Contrôle des actes de dévolution des services publics au regard du droit de la concurrence
Le contexte juridique
Le Conseil d’État était, dans cette affaire, saisi de la question de l’application aux actes de dévolution du service public de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, alors en vigueur, dont les dispositions ont depuis été reprises dans le code de commerce.
Les dispositions de l’ordonnance avaient tout d'abord suscité un débat sur le partage de compétence entre les juges administratif et judiciaire. Ce débat a été tranché par un arrêt du Tribunal des conflits du 6 juin 1989 (Préfet de la région Ile-de-France c/ Cour d'appel de Paris, plus connu sous le nom « Ville de Pamiers », p. 293). Interprétant les dispositions en cause de l’ordonnance à la lumière des principes dégagés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 janvier 1987, le Tribunal des conflits a indiqué que la cour d'appel de Paris n'était juge, de par la loi, que des décisions du Conseil de la concurrence, dont le contrôle ne portait que sur les pratiques anticoncurrentielles auxquelles se livrent des opérateurs économiques, de droit privé ou public, et qu'en revanche, seule la juridiction administrative avait compétence pour apprécier la légalité d'un acte administratif, comme celui régissant ou portant dévolution d'un service public.
Le Conseil d’État avait dans un premier temps (CE, 23 juillet 1993, Compagnie générale des eaux, p. 225) repris à la lettre les motifs de la décision Ville de Pamiers, pour en conclure que l'invocation de l'ordonnance de 1986 était inopérante à l'encontre d'un acte de dévolution.
Le sens et la portée de la décision
Par trois décisions rendues le 3 novembre 1997, la Section du contentieux a abandonné ce raisonnement. Elle a jugé qu'il appartenait au juge administratif de s’assurer que les actes de dévolution des services publics respectent l'ensemble des normes composant le bloc de légalité, y compris celles qui résultaient de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Si ces dispositions semblent surtout concerner directement les entreprises privées, elles imposent néanmoins une règle plus générale qui interdit à l'autorité publique de prendre une décision plaçant une entreprise en situation d'abuser d'une position dominante.
Ces décisions ont renouvelé très sensiblement le contrôle opéré par le juge administratif sur les actes de dévolution du service public. Elles permettent ainsi d'assurer une meilleure cohérence de l'ordre juridique en complétant le contrôle déjà exercé au regard du droit communautaire de la concurrence (Sect., 8 nov. 1996, Fédération française des sociétés d'assurance et autres, p. 441) et celui, qui intervient a posteriori, de l'autorité alors dénommée Conseil de la concurrence devenue Autorité de la concurrence. Depuis, plusieurs décisions du Conseil d’État sont venues compléter ces trois décisions permettant de concilier le droit administratif et le droit de la concurrence : en matière de police administrative, l’administration n’est pas exonérée de l'obligation de prendre en compte les règles de concurrence (CE, 22 novembre 2000, Société L & P Publicité SARL, Rec. ; CE, 15 mai 2009, Société Compagnie des Bateaux Mouches, Rec.) ; en matière de domanialité publique, l’administration ne peut légalement délivrer au profit d'une personne privée une autorisation d'occuper le domaine public aux fins d'y exercer une activité économique lorsque sa décision aurait pour effet de méconnaître le droit de la concurrence, notamment en plaçant automatiquement l'occupant en situation d'abuser d'une position dominante (CE, 23 mai 2012, Régie autonome des transports parisiens (RATP), au Rec.).