Décision d'Assemblée
Les faits et le contexte juridique
Les communes de Béziers et de Villeneuve-lès-Béziers avaient décidé d’étendre une zone industrielle située sur le territoire de la seconde, entraînant une relocalisation des entreprises jusqu’alors situées sur le territoire de Béziers, et avaient conclu en 1986 une convention en vertu de laquelle la commune de Villeneuve-les-Béziers s’engageait à reverser à la commune de Béziers une fraction des sommes perçues au titre de la taxe professionnelle afin de tenir compte de la diminution de recettes entraînée par cette relocalisation. Dix ans après la conclusion de cette convention, la commune de Villeneuve-les-Béziers avait décidé de la résilier unilatéralement. La commune de Béziers avait alors saisi la juridiction administrative pour obtenir l’annulation de la résiliation. En défense, la commune de Villeneuve-les-Béziers avait pour sa part soulevé une exception tirée de la nullité de la convention de 1986.
Le sens et la portée de la décision
Par cette décision, dite aussi « Béziers I », le Conseil d’État a profondément renouvelé l’office du juge administratif lorsqu’il est saisi par les parties à un contrat administratif d’un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat, par voie d’action, ou par voie d’exception à l’occasion d’un litige portant sur son exécution.
En premier lieu, s’agissant de la contestation d’un contrat par voie d’action, le Conseil d’État a consacré l’exigence de loyauté des relations contractuelles, en jugeant que toute partie au contrat ne pouvait pas se prévaloir de toute irrégularité, et qu’il revient donc au juge de vérifier que les irrégularités dont se prévaut le requérant sont de celles qu’il peut invoquer, eu égard à cette exigence. Il a ensuite considéré que le juge doit apprécier l’importance et les conséquences de ces irrégularités en tenant compte, en particulier, de l’objectif de stabilité des relations contractuelles. En fonction de la nature et de la portée de l’irrégularité, le juge peut soit décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit prononcer la résiliation du contrat, le cas échéant avec un effet différé et après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général. Enfin, le juge ne prononce l’annulation du contrat que lorsqu’il constate, le cas échéant d’office, le caractère illicite du contenu du contrat ou l’existence d’un vice d’une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.
En deuxième lieu, s’agissant d’un litige relatif à l’exécution du contrat, le Conseil d’État a jugé qu’il incombe alors au juge, en principe, de faire application du contrat, eu égard l’exigence de loyauté des relations contractuelles. Toutefois, selon la même logique que la contestation d’un contrat par voie d’action, le juge ne peut régler le litige sur le terrain contractuel et doit écarter l’application du contrat lorsqu’il constate, le cas échéant d’office, le caractère illicite de son contenu ou l’existence d’un vice d’une particulière gravité tenant aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.
Faisant application de ces principes au cas d’espèce, le Conseil d’État a abandonné la solution dégagée par son avis Préfet de la Côté d’Or (CE, Avis Section, Préfet de la Côte d’Or,10 juin 1996, n°s 176873 et s.) en jugeant que la circonstance que le maire de la commune se soit abstenu, avant de signer le contrat, de transmettre au préfet, au titre de sa mission de contrôle de légalité, la délibération du conseil municipal l’autorisant à y procéder, si elle constituait un vice affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, ne pouvait, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, être regardée à elle seule comme d’une gravité telle que le juge doive annuler ou écarter l’application du contrat.
Le Conseil d’État poursuit, par sa décision Béziers I, le renouveau de l’office du juge saisi de litiges relatifs à des contrats administratifs, qu’il avait initié avec son arrêt Tropic (CE, Assemblée, 16 juillet 2007, Tropic travaux signalisation, n° 291545) ouvrant la voie d’un recours de pleine juridiction du concurrent évincé devant le juge du contrat) et sa décision SMIRGEOMES (CE, Section, 3 octobre 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe, n° 305420), par laquelle il avait jugé que des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence n’entraînaient le prononcé de mesures par le juge du référé précontractuel que s’ils étaient susceptibles d’avoir lésé le requérant.
Par la suite, le Conseil d’État a poursuivi le renouveau de l’office du juge saisi de litiges relatifs à des contrats administratifs par une décision dite « Béziers II » (CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n°304806 ) par laquelle il a défini un recours de plein contentieux permettant de contester la validité d’une mesure de résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles et, dans la continuité de sa décision de 2009 « Béziers I », dégagé les critères permettant d’apprécier le bien-fondé de la demande de reprise des relations contractuelles (gravité des vices entachant la mesure de résiliation, gravité des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, motifs de la résiliation, intérêt général auquel la reprise pourrait porter une atteinte excessive et, eu égard à la nature du contrat en cause, droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse).
L’Assemblée du contentieux a ensuite ouvert aux tiers un recours de pleine juridiction en contestation de la validité des contrats par sa décision Département de Tarn-et-Garonne (CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994) et leur a également permis, sous certaines conditions, de saisir directement le juge du contrat, et non plus le juge de l’excès de pouvoir, d’une décision refusant de mettre fin à l’exécution du contrat (CE, Section, 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche, n° 398445).