Paris, place internationale des modes alternatifs de règlements des litiges - Développer la médiation en matière administrative

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Paris, place internationale des modes alternatifs de règlements des litiges

Développer la médiation en matière administrative

Maison du Barreau, Jeudi 24 novembre 2016

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1],  vice-président du Conseil d’Etat

Madame la Vice-Bâtonnière,

Monsieur le ministre,

Madame la première présidente de la Cour d’appel de Paris,

Monsieur le président du Tribunal de grande instance de Paris,

Mesdames et Messieurs,

Je remercie le président Jean-Paul Delevoye de nous avoir élevés l’esprit par sa magnifique et stimulante introduction sur la place de la médiation dans notre société et, dans ce cadre, sur la vie publique, notre citoyenneté et notre responsabilité.

 

Il y a exactement cinq mois, lors de l’ouverture de la sixième édition des Etats généraux du droit administratif, je dressais un bilan du recours aux modes alternatifs de règlement des différends en matière administrative et je posais les conditions d’une évolution réussie vers un recours accru à ces procédures. Les souhaits que j’exprimais alors se sont récemment concrétisés avec le vote et la promulgation de la loi du 18 novembre dernier[2] de modernisation de la justice du XXIème siècle et la publication du décret de procédure du 2 novembre 2016, nommé « décret pour la justice administrative de demain »[3]. Ces textes répondent aux attentes des personnes, nombreuses, qui sont favorables au développement de méthodes plus souples, plus rapides, plus personnalisées et moins coûteuses pour régler les différends de manière à la fois consensuelle et définitive. Ils peuvent aussi servir les administrations et le juge administratif qui doit pouvoir se recentrer sur le cœur de son office. Certes, des procédures de conciliation[4] et de médiation[5] existaient déjà, mais elles ne disposaient pas des moyens nécessaires à leur développement et leur bilan restait modeste[6]. C’est pourquoi je me réjouis des récentes évolutions législatives et réglementaires qui sont l’occasion de développer le recours aux modes alternatifs de règlement des différends afin de leur permettre d’atteindre leurs objectifs : régler plus rapidement et plus efficacement les litiges, réduire, si possible, le recours au juge, identifier et résoudre durablement les dysfonctionnements des administrations et promouvoir, ce n’est pas inutile en ces temps de crise, l’harmonie et la paix sociales. 

I.                   Le recours aux modes alternatifs de règlement des différends s’inscrit désormais dans un cadre juridique rénové.

A. Le champ de la médiation est étendu à l’ensemble de l’action administrative dans un cadre juridique simplifié.

La loi de modernisation de la justice du XXIème siècle élargit considérablement le champ de la médiation en matière administrative. D’une part, la médiation est possible pour tous les différends en matière administrative et n’est plus seulement limitée aux litiges transfrontaliers[7]. D’autre part, ce texte gomme la distinction entre conciliation et médiation et crée ainsi un cadre unique pour le recours aux modes alternatifs de règlement des différends sous le label de « médiation »[8]. Les procédures de conciliation engagées auparavant seront poursuivies dans le cadre des dispositions relatives à la médiation[9]. Cette évolution permet d’éviter des distinctions inutiles entre des procédures en réalité très proches dont les objectifs sont communs : faire intervenir un tiers pour tenter d’accorder les parties en vue de la résolution amiable d’un litige. Enfin, le décret du 2 novembre 2016 ajoute la possibilité pour l’expert mandaté par la juridiction administrative de prendre l’initiative d’une médiation, si les parties en sont d’accord[10]

B. La loi du 18 novembre 2016 définit en outre un cadre juridique protecteur des droits des parties.

Ces dernières doivent bien sûr consentir au principe d’une médiation et, dans bien des cas, ce sont elles qui seront à son initiative. Elles pourront toutefois, même dans cette hypothèse, bénéficier de l’appui et du soutien des juridictions pour l’organisation de la procédure et la désignation du médiateur[11]. A aucun moment, une procédure de médiation ne pourra donc être imposée aux parties, même après l’engagement d’une procédure juridictionnelle[12] ; une telle obligation serait d’ailleurs tout à fait contraire à l’esprit de la médiation et aurait des effets contre-productifs. Le juge administratif pourra aussi être saisi pour homologuer la transaction et lui donner force exécutoire[13].

Il était également nécessaire de clarifier l’articulation de la médiation avec les procédures juridictionnelles. C’est ce que fait la loi du 18 novembre dernier qui précise les conditions d’interruption et de suspension des délais de recours et de prescription[14]. L’ouverture d’une procédure de médiation a ainsi pour effet d’interrompre les délais de recours contentieux, qui ne recommenceront à courir que lorsque le médiateur ou l’une ou l’autre des parties aura déclaré la médiation terminée. Par ailleurs, les délais de prescription sont suspendus pendant toute la durée de la procédure de médiation et ils ne recommenceront à courir qu’à son issue pour une période qui ne pourra être inférieure à six mois.

Enfin, la loi prévoit expressément que le médiateur accomplit sa mission « avec impartialité, compétence et diligence » et elle consacre le principe de confidentialité qui s’attache à la procédure de médiation[15].

 

II.  La pratique doit maintenant confirmer les conditions du recours à la médiation.

A. Le recours à une procédure de médiation obligatoire est envisagé dans certaines hypothèses.

 La loi du 18 novembre 2016 prévoit en effet, à titre expérimental et pour une durée de quatre ans, un dispositif de médiation préalable obligatoire avant toute saisine du juge dans deux domaines : les litiges relatifs à la situation personnelle des agents publics et les recours relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi[16]. Les conditions de cette expérimentation seront précisées par un décret en Conseil d’Etat. Nous préparons la mise en œuvre de ce projet que nous soutenons fermement et pour lequel des premiers partenaires ont déjà été identifiés, auprès du Défenseur des droits, dans les centres de gestion de la fonction publique territoriale et avec le médiateur de l’éducation nationale. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. Nous veillerons bien sûr à la compétence et l’impartialité des médiateurs.

B. Au-delà des premières expériences, une véritable culture de la médiation doit se diffuser.

Je suis convaincu que l’essor des procédures amiables ne sera possible que si la communauté juridique et, plus largement, les acteurs de la résolution des conflits – est, plus particulièrement, les juges et les avocats – font l’effort de s’impliquer dans le développement et la réussite de ces nouveaux dispositifs. Il est notamment nécessaire que nous puissions compter sur l’expertise et la compétence de médiateurs reconnus et formés aux exigences déontologiques et méthodologiques de leur mission. La diffusion des bonnes pratiques et le partage des expériences doit également nous permettre d’assurer la qualité des procédures de médiation au profit des citoyens et de la société toute entière. Pour formaliser ces échanges et les développer, le Conseil d’Etat vient de créer un comité « justice administrative et médiation » qui réunit des membres de la juridiction administrative ainsi que des avocats, des professeurs et des représentants de l’administration. Conformément à la lettre de mission que j’ai adressée, le 21 octobre dernier, au président de ce comité, M. Xavier Libert, ancien président du tribunal administratif de Versailles, celui-ci a notamment la charge d’identifier un réseau de tiers indépendants susceptibles d’occuper les fonctions de médiateur, d’explorer les possibilités d’orientation des litiges vers les procédures amiables, d’élaborer un guide de la médiation et de définir le contenu des actions de formation à destination des magistrats et des agents de greffe. Des « référents médiation » sont parallèlement désignés dans chacune des juridictions administratives.

Si nous devons nous organiser et créer une dynamique interne au sein de la juridiction administrative, je souhaite aussi vivement que l’on puisse s’engager dans une stratégie de conventionnement externe, en vue de donner de l’élan et du crédit à la médiation. Car les avocats doivent être les chevilles ouvrières des changements à promouvoir. C’est pourquoi je propose qu’une convention-cadre puisse être signée entre la juridiction administrative, d’une part, et le Conseil national des Barreaux, d’autre part, et que cette convention nationale puisse être transposée localement entre les juridictions et les différents ordres des avocats, notamment le Barreau de Paris.

 

Nous entrons ainsi dans une nouvelle phase de développement des procédures amiables en matière administrative. Il nous appartient désormais collectivement de nous saisir de ces nouveaux outils pour leur donner leur pleine portée. C’est, ainsi que je le disais déjà le 24 juin dernier, une responsabilité partagée entre tous, car je suis convaincu que, sans une coopération renforcée entre les juridictions, les barreaux, les administrations et le monde universitaire, le recours aux procédures amiables manquera sa cible, alors même qu’il existe, je le crois, une véritable attente de la part de nos concitoyens pour recoudre un lien social de plus en plus distendu, voire déchiré, dans notre pays et pour co-construire une paix sociale durable. Cette ambition est à notre portée et chacun d’entre nous doit y contribuer. C’est pourquoi je remercie le Barreau de Paris d’avoir organisé, dans le cadre de sa rentrée solennelle de 2016, une journée consacrée aux modes alternatifs de règlement des litiges.

[1] Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2]Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle.

[3]Décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, publié au Journal officiel le 4 novembre 2016 et qui entrera en vigueur au 1er janvier 2017.

[4]Une mission de conciliation avait été reconnue aux magistrats des tribunaux administratifs par la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 avant d’être étendue aux cours administratives d’appel (loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011).

[5]La médiation était prévue uniquement pour les litiges transfrontaliers n’impliquant pas l’usage de prérogatives de puissance publique, conformément à la directive 2008/52/CE dont la transposition a justifié la création des articles L. 771-3 et suivants du code de justice administratifs (ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011).

[6]Voir sur ce point l’article d’O. Piérart, présidente de la mission d’inspection des juridictions administratives, in Conciliation et médiation devant la juridiction administrative, actes du colloque du Conseil d’Etat du 17 juin 2015, L’Harmattan, 2015, p. 177.

[7]L’article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIe siècle abroge le chapitre Ier ter du titre VII du livre VII du code de justice administrative.

[8]Article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui crée un article L. 213-1 dans le code de justice administrative : « La médiation régie par le présent chapitre s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction. »

[9]VI de l’article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle.

[10]Article 23 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016.

[11]Article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle qui crée l’article L. 213-5 du code de justice administrative : « Les parties peuvent, en dehors de toute procédure juridictionnelle, organiser une mission de médiation et désigner la ou les personnes qui en sont chargées. / Elles peuvent également, en dehors de toute procédure juridictionnelle, demander au président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel territorialement compétent d’organiser une mission de médiation et de désigner la ou les personnes qui en sont chargées, ou lui demander de désigner la ou les personnes qui sont chargées d’une mission de médiation qu’elles ont elles-mêmes organisée. (…) ».

[12]Article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui crée l’article L. 213-7 du code de justice administrative.

[13]Article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle qui crée l’article L. 213-4 du code de justice administrative : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut, dans tous les cas où un processus de médiation a été engagé en application du présent chapitre, homologuer et donner force exécutoire à l’accord issu de la médiation. ». Cette possibilité existait déjà en vertu de CE Avis, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-roses, n° 249153.

[14]Article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle qui crée l’article L. 213-6 du code de justice administrative : « Les délais de recours contentieux sont interrompus et les prescriptions sont suspendues à compter du jour où, après la survenance d’un différend, les parties conviennent de recourir à la médiation ou, à défaut d’écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation. / Ils recommencent à courir à compter de la date à laquelle soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur déclarent que la médiation est terminée. Les délais de prescription recommencent à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois. »

[15] Article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle qui crée l’article L. 213-2 du code de justice administrative : « Le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. / Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord des parties. »

[16]IV de l’article 5 de la loi n° 2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle : « À titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi, les recours contentieux formés par certains agents soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle et les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi peuvent faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, cons. 15 à 20.