvoirs, 1988, n° 46, p. 58.

[36]TC, 8 avril 1935, Action française, Rec. 1226.

[37]CE Ass., 24 avril 1942, Bloch Favier, Rec.  135.

[38]CE Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris : par cette décision le Conseil d’Etat reconnaît dans la liberté d’association un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

[39]J. Rivero, « Dualité de juridictions et protection des libertés », RFDA, 1990, p. 734.

[40] L’expression apparaît la première fois dans la décision CE Ass., 26 octobre 1945, Sieur Aramu, Rec. 213.

[41]P. Wachsmann, « La jurisprudence administrative », in P. Gonot, F. Melleray et P. Yolka (dir), Traité de droit administratif T.1, Dalloz, 2011, p. 580.

[42]K. Weidenfeld, Histoire du droit administratif, du XIVe siècle à nos jours, Economica, 2010, p. 195.

[43]Par exemple, l’interdiction de licencier un femme enceinte (CE Ass., 8 juin 1973, Dame Peynet, Rec. 407) et l’obligation de garantir une rémunération minimum (CE Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse c. Mme Aragnou, Rec. 152).

[44]CE Ass., 17 février 1950, Ministre de l’agriculture c. Dame Lamotte, Rec. 110. Décision prolongée par celle du 7 février 1947, D’Aillières qui affirme le principe général du droit d’introduire un recours en cassation, même lorsqu’aucun texte ne le prévoit.

[45]Ce qui était le cas dans l’affaire Dame Lamotte : une loi de 1943 avait expressément interdit toute possibilité de former un recours contre l’acte en question.

[46]CE Ass., 2 juillet 1993, Milhaud, n° 124960, conclusions Kessler.

[47]CE, 1er avril 1988, Bereciartua-Echarri, Rec. 135.

[48]Les traités et accords internationaux prévalent en droit interne (Article 55 de la Constitution) et priment sur les actes réglementaires (CE, 30 mai 1952, Dame Kirkwood, Rec. 291) et les lois antérieures (CE, 15 mars 1972, Dame Sadok Ali, Rec. 213) et postérieures (CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Rec. 190).

[49]J-F. Lachaume, « L’application des conventions internationales : le contrôle du juge sur le respect de la condition de réciprocité », RFDA, 2010, p. 1146. Cette position a été adoptée par le Conseil constitutionnel s’agissant de la Convention de Rome du 18 juillet 1998 relative à la Cour pénale internationale (Cons. constitutionnel, 22 janvier 1999, DC n° 98-408, considérant 12).

[50]Le bloc de constitutionnalité intègre désormais le préambule de la Constitution de 1958 et les textes auxquels il renvoie dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (CE Sect., 12 février 1960, Société Eky, Rec. 101 ; CE, 21 décembre 1990, Amicale des anciens élèves de l’ENS  de Saint-Cloud et Association des anciens élèves de l’ENA, n° 72834 et 72897).

[51]Plus récemment, le Conseil d’Etat a également jugé que les dispositions de la Charte de l’environnement faisaient partie intégrante du bloc de constitutionnalité (CE Ass., 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, Rec. 322).

[52]Par exemple le droit de grève (CE Ass., 7 juillet 1950, Dehaene, Rec. 426), le droit de mener une vie privée et familiale normale (CE Ass., 8 décembre 1978, GISTI, Rec. 493).

[53]Il s’agit des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Voir par exemple, la décision CE Ass., 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, par laquelle le Conseil d’Etat reconnaît dans la liberté d’association un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; la décision CE Ass., 3 juillet 1996, Koné, Rec. 255 par laquelle le Conseil d’Etat fait de l’interdiction d’extrader une personne dont l’extradition est demandée pour un motif politique un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

[54]G. Jèze, « Les libertés individuelles », Annuaire de l’Institut international de droit public, 1929, p. 180.

[55]J. Petit, « Les armes du juge administratif dans la protection des libertés fondamentales : le point de vue de la doctrine », G. Eveillard (dir), La guerre des juges aura-t-elle lieu ? – Analyse comparée des offices du juge administratif et du juge judiciaire dans la protection des libertés fondamentales, 2016.

[56]J. Rivero, « Le Huron au Palais-Royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir », Dalloz, 1962. Chron. 37.

[57]C’est un recours ouvert contre tout acte administratif pour lequel l’intérêt à agir des requérants est largement défini et ce dernier n’a le plus souvent pas besoin de recourir au ministère d’un avocat.

[58]Le juge administratif contrôle d’abord la compétence de l’auteur de l’acte avant d’étendre son examen au détournement de pouvoir (CE, 26 novembre 1875, Pariset, Rec. 934) puis à la qualification juridique des faits (CE, 4 avril 4 avril 1914, Gomel, Rec. 488) et l’exactitude matérielle des faits (CE, 14 janvier 1916, Camino, Rec. 15).

[59]Commissaire du gouvernement Corneille dans les conclusions sous CE, 1917, 10 août Baldy, n°59855, Rec. 638.

[60]CE Ass., 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image, Rec. 506.

[61]Voir notamment la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale dont les dispositions ont été reprises à l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales.

[62]CE ord., 9 janvier 2014, Ministre de l’intérieur c. Société « Les Productions de la Plume » et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508.

[63]La dignité de la personne humaine avait déjà été reconnue comme composante de l’ordre public par la décision CE Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, Rec. 372.

[64]CE Ass., 31 mai 2016, Mme G., n° 396848.

[65]Désormais, lorsqu’il contrôle la conventionalité d’une loi, le juge administratif ne se contente plus de vérifier que cette loi ne méconnaît pas, dans son ensemble, les stipulations internationales. Il procède, dans un second temps, à un contrôle in concreto et vérifie si les situations susceptibles de naître de l’application de cette loi ne sont pas, saisies dans leur particularité, susceptibles de méconnaître des droits et libertés protégés par la Convention européenne des droits de l’homme.

[66] CE Sect., 18 décembre 2002, Mme Duvignères, Rec. 463, qui revient sur la distinction entre circulaires interprétatives (insusceptibles de recours pour excès de pouvoir) et circulaires réglementaires (susceptibles de recours) posée par la décision CE, 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker.

[67] Réduction progressive de la catégorie des mesures d’ordre intérieur : n’en relèvent plus le règlement intérieur d’un établissement scolaire (CE, 2 novembre 1992, Kherouaa, Rec. 389), les sanctions des militaires (CE Ass., 17 février 1995, M. Hardouin, Rec. 82 : mise à pied de dix jours) et des détenus (CE Ass., 17 février 1995, M. Marie, Rec. 85 : mise en « cellule de punition »). S’agissant des détenus la jurisprudence a été complétée par les décisions du même jour CE Ass., 14 décembre 2007, Garde des Sceaux, ministre de la justice c. Boussouar, Rec. 495, Planchenault, Rec. 474, Payet, Rec. 498.

[68]CE Sect., 25 septembre 2015, Mme B., n° 372624.

[69]R. Chapus, L’administration et son juge, PUF, 1999, p. 15.

[70]Dans une décision CE Sect., 27 janvier 1933, Le Loir, Rec. 136, le Conseil d’Etat refuse d’adresser une injonction à quiconque (personne publique ou privée). Cette jurisprudence est confirmée s’agissant des personnes publiques (CE, 4 février 1976, Elissonde, Rec. 1069). En revanche, s’agissant des personnes privées, le juge administratif se reconnaît assez rapidement le droit de leur adresser des injonctions (CE Sect., 13 juillet 1956, Office public d’HLM du département de la Seine, Rec. 338 ; CE Ass., 26 février 1965, Société du Vélodrome du Parc des princes, Rec. 133).

[71]Par exemple, lorsqu’il annule un tableau d’avancement (CE, 26 décembre 1925, Rodière, p. 1065).

[72]Loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements qui permet au Conseil d’Etat de prononcer une astreinte en cas d’inexécution de la chose jugée (article L. 911-5 du code de justice administrative) et au préfet de contraindre une administration à payer la somme due en vertu d’une condamnation par décision du juge administratif (article L. 911-9 du code de justice administrative).

[73]Article 3 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, qui crée le déféré-liberté – procédure qui, à l’initiative du préfet, permet au juge administratif de suspendre dans un délai de quarante-huit heures l’exécution d’un acte d’une collectivité territoriale de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique.

[74]Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative qui généralise le pouvoir d’injonction du juge administrative (articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative).

[75]Article L. 911-3 du code de justice administrative pour les astreintes assortissant une injonction préventive ; Article L. 911-5 pour les astreintes curatives.

[76]Article 808 du code de procédure civile : « Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. »

[77]Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives.

[78]Article L. 521-2 du code de justice administrative.

[79]Le Conseil d’Etat a retenu une définition large des libertés concernées par ce dispositif : liberté d’aller et venir (CE, 9 janvier 2001, Deperthes, n° 228928), liberté d’opinion (CE, 28 février 2001, Casanovas, n° 229163), droit de mener une vie privée et familiale normale (CE, 30 octobre 2001, Ministre de l’intérieur c. Mme Tliba, Rec. 523), droit d’asile (CE, 25 mars 2003, Epoux Sulaimanov, Rec. 146), droit au respect de la vie (CE Sect., 16 novembre 2011, Ville de Paris et Société d’économie mixte PariSeine, Rec. 552), présomption d’innocence (CE, 14 mars 2005, Gollnisch, Rec. 103).

[80]Sauf lorsqu’aucune mesure à caractère provisoire n’est susceptible de faire garantir la sauvegarde de la mesure en question (CE, 31 mai 2007, Syndicat CFDT-Interco, n° 298293 ;CE, 30 juillet 2015, Section française de l’observatoire international des prisons (OIP-SF) et Ordre des avocats au barreau de Nîmes, n° 392043 et 392044).

[81]CE ord, 22 décembre 2012, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 364584, 364620, 364621, 364647.

[82]TA de Lille, ordonnance n° 1508747 du 2 novembre 2015, confirmée par CE, 23 novembre 2015, Ministre de l’intérieur et Commune de Calais, n° 394540 et 394568.

[83]CE, 23 janvier 2013, Commune de Chirongui, n° 365262.

[84]TC, 17 juin 2013, Bergoend c. Société ERDF Annecy Léman, n° C3911.

[85]CE Sect., 5 février 2016, M. Benabdellah, n° 393540 et 393541.

[86]Le juge du référé mesures-utiles peut ordonner à l’administration la communication de documents administratifs sans que le requérant ne soit obligé de saisir la commission d’accès aux documents administratifs (CE, 29 avril 2002, Société Baggerbedriff de Boer, n° 239466).

[87] CE Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud, n° 395009.

[88]CE Sect., 11 décembre 2015, M. Domenjoud, n° 395009.

[89]CC, 22 décembre 2015, M. Cédric D., n° 2015-527 QPC, cons. 12.

[90]CE Ass. Avis, 6 juillet 2016, M. Napol et M. Thomas, n° 398234 et 399135, conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016.

[91] Article 5 de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste modifiant la loi du 3 avril 1955.

[92]CE ord., 5 août 2016, Ministre de l’intérieur, n° 402139.

[93]Pour reprendre la formule de A. V. Dicey (1835-1922), juriste britannique, qui affirmait qu’il est aussi vrai de dire de cette branche du droit français que de la Constitution anglaise « qu’elle n’a pas été faite mais qu’elle a poussé ».