Les autorités administratives indépendantes - Rapport public 2001

PUBLICATION Etude annuelle
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Le rapport du Conseil d'État a permis d'inventorier 34 organismes administratifs susceptibles d'être qualifiés aujourd'hui en France d'autorités administratives indépendantes. Ils ne constituent pas un ensemble homogène.

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1. Selon une approche générale communément admise, les autorités administratives indépendantes peuvent être définies comme des organismes administratifs, qui agissent au nom de l'Etat et disposent d'un réel pouvoir, sans pour autant relever de l'autorité du Gouvernement. Elles présentent de ce fait une particularité importante au regard des principes traditionnels d'organisation de l'Etat, qui font aboutir au ministre et soumettent au pouvoir hiérarchique ou de tutelle du Gouvernement l'ensemble des administrations étatiques.

 

2. Sur la base de cette définition générale et des critères retenus dans l'étude (1), le rapport du Conseil d'Etat a permis d'inventorier 34 organismes administratifs susceptibles d'être qualifiés aujourd'hui en France d'autorités administratives indépendantes : - 13 par détermination législative ou jurisprudentielle (2) ; -17 organismes qualifiés d'autorités administratives indépendantes en raison de leurs caractéristiques conformément aux critères dégagés par le Conseil d'Etat (3) ; - 4 organismes qui paraissent pouvoir être qualifiés d'autorités indépendantes malgré l'hésitation (4).

 

3. Ces organismes ne constituent pas un ensemble homogène ; loin de là . Ils présentent au contraire beaucoup d'hétérogénéité :

- Pour ce qui est de leurs missions. L'étude en distingue 5 principales : des missions de médiation au sens strict du terme ; des missions de protection des libertés publiques ; des missions d'évaluation pluridisciplinaire et d'expertise ; des missions de garant de l'impartialité de la puissance publique et enfin des missions de régulation. La mission de régulation mérite une mention particulière, compte tenu des incertitudes et débats qui ont pu entourer le concept de régulation. L'étude s'efforce de présenter les différentes acceptions de ce concept et de leurs implications, en s'appuyant en particulier sur les expériences américaines et britanniques (v. p. 279 du rapport).

- Pour ce qui est de leurs pouvoirs ; ceux-ci sont multiformes : pouvoirs d'émettre un avis, de formuler des propositions ou des recommandations ; pouvoir de prononcer des injonctions ; pouvoir de prendre des décisions individuelles ; pouvoir réglementaire ; pouvoir d'investigation et de contrôle ; pouvoir de sanction. Certaines de ces autorités combinent pratiquement l'ensemble de ces pouvoirs ; d'autres n'en exercent qu'un certain type.

- Pour ce qui est du statut des autorités en cause, qu'il s'agisse de l'importance de leur collège, du mode de désignation des membres, de la durée et des conditions d'exercice des mandats.

- Pour ce qui est des moyens financiers et humains dont elles disposent. Certaines autorités ne bénéficient pas de dotation budgétaire spécifique ni même de personnel propre ou en très petit nombre. Inversement, on peut mesurer le poids d'autres autorités aux moyens qui leur sont affectés (COB 254 emplois et 350 MF ; CSA 221 emplois et 206 MF ; ART 142 emplois et 92 MF...).

 

4. Cette hétérogénéité des autorités administratives indépendantes ne saurait surprendre ; elle est tout simplement liée aux raisons mêmes qui ont conduit à leur création. Les différentes autorités sont en effet davantage le fruit du hasard que d'un schéma préconçu ; elles sont le plus souvent nées pour résoudre un problème donné à un moment donné, dans un contexte donné. Chaque autorité est dès lors "conçue" en conséquence. Cela n'exclut pas le poids de certaines nécessités ; de deux types notamment : - nécessités dues à la réglementation européenne qui impose la séparation entre les autorités de réglementation et les opérateurs ; nécessités dues aux exigences particulières de régulation de certains marchés ou certains secteurs comme les marchés financiers : le contexte international ne laisse que peu de marge de manoeuvre aux différents pays quant aux mécanismes de régulation à mettre en place, s'ils veulent rester crédibles.

 

5. Trois grands types de problèmes auxquels les autorités administratives existantes sont peu ou prou confrontées ont été répertoriés : - des problèmes d'insertion dans leur environnement ; - des problèmes de fonctionnement et d'exercice de leur mission ; - des problèmes liés aux conditions dans lesquelles elles sont amenées à rendre compte. Sur chacun de ces problèmes, l'étude formule des recommandations. Elle souligne toutefois d'emblée le caractère irréaliste d'un modèle juridique uniforme d'autorité administrative indépendante ; elle récuse même l'idée d'un tel modèle ; elle insiste sur le fait qu'en recherchant à ramener les autorités administratives indépendantes à une forme unique, on les priverait de ce qui est leur raison d'être même, c'est-à-dire comme il a été dit, apporter une réponse adaptée à un problème spécifique à un moment donné. Elle rappelle que bien au contraire la composition, les attributions, le degré d'indépendance et le périmètre d'action de chaque autorité doit pouvoir évoluer en fonction des changements qui affectent son environnement.

 

6. Problèmes et recommandations quant à l'insertion des autorités administratives indépendantes dans leur environnement (p. 328). Sur ce point, l'étude se concentre pour l'essentiel sur l'environnement institutionnel français des autorités administratives indépendantes et procède à une analyse de la façon dont les autorités administratives indépendantes s'articulent avec les juridictions, en particulier celles qui ont la charge de leur contrôle, avec les administrations centrales en relation avec lesquelles elles sont amenées à agir ou à réguler un secteur, ainsi qu'entre elles. Sur tous ces points l'étude ne relève pas de problèmes majeurs pouvant entraîner une remise en cause de telle ou telle autorité administrative indépendante ou appelant un aménagement lourd de celle-ci, ce qui ne l'empêche pas de noter ici ou là des difficultés liées pour l'essentiel à une répartition des rôles insuffisamment claire ou cohérente. Elle invite en conséquence à la vigilance sur ces points.

L'étude procède aussi à un éclairage rapide sur la question de l'insertion des autorités administratives indépendantes dans leur environnement international où la situation reste très évolutive. Elle souligne les incidences sur les autorités administratives indépendantes du phénomène de la mondialisation et le défi que constitue la multiplication des niveaux de régulation à l'échelon communautaire. L'étude relève l'intérêt d'éviter, sans toutefois l'exclure, la création systématique d'instances spécifiques au niveau communautaire et préconise le travail en réseau, comme cela est d'ores et déjà de plus en plus pratiqué dans plusieurs secteurs et notamment ceux des marchés financiers et de la concurrence.

 

7. Problèmes et recommandations quant aux conditions d'exercice de leur mission par les autorités administratives indépendantes (p. 347). L'étude commence en la matière par s'arrêter assez longuement sur la composition et le fonctionnement du collège des autorités administratives indépendantes et elle insiste en particulier sur la double nécessité, d'une part de prévoir, au sein des collèges, un noyau dur de personnalités ayant la culture de l'indépendance et la pratique de la collégialité et d'autre part d'être vigilant sur le fonctionnement de la collégialité (p. 351) ; sur ce point, l'étude recommande de veiller au respect de principes propres éviter des déviations : définition plus claire des prérogatives du président, organisation du travail qui permet à chaque membre de participer plus aisément à l'ensemble des décisions, encadrement des délégations de pouvoirs consenties au président sur la base d'une doctrine et de comptes-rendus, régime de nomination des responsables des services qui associe le collège à la décision du président...

L'étude examine ensuite la question des moyens humains et financiers et procède à des suggestions pour permettre d'éviter que l'indépendance des autorités administratives indépendantes ne puisse être grignotée dans le cadre de l'octroi de ces moyens (p. 353).

Enfin l'étude traite bien sur de la question de l'exercice du pouvoir de sanction par les autorités administratives indépendantes et des conséquences à tirer des dispositions de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme.

 

8. Problèmes et recommandations quant aux conditions dans lesquelles les autorités administratives indépendantes sont amenées à rendre compte de leur action et sont contrôlées (p. 364). L'étude est particulièrement développée sur ce point et elle relève, dans la ligne des réflexions convergentes de la plupart des auteurs, qu'il existe en la matière, par-delà l'exercice du contrôle juridictionnel ou du contrôle financier, un vrai problème qui est celui de la façon dont les autorités administratives indépendantes sont amenées à rendre compte de leur action de façon globale et politique, devant les instances institutionnelles démocratiques que sont le Parlement et le Gouvernement et plus généralement devant le milieu professionnel concerné, sinon même devant l'opinion publique. L'étude indique en particulier que l'indépendance reconnue aux autorités administratives indépendantes ne doit pas priver le Gouvernement des moyens de faire face à ses responsabilités, en particulier s'agissant de la sauvegarde de l'ordre public et des intérêts généraux et de la prise en compte des orientations de politique générale. L'étude préconise en ce sens une présence mieux organisée du Gouvernement auprès des autorités administratives indépendantes, notamment sous la forme d'un commissaire du Gouvernement, comme cela est déjà en partie pratiqué ; elle préconise aussi que lorsqu'il s'agit de faire face à des situations de crise grave, tel ou tel ministre puisse demander à être entendu par le collège de l'autorité en cause, sinon même que le Gouvernement soit doté du pouvoir de prendre les mesures qui s'imposent en cas de carence de l'autorité, sous le contrôle du juge.

Pour ce qui est du Parlement, qui incarne par nature l'exercice du contrôle démocratique, le rapport insiste sur la nécessité que soient recherchés les voies et moyens d'un meilleur contrôle des autorités administratives de sa part, notamment dans le cadre de la réforme en cours de l'ordonnance du 2 janvier 1959, en permettant à celles des autorités dont l'importance des moyens le justifie, de discuter plus directement de leur budget devant le Parlement. Le rapport préconise également d'examiner les conditions d'une évaluation périodique, notamment par les offices parlementaires d'évaluation de la législation et des politiques publiques, de l'activité des autorités administratives indépendantes les plus importantes.

L'étude insiste aussi sur l'importance du rapport et des publications des autorités administratives indépendantes qui sont une façon pour elles de rendre compte de leur activité aux pouvoirs publics et au-delà à la communauté des citoyens, ainsi qu'aux représentants des intérêts qu'elles sont en charge de contrôler. L'étude préconise également d'examiner les conditions d'une ouverture vers le public ne serait-ce que pour éviter le tête-à-tête régulateur régulé. Une des voies utilisables est de soumettre à une large consultation par internet les solutions que les autorités envisagent de promouvoir ou de proposer au Gouvernement comme cela se pratique d'ores et déjà d'ailleurs assez largement en France.

 

9. Le rapport n'écarte pas l'idée que de nouvelles autorités administratives indépendantes puissent devoir être créées (p. 374) et il s'astreint dès lors à définir le cadre dans lequel de telles créations sont susceptibles d'intervenir.

Il rappelle tout d'abord les problèmes de principe et pratiques posés par la multiplication des autorités administratives indépendantes (p. 374). Le rapport s'efforce d s lors de défnir une ligne directrice susceptible d'être suivie utilement par le Gouvernement ; cette ligne directrice se résume dans les quelques règles suivantes :

- s'assurer de la nécessité du recours à une autorité administrative indépendante plutôt qu'à une autre solution institutionnelle ;

- exclure l'attribution d'un pouvoir de décision à une autorité administrative indépendante dans certains domaines, tels ceux mettant en jeu les responsabilités régaliennes de l'Etat ou nécessitant une démarche interministérielle, ce qui n'exclut pas le cas échéant l'attribution du pouvoir sus-évoqué d'influence par voie d'avis et de recommandations rendus publics ;

- dès lors qu'une autorité administrative indépendante est chargée d'une mission de régulation, lui donner les pouvoirs qu'implique nécessairement cette mission ;

- prévoir un réexamen périodique du bien fondé du maintien de l'autorité administrative indépendante.

 

10. Le rapport qui ne pouvait traiter des autorités administratives indépendantes sans un regard plus général sur l'appareil de l'Etat, rappelle enfin que la création des autorités administratives indépendantes ne peut à elle-seule résumer la réforme de l'Etat et qu'elle ne dispense pas d'une telle réforme.

 

11. Au terme de l'étude, les principales conclusions suivantes peuvent être dès lors tirées :

- la notion d'autorité administrative indépendante, malgré certaines divergences sur l'acception à lui donner, est maintenant bien intégrée dans notre ordre juridique. C'est en partie dû à ce qu'elle résulte de la conjonction assez exceptionnelle d'efforts convergents du législateur, de la doctrine, et du juge... Elle témoigne en tout cas de l'inventivité institutionnelle du système français d'administration.

- Sous cette notion, on trouve des organismes marqués par une grande hétérogèné té pour ce qui est de leurs missions, de leurs pouvoirs, et de leurs moyens. Il serait dès lors illusoire de prétendre pouvoir porter sur tous ces organismes, un jugement d'ensemble indifférencié. Il est néanmoins possible de relever que les problèmes rencontrés ou soulevés par les autorités administratives existantes ne sont pas de nature à remettre en cause l'existence de celles-ci ou la pertinence de la formule. Il conduit simplement à inviter les pouvoirs publics à remédier à certaines difficultés et à ne faire usage qu'à bon escient de cette possibilité.

- Il reste que la formule de l'autorité administrative indépendante n'est pas neutre au regard de l'exercice du pouvoir gouvernemental et du rôle de l'Etat, garant de l'intérêt général, qui cadre mal avec sa parcellisation. L'autorité administrative indépendante ne saurait donc devenir un mode d'administration de droit commun et le recours à la formule doit être sérieusement encadré.

- Au total, les autorités administratives indépendantes ne sont ni en pratique une formule magique, ni sur le plan conceptuel une novation irréductible à la tradition française, à magnifier ou à récuser en bloc. Elles ont leurs forces et leurs faiblesses. Les pouvoirs publics, s'ils doivent être vigilants dans le recours qui y est fait, ne sauraient dès lors s'en priver, quitte à s'inspirer, dans ce recours, des recommandations qui jalonnent l'étude.

 

 

Contributions

  • Jean-Louis AUTIN, professeur à l'université de Montpellier I"Réflexions sur le principe du contradictoire dans la procédure administrative",

  • John BELL, Professor of public and comparative law, University of Leeds"L'expérience britannique en matière d'autorités administratives indépendantes",

  • Andrès BETANCOR RODRIGUEZ, Professeur titulaire de droit administratif, Université Carlos III de Madrid"L'expérience espagnole en matière d'autorités administratives indépendantes",

  • Martin HIRSCH, Maître des requêtes au Conseil d'État, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments"La fonction d'expertise scientifique indépendante exercée par un établissement public",

  • Frédéric JENNY, Professuer à l'ESSEC, vice-président du Conseil de la concurrence" L'environnement international d'une autorité de régulation de la concurrence"