La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne: mode d'emploi

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention lors du Colloque organisé par l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et par la Société de législation comparée

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Colloque organisé par l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et par la Société de législation comparée

Première table ronde : la Charte, son champ d’application

Conseil d’État, jeudi 20 novembre 2014

Intervention de Jean-Marc Sauvé [1], vice-président du Conseil d’État

 

Monsieur le président de la Cour de justice de l’Union européenne,

Madame le professeur,

Chers collègues,

Grâce à la Charte des droits fondamentaux, incorporée dans le droit primaire de l’Union européenne et juridiquement opposable le 1er décembre 2009, l’Union est entrée « dans la noble cohorte des ensembles institutionnels dotés d’une charte de droits »[2]. Comme le relevait ainsi le président Guy Braibant, l’un de ses auteurs, la Charte contribue à l’affermissement au sein de l’Union d’un système commun de protection des droits fondamentaux, alors que se sont densifiées et diversifiées les compétences dévolues par les États membres aux institutions européennes. La Charte apparaît ainsi comme l’aboutissement d’un processus d’intégration des droits à l’échelle de l’Europe : elle fait fond sur ceux déjà consacrés ; elle en clarifie le catalogue ; elle en augmente aussi le nombre. Mais ce faisant, la Charte n’a pas entendu opérer de nouveaux transferts de compétence : tel est l’apparent paradoxe d’un texte qui, sans créer de nouvelles compétences matérielles au bénéfice de l’Union, augmente pourtant les droits des citoyens et les obligations corrélatives à la charge des institutions européennes et des États membres.

La définition du champ d’application de la Charte est, dès lors, conditionnée par cette histoire et ce paradoxe et elle commande le règlement des difficultés que peut soulever l’application concrète de ce texte et qui sont indissociables d’une réflexion d’ensemble sur l’articulation de la Charte avec les autres standards nationaux et internationaux de la garantie des droits. Je remercie les organisateurs de ce colloque, l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et la Société de législation comparée, d’avoir pris l’initiative d’une telle réflexion globale. Sont réunies autour de cette première table ronde des personnalités éminentes, M. Vassilios Skouris, président de la Cour de justice de l’Union européenne, et Mme Pascale Deumier, professeure à l’Université de Lyon 3. Avant de leur laisser la parole, je souhaiterais revenir sur l’interprétation extensive du champ d’application de la Charte, qui a été retenue par la Cour de justice, avant de préciser les enjeux et les conséquences qu’une telle interprétation fait naître.

I. Le champ d’application de la Charte, défini à son article 51, a été interprété d’une manière extensive, afin de garantir, dans le champ d’application du droit de l’Union européenne, l’unité et la primauté du système européen de protection des droits fondamentaux.

A. Les « dispositions générales » de la Charte et, plus précisément, le premier alinéa de son article 51 définissent, selon un double critère organique et matériel,les conditions d’application de la Charte (2). Avant d’examiner ces deux critères, le cadre général d’interprétation de la Charte peut être retracé (1).

1. Le paragraphe 2 de l’article 51 dispose en effet que la Charte « ne crée aucune compétence, ni aucune tâche nouvelles pour la Communauté et pour l’Union, et ne modifie pas les compétences et les tâches définies par les traités. » Le second alinéa du paragraphe 1 de l’article 6 du Traité sur l’Union européenne réitère ce cadre général d’application et d’interprétation : « Les dispositions de la Charte n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités ». En effet, si la Charte appartient pleinement au droit primaire de l’Union, elle ne prend pas position sur le champ des compétences matérielles attribuées à l’Union, et règle seulement la manière dont celles-ci doivent être exercées. Dès lors, son champ d’application ne saurait excéder le domaine régi par le droit de l’Union européenne, tel qu’il a été fixé par les autres traités de droit primaire. Comme elle l’a elle-même rappelé, « la Cour [de justice de l’Union européenne] est appelée à interpréter, à la lumière de la Charte, le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à celle-ci »[3] et « lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour [ne se reconnaît pas] compétente pour en connaître »[4].

Il en résulte que les droits garantis par la Charte ne s’appliquent à une situation que par le soutien d’une disposition-tutrice relevant d’un autre pan du droit de l’Union européenne. Le raisonnement que commande l’article 51 se décompose en deux temps : il s’agit d’abord de déterminer si le droit invoqué par le requérant appartient ou non au catalogue des droits directement invocables de la Charte, puis de vérifier si la situation litigieuse est régie, directement ou indirectement, par une disposition du droit de l’Union autre que celles de la Charte. Comme l’a souligné nettement la Cour, « les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder [sa] compétence »[5]. Ce double degré d’opérance d’un moyen tiré la méconnaissance de la Charte est cependant d’un maniement parfois délicat.

2. Le paragraphe 1 de l’article 51 pose en effet un double critère, organique et matériel, pour déterminer l’applicabilité de la Charte. Cette dernière s’adresse en effet tant « aux institutions, organes et organismes de l’Union » qu’aux États membres et à leurs autorités nationales et locales. Dans le premier cas, le critère organique se suffit à lui-même : la Charte s’adresse aux organes de l’Union dans le champ des compétences qui leur sont attribuées « dans le respect du principe de subsidiarité ». Dans le second cas, le critère organique est nécessaire, mais non suffisant : la Charte s’adresse aux États membres « uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ». Cette formulation, comme l’indiquent les explications de la Convention chargée de l’élaboration de la Charte, a été empruntée à la jurisprudence de la Cour de Justice relative au champ d’application des principes généraux du droit de l’Union, notamment à un arrêt du 13 avril 2000, Karlsson[6] : « les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire lient (…) les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre des réglementations communautaires ». Une telle formulation a été préférée, non sans hésitation comme en a témoigné le président Guy Braibant[7], à d’autres en apparence plus larges, comme celles-ci « dans le cadre du droit communautaire »[8] ou « dans le champ d’application du droit communautaire »[9].

Le paragraphe 1 de l’article 51 vise, en premier lieu, les situations régies par des actes de droit interne, précisant les conditions d’application directe d’un règlement ou transposant les dispositions d’une directive de l’Union. Dans ce dernier cas, la seule circonstance que les États membres disposent d’une marge d’appréciation, plus ou moins étendue, pour procéder à la transposition d’une directive européenne, ne permet pas d’écarter l’application de la Charte. C’est ce qu’a rappelé le Conseil d’État[10], lorsqu’a été invoquée devant lui la méconnaissance de l’article 41 de la Charte par la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, adoptée pour la transposition de la directive dite « retour »[11].

En deuxième lieu, l’article 51, tel qu’interprété par la Cour de justice, vise les situations régies par des actes de droit interne qui, sans transposer une directive de l’Union, entrent dans son champ d’application. Ainsi, par exemple, une réglementation nationale relative au calcul du préavis de licenciement doit être tenue pour un acte de mise en œuvre du droit de l’Union, dès l’expiration du délai de transposition de la directive 2000/78[12] qui régit les conditions de licenciement, alors même que celle-ci n’avait pas été transposée par l’État en cause à la date à laquelle a statué la Cour[13]. L’applicabilité de la Charte dépend ainsi d’une analyse non finaliste de la portée des actes de droit interne : qu’ils visent ou non la transposition d’une directive ou l’application d’un règlement, qu’ils y procèdent correctement ou imparfaitement, la seule circonstance qu’ils interviennent dans le champ couvert par le droit de l’Union suffit à ce que la Charte leur soit applicable.

En troisième lieu, l’article 51, tel qu’interprété par la Cour, vise les situations régies par un acte de droit interne par lequel un État membre décide de déroger au droit de l’Union. Ainsi, lorsqu’un État traite une demande d’asile, alors qu’il n’est pas l’ « État responsable » de son examen au sens du paragraphe 1 de l’article 3 du règlement « Dublin II »[14], il déroge aux règles du système européen commun de l’asile prévoyant un mécanisme de transfert. Mais il doit être considéré comme mettant en œuvre le droit de l’Union[15], dès lors que cette dérogation et le pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres pour l’utiliser sont régis par ce règlement. Ainsi entendu, le champ d’application de la Charte couvre le domaine que le droit matériel de l’Union régit, mais aussi celui qu’il entend ne pas régir[16], quel que soit le degré d’autonomie procédurale qui est reconnu aux États membres.

B. Cette conception fonctionnelle du champ d’application de la Charte a été pleinement consacrée et même étendue par l’arrêt du 26 février 2013, Akerberg Fransson. Si le droit invoqué de n’être pas puni pénalement deux fois pour des mêmes faits, dit principe non bis in idem, est protégé par l’article 50 de la Charte, la question s’est posée de savoir si les sanctions infligées devaient être considérées comme une « mise en œuvre du droit de l’Union » au sens de l’article 51, avant même de se prononcer sur leur caractère effectivement pénal. La question était d’autant plus délicate que la législation pénale en cause – la Skattebrottslagen – ne visait pas à sanctionner exclusivement une méconnaissance des obligations déclaratives en matière de TVA. Comme l’a relevé l’avocat général P. Cruz Villalón dans ses conclusions, cette législation existe en droit suédois « tout à fait indépendamment de la perception de la TVA », de sorte que « la présente affaire de sanction (…) apparaît comme une simple occasio »[17], c’est-à-dire un cas d’application contingente de cette législation. Selon son avis, « il serait disproportionné de tirer de cette occasio une raison de modifier la répartition de la responsabilité de garantir les droits fondamentaux entre l’Union et les États.  (…) En définitive, il semble risqué d’affirmer (…) que le législateur [européen] avait anticipé un transfert des États vers l’Union de toutes les garanties constitutionnelles entourant l’exercice du pouvoir de sanction des États en matière de perception de la TVA »[18].

Cohérente avec sa jurisprudence antérieure, la Cour n’a pas suivi ce raisonnement[19]. Selon la Cour, le fait que les réglementations nationales qui servent de fondement aux sanctions fiscales et aux poursuites pénales litigieuses n’aient pas été adoptées pour transposer la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA[20] ne saurait être de nature à remettre en cause l’application de la Charte. En effet, ces pénalités « tend[ent] à sanctionner une violation (…) de ladite directive et vise[nt] donc à mettre en œuvre l’obligation imposée par le traité aux États membres de sanctionner de manière effective les comportements attentatoires aux intérêts financiers de l’Union »[21]. Poussant jusqu’à son terme son analyse fonctionnelle ou non finaliste, la Cour explicite un mode d’emploi général : « les droits fondamentaux garantis par la Charte [doivent] (…) être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union »[22]. Cette formulation plus large permet, d’une part, d’harmoniser le champ d’application de la Charte avec celui des principes généraux du droit, sous certaines réserves cependant[23], et, d’autre part, de ne pas moduler le degré de protection des droits fondamentaux selon le degré d’autonomie reconnu aux États membres. Comme l’a relevé la doctrine en France, « Considérer (…) l’article 51 § 1er de la Charte comme une invitation à reconsidérer de manière générale l’applicabilité des droits fondamentaux de l’Union à l’action des États membres eût conduit à ce que le jour où l’Union s’est dotée d’une déclaration des droits, elle signât paradoxalement un recul de leur protection »[24].

Au terme de cette évolution jurisprudentielle, le champ d’application de la Charte s’est simplifié en s’étendant. Il se résume désormais en cette phrase : « L’applicabilité du droit de l’Union implique celle des droits fondamentaux garantis par la Charte »[25]. Pour autant, cette formule simple et claire ne saurait dissimuler les difficultés nouvelles que soulève son application concurrente avec d’autres instruments de protection des droits fondamentaux.

II. L’interprétation extensive du champ d’application de la Charte est appelée à garantir une meilleure protection des droits fondamentaux en Europe, dans le respect des principes de primauté et d’effectivité du droit de l’Union, mais aussi des autres systèmes internationaux et des traditions nationales, surtout lorsqu’elles revêtent une valeur constitutionnelle.

A. La première condition d’une réception fructueuse de la Charte tient dans la poursuite d’un dialogue confiant et soutenu entre juridictions nationales et européennes, et dans le refus d’une posture de défiance à l’égard de la Cour de justice et, d’une manière générale, à l’encontre de l’unité et de la primauté du droit de l’Union européenne.

La Charte, comme en avaient conscience ses rédacteurs, témoigne en effet d’une « transformation de l’essence même de l’Europe »[26], même si elle ne crée pas de nouvelles compétences : d’un ensemble de communautés économiques, elle est devenue une union aux compétences élargies, au sein de laquelle sont partagées les mêmes valeurs et garantis des standards communs de protection des droits fondamentaux. Cette transformation requiert à l’évidence une homogénéisation, même minimale, d’un socle de droits à l’échelle continentale, socle à préserver de forces potentiellement centrifuges. Dans le domaine des droits fondamentaux, tels que ceux protégés par la Charte, des clauses d’ « opt out » n’ont en principe pas lieu d’être. Comme l’a jugé la Cour de justice[27], le protocole n°30 annexé au traité de Lisbonne n’a pas pour objet d’exonérer la République de Pologne, ni le Royaume-Uni, de l’obligation de respecter les dispositions de la Charte, ni d’empêcher les juridictions nationales de veiller à leur respect. Cette interprétation est aussi celle de l’England and Wales High Court of Justice dans sa décision[28] A.B. v. Secretary of State for the Home Department du 7 novembre 2013, même si des réticences politiques ont pu se manifester au sujet de cette convergence[29].

Une telle convergence sur le principe même de l’application de la Charte ne saurait naturellement suffire. Elle doit aussi être recherchée dans la définition du degré d’amplitude reconnu à son application, qui ne peut être que large. L’interprétation fonctionnelle de la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de l’article 51, ne saurait conduire, comme l’imposent les traités et comme le relève la Cour de justice, à un élargissement des compétences de l’Union subreptice, non concerté et non consenti par les États membres. La Cour constitutionnelle fédérale allemande a souligné avec force l’existence de ce risque : dans son arrêt du 24 avril 2013 Antiterrordatei[30], le Bundesverfassungsgericht écarte toute interprétation de l’arrêt Akerberg Fransson qui « conduirait à ce que celle-ci doive être considérée manifestement comme un acte ultra vires ou à ce qu’elle porte atteinte à la protection et au respect des droits fondamentaux garantis par un État membre ». Et la Cour allemande d’ajouter : « la décision en question ne saurait être interprétée ou appliquée dans un sens qui conduirait à ce que tout rapport matériel d’une réglementation avec le champ d’application abstrait de l’Union (…) suffiraient pour que les États membres se trouvent liés par [la Charte] ». Comme l’a relevé la doctrine, la Cour allemande a sans doute voulu par cette décision « tracer des ‘lignes rouges’ »[31] et se prémunir contre tout risque de déconstruction des garanties nationales par une atteinte au principe de subsidiarité[32]. Ces craintes doivent naturellement être entendues, mais rien dans la jurisprudence de la Cour de justice ne laisse penser que ce type de risque ou de dérive soit en cours de réalisation ou soit même envisageable. Dans sa décision Akerberg Fransson, la Cour de justice a rappelé avec force que « lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître »[33]. Dans le respect des traités, la décision Akerberg Fransson réalise un double gain de simplicité et de cohérence : simplicité d’un critère qui fait se superposer le champ d’application du droit de l’Union et le champ d’application de la Charte ; cohérence d’un critère qui fait coïncider[34] le champ d’application des principes généraux du droit de l’Union avec les droits consacrés par la Charte, les seconds étant en grande partie une reprise des premiers.

B. Les prochaines années seront l’occasion se préciser au cas par cas les conséquences de cette interprétation fonctionnelle de la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union ». La décision Akerberg Franssona en effet engagé un processus complexe de ré-articulation des systèmes nationaux et européens de protection des droits fondamentaux. En s’étendant, le champ d’application de la Charte vient rencontrer le domaine de la convention européenne des droits de l’Homme mais aussi celui des protections nationales, en particulier constitutionnelles. Je n’insisterai pas sur ces points qui feront l’objet de la deuxième table ronde de ce colloque. Dans le premier cas, la Charte prévoit elle-même un mode d’emploi en son article 52 paragraphe 3. Je me bornerai à relever que, par sa décision Akerberg Fransson, la Cour de justice a développé une conception « autonome », pour reprendre le terme du président Skouris[35], d’un principe consacré à la fois par la Charte et la Convention européenne des droits de l’Homme. S’agissant des cas de chevauchement des domaines de la Charte et des constitutions nationales, la décision Melloni a posé les jalons d’une co-application de ces droits : rien n’interdit l’application de standards nationaux, dès lors, d’une part, que ceux-ci ne compromettent pas le niveau de protection offert par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour de justice, et, d’autre part, qu’ils ne portent pas atteinte aux principes de primauté, d’unité et d’effectivité du droit de l’Union[36]. Cette situation de co-application, que l’arrêt Akerberg Fransson a rendu possible, est naturellement complexe et délicate, dès lors que toutes les dispositions de la Charte n’ont pas en droit interne valeur constitutionnelle et que, même dans ce cas, les marges de manœuvre des États ne sont pas toujours aisées à déterminer[37]. Sans doute devront-elles être fixées de telle sorte que les garanties européennes puissent, selon le cas, prévaloir sur les garanties nationales ou s’appliquer de manière cumulative avec elles, sans provoquer de choc inutile avec les identités constitutionnelles nationales ou déclencher un contrôle national de type «  Solange » pouvant théoriquement conduire au rejet des garanties européennes au nom des garanties nationales.

Vous le voyez, si le champ d’application de la Charte est désormais clarifié, les questions que soulève sa définition extensive appellent encore des précisions. Il ne fait toutefois pas de doute que, dans leur application de la Charte, les juridictions nationales s’appuieront sur les lignes jurisprudentielles tracées par la Cour de justice dans le respect des compétences qui lui sont dévolues par les traités et dans un esprit de coopération loyale.

 

[1]Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2]Guy Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, témoignage et commentaires de Guy Braibant, éd. Le Seuil, coll. Point Essai, 2001, p. 17.

[3]Voir, not. CJUE 15 novembre 2011, Murat Dereci et autres, C-256/11, § 71.

[4] CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 22.

[5] CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 22 ; voir, pour une application par le Conseil d’État : CE 4 juillet 2012, Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes, n°341533, §5.

[6] CJCE 13 avril 2000, Kjell Karlsson, C-292/97, §37.

[7] Guy Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, témoignage et commentaires de Guy Braibant, éd. Le Seuil, coll. Point Essai, 2001, p. 251.

[8]CJCE 13 juillet 1989, Hubert Wachauf, C-5/88, §17 ; nb : le même arrêt utilise aussi la formulation de l’arrêt Karlsson : « Ces exigences [à savoir la protection des droits fondamentaux dans l’ordre juridique communautaire] liant également les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre des réglementations communautaires, il s’ensuit que ceux-ci sont tenus, dans toute la mesure du possible, d’appliquer ces réglementations dans des conditions qui ne méconnaissent pas lesdites exigences », § 19.

[9] CJCE 18 juin 1991, Elliniki Radiophonia Tileorassi Anonimi Etairia ( ERT AE), C-260/89, §42.

[10]CE 4 juin 2014, M. Halifa, n°370515, §4-5.

[11]Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

[12]Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

[13] CJUE 19 janvier 2010, Seda Kücükdeveci, C-555/07, § 24-25.

[14]glement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers.

[15] CJUE 21 décembre 2011, N.S., C-411/10 § 64 à 68.

[16] Voir, sur ce point, K. Lenaerts, « The EU Charter of fundamental rights : scope of application and methods of interprÉtation », in De Rome à Lisbonne, les juridictions de l’Union européenne à la croisée des chemins, Mélanges en l’honneur de P. Mengozzi, p. 112 : « It follows from N.S., that as long as a Member State enjoys a discretionary power the exercise of which must comply with other provisions of EU law, that Member State is « implementing EU law ». Accordingly, the exercise of that power must be compatible with the Charter ».

[17]Conclusion de l’avocat général P. Cruz Villalón, § 61-62.

[18] Conclusion de l’avocat général P. Cruz Villalón, § 63.

[19] Les Gouvernements suédois, tchèque, danois, irlandais et néerlandais, mais aussi la Commission européenne estimaient que les questions préjudicielles posées à la Cour de justice étaient irrecevables, dès lors que ni les sanctions fiscales, ni les sanctions pénales litigieuses ne mettaient en œuvre le droit de l’Union européenne. Voir §16 de l’arrêt.

[20] Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

[21]CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 28.

[22] CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 21.

[23] Comme l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne, le champ d’application de l’art. 41 de la Charte, intitulé « Droit à une bonne administration », est autonome et plus restreint que celui des autres articles de la Charte : « Ainsi que la Cour l’a rappelé au point 67 de l’arrêt YS e.a. (C‑141/12 et C‑372/12, EU:C:2014:2081), il résulte clairement du libellé de l’article 41 de la Charte que celui-ci s’adresse non pas aux États membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Cicala, C‑482/10, EU:C:2011:868, point 28). Partant, le demandeur d’un titre de séjour ne saurait tirer de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte un droit d’être entendu dans toute procédure relative à sa demande. ». Il en résulte que le champ d’application de l’art. 41 ne coïncide pas intégralement avec celui des principes généraux du droit de l’Union européenne : en l’espèce, le droit d’être entendu n’a pu être invoqué par le requérant qu’en tant que « partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l’Union », voir : CJUE 5 novembre 2014, Sophie Mukarubega, C-166/13, § 44-45 (réponse à une question préjudicielle introduite par le tribunal administratif de Melun par une décision du 8 mars 2013) ; voir également, les conclusions contraires de l’avocat général M. Wathelet sur cette affaire, § 56 : « « Il ne me paraîtrait pas cohérent ni conforme à la jurisprudence de la Cour que le libellé de l’article 41 de la Charte puisse ainsi introduire une exception à la règle prescrite par l’article 51 de celle-ci, qui permettrait aux États membres de ne pas appliquer un article de la Charte, même lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Aussi, je marque ma nette préférence pour l’applicabilité de l’article 41 de la Charte aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, mais de toute façon, comme le relève le gouvernement français, le droit d’être entendu constitue, conformément à une jurisprudence constante, un principe général du droit de l’Union qui «relève non seulement du droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, mais aussi du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable garantis aux articles 47 et 48 de la Charte». Le respect de ce droit s’impose donc à ce titre au moins aux autorités «de chacun des États membres lorsqu’elles adoptent des décisions entrant dans le champ d’application du droit de l’Union». ».

[24] D. Ritleng, « De l’articulation des systèmes de protection des droits fondamentaux dans l’Union, les enseignements des arrêts Akerberg Fransson et Melloni », RTD Eur., 2013, p. 267.

[25]CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 21.

[26] Guy Braibant, La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, témoignage et commentaires de Guy Braibant, éd. Le Seuil, coll. Point Essai, 2001, p. 17.

[27]CJUE 21 décembre 2011, N.S., C-411/10, § 120.

[28] [2013] EWHC 3453 (Admin), case no : CO/11191/2010 : comme le souligne le juge Mostyn, “The Human Rights Act 1998 incorporated into our domestic law large parts, but by no means all, of the European Convention on Human Rights. Some parts were deliberately missed out by Parliament. The Charter of Fundamental Rights of the European Union contains, I believe, all of those missing parts and a great deal more. Notwithstanding the endeavours of our political representatives at Lisbon it would seem that the much wider Charter of Rights is now part of our domestic law. Moreover, that much wider Charter of Rights would remain part of our domestic law even if the Human Rights Act were repealed”, § 14.

[29] R. Clayton QC et C.C. Murphy, “The emergence of the EU Charter of Fundamental Rights in UK law », European Human Rights Law Review, 2014. Voir, sur ce point, le rapport de la Commission de contrôle des affaires européennes de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, intitué « The Application of the EU Charter of Fundamental Rights in the UK : A State of Confusion ».

[30]BVerfGE 1 BVR 1215/07, § 91 : Der Europäische Gerichtshof ist danach für die aufgeworfenen – ausschließlich die deutschen Grundrechte betreffenden – Fragen nicht gesetzlicher Richter im Sinne des Art. 101 Abs. 1 GG. Nichts anderes kann sich aus der Entscheidung des EuGH in der Rechtssache Åkerberg Fransson (EuGH, Urteil vom 26. Februar 2013, C-617/10) ergeben. Im Sinne eines kooperativen Miteinanders zwischen dem Bundesverfassungsgericht und dem Europäischen Gerichtshof (vgl. BVerfGE 126, 286 <307>) darf dieser Entscheidung keine Lesart unterlegt werden, nach der diese offensichtlich als Ultra-vires-Akt zu beurteilen wäre oder Schutz und Durchsetzung der mitgliedstaatlichen Grundrechte in einer Weise gefährdete (Art. 23 Abs. 1 Satz 1 GG), dass dies die Identität der durch das Grundgesetz errichteten Verfassungsordnung in Frage stellte (vgl. BVerfGE 89, 155 <188>; 123, 267 <353 f.>; 125, 260 <324>; 126, 286 <302 ff.>; 129, 78 <100>). Insofern darf die Entscheidung nicht in einer Weise verstanden und angewendet werden, nach der für eine Bindung der Mitgliedstaaten durch die in der Grundrechtecharta niedergelegten Grundrechte der Europäischen Union jeder sachliche Bezug einer Regelung zum bloß abstrakten Anwendungsbereich des Unionsrecht oder rein tatsächliche Auswirkungen auf dieses ausreiche. Vielmehr führt der Europäische Gerichtshof auch in dieser Entscheidung ausdrücklich aus, dass die Europäischen Grundrechte der Charta nur in „unionsrechtlich geregelten Fallgestaltungen, aber nicht außerhalb derselben Anwendung finden“ (EuGH, Urteil vom 26. Februar 2013, C-617/10, Rn. 19).

[31] O. Joop, « La Cour constitutionnelle fédérale allemande raisonne sur la question préjudicielle et encadre la portée de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », RTD Eur., 2014, p. 228.

[32]C. Safferling, Der EuGH, die Grundrechtecharta und nationales Recht : Die Fälle Åkerberg Fransson  et Melloni », Neue Zeitschift für Strafrecht, 2014, p. 545.

[33] CJUE 26 février 2013, Akerberg Fransson, C-617/10, § 22.

[34]Sous réserve de l’exception mentionnée ci-dessus (note 23).

[35]V. Skouris, « Développements récents de la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne : les arrêts Melloni et Akerberg Fransson », Dir. Un. Eur., fasc. 2, 2013, p. 229.

[36] CJUE 26 février 2013, Stefano Melloni, C-399/11, § 55-64.

[37]En France, l’article 88-2 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne. » Par sa décision n°2013-314 P, QPC, du 4 avril 2013, Jeremy F., le Conseil constitutionnel a posé, pour la première fois, une question préjudicielle à la Cour de justice afin de déterminer si les articles 27 et 28 de la décision-cadre n° 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que les États membres prévoient un recours suspendant l'exécution de la décision de l'autorité judiciaire qui statue, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, soit afin de donner son consentement pour qu'une personne soit poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté, pour une infraction commise avant sa remise en exécution d'un mandat d'arrêt européen, autre que celle qui a motivé sa remise, soit pour la remise d'une personne à un État membre autre que l'État membre d'exécution, en vertu d'un mandat d'arrêt européen émis pour une infraction commise avant sa remise. Par un arrêt du 30 mai 2013, Jeremy F., C-168/13 PPU, la Cour de justice a jugé que cette décision-cadre ne s'oppose pas à ce que les États membres prévoient un recours suspendant l'exécution de la décision de l'autorité judiciaire qui statue, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande, afin de donner son consentement soit pour l'extension des effets du mandat à d'autres infractions, soit pour l'autorisation de la remise de la personne à un État tiers. La Cour a seulement jugé que la décision définitive doit être adoptée dans les délais visés à l'article 17 de la décision-cadre, c'est-à-dire au plus tard dans les 90 jours. Par sa décision n°2013-314, QPC, du 14 juin 2013, Jeremy F., le Conseil constitutionnel a pu en déduire qu'en prévoyant que la décision de la chambre de l'instruction est rendue « sans recours », le quatrième alinéa de l'article 695-46 du CPP ne découle pas nécessairement des actes pris par les institutions de l'Union européenne relatifs au mandat d'arrêt européen, et que, par suite, il lui appartenait, saisi sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, de contrôler la conformité de cette disposition aux droits et libertés que la Constitution garantit.