Rentrée du Conseil d’État
Palais-Royal,
Mercredi 11 septembre 2024
Intervention de Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État1
Monsieur le Président de la République,
Vous nous faites l'honneur cette année de participer à la rentrée du Conseil d'État, désormais inscrite dans le code de justice administrative. Permettez-moi de vous en remercier solennellement au nom de l'ensemble des membres et agents de la juridiction administrative.
L’article 5 de la Constitution vous confie l’éminente mission de veiller à son respect et d’être le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. La présentation de notre étude sur la souveraineté ne pouvait ainsi être faite sous de meilleurs auspices.
Madame la présidente de l'Assemblée nationale, je tiens à vous remercier pour votre présence ici, vous dont l’assemblée exerce avec le Sénat la souveraineté nationale en vertu de l’article 3 de la Constitution ;
Messieurs les ministres, votre présence est une marque de considération qui honore la juridiction administrative ;
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, cher Laurent Fabius, permettez à votre voisin du Palais-Royal de saluer l’action du Conseil constitutionnel au service de l’Etat de droit ;
Madame la Défenseure des droits, chère Claire Hédon, merci pour votre action en faveur des droits de chacun ;
Madame et messieurs les parlementaires et présidents de commissions parlementaires,
Monsieur le Premier président, Monsieur le Procureur général près la Cour de cassation, chers Christophe Soulard et Rémy Heitz, la coopération entre la Cour de cassation et le Conseil d’État nous est infiniment précieuse, mais elle l’est surtout pour nos concitoyens et la cohérence de l’État de droit ;
Monsieur le Premier président, Monsieur le Procureur général près la Cour des comptes, chers Pierre Moscovici et Louis Gautier, nos institutions ont un horizon commun : celui de l’efficience des politiques publiques ;
Messieurs le président et le juge de la Cour européenne des droits de l'homme, chers Marko Bošnjak et Mattias Guyomar, nous sommes particulièrement sensibles à votre présence aujourd’hui ; elle illustre la qualité du dialogue que nous entretenons ;
Monsieur le Président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, merci des relations constantes et confiantes que nous développons pour toujours mieux servir la justice.
Mesdames et messieurs les hautes autorités civiles et militaires présentes, en vos grades et qualités,
Merci à nos invités qui ont directement participé à notre étude lors de conférences ou d’auditions, et à Plantu qui est parmi nous et qui a très aimablement accepté d’illustrer notre étude sur la souveraineté ;
Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,
J'ai l'honneur et le plaisir d'ouvrir cette troisième rentrée au Palais-Royal et je remercie très sincèrement et chaleureusement toutes les personnalités qui nous font l'honneur d'y participer.
Ce rendez-vous annuel permet de présenter :
l'action du Conseil d'État et de l’ensemble des juridictions administratives ;
et notre étude annuelle, cette année consacrée à la souveraineté.
I –D’abord donc, l’actualité du juge administratif.
La juridiction administrative s’est pleinement mobilisée, en 2023 comme les années précédentes.
Les chiffres le prouvent, puisque les tribunaux administratifs, les cours administratives d’appel, la Cour nationale du droit d’asile et la Commission du contentieux du stationnement payant ont rendu plus de 470 000 décisions. Quant au Conseil d’État, dont la section du contentieux est présidée par Christophe Chantepy, il a rendu 9 700 décisions en sa qualité de juge de premier ressort, de juge d’appel dans quelques matières, et de juge de cassation. Cela s’inscrit dans une hausse continue des recours devant la juridiction avec une mention particulière pour les référés, qui supposent une adaptation permanente du service public de la justice administrative, pour statuer dans des délais de quelques heures, quelques jours ou au plus quelques semaines selon le litige.
Ces chiffres reflètent la forte demande de justice qui existe dans notre pays. Et derrière chaque litige qui nous est soumis il y a une histoire, une cause, une incompréhension, une inquiétude, parfois une souffrance pour les requérants.
I – 1 Rendre la justice aujourd’hui, c’est dire le droit dans un contexte de transformations profondes de la société
Ce n’est pas nouveau : chaque jour, dans chacune de ses décisions, le juge administratif applique la loi et contrôle la légalité de l’action administrative.
Il fait prévaloir la règle de droit qui est l’expression de la volonté générale en démocratie, dans un équilibre nécessairement subtil entre l’efficacité de l’action publique guidée par l’intérêt général et la protection des droits et libertés.
Cette conciliation est aujourd’hui davantage scrutée, analysée, commentée, et ses critiques occupent plus de place dans l’espace médiatique.
D’une part, du fait de l’importance et de l’actualité des questions qui nous sont soumises, souvent cruciales – pensons au changement climatique, à l’ordre public ou à la laïcité.
D’autre part, parce que le succès des référés provoque une accélération du temps juridictionnel, qui coïncide davantage avec le temps médiatique. Cette coïncidence nous oblige à expliquer en temps réel nos décisions, qui sont parfois attaquées voire instrumentalisées.
Le juge fait observer la lettre de la norme juridique, mais aussi son esprit, car le juge est tenu d’interpréter la loi, lorsque celle-ci n'est pas suffisamment précise, ses auteurs n'ayant pu, par construction, prévoir tous les cas de figure. Il le fait en usant de tous les outils dont le constituant et le législateur l’ont doté et il le fait en recherchant l'intention de ses auteurs, avec le souci constant de respecter la séparation des pouvoirs.
Le Conseil d’État a ainsi rappelé dans des arrêts rendus en octobre dernier par sa plus haute formation de jugement, l’assemblée du contentieux, qu’il n’appartenait pas au juge, « dans le cadre de [son] office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire »2.
Permettez-moi, en cette circonstance, d’aborder sans fard le débat sur le « gouvernement des juges » pour reprendre une expression bien mal fondée.
Ce débat a traversé notre histoire : il a suscité bien des réflexions philosophiques et juridiques sur l'indispensable équilibre des pouvoirs. Mais ce débat, porté par des « vents mauvais », comme vous les avez dénoncés, Monsieur le Président de la République3 , dans un discours devant l’École nationale de la magistrature en février dernier, prend depuis quelques années, dans un contexte de menaces sur les démocraties, un tour insidieux qui peut fissurer l'État de droit en opposant les pouvoirs et autorités par lesquels se façonne la démocratie. Il y a danger à dissocier l'État de droit que les juges se seraient accaparés et l'expression de la souveraineté populaire.
La Justice exerce, dans un État de droit, une mission fondamentale : garantir le respect du droit. Du droit décidé par le peuple souverain dans ses fonctions constituante et législative. Le juge n'est là ni pour plaire ni pour déplaire, il n’est là ni pour soutenir ni pour contrecarrer les opinions. Il est là pour trancher un litige en donnant à la loi, expression de la volonté générale, et à ses textes d’application leur pleine portée, c'est-à-dire la portée que les pouvoirs exécutif et législatif, issus de processus démocratiques fondés sur le suffrage universel, ont entendu leur donner. Rien de plus, rien de moins.
Son indépendance est le fondement de son office, elle n’est pas une commodité pour son confort, elle est l’ultime rempart pour la protection des droits de chacun.
Et dans nos missions consultatives, nous agissons avec la même indépendance. Cette indépendance est cruciale et lorsque des juges sont mis en cause personnellement, parfois même menacés à raison de leurs fonctions, comme cela a encore été le cas cette année, c'est la justice dans son ensemble qui est attaquée.
Alors que des violences et des drames marquent douloureusement d’autres services publics, nationaux ou locaux, qui œuvrent pour l’intérêt général, il faut réaffirmer avec la plus grande vigueur que les attaques qui visent les agents publics et les juges sont intolérables et doivent faire l'objet de toutes les suites que la loi leur réserve. Et je redis aux collègues qui en ont été victimes toute la solidarité de la juridiction administrative et notre détermination à garantir la protection de toutes celles et tous ceux qui exercent en son sein.
I – 2 Maintenant, nos missions consultatives et de prospective. Elles nous ont également beaucoup mobilisés
S’agissant de ses formations consultatives présidées par Rémi Bouchez, Edmond Honorat, Thierry Tuot, Francis Lamy et Philippe Josse, le Conseil d’État a examiné, en 2023 plus de 900 projets de textes, dont plus de 70 projets de loi et 2 propositions de loi.
Avec une mention pour notre avis sur le projet de loi constitutionnelle visant à inscrire dans la Constitution la liberté de recourir à l’IVG, lors d’une révision constitutionnelle dont l’écho a dépassé les frontières.
A ces avis rendus sur des textes s’ajoutent depuis plusieurs mois des chantiers de simplification du droit que nous avons proposés au Premier ministre et engagés à sa demande en lien avec les acteurs concernés. Dans ce cadre, le Conseil d'État « produit » concrètement de la simplification, comme il le fait au quotidien dans ses fonctions consultatives. Il ne se contente pas de l'appeler de ses vœux.
L’activité de la section des études, de la prospective et de la coopération, présidée par Martine de Boisdeffre, qui a remplacé la « section du rapport et des études », en mars dernier a ainsi été particulièrement intense en 2023. A travers ses missions, cette section incarne l’ambition de la « maison des services publics » qu’est le Conseil d’État : accompagner les acteurs des politiques publiques par des analyses que nous voulons renseignées, objectives et dégagées des débats partisans.
II – J’en viens maintenant à notre étude annuelle consacrée à la souveraineté.
La souveraineté est une notion juridique fondatrice de l'État moderne, mais aussi la pierre angulaire du système international résultant de la Charte des Nations Unies.
La notion est récemment revenue dans le débat public en écho à la montée ou à la résurgence de menaces pesant sur notre collectivité nationale.
Elle peut paraître abstraite, c'est pourtant une notion au cœur de la vie quotidienne de nos concitoyens.
L’exercice de la souveraineté requiert, selon les circonstances, plus ou moins de vigueur et de détermination.
Des situations de crise aux périodes de prospérité, des états de guerre aux moments de paix, la souveraineté s'exprime par des actes, des symboles ou des visages qui marquent l'histoire du pays.
Comme vous l’avez rappelé, Monsieur le Président de la République, le 25 août dernier lors de la commémoration des 80 ans de la libération de Paris : « La libération de Paris allait décider du visage de la France du XXe siècle. De la libération dépendait l’application des principes du CNR, dotant l’État des instruments de sa souveraineté. »
La souveraineté peut être résumée à la capacité d'avoir le dernier mot, pour un territoire et une population donnés.
C’est ainsi, pour une démocratie, la capacité du peuple à ne pas subir des injonctions étrangères, et à porter un projet collectif qui engage et dépasse chacun de ses membres.
Comme pour Montaigne4 : « La vraie liberté, c'est de pouvoir toute chose sur soi », la souveraineté c’est pour un peuple la liberté de choisir son destin.
II. 1. Premier constat de l’étude : si chaque État est juridiquement souverain, chacun exerce et met en œuvre sa souveraineté selon son génie propre.
La souveraineté des États constitue le principe fondateur de la charte des Nations unies et il en résulte l'égalité juridique des États : tous les membres de l'ONU sont également souverains quelles que soient leurs différences de taille et de puissance.
Mais les États articulent, chacun de façon originale, l’exercice de leur souveraineté, d’abord au travers de leurs facteurs de puissance – puissance militaire, diplomatie, économie... Cette puissance se combine toutefois avec les dépendances et les interdépendances qui pèsent sur nos pays, qu’elles soient choisies ou subies.
Cet exercice dépend ensuite de l’histoire de chaque État, de sa géographie et de sa politique. Il ne peut être dissocié des conditions de fonctionnement de son État de droit, ni de la vitalité démocratique de son peuple.
Juridiquement, la souveraineté se manifeste par la supériorité de la Constitution : chaque nation choisissant les règles qui l’organisent et fondent son État.
L’intégration de la France dans l’ordre international et dans la construction européenne ne remet, à cet égard, pas en cause la suprématie de la Constitution contrairement à ce qui est parfois avancé.Dans notre ordre juridique, la Constitution prime en effet sur les traités en vertu d’une jurisprudence convergente du Conseil constitutionnel5 , de la Cour de cassation6 et du Conseil d’État7 .
La France respecte les traités internationaux qu’elle a conclus, et le juge s’assure de ce respect, justement parce que l’article 55 de la Constitution le prévoit explicitement. De même pour l’ordre européen, l’article 88-1 précise : « la République participe à l'Union européenne », et les juges nationaux veillent à l’application du droit européen, tout en garantissant le respect de l’identité constitutionnelle de la France.
Le Conseil d’État a rappelé dans une décision d’assemblée du 21 avril 2021 qu’il écarterait l’application d’un acte de l’Union qui aurait pour effet de priver de garanties effectives une exigence constitutionnelle. Mais il ne le ferait que si cette exigence n’était pas protégée de façon équivalente par le droit de l’Union, et il ne l’écarterait que dans la stricte mesure où le respect de la Constitution l’exige8.
Enfin, l’article 3 de la Constitution proclame : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Ainsi le peuple souverain, lorsqu’il agit en tant que constituant, dispose bien du « dernier mot ». Ce pouvoir absolu est la dimension irréductible de la souveraineté du peuple.
II.2. Second constat : l’exercice de la souveraineté est aujourd’hui confronté à un triple défi
Ces défis sont communément mis en exergue dans le débat public par l’apposition d'adjectifs de plus en plus nombreux et variés : souveraineté alimentaire, industrielle, numérique, pharmaceutique, sanitaire...
Premier défi donc : l’accroissement des dépendances et des interdépendances, liées à la mondialisation de l’économie.
Il se traduit, en France, par les liens croissants avec des acteurs étrangers en raison notamment de l’état de la dette ou du déséquilibre de la balance commerciale mais aussi de certaines faiblesses de la réflexion stratégique qui, comme en matière énergétique, ont conduit à privilégier le court terme.
Les menaces épidémiques, celles du dérèglement climatique, les tensions entre les États et bien sûr le retour des guerres mettent également à nu les faiblesses sectorielles qui affectent les États. Sans oublier la montée en puissance de nouveaux acteurs non-étatiques comme les GAFAM ou de grandes fondations, qui, disposant d'une puissance économique comparable à celle d’États, viennent concurrencer l’exercice par ces derniers de leur souveraineté.
Deuxième défi : l’intégration européenne qui a pu être contestée comme une atteinte à la souveraineté des États de l’Union. Si cette Union permet aux États qui en sont membres d’additionner leur puissance pour répondre à des périls globaux, des frustrations s’expriment, dues notamment à « l’effet cliquet » de la construction européenne : un transfert de compétence vers l’Union n’est que rarement remis en cause.
Dans ce contexte se font jour deux tendances contraires : une forme de désaffection, voire de rejet envers la construction européenne comme lors du référendum de 2005, et une demande de plus d’Europe pour nous prémunir contre la concurrence d’autres continents et relever les défis mondiaux comme en matière environnementale ou de régulation du numérique.
Troisième défi : la crise de la démocratie représentative traditionnelle qui affecte la France comme d’autres pays, malgré la participation accrue aux dernières élections. Elle conduit à réinterroger les modes d’expression démocratiques.
La montée de l'individualisme, les transformations du travail, certains usages des réseaux sociaux remettent en cause des cadres communs et peuvent affaiblir les formes d'exercice au quotidien de la souveraineté.
II.3. Face à ces constats, le Conseil d’État formule dix propositions
Pour les élaborer, nous avons fait le choix d'inscrire notre analyse dans le cadre constitutionnel actuel et également à traités inchangés.
Nos propositions s’articulent autour de trois messages.
II.3.1 Premier message : donner toute sa portée au principe constitutionnel fondamental : « la souveraineté nationale appartient au peuple », en développant une citoyenneté active.
En 1942, le général de Gaulle le proclamait avec force : « La souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave 9 ».
Pour réaffermir ce principe fondamental qui doit guider toutes les réflexions sur cette notion, l’étude préconise de conforter les modes d’expression du peuple souverain.
Par exemple en favorisant les consultations directes au niveau local et en ouvrant la possibilité de recourir dans certains cas au vote préférentiel ;
Également en permettant aux citoyens d’initier des conventions citoyennes sur une thématique donnée.
L’étude invite également :
à développer tout ce qui concourt à la formation de l'esprit critique des citoyens pour lutter contre la désinformation, notamment en renforçant encore l’enseignement civique ;
et en corollaire à garantir les conditions d’existence d’une information fiable, indépendante et pluraliste.
Enfin elle insiste sur la nécessité de cultiver l'esprit de défense dans l'ensemble de la société et en renforçant les liens entre l'armée et la Nation.
II.3.2 Deuxième orientation, améliorer l’articulation, nécessairement complexe, entre l’Union européenne et des États souverains pour renforcer notre puissance.
Puisque la souveraineté appartient au peuple, lequel se définit depuis l’avènement des États au sein de frontières nationales, le dépassement de ces limites dans une union sans cesse plus intégrée ne peut se faire sans précautions.
Pour y répondre, les États et l’Union doivent exercer leurs compétences respectives avec mesure, pragmatisme et considération réciproque. L’étude explore des voies d’amélioration pour la production normative de l'Union et des États,
en assurant plus strictement le respect du principe de subsidiarité, avec notamment l’établissement d’un bilan annuel par la Commission ;
en associant les États dès le choix de l’instrument juridique par la Commission : règlement ou directive ;
et en prévoyant dans un nombre plus important de textes de droit dérivé, comme cela se pratique déjà dans certains secteurs, une « clause bouclier » qui rappellerait que les dispositions du texte ne portent pas atteinte aux fonctions essentielles de l’État, notamment en matière d’ordre public, de sécurité nationale et d’intégrité territoriale.
La jurisprudence européenne devrait également, à notre sens, accorder davantage de place à la marge d’appréciation laissée aux États membres pour assurer leurs fonctions essentielles, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme qui prend en considération les nécessités d’une « société démocratique » pour garantir des intérêts supérieurs, à commencer justement par la sécurité nationale.
En deuxième lieu, l'étude souligne l'importance du rôle de l’Union européenne pour apporter un surcroît de puissance aux États membres. Cela peut passer, dans les domaines où ils ne peuvent espérer peser efficacement de manière isolée, par le recours à une « méthode d’action coordonnée », reposant sur la fixation d’objectifs stratégiques définis par l’Union et les 27 États membres, à l’instar de ce qui a été fait lors du Sommet de Versailles en 2022.
Enfin, il apparaît impératif de mieux articuler l’exercice de la souveraineté au niveau national et au niveau de l’Union, par des échanges plus réguliers, notamment via la présidence du Conseil européen et par les commissaires européens, avec les parlements et les autres responsables nationaux, à l’instar de ce qui a été organisé lors de la négociation du Brexit.
II.3.3 Troisième axe : élaborer une « doctrine de la souveraineté » afin d’inscrire son exercice dans une stratégie de long terme
Pour exercer sa souveraineté, l’État doit être doté d’une capacité d’analyse prospective et stratégique et disposer des outils permettant d'inscrire son action dans le temps long.
C’est une démarche que l'on pourrait qualifier de « doctrine de la souveraineté » qu’il faut bâtir. Elle suppose de déterminer les secteurs prioritaires pour l’exercice de la souveraineté, et pour chacun d’eux :
de fixer un cap,
un échéancier,
des moyens pour tenir ce cap, au travers d’une programmation pluriannuelle et l’investissement dans des compétences, notamment pour les domaines techniques et scientifiques ;
et, bien sûr, de désigner un pilote.
Avec l’ambition impérieuse de se projeter à l’échelle de plusieurs années, voire de plusieurs décennies.
Au terme de cette étude dont je n’ai fait qu’effleurer les propositions, le Conseil d’État est convaincu que :
C’est au prix d’une telle inscription dans une stratégie au long cours, adaptée à ses spécificités, que la France pourra continuer à exercer pleinement sa souveraineté ;
C’est également à ce prix que notre pays pourra relever les défis majeurs auxquels il est confronté, et continuer à faire entendre sa voix singulière dans l’ordre international ;
C’est enfin à ce prix que, dans un monde caractérisé par le retour des tensions et des conflits, nous pourrons collectivement continuer à choisir librement notre destin.
Quel sera-t-il ? Quel projet collectif voudrons nous porter ?
C’est ici que doivent s’arrêter les recommandations du Conseil d’État, car ces choix relèvent à l’évidence du politique, c’est-à-dire, dans une démocratie, du peuple souverain et de ses représentants.
Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs,
Il me reste, pour terminer, à évoquer l'étude que le Conseil d'État a décidé de mener l'année prochaine. Nos deux dernières études ont mis en évidence que, pour transformer durablement les choses sur le terrain et répondre aux défis de la souveraineté, il fallait une maîtrise du temps et une capacité de projection dans le temps long. L’État doit pouvoir dépasser les contingences du quotidien pour assurer l’avenir du pays. C’est donc très naturellement le thème de « l’État stratège » que nous avons retenu pour notre étude annuelle 2025.
C’est ainsi par une invitation à revenir l’année prochaine pour la présentation des conclusions de ces travaux lors de notre rentrée 2025 que je termine mon propos.
Je vous remercie une nouvelle fois très vivement et chaleureusement de nous avoir fait l'honneur d’être présents aujourd’hui.
1 Texte écrit en collaboration avec Jean-Baptiste Desprez, magistrat administratif, chargé de mission auprès du vice-président
2 CE, 11 octobre 2023, Amnesty international France et autres, n°454836 ; CE, 11 octobre 2023, Ligue des droits de l’homme et autres, n°467771
3 Discours du Président de la République devant la promotion 2024 des auditeurs de justice, Bordeaux, le vendredi 9 février 2024
4 Michel de Montaigne, Essais, livre 3, éd. Flammarion, 1979, chap. 12, p. 257
5 Cons. cons., DC n° 2004-505 du 19 novembre 2004
6 Cass., Ass. Plén., 2 juin 2000, Fraisse, n° 99-60.274
7 CE, Ass., 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, n° 200286
8 CE, Ass., 21 avril 2021, French Data Network et autres, nos 394922, 397851 et CE, 17 décembre 2021, Bouillon, n° 437125
9 Discours du 25 mai 1942 : « La démocratie se confond exactement, pour moi, avec la souveraineté nationale. La démocratie c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave »