Inauguration des installations rénovées du Tribunal administratif de Nantes

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé, le lundi 5 juillet 2010.

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Monsieur le préfet de la région Pays de la Loire,

Madame le vice-président du Sénat,

Messieurs les députés,

Monsieur le président de la Cour administrative d’appel de Nantes,

Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes,

Monsieur le président du tribunal de commerce,

Monsieur le doyen de la faculté de droit de Nantes,

Madame le Bâtonnier, Mesdames et Messieurs les professeurs et les avocats,

Mesdames et Messieurs les directeurs,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et militaires,

Monsieur le président du tribunal administratif de Nantes,

 

La juridiction administrative a ceci de commun avec l’homme nomade qu’elle ne s’est encore jamais construit pour elle-même un édifice qui l’abrite et la protège. Chacun des tribunaux administratifs, chacune des cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat lui-même sont tous hébergés dans des bâtiments construits pour d’autres occupants et d’autres usages, bâtiments que chacune de ces juridictions entretient, restaure, restructure et adapte à son activité. Comme le nomade, la juridiction administrative a donc en héritage un patrimoine, une culture et un projet, mais elle est aussi toujours en mouvement, elle change de site chaque fois que nécessaire et elle se construit en s’adaptant. Elle en tire, je crois, une force particulière, faite d’ingéniosité et d’ouverture.

De cette « force combative » du nomadisme que la juridiction administrative a faite sienne[ 2 ], l’ensemble des opérations immobilières menées par la juridiction et, tout particulièrement, la rénovation –je dirai même la reconstruction– du Tribunal administratif de Nantes sont une manifestation évidente, tout comme le sont les réformes que la juridiction met en œuvre.

Cette reconstruction était une nécessité. La sollicitation soutenue que connaît l’ensemble de la juridiction administrative de la part des justiciables s’est traduite, pour ce seul tribunal, par un doublement, depuis 2002, du nombre de requêtes enregistrées. Cette progression impressionnante devrait encore être alimentée par le transfert au tribunal administratif de Nantes, depuis le 1er avril 2010, du contentieux en première instance des refus de visa d’entrée en France – compétence auparavant exercée par le Conseil d’Etat, qui n’interviendra plus désormais, dans ce contentieux, qu’en tant que juge de cassation.

 Pour tenir compte de ce transfert, les effectifs du tribunal ont été renforcés, ce qui va se traduire par la création d’une sixième chambre à compter du 1er septembre prochain. Il convient en effet que le tribunal administratif de Nantes, qui a significativement réduit son délai prévisible moyen de jugement depuis 2006, en le ramenant d’un an et 8 mois à un peu plus d’un an, consolide cette amélioration en dépit de la progression du contentieux qui lui est soumis.

Progression rapide du nombre de requêtes, donc d’audiences, et renforcement des effectifs ont rapidement conduit le tribunal administratif de Nantes à se trouver très à l’étroit dans ses locaux, qu’il partageait avec le tribunal de commerce, et l’ont obligé à disperser ses magistrats et agents entre ce bâtiment et d’autres locaux, pris en location dans un immeuble voisin. Le départ du tribunal de commerce, en 2005, a permis d’engager la reconstruction dont nous inaugurons aujourd’hui le fruit, pour doter ce tribunal d’une installation à la fois conforme à ses besoins et emblématique des priorités qui guident la politique immobilière de la juridiction administrative.

La première de ces priorités est, bien entendu, d’adapter les locaux des juridictions à l’évolution de leur activité. Outre les créations de juridictions – pour s’en tenir aux années les plus récentes, ont été ainsi installés les tribunaux administratifs de Nîmes en 2006, de Toulon en 2008 et de Montreuil en 2009 – cette évolution a pu conduire au relogement intégral de certaines juridictions. On peut citer celui du tribunal administratif de Rouen, en 2008. D’autres sont prévus dans les années à venir : je pense à Lille, ainsi qu’à Fort-de-France, où la construction d’un bâtiment neuf sera engagée à la fin de l’année, et à Basse-Terre, où une telle construction est également programmée. Je relève d’ailleurs qu’à Fort-de-France, pour la première fois, un bâtiment sera entièrement conçu et construit pour abriter une juridiction administrative. Enfin, la croissance de l’activité a aussi conduit aux importantes extensions réalisées, ou en cours de réalisation, à Orléans, Rennes, Strasbourg et Versailles notamment. Ici même, à Nantes, les locaux que nous inaugurons aujourd’hui représentent une extension substantielle par rapport aux surfaces dévolues au tribunal administratif avant 2005.

Cette extension se traduit notamment par la création de la nouvelle et belle salle d’audience dans laquelle nous nous trouvons, mais aussi par la possibilité de regrouper sur le même site l’ensemble des magistrats et agents de la juridiction, dans des conditions de travail appropriées à l’engagement dont ils font chaque jour la preuve.

Les évolutions auxquelles il faut répondre sont en effet aussi celles des conditions de travail, et c’est la deuxième priorité de notre politique : il nous faut adapter au mieux les bâtiments et l’équipement de nos juridictions à l’accomplissement d’un travail juridictionnel moderne, convivial et efficace. A Nantes, le réaménagement des greffes et des bureaux de présidents de chambre ou de magistrats, la construction d’une cafétéria, l’installation de la bibliothèque, la rénovation des circulations et la disposition des salles d’audience ont ainsi été conçus et réalisés en étroite coordination avec le président du tribunal et le greffier en chef. Comme dans toutes les opérations que nous menons, ce sont eux qui, lors de la phase de conception et tout au long des travaux, ont précisé les besoins et les attentes de la juridiction et ont, de ce fait, permis que l’aménagement du bâtiment y réponde exactement.

Cette adaptation s’accompagne toujours, et c’est la troisième priorité de notre action, du souci de préserver et de restaurer le patrimoine dont la juridiction entretient l’héritage. Si, à raison de leur jeune âge et peut-être de leur modestie naturelle, les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel sont sevrés de « palais de justice », ils ne sont tout de même pas installés, bien que nomades, sous des tentes ou des yourtes, et certains d’entre eux bénéficient même du privilège d’être accueillis dans des monuments historiques ou des édifices classés. L’installation de la cour administrative d’appel de Paris a ainsi été l’occasion d’une rénovation de l’Hôtel de Beauvais, achevée fin 2003, sauvant de l’abandon ce superbe immeuble du Marais pour le restituer à un usage public. C’est une même volonté d’entretien et de valorisation du patrimoine historique qui a guidé la rénovation des édifices accueillant les cours administratives d’appel de Bordeaux et de Douai, celle de l’Hôtel de Crosne qui abrite le tribunal administratif de Rouen, celle de l’Hôtel Silhol où siège le tribunal administratif de Nîmes, ou encore celles, actuellement en cours, du tribunal administratif de Melun ou du tribunal administratif d’Orléans – dont les parties les plus anciennes datent des XVème et XVIème  siècle. L’Hôtel Deurbroucq a quant à lui été édifié, sous la direction d’un architecte nantais, au XVIIIème siècle, et sa façade comme sa toiture méritaient d’être inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Vous le constatez ici, dans notre démarche immobilière, la préservation et le respect du patrimoine et de l’histoire se concilient avec les aspirations contemporaines. Telle est notre quatrième priorité. Parmi ces aspirations, figure tout d’abord celle d’une architecture et d’une décoration modernes, qui reflètent la création plastique contemporaine et mettent en même temps notre héritage en valeur. La nouvelle salle Deurbroucq, qui est l’une des plus vastes salles d’audience de la juridiction administrative, matérialise à elle seule un tel défi : construite à la place de ce qui était autrefois une cour intérieure, elle met en scène la solennité de la justice dans un décor résolument moderne, coloré et majestueux, en pleine harmonie avec les murs anciens qui la délimitent.

Les aspirations contemporaines que j’évoquais, ce sont également celles de bâtiments répondant à toutes les normes de sécurité, d’un Etat exemplaire en matière de développement durable, et d’une justice ouverte à tous.

L’exigence de sécurité est évidemment au cœur de notre démarche : ce ne sont pas les travaux les plus spectaculaires, mais ils n’en sont pas moins fondamentaux, et les locaux que nous inaugurons ici répondent aux exigences les plus strictes pour la protection des personnes qui y travaillent ou l’utilisent.

Notre politique immobilière s’inscrit par ailleurs résolument dans une logique de développement durable. Les locaux du tribunal administratif de Nantes ont ainsi été rénovés et aménagés dans le souci de réduire le plus possible la consommation d’énergie, que ce soit par des mesures d’isolation thermique ou par la mise en place de dispositifs de chauffage de dernière génération. Nous ferons de même prochainement à la cour administrative d’appel de Nantes, comme nous le faisons à Rennes, à Grenoble, ou encore à Orléans – où nous innovons en recourant à la géothermie.

Enfin, notre justice doit être ouverte à tous.  L’accessibilité aux personnes à mobilité réduite est systématiquement recherchée par l’aménagement des locaux ou de nouvelles salles d’audience, comme récemment à Nice, Marseille, Pau, ou encore Grenoble. Compte tenu des caractéristiques des immeubles abritant nos juridictions, cette accessibilité n’est pas encore toujours et complètement assurée : mais nous engageons cette année des audits partout où elle ne l’est pas – et nous souhaitons associer à la réalisation de ces audits les associations qui accepteront de nous prêter leur concours, précieux pour identifier les difficultés comme pour nous aider à imaginer les solutions les plus adaptées.  Au tribunal administratif de Nantes, en tous cas, cette accessibilité est désormais assurée pour l’ensemble des locaux.

La réussite de cette réalisation ferait presque oublier son ampleur. D’un coût total de plus de 5 millions d’euros, elle a duré quatre ans et les défis techniques n’ont pas manqué, dont notamment, pour n’en mentionner qu’un seul, celui de la stabilisation du bâtiment, construit au bord du fleuve, par la technique dite des « micro-pieux », qui s’enfoncent à plus de 30 m sous le sol. Elle a ainsi mobilisé le savoir-faire et la créativité – qui sont grands – de la direction des affaires immobilières, et je tiens à féliciter tout particulièrement Mme Dufils, qui a dirigé cette opération. Elle a sollicité aussi l’énergie des magistrats et des agents de greffe du tribunal, de son président et de ses greffiers en chef successifs, pour faire face à l’accroissement des flux contentieux de la juridiction dans le contexte des perturbations occasionnées par ces travaux de grande envergure, mais aussi pour apporter tout au long du processus leur contribution à la conception et à la réussite de l’opération. Je remercie aussi chaleureusement l’ensemble des partenaires de la juridiction administrative dans cette opération, et tout particulièrement les architectes, MM. Pericolo et d’Arusmont, ainsi que le bureau d’études techniques, en la personne de MM. Boqueho et Gatel.

Conserver et protéger le patrimoine dont nous sommes dépositaires, concilier  l’histoire et les aspirations contemporaines, moderniser et organiser cet héritage et le rendre fonctionnel pour les personnes qui y travaillent et pour les justiciables, toutes ces aspirations ont présidé à la reconstruction du tribunal administratif de Nantes et guident l’ensemble des opérations immobilières que nous conduisons. Elles expriment l’aptitude de la juridiction administrative à évoluer pour répondre efficacement, en s’appuyant sur les atouts qu’elle tire de son passé et de ses traditions, à la demande que lui adressent nos contemporains.

Cette même capacité d’évolution s’exprime au travers des réformes entreprises sur l’organisation, les méthodes et les moyens de la juridiction administrative. Les décrets du 6 mars 2008, du 7 janvier 2009 et du 22 février 2010 ont rénové en profondeur l’exercice des fonctions consultatives du Conseil d’Etat, adapté le déroulement de l’audience aux attentes des justiciables, dissipé toute ambiguïté sur le statut du rapporteur public, rationalisé la répartition des compétences entre le Conseil d’Etat, les cours et les tribunaux administratifs, doté les juridictions d’instruments nouveaux pour mieux éclairer le débat devant elles (amicus curiae, expertises…) et favoriser l’efficacité des procédures. Celles-ci se font en outre plus visibles et prévisibles avec l’accès en ligne à l’état de l’instruction, via l’application Sagace, et avec la mise en place de calendriers prévisionnels d’instruction. Elles se feront aussi plus simples avec la généralisation, à compter de la mi-2011, de la possibilité de saisir la juridiction et de conduire l’instruction par voie électronique, comme les juridictions franciliennes le font déjà avec succès en matière fiscale.

Ces évolutions manifestent très concrètement la volonté de la juridiction administrative dans son ensemble de préserver et renforcer encore la qualité de la justice qu’elle rend. Cet objectif est aussi au cœur du projet de loi portant sur le statut des magistrats administratifs et poursuivant la réforme des procédures qui devrait être prochainement présenté en Conseil des ministres.

 

 

Qu’elles s’inscrivent dans la pierre, comme cette reconstruction du tribunal administratif de Nantes, dans le marbre des textes, ou dans l’éther des communications électroniques, ces évolutions et innovations nous confortent dans la mission essentielle au service de laquelle nous sommes et que comprennent bien les justiciables qui nous saisissent en masse : servir et garantir l’Etat de droit. L’achèvement réussi de l’œuvre de longue haleine que nous inaugurons aujourd’hui est, j’en suis certain, d’heureux augure pour l’avenir de cette mission.  J’en félicite une nouvelle fois tous ceux qui y ont pris part, et je remercie chacun d’entre vous du témoignage que vous portez, par votre présence ici aujourd’hui,  de votre estime et de votre sympathie pour la juridiction administrative.

 

 

[ 1 ] Texte écrit en collaboration avec M. Timothée Paris, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du Vice-président du Conseil d’Etat.

[ 2 ] Les termes sont ceux de l’historien arabe Ibn Khaldoun : « Le nomadisme est une vigueur qui produit une force combative et impulsive à même de faire naître l’Etat ». Ibn Khaldoun (1332-1406), Histoire des Berbères, cité par J. Attali, L’homme nomade, Fayard, 2003, p. 91.