Les faits et le contexte juridique
Dans ces deux affaires, le Conseil d'Etat a pour la première fois eu à connaître, selon la procédure de référé liberté, de contestations de mesures d’assignation à résidence prononcées dans le cadre de l’état d’urgence déclaré par un décret pris le lendemain des attentats du 13 novembre 2015, puis prorogé par une loi du 20 novembre 2015.
Elles ont en premier lieu permis de préciser l’ampleur des pouvoirs de police exceptionnels que détient le ministre de l’intérieur sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence, telle que modifiée par la loi du 20 novembre 2015, ainsi que les modalités du contrôle du juge sur la mise en œuvre de ces pouvoirs.
Le sens et la portée des décisions
La section du contentieux a d’abord retenu que le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur les motifs justifiant le prononcé d'une assignation à résidence. Elle revient ainsi sur la solution dégagée par une décision Mme Dagostini du 25 juillet 1985 (n° 68151, Rec.), qui avait retenu un contrôle restreint sur l’appréciation à laquelle se livre l’administration pour prendre une mesure d’interdiction de séjour sous l’empire de l’état d’urgence.
Il lui revenait également de déterminer si la loi de 1955 permet de prononcer des assignations à résidence pour des motifs d’ordre public différents de ceux ayant justifié la déclaration de l’état d’urgence, consistant en l’espèce à éviter des débordements en marge de la COP 21. Pour trancher cette question, le Conseil d’Etat relève que l’article 6 de la loi, qui permet l’assignation à résidence de toute personne résidant dans la zone couverte par l’état d’urgence « et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics » dans ces zones, n’établit pas de lien entre la nature de la menace pour la sécurité et l’ordre public justifiant cette mesure et la nature du « péril imminent ou de la calamité publique » qui, aux termes de l’article 1er de la loi, a justifié la déclaration de l’état d’urgence. Pour prononcer l’assignation à résidence d’une personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence, le ministre doit toutefois, dans l’appréciation des raisons sérieuses qui donnent à penser que le comportement de cette personne constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, tenir compte du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, et notamment de la mobilisation des forces de l’ordre qu’elle implique. En l’espèce, le Conseil d’Etat juge, en l’état de l’instruction, qu’en prononçant une mesure d’assignation à résidence d’une personne ayant notamment participé à la préparation d’actions violentes de contestation de la COP21, dans un contexte où les forces de l’ordre demeurent particulièrement mobilisées, le ministre n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir.
En second lieu, le Conseil d'Etat a apporté plusieurs précisions sur la procédure de référé liberté. Concernant plus particulièrement la contestation des mesures d’assignation à résidence prises sur le fondement de la loi de 1955, il juge que la condition d’urgence doit par principe être regardée comme remplie lorsqu’est contestée une telle mesure, sauf à ce que l’administration fasse valoir des circonstances particulières.
La section du contentieux, devant laquelle était soulevée une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 6 de la loi de 1955, a enfin précisé l’office du juge des référés lorsqu’est soulevée une telle question. Elle confirme d’abord la solution dégagée par une ordonnance Diakité du 16 juin 2010 (n° 340250, Rec.), qui avait jugé qu'une QPC peut être soulevée devant le juge administratif du référé liberté, en première instance comme en appel. Puis, selon une logique analogue à celle retenue s’agissant du référé suspension par une ordonnance du 21 octobre 2010, Conférence nationale des présidents des unions régionales des médecins libéraux (n° 343527, Rec.), elle ajoute que le juge du référé liberté peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une QPC est soulevée devant lui, rejeter une requête qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence. S'il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l'un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la QPC ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel. Le renvoi de la QPC n’implique toutefois pas la suspension automatique de la décision contestée, s'il décide de renvoyer la question, le juge peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère. En l’espèce, le Conseil d'Etat a renvoyé la question de la conformité à la Constitution de l’article 6 de la loi de 1955 (jugé conforme à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel du 22 décembre 2015, n°2015-527 QPC), avant d’examiner la requête dont il était saisi en tant que juge d’appel des référés et de juger qu’il n’y a pas lieu de prendre immédiatement, en l’état de l’instruction, des mesures de sauvegarde.