Les faits et le contexte juridique
M. V. avait fait l’objet d’une sanction d’interdiction définitive de l’activité de gestion pour le compte de tiers prononcée par la Commission des opérations de bourse. La Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), saisie par l’intéressé à la suite du rejet de son recours par le Conseil d’Etat, avait estimé que cette sanction avait été prise au terme d’une procédure contraire aux stipulations de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH). A la suite de cet arrêt, M. V. avait saisi le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) afin que sa sanction soit réexaminée ou relevée. Le Conseil d’Etat se trouvait saisi du recours dirigé contre le refus du président de l’AMF de faire droit à cette demande.
Le sens et la portée de la décision
Ce litige a permis à l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat d’apporter de nouvelles précisions sur les conséquences à tirer, par l’administration et par son juge, d’un arrêt de la Cour EDH constatant une violation de la convention par un Etat partie. Il a d’abord jugé qu’il résultait des stipulations de l'article 46 de la CESDH que la complète exécution d'un tel arrêt impliquait, en principe, que l’Etat condamné prenne toutes les mesures qu'appellent la réparation des conséquences que la violation de la convention a entraînées pour le requérant mais également la disparition de la source de cette violation. Eu égard à la nature essentiellement déclaratoire des arrêts de la Cour, c’est à l'Etat condamné qu’il revient de déterminer les moyens de s'acquitter de cette obligation. L'autorité qui s'attache aux arrêts de la Cour implique non seulement que l'Etat verse à l'intéressé les sommes que lui a allouées la Cour au titre de la satisfaction équitable, prévue par l'article 41 de la convention, mais aussi qu'il adopte, le cas échéant, les mesures individuelles et générales nécessaires pour mettre un terme à la violation constatée.
Le Conseil d’Etat a ensuite précisé les modalités d’exécution d’un tel arrêt dans le cas particulier de violations concernant une sanction administrative devenue définitive. L'exécution de l’arrêt de la Cour n'implique pas, en l'absence de procédure organisée à cette fin, que l'autorité administrative compétente réexamine la sanction. Elle ne peut davantage avoir pour effet de priver les décisions juridictionnelles - au nombre desquelles figurent notamment celles qui réforment en tout ou en partie une sanction administrative dans le cadre d'un recours de pleine juridiction - de leur caractère exécutoire. La décision d’Assemblée se place, sur ce point, dans la lignée des décisions M. Chevrol (CE, 11 février 2004, n° 257682, Rec.), jugeant qu’une condamnation par la Cour de Strasbourg n’implique pas de rouvrir une procédure juridictionnelle close à la suite de laquelle la Cour aurait été saisie, et M. Baumet (CE, Sect., 4 octobre 2012 n° 328502, Rec.), jugeant qu’à défaut de texte le prévoyant, il n’appartient pas au juge national de réexaminer une affaire définitivement jugée.
En revanche, le constat par la Cour d'une méconnaissance des droits garantis par la convention constitue un élément nouveau qui doit être pris en considération par l'autorité investie du pouvoir de sanction. Dès lors, il incombe à cette autorité, lorsqu'elle est saisie d'une demande en ce sens et que la sanction prononcée continue de produire des effets, d'apprécier si la poursuite de l'exécution de cette sanction méconnaît les exigences de la convention et, dans ce cas, d'y mettre fin, en tout ou en partie, eu égard aux intérêts dont elle a la charge, aux motifs de la sanction et à la gravité de ses effets ainsi qu'à la nature et à la gravité des manquements constatés par la Cour.
En matière de procès pénal, la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 avait déjà introduit à l’article 626-3 du code de procédure pénale, aujourd’hui repris à l’article 622-1 de ce code depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2014-640 du 20 juin 2014, des dispositions relatives au réexamen d'une décision pénale définitive lorsqu'il résulte d'un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme qu’une condamnation a été prononcée en violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels. Postérieurement à la décision M. V., un dispositif similaire a été créé s’agissant des décisions civiles devenues définitives rendue en matière d’état des personnes, par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, à l’article L. 452-1 du code de l’organisation judiciaire.