Le juge des référés du Conseil d’État annule l’ordonnance prescrivant le retrait des silhouettes féminines installées dans la commune de Dannemarie
L’Essentiel :
• La commune de Dannemarie, qui a choisi de faire de 2017 l’année de la femme, a procédé au mois de juin 2017 à l’installation dans plusieurs espaces publics de cent vingt-cinq panneaux, dont soixante ont la forme d’accessoires (chapeaux, sacs, chaussures…) ou d’éléments du corps féminin et soixante-cinq représentent des silhouettes de femmes, à différents âges de la vie et dans différentes attitudes.
• Saisi par une association estimant que ces panneaux véhiculaient des stéréotypes sexistes et discriminatoires à l’égard des femmes, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a ordonné, dans le cadre de la procédure de référé-liberté, l’enlèvement des panneaux.
• Saisi en appel par la commune, le juge des référés du Conseil d’État annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif.
• Le juge des référés estime qu’en l’absence d’intention de discriminer de la part de la commune ou de restriction à une liberté fondamentale, la méconnaissance alléguée de l’égalité entre les hommes et les femmes ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, seule susceptible de justifier l’intervention du juge administratif des référés dans les très brefs délais de la procédure de référé-liberté.
• Il estime également que, même si les panneaux peuvent être perçus comme véhiculant des stéréotypes dévalorisants pour les femmes, ou, pour quelques-uns d’entre eux, comme témoignant d’un goût douteux voire comme étant inutilement provocateurs, leur installation ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la dignité humaine.
Les faits et la procédure :
La commune de Dannemarie (Haut-Rhin) choisit chaque année un thème qu’elle décline en animations et en événements sur son territoire. Dans ce cadre, la commune a choisi de faire de 2017 l’année de la femme. Elle a organisé à ce titre un salon de la femme, décidé l’attribution de distinctions à des femmes qui ont marqué la vie de la cité, attribué à une rue le nom de Mme Monique Wittig, en hommage à l’une des fondatrices du Mouvement de libération des femmes, native de Dannemarie, et réalisé au mois d’août 2017 une exposition sur le rôle des femmes pendant la Première Guerre mondiale.
La commune a également procédé, au mois de juin 2017, à l’installation dans plusieurs espaces publics de cent vingt-cinq panneaux, fabriqués par la première adjointe au maire, dont soixante ont la forme d’accessoires, tels que chapeaux, sacs ou chaussures, ou d’éléments du corps féminin, tandis que soixante-cinq représentent des silhouettes de femmes, à différents âges de la vie et dans différentes attitudes.
Estimant que ces panneaux véhiculaient des stéréotypes sexistes et discriminatoires à l’égard des femmes, l’association « Les Effronté-e-s » a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg dans le cadre de la procédure de référé-liberté. Par une ordonnance du 9 août 2017, le juge des référés a prescrit l’enlèvement de l’ensemble des panneaux dans un délai de huit jours
La commune de Dannemarie a formé un appel devant le juge des référés du Conseil d’État. Cet appel a été examiné par une formation collégiale, composée de trois juges.
La décision du juge des référés du Conseil d’État :
Par l’ordonnance de ce jour, le juge des référés du Conseil d’État fait droit à l’appel de la commune et annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif.
1. Il rappelle tout d’abord que la procédure de référé-liberté permet au juge administratif des référés, saisi d’une demande justifiée par une urgence particulière, d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge a ainsi le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d’évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.
Au regard de l’objet de cette procédure, le juge des référés du Conseil d’État estime que certaines discriminations peuvent, en raison des motifs qui les inspirent ou des effets qu’elles produisent sur l’exercice d’une liberté, constituer des atteintes à une liberté fondamentale justifiant l’intervention du juge des référés dans les très brefs délais de la procédure de référé-liberté. Toutefois, toute méconnaissance du principe d’égalité ne révèle pas à elle seule une atteinte à une liberté fondamentale qui justifierait cette intervention.
En l’espèce, le juge des référés du Conseil d’État relève que l’installation des panneaux litigieux n’a pas été inspirée par une volonté de discriminer une partie de la population et n’a pas pour effet de restreindre l’exercice d’une ou plusieurs libertés fondamentales. Il estime, dans ces conditions, que l’atteinte alléguée à l’égalité entre les hommes et les femmes ne justifie pas qu’il prescrive des mesures dans un très bref délai.
2. L’association soutenait également que l’installation des panneaux portait atteinte à la dignité humaine.
Le juge des référés du Conseil d’État rappelle qu’il a le pouvoir, dans le cadre de la procédure de référé-liberté, de prescrire toutes les mesures utiles pour faire cesser des atteintes graves et manifestement illégales au droit au respect de la dignité humaine. C’est notamment le cas lorsque des personnes sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant.
En l’espèce, il relève que, en dépit des intentions affichées par la commune, les panneaux incriminés peuvent être perçus par certains comme véhiculant, dans leur ensemble, des stéréotypes dévalorisants pour les femmes, ou, pour quelques-uns d’entre eux, comme témoignant d’un goût douteux voire comme présentant un caractère suggestif inutilement provocateur, s’agissant d’éléments disposés par une collectivité dans l’espace public. Toutefois, il estime que l’installation des panneaux ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la dignité humaine, qui justifierait l’intervention du juge des référés dans un très bref délai.
Le juge des référés du Conseil d’État annule donc l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif qui avait enjoint le retrait des panneaux.
La procédure du référé liberté, prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, permet au juge d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante-huit heures.