L’entreprise et la sécurité juridique

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention lors du Colloque organisé par la Société de législation comparée au Conseil d’État le vendredi 21 novembre 2014

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Colloque organisé par la Société de législation comparée
Conseil d’État,  Vendredi 21 novembre 2014

Ouverture par Jean-Marc Sauvé[1],  vice-président du Conseil d’État

 

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

« L’État de droit n’est (…) que la dose de juridique que la société peut supporter sans étouffer »[2]. Par ces mots que j’emprunte au doyen Vedel, se donne à entendre, non pas une marque de défiance à l’égard de juristes, parfois soupçonnés de « fétichisme juridique »[3], mais, au contraire, leur conscience attentive des finalités sociales et économiques qui justifient le périmètre et la profondeur des interventions du droit. Parmi ces finalités, figurent au premier chef la sécurité et la sûreté, qualifiées par Jean Carbonnier de « besoin juridique élémentaire et, si l’on ose dire, animal »[4]. La sécurité juridique est en effet pour le juriste un principe tout à la fois directeur et régulateur. Elle désigne une exigence sociale dont l’intensité et les composantes se sont accentuées et diversifiées depuis plusieurs décennies. Mais elle renvoie aussi à la compensation des effets potentiellement déstabilisateurs de la multiplication et de l’application inconséquente des normes juridiques. Elle est tout à la fois ce qui en justifie l’adoption et ce qui en limite ou en amortit les effets.

Ainsi comprise, la sécurité juridique n’a rien d’un impératif absolu et catégorique, elle se conçoit et elle s’exerce comme le pendant dialectique du principe de légalité. Si le terme même de « sécurité juridique » semble venu d’ailleurs[5] et faire figure d’innovation, il recouvre en réalité une palette de garanties anciennes, en matière de publicité, de rétroactivité et de protection des droits acquis. Plus fondamentalement, la sécurité juridique désigne l’exigence d’un développement continu et maîtrisé des normes juridiques, conciliant leur nécessaire mutabilité avec un impératif de stabilité. En France, la consécration tardive d’un principe général du droit autonome[6] et l’absence de principe à valeur constitutionnelle spécifique ne doivent pas créer l’illusion que notre système juridique serait structurellement moins protecteur ou que nos juristes seraient plus timorés qu’ailleurs[7]. Prise d’une manière abstraite et générale, dans sa pureté principielle, la sécurité juridique court le risque d’être frappée d’ « insignifiance »[8] ou d’être inaperçue. Il en va de même pour son corollaire subjectif, le principe de confiance légitime[9]. Afin d’éviter toute approche comparative sommaire, il faut dès lors examiner ces deux principes matriciels sous leurs différentes facettes pratiques et, en particulier, dans la mise en œuvre in concreto des contrôles juridictionnels[10]. Ce faisant, les perfectionnements successifs des garanties de sécurité juridique apparaissent comme consubstantiels à l’édification d’un État de droit moderne, processus dans lequel la France a pu être précurseur, comme par exemple en encadrant par de strictes conditions, au cours du XXème siècle, le retrait des décisions individuelles créatrices de droits[11], ou encore en prohibant par principe la rétroactivité des actes réglementaires[12].

Pour autant, la sécurité juridique d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. Les besoins de stabilité et de prévisibilité des entreprises se sont intensifiés, d’abord pour des raisons proprement économiques et financières, à l’heure d’une mondialisation des échanges et d’une concurrence accrue dans la conquête des marchés, l’utilisation des ressources et la découverte d’innovations. Ces besoins sont ensuitel’expression d’un désarroi croissant face aux pathologies contemporaines de la production normative. L’inflation et l’instabilité des lois et des règlements sont devenues des vecteurs autonomes et puissants d’insécurité juridique. C’est dans ce double contexte – globalisation économique et dégradation de la qualité des normes - qu’ont été rénovées les garanties de sécurité juridique, en particulier sur le terrain des mesures transitoires, et qu’a été affinée d’une manière plus subjective la conciliation entre des intérêts publics et privés parfois antagonistes. Alors que la tentation d’une concurrence, sinon d’une rivalité, entre droits nationaux se renforce à l’échelle mondiale et reste forte même en Europe, les responsables publics ont en effet pris conscience de la part du droit dans l’attractivité d’un territoire. Une simplification et un assouplissement maîtrisé des règles applicables aux entreprises sont à cet égard des gages tangibles de compétitivité. Plus profondément, s'impose une régulation nouvelle du « cycle de vie » de chaque norme, depuis leur conception et leur adoption, en passant par leur application, jusqu’à leur actualisation ou leur disparition.

Avant de laisser la parole à la présidente de séance, Mme Jacqueline de Guillenchmidt, je souhaiterais présenter le panorama des garanties de sécurité juridique dont bénéficient les entreprises (I), puis identifier les conditions actuelles de leur approfondissement grâce à une action volontaire et concertée des responsables publics (II).

 

 I. Les garanties assurant aux agents économiques et, en particulier, aux entreprises la stabilité du droit appliqué ont été renforcées en France depuis une décennie.

Alors que les besoins des entreprises en matière de sécurité juridique se sont intensifiés (A), des instruments nouveaux ont été inventés et composent désormais, notamment entre les mains des juges, une palette diversifiée et opérationnelle (B).

A. Si l’ensemble de nos concitoyens attendent du droit qu’il soit stable, accessible et prévisible dans son application, les entreprises expriment auprès des autorités publiques des besoins spécifiques.

« Savoir » et « prévoir »[13], telles en sont les deux composantes: d’un côté, selon un « axe formel »[14], l’accessibilité, la lisibilité, la clarté du droit en vigueur, de l’autre, selon un « axe temporel »[15], la prévisibilité et la fiabilité du droit applicable, puis appliqué. Les entreprises entendent en effet prendre appui sur un cadre légal solide et pérenne pour calculer les risques inhérents à toute opération d’investissement, de recrutement et de développement économique. Est notamment intégrée à ce calcul l’évaluation des « risques contentieux » susceptibles de paralyser ou de menacer la réalisation de leurs projets. Certes, les entreprises et leurs directions juridiques apparaissent mieux armées que les citoyens isolés pour connaître le droit applicable, mais cette accessibilité reste toute relative s’agissant des petites et moyennes entreprises. Une fois la complexité des règles applicables appréhendées, la stabilité dans la durée et la fiabilité des droits acquis constituent, dans cette mesure, le cœur de leurs préoccupations : toute leur attention se porte sur l’élément le plus dynamique du droit, sur sa « fiabilité intertemporelle »[16] et sur le lissage dans le temps des changements de normes.

Or les attentes des entreprises se sont intensifiées sous l’effet des imperfections actuelles de notre système de production et d’application du droit. Le diagnostic est désormais connu, au point d’être devenu un poncif, depuis les rapports consacrés par le Conseil d’État en 1991[17] et en 2006[18] à la sécurité juridique. Des normes trop nombreuses, obscures, voire absconses, et des normes surtout trop volatiles et instables, dégradent l’attractivité de notre écosystème juridique. Selon les données[19] établies par le Secrétariat général du Gouvernement, 2 016 lois, 600 ordonnances et 26 198 décrets étaient en vigueur au 31 décembre 2010. L’analyse des flux montre qu’en neutralisant les effets de substitution entre textes anciens et nouveaux, l’augmentation nette du nombre d’articles par loi atteint +8% chaque année[20] et le nombre de mots +6%[21], qu’en outre, au cours des années 2000, en neutralisant l’effet lié aux progrès de la codification, le nombre d’articles par code a augmenté de +17%, et le nombre de mots s’est accru +40%. Bien plus, le nombre de modifications des codes chaque année a régulièrement augmenté, atteignant, par exemple, entre 60 et 80 actualisations par an pour le code général des impôts. Cette situation, non seulement signale une dégradation inquiétante de la qualité des normes dont ont pris conscience les pouvoirs publics, mais elle fait aussi peser sur les entreprises des coûts élevés : comme le soulignait dès 2006 le Conseil d’État, « le coût de la complexité des normes et des procédures est évalué, pour les pays de l’OCDE, à une somme représentant, en 2000, entre trois et quatre points de PIB selon les pays »[22].

B. Pour répondre à ces besoins nouveaux, les stabilisateurs traditionnels conservent toute leur pertinence, mais ils ont dû être renouvelés et enrichis, afin de réduire les effets indésirables résultant de normes rétroactives, que ces dernières soient des décisions de retrait, des annulations contentieuses ou des lois nouvelles.

En premier lieu, le délai de retrait de décisions individuelles créatrices de droits et illégales a été temporellement limité pour des motifs de sécurité juridique, tant par la jurisprudence que par la loi. Pour que l’absence de mesures de publicité adéquates, notamment à l’égard des tiers[23], n’ouvre pas un délai de retrait indéfini, ce délai, désormais découplé du délai de recours contentieux[24], a été fixé, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires[25], à quatre mois[26] à compter de l’édiction d’une décision individuelle créatrice de droits, illégale et explicite[27]. Dans le cas de décisions implicites d’acceptation, l’article 23 de la loi du 12 avril 2000[28] dispose que le délai de retrait court pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d’information à l’égard des tiers ont été mises en œuvre ou, à défaut de telles mesures, pendant un délai de deux mois à compter de l’édiction de telles décisions. Le même article précise que, lorsqu’un recours contentieux a été formé dans les délais impartis, ces décisions peuvent être retirées pendant toute la durée de l’instance, qu’elles aient fait ou non l’objet de mesures de publicité[29]. Enfin, s’agissant des décisions implicites de rejet, « ni la législation, ni la jurisprudence ne sont revenues sur l’arrêt Dame Cachet »[30] : le délai de retrait s’identifie alors au délai de recours contentieux[31]. Depuis près de quinze ans, la conciliation posée dès 1922 par la jurisprudence entre l’exigence de stabilité juridique et le principe de légalité a été affinée dans le sens d’une plus grande sécurité juridique, et elle a directement inspiré la restriction des conditions d’abrogation des actes individuels créateurs de droits[32].

En deuxième lieu, l’effet rétroactif d’une annulation contentieuse peut parfois emporter des conséquences manifestement excessives, en raison tant des effets que l’acte annulé a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur, que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets. C’est pourquoi, le juge administratif peut moduler dans le temps cet effet rétroactif, en prenant en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation. Cette modulation, lorsqu’elle est nécessaire, peut conduire à regarder les effets de l’acte litigieux antérieurs à son annulation comme définitifs ou même, le cas échéant, à ce que certains de ces effets restent provisoirement en vigueur jusqu'à une date ultérieure déterminée par le juge[33]. Cet office du juge administratif, conçu originellement à « titre exceptionnel »[34], s’est désormais banalisé[35], dans le respect du principe du débat contradictoire[36] et sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la décision d’annulation, ce qui n’interdit toutefois pas au juge de tenir compte du nombre de ces dernières pour différer les effets de l’annulation[37]. Mis en œuvre de longue date et en partie de manière prétorienne par la Cour de justice de l’Union européenne[38], ce pouvoir de modulation trouve aussi à s’appliquer pour des raisons impérieuses, lorsque l’effet rétroactif d’une annulation contentieuse entraînerait une méconnaissance encore plus grave du droit de l’Union que celle résultant du maintien temporaire des effets de l’acte annulé. 

En troisième lieu, si la rétroactivité des seules lois pénales est proscrite par l’article 8 de la Déclaration de 1789[41], la rétroactivité des autres lois a été strictement limitée par le Conseil constitutionnel grâce à la notion fonctionnelle de « situation légalement acquise »[42] qui irrigue toute sa jurisprudence. Il s’agit, au premier chef, de la rétroactivité des lois fiscales : par une décision du 18 décembre 1998[43], il a ainsi été jugé que « si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles »[44]. Il s’agit ensuite des lois s’appliquant immédiatement à des contrats en cours d’exécution à cette date. Cette situation de « pseudo-rétroactivité »[45] a été progressivement encadrée par la jurisprudence constitutionnelle : si le législateur peut apporter des modifications à l’économie des contrats légalement conclus, il ne peut le faire que pour un motif d’intérêt général[46], désormais suffisant[47], sans méconnaître les exigences des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789[48]. Comme le relève le président Olivier Dutheillet de Lamothe, « la référence non plus seulement à l’article 4, qui est le fondement de la liberté contractuelle, mais à l’article 16, qui est le fondement [de la garantie des droits], montre bien que cette jurisprudence s’inscrit dans le cadre inspiré par le principe de sécurité juridique »[49]. Enfin, il s’agit des lois de validation – qui peuvent être des lois fiscales - dont la rétroactivité a été limitée grâce à un dialogue entre juges européens et constitutionnels. Dans le sillage de la jurisprudence Zielinski de la Cour européenne des droits de l’Homme[50], le Conseil constitutionnel subordonne[51] la validation d’un acte dont le juge est saisi à l’existence d’un motif d’intérêt général, d’abord qualifié de « suffisant »[52], puis, reprenant l’expression strasbourgeoise, qualifié d’ « impérieux »[53]. Au terme de cette évolution, la rétroactivité des lois non pénales, sans être par principe prohibée, fait désormais l’objet d’un strict contrôle de proportionnalité par le Conseil constitutionnel.

Si des stabilisateurs[54] assurent ainsi aux entreprises la pérennité des droits qu’elles ont acquis, ils demeurent toutefois inopérants sur les effets perturbateurs nés d’un changement brusque de réglementation. Or prévoir ces changements et avoir le temps d’anticiper les coûts et les avantages qui en résulteront font, me semble-t-il, partie des attentes fortes exprimées par les entreprises.

 

II. L’attractivité de l’écosystème juridique français doit être améliorée grâce à une meilleure prévisibilité des normes et une meilleure coordination de l’ensemble des autorités publiques chargées de leur conception, de leur adoption et de leur application.

A. Longtemps, le droit français a été présenté comme étranger, sinon hostile, à une approche subjective de la sécurité juridique. On a voulu y trouver l’identité d’un modèle - et parfois d’un contre-modèle. Son approche objective domine certes – on l’a montré - les notions jurisprudentielles de « droits acquis » ou de « situations légalement acquises » : ni le juge administratif, ni le juge constitutionnel ne subordonnent la protection de ces droits et situations au caractère légitime des espérances qu’ils ont fait naître . Toutefois, cette approche n’épuise plus la richesse de notre droit qui a su, sans se dénaturer, s’enrichir de garanties nouvelles. Le « principe de sécurité juridique », consacré par  un arrêt[55] d’Assemblée du 24 mars 2006, permet désormais de répondre d’une manière plus fine et plus concrète aux attentes des justiciables et, notamment, des entreprises.

1. En premier lieu, s’il n’existe aucun droit au maintien d’un règlement en vigueur[56], les perturbations nées d’un changement de réglementation doivent pouvoir être anticipées et amorties au mieux. Il incombe à cet égard à « l’autorité investie du pouvoir réglementaire (…) d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, [une] réglementation nouvelle ». « Il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause »[57]. Il appartient le cas échéant au juge administratif de contrôler selon une approche in concreto et en partie subjective, le caractère suffisant des mesures transitoires adoptées, lorsqu’elles sont nécessaires. Celles-ci peuvent consister à différer l’entrée en vigueur d’une réglementation nouvelle ou encore à édicter des mesures préparatoires ou intermédiaires. Le juge examine en particulier le caractère raisonnable du délai de transition octroyé[58] et la nature des mesures adoptées avant l’entrée en vigueur d’un nouvel acte[59], au regard notamment des capacités d’adaptation[60] de ses destinataires et des informations qu’ils détenaient sur son adoption[61].

En certains cas, le juge opère un contrôle renforcé sur la nécessité de mesures transitoires. Il s’agit, tout d’abord, de celles ayant pour effet de retarder l’application effective du droit de l’Union européenne. Sont ainsi annulées des dispositions réglementaires prévoyant une période transitoire, alors qu’aucun « motif impérieux » n’était susceptible « de justifier (…) un délai pour la mise en conformité complète du droit français avec le droit de l’Union européenne »[62]. Il s’agit ensuite, mais selon une perspective inversée, des mesures provisoires ayant pour effet d’écarter l’application d’une réglementation nouvelle aux situations contractuelles en cours : en ce cas, c’est leur application immédiate qui est strictement encadrée. D’une part, le seul silence de la loi sur son application aux situations contractuelles en cours à la date de son entrée en vigueur ne saurait être interprété comme autorisant implicitement une telle application, en l’absence d’un « motif d’intérêt général suffisant lié à un impératif d’ordre public »[63]. D’autre part, l’entrée en vigueur immédiate d’un acte réglementaire, lorsqu’elle a pour effet de modifier les contrats en cours d'exécution à cette date, doit aussi répondre à « un motif d’intérêt général suffisant lié à un impératif d’ordre public »[64], tenant, par exemple, à l’établissement d’une concurrence effective et loyale sur un marché.

2. En deuxième lieu, l’obligation de prendre des mesures transitoires s’impose aussi au juge dans l’exercice de son office. Lorsqu’il définit des règles jurisprudentielles nouvelles, notamment les conditions d’exercice du droit au recours, il aménage leur entrée en vigueur, afin de ne pas porter une atteinte excessive aux situations légalement acquises. En matière contractuelle, les recours de pleine juridiction créés au bénéfice des concurrents évincés[65] puis pour tout tiers[66] n’ont ainsi pas été ouverts contre les procédures ou les contrats en cours d’exécution. Le juge prévient et neutralise aussi grâce à des mesures transitoires les difficultés de tous ordres qui peuvent résulter de l'extinction des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés. Le transitoire prend alors le relais du provisoire. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir accueille des conclusions tendant à l'annulation d'un acte dont l'exécution a été préalablement suspendue par le juge des référés, « il lui appartient, le cas échéant d’office, d’apprécier s’il y a lieu de décider que sa décision d’annulation soit accompagnée de mesures transitoires (…) et, en ce cas, de prescrire la publication de sa décision au Journal officiel de la République française [67]. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir rejette de telles conclusions, il lui appartient, le cas échéant d'office, d'apprécier s'il y a lieu de décider que sa décision de rejet, entant qu'elle met fin à la suspension précédemment prononcée, ne prendra effet qu'à une date ultérieure ou, le cas échéant, d'assortir sa décision de la fixation d'une nouvelle période transitoire pour les dispositions dont l'exécution avait été suspendue »[68]. Enfin, d'une manière plus géénrale, le juge dispose de pouvoirs élargis de régularisation, notamment en matière contractuelle afin que soit pleinement préservée l'exigence de stabilité des relations contractuelles[71].

3. En troisième lieu, une approche plus subjective de la sécurité juridique invite désormais le juge à prendre en considération les espérances légitimes des acteurs économiques. Si le principe de confiance légitime n’est invocable que dans le champ du droit de l’Union européenne[72], la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui consacre un tel principe[73], a été le vecteur[74] d’une approche renouvelée grâce à une conception autonome de la notion de « bien » au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel[75]. Dans le sillage de cette jurisprudence, le juge administratif reconnaît en effet qu’ « à défaut de créance certaine, l’espérance légitime d’obtenir la restitution d’une somme d’argent doit être regardée comme un bien au sens de [cet article] »[76]. La légitimité de ces espérances est alors examinée à l’aune de la suffisance de leur « base » en droit interne, que celle-ci soit jurisprudentielle[77] ou législative[78]. Dans le premier cas, seule une jurisprudence constante ou s’inscrivant dans un courant jurisprudentiel clair et déterminé est susceptible de faire éclore une espérance légitime[79]. Dans le second cas, lorsqu’une loi de finances modifie les règles d’assiette de l’impôt sur les sociétés et s’applique aux revenus ou bénéfices de l’année en cours[80], la « petite rétroactivité » qui en résulte traditionnellement peut cependant, dans certains cas, porter atteinte à des espérances qualifiables de légitimes, notamment lorsqu’est décidée la suppression d’un dispositif fiscal incitatif instauré par le législateur pour une période déterminée[81].

Cette approche subjective culmine désormais à un niveau constitutionnel. Si le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître un principe autonome de confiance légitime[82], il a cependant enrichi la « garantie des droits », découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Par une décision du 19 décembre 2013[83], il a en effet jugé que s’il reste loisible au législateur de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, (…) il ne saurait [toutefois], sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni mettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ». En l'espèce, le Conseil constitutionnel a jugé que le seul objectif d'une augmentation du rendement des prélèvements sociaux ne pouvait justifier que soit écartée l'application légitimement attendue de taux réduits d'imposition aux contrats d'assurance-vie qui ont été conservés pendant une certaine durée légale. Comme l’a relevé la doctrine, par cette décision du 19 décembre 2013, « la confiance légitime [est entrée] discrètement au Conseil constitutionnel »[84], mais d’une manière certaine.

B. Le renforcement des contrôles juridictionnels sur le terrain de la confiance légitime, qui est un « corollaire »[85] de la sécurité juridique, est une condition nécessaire, mais cependant non suffisante pour redresser l’attractivité de notre système normatif. Le « cycle de vie » des normes applicables aux entreprises doit en effet être davantage orienté vers la prise en compte de leurs demandes de stabilité et de prévisibilité.

1. Au stade de leur conception, l’obligation constitutionnelle[86] d’assortir les projets de loi d’une étude d’impact complète et suffisante doit permettre de mieux anticiper les coûts et avantages auxquels peuvent s’attendre les entreprises. Les formations consultatives du Conseil d’État veillent au respect de ces exigences, encore insuffisamment prises en compte[87]. Au niveau réglementaire, une exigence équivalente a été posée, par voie de circulaires[88], en particulier lorsque des normes nouvelles s’appliquent aux entreprises, et une exigence spéciale a été instaurée pour les petites et moyennes entreprises, par une circulaire du 9 janvier 2013[89], consistant à tester ex ante l’impact financier et organisationnel d’une norme réglementaire nouvelle.

Toujours en amont, l’extension des mécanismes de rescrit ou de pré-décision représente une perspective prometteuse, ce qu’a souligné le Conseil d’État dans une étude[90] réalisée en 2013 à la demande du Gouvernement. Le rescrit, déjà utilisé dans les domaines fiscal, social et douanier, permet d’obtenir une prise de position opposable à  l’administration sur l’application d’une réglementation à une situation individuelle, lorsque le respect de cette réglementation n’est pas constaté obligatoirement par une décision ultérieure. Son utilisation, qui doit respecter les règles essentielles d’ordre public et préserver la situation des tiers, est particulièrement adéquate, lorsque l’action administrative a un objet simplement pécuniaire. La pré-décision, quant à elle, permet d’obtenir, en amont d’une procédure d’autorisation ou de déclaration, une prise de position décisoire de l’administration sur certains aspects d’un projet – qualification juridique, procédure applicable… -, dans le respect des règles du contentieux administratif, notamment celle régissant la technique de l’exception d’illégalité. En complément d’instruments plus classiques, comme les circulaires et les instructions, ces deux outils, s’ils étaient ainsi développés - comme cela est déjà en partie réalisé et encore en partie à l’état de projet[91] -, permettraient d’éclairer les opérateurs économiques sur les conditions de faisabilité et de pérennité de leurs projets.

2. Au stade de la rédaction, un soin particulier doit être apporté à la clarté des normes nouvelles. S’agissant des lois, le Conseil constitutionnel censure[92], pour incompétence négative et donc méconnaissance de l’article 34 de la Constitution, des dispositions législatives insuffisamment claires. Il censure[93] aussi des dispositions insuffisamment précises ou équivoques, qui porteraient atteinte à l’objectif[94] à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789. Enfin, il censure[95] des dispositions qui ne revêtiraient pas de portée normative et méconnaîtraient ainsi l’article 6 de cette même Déclaration, sauf à ce qu’elles entrent dans la catégorie des lois de programmation.

3. Au stade de l’entrée en vigueur de normes nouvelles, une attention spécifique doit être portée à d’éventuelles mesures transitoires – nous y avons insisté et les formations administratives du Conseil d’État constatent souvent que ce point est négligé. En outre, pour chaque nouvelle norme, un calendrier détaillé et régulier doit être défini. A cet égard, une circulaire du 23 mai 2011 instaure, pour les textes réglementaires concernant les entreprises, des « dates communes d’entrée en vigueur »[96]. Ce dispositif prévoit un différé d’entrée en vigueur, d’un minimum de deux mois, mais aussi la fixation d’un nombre restreints d’échéance au cours de l’année – le 1er jour de chaque trimestre.  Il serait évidemment souhaitable que ces sages mesures soient pleinement respectées.

4. Enfin, au stade de l’application des normes, une évaluation périodique et systématique doit permettre de mesurer les résultats obtenus au regard des objectifs fixés. Bien plus, un effort massif de simplification du stock des normes existantes est devenu l’axe structurel d’une sécurisation de l’activité des entreprises. C’est, en effet, dans cette perspective que se sont résolument engagés les pouvoirs publics[97]. Des structures spécifiques ont été créées – telles que le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) et le secrétariat d’État à la réforme de l’État et à la simplification, placé auprès du Premier ministre - ou encore les fonctions du directeur, adjoint au Secrétaire général du Gouvernement, chargé de la simplification[98]. Des programmes ambitieux ont aussi été engagés, comme le programme « un pour un » neutralisant toute charge nouvelle nette pour les entreprises[99], ou encore le programme « Dites le nous en une fois »[100]. C’est dans cette voie d’une simplification de la « vie des entreprises », pour citer l’intitulé d’une loi récente[101] et d’un projet de loi en cours d’examen au Parlement[102], qu’il faut résolument progresser en agissant conjointement sur le flux des normes nouvelles et sur le stock des règles applicables.

 

Vous le voyez, les exigences de sécurité juridique et de confiance légitime sont devenues en seulement une décennie, le moteur le plus puissant et la perspective la plus stimulante de rénovation de notre droit public. Je tiens à remercier la Société de législation comparée, organisatrice du présent colloque, de nous inviter à mieux connaître des traditions juridiques variées – européenne, mais aussi chinoise et marocaine – à partir de cas concrets. Je me réjouis également de la réunion aujourd’hui de juges, de professeurs, d’avocats, mais aussi de représentants des entreprises, dont les regards critiques et prospectifs sur l’efficacité des garanties actuelles de sécurité juridique sauront se compléter, se conjuguer et faire éclore, je l’espère, de nouvelles pistes de réflexion et de travail pour affermir la sécurité juridique. Car si la Société de législation comparée a pris l’initiative de nous réunir aujourd’hui sur le thème de la sécurité juridique, ce n’est pas aux fins d’acter, comme l’enseignait Pangloss le leibnizien à Candide, que « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».

[1]Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.

[2]G. Vedel, Actes du colloque L’État de droit au quotidien, p. 65, cité par D. Labetoulle, « Principe de légalité et principe de sécurité », Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, éd. Dalloz, 1996, p. 403.

[3]Pour reprendre l’expression du président D. Labetoulle, voir op.cit., p. 404.

[4]J. Carbonnier, Flexible droit, éd. LGDJ, 1992, p. 172.

[5]D’inspiration allemande (voir sur ce point, Jürgen Schwarze, Droit administratif européen, éd. Bruylant, 2009, p. 933), le principe de sécurité juridique a été consacré comme un principe général du droit communautaire (CJCE 6 février 1962, Bosch, 13/61, Rec. 89) et comme « nécessairement inhérent au droit de la Convention européenne comme au droit communautaire » (CEDH 13 juin 1979, Marckx contre Belgique, §58, série A, n°31). Voir, J.-P. Puissochet, « Vous avez dit confiance légitime ? (le principe de confiance légitime en droit communautaire) », Mélanges en l’honneur de G. Braibant, éd. Dalloz, 1996, p. 581.

[6]CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et autres, n°288460 ; voir, GAJA, 19e éd., n°111, p. 875.

[7]Voir, B. Mathieu, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient », Mélanges Patrice Gélard, 1999, p. 301.

[8]« Il ne faut pas que (…) soit masquée la réalité, qui est faite de la reconnaissance des multiples concrétisations d’un tel principe [celui de sécurité juridique], dont il faut bien voir que, réduit à lui-même, il a une portée tellement générale qu’il est frappé d’insignifiance », R. Chapus, Droit administratif général, tome 1, éd. Montchrestien, 15ème éd., 2001, n°135, p. 105.

[9]Voir, S. Calmes, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, thèse, éd. Dalloz, 2001 ; P. Mouzouraki, Le principe de confiance légitime en droit allemand, français et anglais : un exemple de convergence des droits administratifs des pays européens ?, éd. Bruylant, 2011.

[10]Voir, sur ce point : J. Boulouis et J. Chevallier, Les grands arrêts de la Cour de justice, tome I, éd. Dalloz, 1994, p. 76 : « plus fonctionnelle que conceptuelle, la sécurité juridique n’est rien d’autre que le nom donné par le juge aux manifestations de son équité et de sa discrétionnarité ».

[11]CE 3 novembre 1922, Dame Cachet, Rec. 790.

[12]CE, Ass., 25 juin 1948, Société du journal « L’Aurore », Rec. 289.

[13]Voir, sur ce point, S. Calmes, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, thèse, éd. Dalloz, 2001, pp.155 et suivantes, « définition de la sécurité juridique ».

[14]Voir, Conseil d’État, rapport public annuel 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, éd. La documentation française, p. 282.

[15]Voir, Conseil d’État, rapport public annuel 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, éd. La documentation française, p. 282.

[16]die intertemporäre Verlässlichkeit”, voir M. Rümelin, Die Rechtssicherheit, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), Tübingen, 1924, cité par S. Calmes, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, thèse, éd. Dalloz, 2001, p. 163.

[17]Conseil d’État, rapport public annuel 1991, De la sécurité juridique, éd. La documentation française.

[18]Conseil d’État, rapport public annuel 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, éd. La documentation française.

[19]Lois et règlements en vigueur. Approche statistique, Secrétariat général du Gouvernement, janvier 2011 ; rapport disponible en ligne : http://archives.gouvernement.fr/fillon_version2/sites/default/files/fichiers_joints/Lois_et_reglements_en_vigueur__statistiques.pdf

[20]Entre 2007 et 2010, voir Lois et règlements en vigueur. Approche statistique, Secrétariat général du Gouvernement, janvier 2011.

[21]Autre indicateur de cette inflation normative : le nombre de pages publiées chaque année au Journal officiel de la République française « Lois et décrets » est passé de 15 000 pages en 1980 à 23 300 pages en 2009.

[22]Conseil d’État, rapport public annuel 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, éd. La documentation française ; voir, en particulier, 2.2 l’insécurité des opérateurs économiques, pp. 277-278.

[23]Voir, CE, Ass., 6 mai 1966, Ville de Bagneux, Rec. 303 : « même si la notification à la personne au profit de laquelle des droits sont susceptibles de naître a entraîné l'expiration du délai de recours en ce qui concerne cette personne, le défaut de publication empêche le délai dont s'agit de courir à l'égard des tiers, lesquels conservent la possibilité de former un recours gracieux ou contentieux; que, la décision ne pouvant, dès lors, être réputée avoir acquis un caractère définitif, l'administration peut légalement, en ce cas et même si aucun recours n'a, en fait, été exercé par un tiers intéressé, rapporter d'office à tout moment la décision entachée d'illégalité ».

[24]Revenant sur la solution dégagée par l’arrêt Dame Cachet, précité.

[25]Voir, par exemple, l’art. L. 424-5 du code de l’urbanisme et CE 13 février 2012, Association société protectrice des animaux de Vannes, n°351617.

[26]La notification de la décision de retrait peut intervenir au-delà du délai de quatre mois, seule est prise en compte sa date d’édiction, voir CE, Sect., 21 décembre 2007, Société Bretim, n°285515.

[27]CE, Ass., 26 octobre 2001, Ternon, concl. F. Séners, n°197018.

[28]Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, revenant not. sur la solution dégagée par CE, Sect., 14 novembre 1969, Eve, n°74930, selon laquelle, dans le cas d’une décision implicite d’acceptation n’ayant pas à faire l’objet de mesures de publicité, l’autorité administrative se trouvait « dessaisie » de sa faculté de retrait à l’expiration du délai au terme duquel est intervenue cette décision implicite.

[29]Voir, CE, avis, 12 octobre 2006, Mme Cavallo, n°292263.

[30]GAJA, précité, p. 816.

[31]CE 26 janvier 2007, SAS Kaefer Wanner, n°284605.

[32]Voir, s’agissant des décisions individuelles créatrices de droit et expresses : « sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer ou abroger une décision expresse individuelle créatrice de droits que dans le délai de quatre mois suivant l’intervention de cette décision et si elle est illégale » (CE, Sect., 6 mars 2009, M. Coulibaly, n°306084).

[33] Voir, s’agissant d’acte réglementaire : CE, Ass., Association AC ! et autres, n°255886 ; s’agissant d’une décision individuelle : CE 12 décembre 2007, Sire, n°296072. Voir, sur ce point, GAJA, 19e éd., n°110, p. 860 et suivantes.

[34]L’arrêt Association AC ! précité soulignait que la dérogation au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses ne pouvait être justifiée qu’ « à titre exceptionnel ». Sans remettre en cause ce principe, l’arrêt CE, Ass., Société Métropole Télévision (M6) et société Télévision française 1 (TF1), n°363702, est revenue sur cette mention.

[35] Voir, sur ce point, GAJA, 19e éd., n°110, p. 860 et suivantes ; voir également, O. Mamoudy, « D’AC ! à M6 en passant par Danthony, 10 ans d’application de la jurisprudence AC ! – bilan et perspectives », AJDA, 2014, p. 501 ; A.-C. Bezzina, « 2004-2014 : les dix ans de la jurisprudence AC ! », RFDA, 2014, p. 735.

[36]Comme le précise l’arrêt Association AC ! précité, lorsque le juge envisage de faire usage de son pouvoir de modulation, de lui-même ou à la demande d’une partie, il est tenu de recueillir sur ce point les observations des parties et examiner l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause.

[37] Voir, sur ce point, CE 17 décembre 2010, SFIB, n°310195 :  «  lorsque le juge administratif décide de limiter dans le temps des effets de l’annulation de l’acte attaqué devant lui, il est tenu, au regard du droit des justiciables à un recours effectif, de réserver les actions contentieuses engagées contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause à la date de sa décision  d’annulation ; qu’il lui revient toutefois de tenir compte de ces actions contentieuses dans son appréciation de la nécessité de différer dans le temps les effets de l’annulation ».

[38]Voir, en ce qui concerne les recours en annulation contre un acte pris par un organe de l’Union européenne : art. 264 TFUE ; en ce qui concerne les arrêts interprétatifs de la Cour de justice de l’Union européenne : CJCE 8 avril 1976, Mlle Defrenne, 43/75, Rec. 455) ; en ce qui concerne les recours en appréciation de la validité d’un acte pris par un organe de l’Union européenne : CJCE 15 octobre 1980, Roquette frères, 145/79, Rec. 2917.

[39]Voir, par ex. CE 28 mai 2014, Association Vent de colère ! et autres, n°324852 ; CE 17 juin 2011, Canal + Distribution et autres, n°324816 ; CE 23 juillet 2014, Société Octapharma France, n°349717

[41]« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

[42]CC n°2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006.

[43]CC n°98-404 DC du 18 décembre 1998, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.

[44]CC n°98-404 DC du 18 décembre 1998, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, cons. 5.

[45]La tradition juridique allemande distingue à cet égard la rétroactivité véritable (« echt ») de la fausse (« unecht ») rétroactivité, encore nommée « pseudo-rétroactivité ». Voir, sur ce point, S. Calmes, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, thèse, éd. Dalloz, 2001, p. 149.

[46]CC n°99-416 DC du 26 juillet 1999, Loi portant création d’une couverture maladie universelle, cons. 19.

[47]CC n°99-423 DC du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail, cons. 42.

[48]CC n°2002-465 DC du 13 janvier 2003, Loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi, cons. 4.

[49] O. Dutheillet de Lamothe, « La sécurité juridique, le point de vue du juge constitutionnel », 20 septembre 2005.

[50]CEDH 28 octobre 1999, Zielinski, Pradal, Gonzalez et autres contre France, n°24846/94 et autres. Dans ces affaires, le Conseil constitutionnel avait pourtant admis la constitutionnalité de la loi de validation litigieuse (CC n°93-332 DC du 13 janvier 1994, Loi relative à la santé publique et à la protection sociale).

[51] D’autres critères sont mis en œuvre par le Conseil constitutionnel. Cinq conditions sont en effet posées par sa jurisprudence : 1°) la validation doit poursuivre un but d’intérêt général impérieux, 2°) la validation doit respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée, c’est-à-dire en dernier ressort le principe de séparation des pouvoirs, 3°) la validation doit respecter le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, 4°) l’acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’intérêt général impérieux visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle, 5°) la portée de la validation doit être strictement définie.

[52]CC n°99-422 DC du 22 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, cons. 64 ; CC n°99-425 DC du 29 décembre 1999, Loi de finances rectificative pour 1999, cons. 8.

[53]CC n°2013-366 QPC du 14 février 2014, SELARL PJA, ès qualité de liquidateur de la société Maflow France, cons. 3.

[54] Parmi lesquels comptent aussi les règles de prescription, voir not. CE 28 mai 2014, Société Delicelait, n°350095.

[55]CE, Ass., 24 mars 2006, Société KPMG et autres, n°288460 ; voir, GAJA, 19e éd., n°111, p. 875.

[56] CE 25 juin 1954, Syndicat national de la meunerie à seigle, Rec. 379.

[57]CE, Sect., 13 décembre 2006, Mme Lacroix, n°287845.

[58] Voir, sur ce point, G. Eveillard, « Sécurité juridique et dispositions transitoires. Huit ans d’application de la jurisprudence KPMG », AJDA, 2014, p. 492.

[59]CE 20 mars 2013, Association des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes, n°357945.

[60]Voir, s’agissant de candidats à des concours administratifs : CE 25 juin 2007, Syndicat CFDT du ministère des affaires étrangères, n°304888.

[61]Voir, par ex. sur ce point, un avis de la Commission européenne (CE 6 octobre 2008, Compagnie des architectes en chef des monuments historiques, n°310146), une information délivrée par les organisations d’employeurs auprès des entreprises de la branche concernée (CE 30 décembre 2013, Union des syndicats de l’immobilier, n°352901), une information délivrée auprès des professionnels du droit sur la fermeture de juridiction (CE 12 mai 2005, Ordre des avocats du barreau de Belley et autres, n°325662).

[62]CE 3 novembre 2014, Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels, n°375534.

[63] CE, Ass., 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d’Olivet, n°271737.

[64] CE 11 juin 2014, Société TDF et autres, n°363920.

[65]CE, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n°291545.

[66] CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n°358994.

[67] CE 14 mai 2014, Société Addmedica, n°363195.

[68] CE 29 janvier 2014, Conseil national des professions de l’automobile, branche professionnelle des recycleurs de l’automobile, n°360791.

[69]Voir, sur la portée de ce principe en droit administratif, M. Guyomar, « La loyauté en droit administratif », Justice et cassation, 2014.

[71]Voir en ce qui concerne un recours formé par une partie à un contrat administratif et tendant à contester sa régularité CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n°304802 ; en ce qui concerne un recours formé par un tiers à un contrat administratif et tendant à contester sa régularité : CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n°358994

[72]CE 9 mai 2001, Entreprise personnelle de transports Freymuth, n°210944.

[73] CEDH 29 novembre 1991, Pine Valley Developments Ltd et autres contre Irlande, n°12742/87.

[74] Voir, sur ce point, X. Domino et A. Bretonneau, « Souvent loi varie…mais fol est-il vraiment qui s’y fie ? », AJDA, 2012, p. 1392.

[75] Les créances constituées (CEDH 9 décembre 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis contre Grèce, n°13427/87), mais aussi celles qui ne le sont pas mais qui constituent une « espérance légitime » (CEDH 6 octobre 2005, Draon contre France, n°1513/03) sont comprises sous cette notion à condition que leur valeur patrimoniale ait « une base suffisante en droit interne » (CEDH 28 septembre 2004, Kopecky contre Slovaquie, n°44912/98).

[76]CE 19 novembre 2008, Société Getecom, n°292948.

[77] Un revirement de jurisprudence intervenu six mois avant son renversement par une loi nouvelle n’a pas pu faire naître des espérances légitimes, voir : CE 19 novembre 2008, Société Getecom, n°292948.

[78] La suppression non rétroactive d’un avoir fiscal sur les dividendes n’a pas pu faire naître d’espérances légitimes : CE 2 juin 2010, Fondation de France, n°318014.

[79] Si neuf mois seulement séparent la décision Asco Joucomatic (CE 25 avril 2003, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie contre société Asco Joumatic, n°228438) de son renversement par la loi de finances rectificatives pour 2003, cette jurisprudence s’inscrit cependant, comme le relève le rapporteur public, Claire Legras, dans une « évolution favorable aux prétentions des sociétés requérantes » depuis 2000, voir : CE 21 octobre 2011, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique contre SNC Peugeot Citroën Mulhouse, n°314767.

[80] Alors que le fait générateur de l’impôt sur les sociétés est réputé intervenir le jour de la clôture de l’exercice (CE, Ass., 16 mars 1956, Garrigou, n°35663).

[81] Voir, s’agissant d’un crédit d’impôt pour les emplois créés au cours des années 1998 à 2000 par l’art. 220 octies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l’art. 81 de la loi du 30 décembre 1997 de finances pour 1998 : CE 9 mai 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique contre société EPI, n°308996.

[82] CC n°96-385 DC du 30 décembre 1996, Loi de finances pour 1997, cons. 18.

[83] CC n°2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 14.

[84] B. Delaunay, « La confiance légitime entre discrètement au Conseil constitutionnel », AJDA, 2014, p. 649.

[85] S. Calmes, Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand, communautaire et français, thèse, éd. Dalloz, 2001, p. 172.

[86] En ce qui concerne les projets de loi organique, ordinaire, de programmation (autres que ceux relatifs aux finances publiques) et ceux tendant à autoriser la ratification ou l’approbation d’un traité ou accord international : art. 8 et 11 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ; en ce qui concerne les lois de finances initiales et rectificatives : art. 51 et 53 de la loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances, modifiés respectivement par la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 et par la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 ; en ce qui concerne les lois de financement de la sécurité sociale : art. LO 111-4, dans sa rédaction issue de la loi organique n°2012-1403 du 17 décembre 2012. Ne sont pas inclus dans le périmètre de cette obligation constitutionnelle : les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi prorogeant des états de crise, les projets de loi de programmation des finances publiques, les projets de loi de règlement, les projets de loi de ratification d’une ordonnance, à moins qu’ils ne comportent des dispositions nouvelles allant au-delà de la rectification d’erreurs matérielles dans le texte de l’ordonnance ou d’ajustements de cohérence juridique. Sont également exclus de ce périmètre : les projets d’ordonnances prises sur le fondement des articles 38 et 74-1 de la Constitution, les propositions de loi et les amendements d’origine gouvernementale ou parlementaire.

[87] Voir, Jean-Marc Sauvé, La simplification législative, intervention du 22 mai 2014 devant la Mission d’information sur la simplification législative.

[88]Circulaire du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales. Ce dispositif a été, par une circulaire du 17 juillet 2013, généralisé à tout texte réglementaire, hors ceux uniquement applicables aux administrations de l’État.

[89]Circulaire du 9 janvier 2013 relative à la modernisation de l’action publique.

[90] Conseil d’État, Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, rapport adopté le 14 novembre 2013 par l’Assemblée générale du Conseil d'État, éd. La documentation française, 2014.

[91] Voir, not. en ce sens, art. 13 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprise, relatif au « certificat de projet » et l’ordonnance n° 2014-356 du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'un certificat de projet ; voir, également, art. 3 du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives (ERNX1412185L), tendant à habiliter le Gouvernement à étendre, par voie d’ordonnance, le mécanisme du rescrit, sous certaines conditions (projet de loi actuellement soumis à une commission mixte paritaire).

[92] Voir, par ex., CC n°85-191 DC du 10 juillet 1985, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, cons. 5, et CC n°2000-435 DC du 7 décembre 2000, Loi d’orientation pour l’outre-mer, cons. 52.

[93] CC n°2003-475 DC du 24 juillet 2003, Loi portant réforme de l’élection des sénateurs, cons. 26.

[94] Consacré par CC n°99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi d’habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes.

[95] CC n°2005-512 DC du 21 avril 2005, Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, cons. 17.

[96] Circulaire du 23 mai 2011 relative aux dates communes d'entrée en vigueur des normes concernant les entreprises.

[97] Voir, pour un premier bilan, rapport du secrétariat d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, Bilan de 18 mois de simplification, 30 octobre 2014. Voir, not., la loin° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises et l’ordonnance n° 2014-356 du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'un certificat de projet, le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives (ERNX1412185L), projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (FCPM1411464L) (texte examiné en 1ière lecture au Sénat le 16 octobre 2014).

[98] Lequel a succédé au commissaire à la simplification, M. Rémi Bouchez.

[99] Circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation : un projet de texte réglementaire nouveau (hors textes de transposition ou d'application de la loi, commandés par une règle supérieure) créant des charges pour les collectivités territoriales, les entreprises ou le public ne pourra être adopté que s'il s'accompagne, à titre de " gage ", d'une simplification équivalente.

[100] Ce programme vise à éviter aux entreprises de communiquer aux administrations les mêmes informations à plusieurs reprises, grâce à un réseau d’échange d’information et de réutilisation performant. Voir, sur ce point, Bilan de 18 mois de simplification, rapport du secrétariat d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification, 30 octobre 2014, p. 10 et suivantes.

[101] Loin° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises et l’ordonnance n° 2014-356 du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'un certificat de projet.

[102] Projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives (ERNX1412185L).