Critère du service public et qualification de contrat administratif ou de travaux publics
Les faits
Par un contrat verbal passé avec l’administration le 24 novembre 1944, les époux Bertin s’étaient engagés, pour une somme forfaitaire de 30 francs par homme et par jour, à assurer la nourriture des ressortissants soviétiques hébergés au centre de rapatriement de Meaux en attendant leur retour en Russie. Par décision du 1erjuin 1949, le ministre des anciens combattants et victimes de la guerre a refusé de leur verser la somme due en application de ce contrat. Les époux Bertin ont alors saisi le Conseil d’État d’une demande tendant à l’annulation de cette décision de refus.
Par contrats des 26 avril et 11 mai 1951, l’État s’était engagé à effectuer des travaux de reboisement sur des terrains appartenant à des propriétaires privés, situés sur le territoire des communes de Chènevelles, Monthoiron et Senillé dans la Vienne. Le 5 juillet 1952, à la suite d'un retour de flamme survenu dans le tuyau d'échappement d’un tracteur appartenant à l’entrepreneur chargé des travaux, un incendie s’est allumé et a ravagé non seulement des terrains visés dans les contrats susmentionnés, mais encore d’autres bois appartenant, notamment, aux consorts Grimouard. Ces derniers ont demandé réparation du préjudice subi au tribunal administratif de Poitiers qui a déclaré l’État et l’entrepreneur solidairement responsables des dommages causés par l’incendie. Le ministre de l’agriculture a alors saisi le Conseil d’État d’une demande tendant à l’annulation de ce jugement.
Le sens et la portée des décisions
Ces deux décisions ont renouvelé de manière décisive les notions de contrat administratif et de travaux publics, sur lesquelles des jurisprudences antérieures avaient jeté des incertitudes.
Par la décision Époux Bertin, d’une part, le Conseil d’État juge qu’un contrat est administratif dès lors qu'il a pour objet de confier au cocontractant l’exécution même du service public. Il revient ainsi sur la jurisprudence dite des granits (CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, Rec.) dans laquelle il avait semblé poser deux conditions à l'existence d'un contrat administratif, outre celle quasiment toujours exigée relative à la présence parmi les cocontractants d'au moins une personne publique, à savoir la participation du cocontractant à l'exécution du service public et la présence dans le contrat de clauses exorbitantes du droit commun. L'intérêt de cette nouvelle solution réside dans le fait que l'administration, lorsqu'elle confie l'exécution même du service public, peut user des prérogatives que lui confère le caractère administratif du contrat sans qu'il soit besoin d’inscrire ces prérogatives dans ce contrat.
Par la décision Ministre de l’agriculture c/ consorts Grimouard, d’autre part, le Conseil d’État qualifie de travaux publics des travaux accomplis grâce à des fonds privés sur des biens privés, mais qui constituent l'objet même d'un service public. Le Conseil d'État confirme ainsi une jurisprudence du Tribunal des conflits antérieure de quelques mois (28 mars 1955, Effimieff, Rec.) selon laquelle doivent être regardés comme des travaux publics les travaux qui sont soit exécutés pour une personne publique dans un but d'utilité générale, soit exécutés par une personne publique dans le cadre d'une mission de service public.