Effet rétroactif de l'annulation contentieuse
Les faits et le contexte juridique
M. Rodière, chef de bureau de 1ère classe au ministère des régions libérées, demanda au Conseil d'État d’annuler l'inscription de certains de ses collègues au tableau d'avancement pour l'année 1921. Par une décision du 13 mars 1925, le Conseil d'État lui donna raison et annula l'inscription des intéressés au tableau d'avancement pour 1921 et, par voie de conséquence, les arrêtés postérieurs qui les avaient promus. Pour l'exécution de cette décision, le ministre reconstitua rétroactivement la carrière des intéressés sur la base de leur non inscription au tableau pour l'année 1921.
M. Rodière saisit une nouvelle fois le Conseil d’État car il estimait que le ministre n'avait pas correctement exécuté la décision d'annulation et notamment qu'il ne pouvait reconstituer rétroactivement la carrière des intéressés.
Le sens et la portée de la décision
Cette fois, le Conseil d'État lui donna tort. Tirant toutes les conséquences du caractère rétroactif de l'annulation contentieuse en jugeant qu’il revient à l’administration de prendre les actes rétroactifs qu’exige une décision d’annulation, dans la mesure où l’acte annulé est réputé n’avoir jamais existé, le Conseil d’État estima que le ministre avait correctement exécuté sa décision d'annulation en reconstituant la carrière des intéressés comme s'ils n'avaient jamais été inscrits au tableau qui avait été annulé.
C'est dans le domaine de la fonction publique que le Conseil d'État a poussé le plus loin les conséquences de cette jurisprudence. Il a ainsi jugé que l'annulation d'une mesure d'éviction d'un agent implique sa réintégration rétroactive, dans le même emploi – notamment si l’éviction résulte d’un déplacement d’office – ou du moins dans un emploi équivalent. C’est ce qui a été jugé, s’agissant d’un inspecteur d’académie par le Conseil d’État, qui estime « qu’un fonctionnaire ayant fait l’objet d’une mesure d’éviction annulée par la juridiction administrative ne peut, en principe prétendre, en exécution de la décision d’annulation, qu’à un emploi de son grade dans son cadre mais non à sa réintégration dans l’emploi même qu’il occupait » (CE, Section, 16 octobre 1959, Sieur Guille). Le Conseil d’État a retenu une solution semblable s’agissant des effets de l’annulation de la rupture conventionnelle du contrat de nomination du directeur général d’un office de l’habitat en jugeant que l’administration, à laquelle il incombe de régulariser sa situation administrative, n’est pas tenue de le réintégrer effectivement dans les fonctions de directeur général (CE, 15 avril 2016, Simon, n°384685). Le fonctionnaire illégalement évincé a également droit à la reconstitution de sa carrière depuis la date de son éviction illégale jusqu'à celle de l'annulation.
Cette jurisprudence ne pose pas de difficulté pour l'avancement à l'ancienneté, dès lors qu'il est facile, pour l'administration, d'évaluer ce qu'aurait été la carrière du fonctionnaire en cause s'il n'avait pas été illégalement évincé, mais elle est d'un maniement plus difficile lorsqu'est en cause l'avancement au choix. La jurisprudence, reprise ensuite par le législateur, prévoit que l'administration doit retenir comme base d'appréciation la moyenne des avancements obtenus par les fonctionnaires de même niveau demeurés dans l'administration. Elle a également étendu le principe de la reconstitution de carrière aux concours (CE, Sect. 13 juillet 1956, Barbier, n°19496,). Il reste que le droit à obtenir la reconstitution rétroactive de sa carrière n'est pas absolu et il doit notamment être compatible avec les autres droits individuels, notamment ceux des autres fonctionnaires nommés (CE, Sect. 4 février 1955, Rodde, n°15695, p. 72).
Par ailleurs, la reconstitution de carrière d’un agent irrégulièrement évincé implique la reconstitution des droits sociaux et notamment des droits à pension de retraite qu’il aurait acquis s’il n’avait pas été illégalement évincé, et nécessite donc que l’administration verse des cotisations nécessaires à cette reconstitution (CE, 23 décembre 2011, Poirot ,n° 324474).
La jurisprudence plus récente semble néanmoins s'efforcer de limiter les conséquences les plus contestables de la fiction de la rétroactivité. Ainsi le Conseil d'État a abandonné la jurisprudence en vertu de laquelle il exigeait, lorsque l'administration prend les mesures rétroactives nécessaires, la consultation des organismes dont l'avis était requis dans leur composition à la date à laquelle la mesure en cause est censée prendre effet (CE, Section, 13 juillet 1965, Ministre des postes et télécommunications c. Merkling, n°54083), ce qui pouvait conduire à des situations irrémédiables, et admis que l'administration puisse consulter l'organisme en cause dans sa composition à la date à laquelle la mesure est prise, dès lors que cette composition offre, pour l'agent, des garanties équivalentes (CE, Sect. 14 février 1997, Colonna, n°111468, p. 38). De même, en jugeant que l'annulation d'un concours n'entraînait pas automatiquement la remise en cause des nominations prononcées sur la base de ce concours, alors même qu'un concours interne était en cause, le Conseil d'État s'est écarté de la logique qui avait conduit à l'arrêt Barbier (CE Sect. 10 octobre 1997, Lugan, n°170341).