Comment préserver l’environnement et garantir l’accès à une alimentation saine sans fragiliser celles et ceux qui cultivent et élèvent ? Alors que la précarité touche un nombre croissant d’agricultrices et d’agriculteurs, les crises internationales rappellent l’importance de conserver une production agricole forte. En 2024, par ses avis et décisions, le Conseil d’État s’est attaché à trouver le juste équilibre entre protection des exploitants et respect des normes sanitaires et environnementales.
Projet de loi d’orientation agricole : attention aux mesures inadaptées
L'année 2024 a été marquée par un important mouvement de contestation des agriculteurs français. Cette action s’est notamment cristallisée autour de l’abondance des normes qui freineraient leur activité et les pénaliseraient économiquement, alors même que beaucoup peinent à gagner leur vie décemment.
18 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté - Insee 2021
Ces difficultés peuvent dissuader les jeunes générations de reprendre les exploitations de leurs aînés, menaçant à terme notre souveraineté alimentaire. Pour répondre à ces préoccupations, le Gouvernement élabore un projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations. Il sollicite l’avis du Conseil d’État.
Ne conserver que les mesures concrètes
Le texte entend ériger l’agriculture en véritable priorité de l’action de l’État. Un nouvel article du code rural et de la pêche maritime fait de la souveraineté alimentaire et agricole de la France un objectif transverse à l’ensemble des politiques publiques. Par souci d’efficacité juridique, le Conseil d’État préconise de ne conserver que les dispositions programmatiques qui auront un impact concret sur la vie des agriculteurs. Par exemple, il n’estime pas utile de préciser que la souveraineté alimentaire et agricole contribue à la « défense des intérêts fondamentaux de la Nation » – une formule floue et sans portée réelle.
Faciliter la transmission sans nuire à la liberté d’entreprendre
L’objectif affiché est de sécuriser et libérer l’exercice des activités agricoles. Le texte propose notamment d’étoffer la formation des agriculteurs de demain à travers la création d’un diplôme de niveau bac +3 en sciences et techniques de l’agronomie. Autre mesure : la mise en place d’un accompagnement personnalisé pour renforcer la viabilité économique et environnementale des projets de reprise d’une exploitation par de jeunes agriculteurs. Le Conseil d’État estime que lier certaines aides publiques à l’obligation pour les repreneurs de suivre ce dispositif et pour les cédants de notifier leur départ cinq ans à l’avance est irréaliste et porte une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre.
Alléger les procédures sans créer de nouvelles complexités
Le texte vise également à simplifier la norme, sans pour autant renoncer à protéger l’environnement. Par exemple, sur la destruction des haies, le droit actuel prévoit différents régimes de déclaration et d’autorisation, avec des règles disséminées dans plusieurs codes juridiques. Le projet de loi instaure un régime de déclaration unique, géré par un guichet dédié. Il introduit aussi une nouvelle obligation : toute haie détruite devra être compensée par la plantation d’une autre, de qualité écologique équivalente. Si le Conseil d’État estime cette obligation légitime, il recommande de l’appliquer avec souplesse, en tenant compte des réalités du terrain pour ne pas imposer de contraintes disproportionnées aux agriculteurs. La loi est promulguée le 24 mars 2025.
Brucellose : en cas d’infection, l’abattage du troupeau peut être légalement ordonné

La brucellose est une maladie bactérienne qui touche principalement les bovinés, les moutons, les chèvres, les porcs ou encore les chiens. L’homme peut également la contracter s’il ingère du lait cru issu d’un animal contaminé. Chez l’animal, elle entraîne des problèmes de reproduction, ce qui peut générer d’importantes pertes économiques pour les agriculteurs. Chez l’humain, elle peut être à l’origine de graves infections et de douleurs articulaires chroniques. En raison de sa forte contagiosité et de l’absence de traitement, la brucellose est classée par le droit européen dans les maladies à éradiquer. Comment limiter les risques pour la santé animale et humaine, ainsi que les conséquences économiques pour les agriculteurs ?
L’abattage du cheptel touché : une solution adaptée
En octobre 2024, un arrêté du ministre de l’Agriculture prévoit qu’en cas de détection d’un cas de brucellose chez un boviné, l’ensemble du troupeau doit être abattu. Un syndicat agricole saisit le Conseil d’État. Il considère que cette mesure n’est ni nécessaire ni proportionnée. Mais pour le juge, la règle est adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif : prévenir les risques sanitaires et économiques liés à cette maladie.
La brucellose humaine aiguë peut évoluer vers une forme chronique avec des atteintes focalisées graves, telles que des infections rachidiennes ou des abcès cérébraux - Santé publique France
En effet, si les techniques de dépistage existent, elles ne permettent pas de distinguer avec suffisamment de fiabilité les bovinés infectés et ceux indemnes de brucellose. Les analyses sérologiques et les tests PCR sont imparfaits et peuvent de surcroît conduire à des résultats faussement négatifs. Et, si la France est reconnue « indemne de maladie » depuis 2005 – aucun foyer ovin ou caprin n’ayant été détecté sur le territoire national – un risque d’infection persiste, en particulier en région Auvergne-Rhône-Alpes où des animaux sauvages seraient infectés.
Quelles cultures préserver des pesticides ?

Les abeilles, les bourdons, les guêpes ou encore les papillons jouent un rôle essentiel dans notre alimentation. Par leur butinage, les insectes pollinisateurs assurent la reproduction des végétaux et permettent aux fruits et légumes de se former. Pour les protéger, l’utilisation de pesticides sur certaines cultures est interdite pendant la période de floraison. L’interdiction ne s’applique pas aux cultures considérées comme « non attractives » pour ces insectes : leur liste a été fixée au Bulletin officiel du ministère de l’Agriculture en mars 2022.
Lentille, pois, soja, vigne : des cultures attractives
En 2024, un syndicat d’apiculteurs conteste cette liste devant le Conseil d’État. Il estime que plusieurs cultures – notamment les lentilles, les pois, le soja ou la vigne – ne devraient pas être considérées comme « non attractives ». En avril 2024, le Conseil d’État leur donne raison. Il observe que, d’après les données scientifiques disponibles, les cultures de la lentille, du pois, du soja et de la vigne sont bien butinées par différentes espèces d’insectes pollinisateurs, dont l’abeille à miel. Le ministère de l’Agriculture a donc commis une erreur d’appréciation. Ces cultures doivent bien être considérées comme attractives et protégées en conséquence.
En outre, le droit prévoit que, lorsqu’il s’agit de restreindre l’usage de produits phytopharmaceutiques, la décision doit être prise conjointement avec les ministères de la Santé, de l’Environnement et de la Consommation.