Conditions d’accueil des migrants à Calais : le Conseil d’État rejette les appels du ministre de l’intérieur et de la commune
L’Essentiel :
• Malgré la fermeture en 2016 du centre d’accueil de migrants se trouvant à Calais, au profit d’une répartition de la prise en charge des migrants dans des structures d’accueil implantées sur différents points du territoire national, plusieurs centaines de migrants se trouvent à nouveau à proximité de Calais depuis le début de l’année 2017.
• A la demande de migrants et d’associations, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, saisi d’un référé-liberté, a notamment enjoint au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer plusieurs dispositifs d’accès à l’eau permettant aux migrants de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté d’accès à des douches ; en outre, il a enjoint au préfet d’organiser, à destination des migrants qui le souhaitent, des départs depuis la commune de Calais vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles.
• Le Conseil d’État rejette les appels du ministre de l’intérieur et de la commune de Calais contre cette ordonnance :
o il juge que les conditions de vie des migrants révèlent une carence des autorités publiques, qui est de nature à exposer les personnes concernées à des traitements inhumains ou dégradants et qui porte donc une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;
o il estime que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a prononcé les injonctions rappelées ci-dessus.
Les faits et la procédure :
Au cours de l’année 2016, face à l’afflux croissant de milliers de migrants sur le territoire de la commune de Calais, essentiellement en bordure d’un terrain dénommé « la Lande », les autorités publiques ont décidé de répartir leur prise en charge dans des structures d’accueil implantées sur différents points du territoire national. Dans ce cadre, elles ont décidé la fermeture du centre qui se trouvait sur le territoire dit de « la Lande » et des autres structures destinées à l’accueil et à l’hébergement des migrants dans cette zone, afin d’éviter que ne s’y reconstituent de nouveaux campements de migrants. Toutefois, depuis le début de l’année 2017, plusieurs centaines de migrants se trouvent à nouveau à proximité de Calais.
Des migrants et des associations ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d’un référé-liberté en lui demandant d’ordonner plusieurs mesures de sauvegarde afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées selon eux aux libertés fondamentales des centaines de migrants vivant, à la fin du mois de juin 2017, sur le territoire de la commune de Calais.
Par une ordonnance du 26 juin 2017, le juge des référés a partiellement fait droit à cette demande :
- il a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de mettre en place un dispositif adapté de maraude quotidienne à Calais à destination des mineurs non accompagnés ;
- il a enjoint au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer plusieurs points d’eau situés à l’extérieur du centre de Calais dans des lieux facilement accessibles aux migrants et leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines et d’organiser un dispositif d’accès à des douches ;
- il a enjoint au préfet du Pas-de-Calais d’organiser des départs, depuis la commune de Calais, vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles.
Il a en revanche rejeté les demandes tendant à la création d’un centre d’accueil des migrants ou d’un centre de distribution alimentaire sur le territoire de la commune de Calais.
Seuls le ministre de l’intérieur et la commune de Calais ont fait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État.
La décision du Conseil d’État :
Par la décision de ce jour, le Conseil d’État rejette ces appels.
Il commence par rappeler qu’il appartient aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, c’est-à-dire le maire sur le territoire de la commune et le préfet pour les mesures excédant ce territoire, de veiller à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti.
Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, dans le cadre d’un référé-liberté, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Mais dans tous les cas, l’intervention du juge du référé-liberté est subordonnée au constat que la situation en litige lui permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.
En l’espèce, le Conseil d’État constate que plusieurs centaines de migrants se trouvent présents sur le territoire de la commune de Calais, dont une centaine de mineurs. Il relève que ces migrants, qui se trouvent dans un état de dénuement et d’épuisement, n’ont accès à aucun point d’eau ou douche ni à des toilettes. Ils ne peuvent ainsi ni se laver ni laver leurs vêtements. Ils souffrent en conséquence de pathologies, de divers troubles liés à une mauvaise hygiène ou encore de plaies infectées ainsi que de graves souffrances psychiques.
Le Conseil d’État estime que ces conditions de vie révèlent, de la part des autorités publiques, une carence de nature à exposer les personnes concernées, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants. Cette carence porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Le Conseil d’État souligne qu’il n’appartient pas au juge des référés de remettre en cause le choix des autorités publiques de traiter la situation des migrants présents à Calais en les prenant en charge, sous réserve de la mise en œuvre des procédures d’éloignement du territoire français, dans des structures adaptées à leur situation et situées en dehors du territoire de la commune de Calais dans le but d’éviter que ne s’y reconstitue un afflux incontrôlé de migrants.
Il juge qu’il appartient néanmoins au juge des référés d’ordonner les mesures urgentes que la situation permet de prendre dans un délai de quarante-huit heures et qui sont nécessaires pour faire cesser, à bref délai, les atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales.
Le Conseil d’État en déduit que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a enjoint à l’État et à la commune de Calais, de créer, dans des lieux facilement accessibles aux migrants, à l’extérieur du centre ville de Calais, plusieurs dispositifs d’accès à l’eau leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté, fixe ou mobile, d’accès à des douches selon des modalités qui devront permettre un accès, à fréquence adaptée, des personnes les plus vulnérables.
Il juge en outre que l’injonction faite au préfet du Pas-de-Calais d’organiser, à destination des migrants qui le souhaitent, des départs depuis la commune de Calais vers les centres d’accueil et d’orientation ouverts sur le territoire français dans lesquels des places sont disponibles, est de nature à éviter que ces migrants s’installent durablement sur le territoire de la commune de Calais dans des conditions méconnaissant le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants. Il estime par suite que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a prononcé cette injonction.
Le Conseil d’État rejette donc les appels du ministre de l’intérieur et de la commune de Calais.
La procédure de référé-liberté :
La procédure de référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures.