Responsabilité de l’État – Arrestations et déportations pendant la seconde guerre mondiale
Faits et contexte juridique
Le Conseil d’État avait été saisi par le tribunal administratif de Paris d’une demande d’avis. sur les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites durant la seconde guerre mondiale et sur le régime de réparation des dommages qui en avaient résulté..
En effet, par la décision Epoux Giraud du 4 janvier 1952, le Conseil d’État, appliquant strictement l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental qui qualifiait le Régime de Vichy d’« autorité de fait » dont les actes sont « nuls et nul d’effet », avait rejeté la demande d’indemnisation de victimes des persécutions antisémites durant la deuxième guerre mondiale au motif que la législation en cause était réputée n’avoir jamais existé.
Deux décisions ont ensuite marqué des premières évolutions dans la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat pour ces faits. Dans sa décision Pelletier (CE, Assemblée, 6 avril 2001, Pelletier et autres, n°224945), le Conseil d’État a d’abord admis que « les personnes tombant sous le coup des mesures antisémites ont fait l’objet, pendant l’occupation de la France, d’une politique d’extermination systématique qui s’étendait même aux enfants ». Mais il ne s’est pas prononcé sur la responsabilité de l’État puisqu’il n’était saisi que de conclusions en annulation.
Par sa décision d’Assemblée Papon (CE, Assemblée, 12 avril 2002, M. Papon, n° 238689), le Conseil d’État a ouvert la possibilité d’engager la responsabilité de l’État français à raison des actes et agissements commis par l’administration française entre le 16 juin 1940 et le rétablissement de la légalité républicaine. Il a pour la première fois affirmé que les dispositions de l’ordonnance du 9 août 1944 ne sauraient avoir eu pour effet de créer un régime d’irresponsabilité de la puissance publique. Il a en effet estimé que si M. Papon avait eu un comportement inexcusable constitutif d’une faute détachable de l’exercice de ses fonctions, des actes et agissements de l’administration française qui ne résultaient pas directement d’une contrainte de l’occupant et avaient permis et facilité des opérations qui ont été le prélude à la déportation constituaient également une faute de service engageant la responsabilité de l’État.
Le sens et la portée de la décision
Par son avis contentieux Hoffmann-Glemane, le Conseil d’État a été amené à se prononcer directement sur la responsabilité de l’État. Il a estimé que l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944, constatant la nullité de tous les actes de l’autorité de fait se disant « gouvernement de l’État français » qui « établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif », n’a pu avoir pour effet de créer un régime d’irresponsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements commis par les autorités et services de l’État dans l’application de ces actes. La responsabilité de l’État est donc engagée en raison des dommages causés par les agissements tels que les arrestations, internements et convoiements à destination des camps de transit et qui, ne résultant pas d’une contrainte directe de l’occupant, ont permis ou facilité la déportation à partir de la France de personnes victimes de persécutions antisémites.
Après avoir estimé que les dommages en cause présentaient un caractère exceptionnel et une gravité extrême, le Conseil d’État a relevé que les mesures qui avaient été prises par l’État, telles que des pensions, des indemnités, des aides ou des mesures de réparation étaient comparables à celles adoptées par les autres États européens. Ces mesures ont été regardées comme ayant permis, « autant qu’il a été possible », l’indemnisation des préjudices de toute nature causés par les actions de l’État qui ont concouru à la déportation.
Le Conseil d’État a néanmoins ajouté que la réparation des souffrances exceptionnelles endurées par les personnes victimes des persécutions antisémites ne pouvait se borner à des mesures d’ordre financier. Une reconnaissance solennelle du préjudice collectivement subi par ces personnes, du rôle joué par l’État dans leur déportation ainsi que du souvenir que doivent à jamais laisser, dans la mémoire de la nation, leurs souffrances et celles de leurs familles, était nécessaire. Cette reconnaissance a été accomplie par les actes et les initiatives des autorités françaises que sont la loi du 26 décembre 1964 qui prévoit l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, la déclaration faite le 16 juillet 1995 par le Président de la République reconnaissant, à l’occasion de la commémoration de la grande rafle du « Vél’ d’Hiv », la responsabilité de l’État au titre des préjudices exceptionnels causés par la déportation et le décret du 26 décembre 2000 déclarant d’utilité publique la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
Le décret du 10 septembre 1999 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation a créé un dispositif qui participe à l'indemnisation de ces préjudices. Le Conseil d’État a précisé les modalités d’évaluation des biens en cause (CE, 3 octobre 2012, M. Kaplan et autres, n° 355105).
Enfin, à propos la qualification de manuscrits rédigés par le général de Gaulle entre 1940 et 1942, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État a jugé que ceux-ci procédaient de l’activité de l’État et devaient donc être qualifiés d’archives publiques. Pour ce faire, elle a estimé qu’il résultait de l’ordonnance du 9 août 1944 que la France libre et la France combattante et, par la suite, le Comité français de la libération nationale et le Gouvernement provisoire de la République française, ont été, à compter du 16 juin 1940, dépositaires de la souveraineté nationale et ont assuré la continuité de la République. Toutefois, elle a pris soin de relever qu’est sans incidence à cet égard la circonstance que les faits et agissements de l'autorité de fait se disant « gouvernement de l’État français » et de l'administration française qui en dépendait engagent la responsabilité de la puissance publique (CE, 13 avril 2018, Association du musée des lettres et manuscrits et autres, n° 410939).