Projet de loi organique et projet de loi relatifs à la dette sociale et à l’aide pour l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap

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Le gouvernement a décidé de rendre public l’avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi organique et sur un projet de loi relatifs à la dette sociale et à l’aide pour l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap.

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CONSEIL D’ETAT    
Section sociale
Séance du mardi 26 mai 2020
N° 400188 et 400189

Extrait du registre des délibérations


1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 13 mai 2020 d’un projet de loi organique et d’un projet de loi relatifs à la dette sociale. Ces deux textes ont fait l’objet d’une saisine rectificative le 25 mai 2020 qui a eu pour objet, en particulier, d’ajouter des dispositions relatives à l’aide pour l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap.

Les deux projets visent à organiser un transfert vers la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) de dettes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et des établissements publics de santé, ainsi qu’à adapter le cadre organique applicable aux lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) dans la perspective d'une réforme de la prise en charge de l'aide pour l'autonomie.

Considérations générales

2. Le projet de loi organique comprend deux articles qui ont pour objet, d’une part, de prolonger la durée d’amortissement de la dette sociale jusqu’au 31 décembre 2033 afin de transférer à la CADES de nouvelles dettes sans affectation de ressources supplémentaires, d’autre part, de prévoir la possibilité pour les LFSS de comprendre des mesures ayant des effets sur la dette des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et, enfin, d’adapter la rédaction des articles LO 111-3 et LO 111-4 du code de la sécurité sociale afin de permettre, le cas échéant, la création, dans le cadre d’une LFSS ou d’une loi ordinaire, d’un nouveau risque ou d’une nouvelle branche au sein du régime général de sécurité sociale ayant pour objet la prise en charge des dépenses d'aide à l'autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap.

3. Le projet de loi comprend quatre articles.

Il encadre, en premier lieu, les dettes qui peuvent être couvertes par des versements de la CADES et adapte, à partir de 2024, les ressources de la CADES en prolongeant les versements du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) jusqu’au terme de l’amortissement de la dette sociale qu’il reporte de 2024 à 2033.

Il comporte, en deuxième lieu, des dispositions tendant à préparer une réforme de la prise en charge de l’aide pour l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap en renforçant les ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) par l’affectation, à partir de 2024, d’une partie du montant du produit de la contribution sociale généralisée (CSG) dont bénéficie la CADES et en prévoyant que le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 septembre 2020, un rapport sur les modalité de création d’un nouveau risque ou d’une nouvelle branche ayant pour objet la prise en charge des dépenses d'aide à l'autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap.

Il fixe, en troisième lieu, les modalités de versement par le FRR à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), pour le compte de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), de la partie de la contribution exceptionnelle, forfaitaire et libératoire, mentionnée au III de l’article L. 135-6 du code de la sécurité sociale, due à la CNAV en application du 3° de l'article 19 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

4. L’étude d’impact initiale qui accompagne les deux projets de loi et qui a été transmise tardivement au Conseil d’Etat est apparue, pour certaines dispositions, insuffisante au regard des prescriptions de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009. A la suite d’observations du Conseil d'Etat, le Gouvernement a, le 25 mai 2020, complété et approfondi cette étude d'impact, en particulier en ce qui concerne la description du mécanisme de financement par endettement de la CADES et par des transferts à l’ACOSS, d’une dotation versée à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et destinée à contribuer au financement par les établissements publics de santé d’une partie de leurs échéances d’emprunt. Le Conseil d’Etat note néanmoins que les scénarios financiers présentés dans l’étude d’impact reposent sur des hypothèses macro-économiques fragiles dans un contexte incertain marqué par les conséquences économiques de l’épidémie de covid-19.

5. Le Conseil d’Etat relève que le dispositif est susceptible de constituer une aide d’Etat entrant dans le champ d’application de la décision 2012/21/UE de la Commission, du 20 décembre 2011, relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’Etat sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général. Il appelle donc l’attention du Gouvernement sur l’utilité d’informer, au plus tôt, la Commission européenne des dispositions organisant le financement et le versement de cette dotation que le Gouvernement envisage. Cette information, qui ouvrira un dialogue avec la Commission, est la condition nécessaire pour rechercher en commun si l’on est en présence d’une aide d’Etat et, dans le cas d’une réponse affirmative, à quelle procédure elle doit être soumise.

6. Le Conseil d’Etat considère, par ailleurs, que le projet de loi organique constitue un cadre normatif pour les LFSS, qui n'a pas par lui-même d'incidence sur les dépenses et recettes sociales. Le projet permet d'augmenter la durée de l'amortissement de la dette sociale sans procéder à un nouveau transfert de dette et ne peut être regardé comme ayant des incidences sur l'équilibre financier des différentes branches du régime général ou comme entrant dans le domaine de compétence de l'ACOSS, laquelle gère la trésorerie du régime général et non la dette transférée à la CADES. Le Conseil d'État en déduit que la consultation des caisses nationales sur un tel projet de loi organique n'est pas obligatoire au regard de l'article L. 200-3 du code de la sécurité sociale et de l'article L. 723-12 du code rural et de la pêche maritime.

En revanche, le projet de loi a fait l’objet, ainsi qu’il le devait sur le fondement des dispositions citées à l’alinéa précédent, de la consultation du conseil de la CNAM, des conseils d’administration de la CNAV, de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et de l’ACOSS ainsi que du conseil central d’administration de la mutualité sociale agricole (MSA).

Projet de loi organique

Report de la date d’amortissement de la dette sociale

7. Le projet de loi organique modifie, en premier lieu, les dispositions de l’article 4 bis de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale afin, d’une part, de reporter du 31 décembre 2024 au 31 décembre 2033 le terme de l’amortissement de la dette sociale et, d’autre part, d’interdire toute diminution de recettes affectées à la CADES ayant pour effet de reporter ce terme. Ces dispositions ont pour objet de permettre, dans le projet de loi ordinaire, le transfert de nouvelles dettes à la CADES, sans affectation de nouvelles ressources.

Le Conseil d’Etat relève qu’aucun principe constitutionnel ne fait obstacle à ce que le législateur organique autorise une nouvelle fois un allongement de la durée d’amortissement de la dette sociale ainsi qu’il l’a déjà fait par la loi organique n° 2010-1380 du 13 novembre 2011 modifiant l’article 4 bis de l’ordonnance du 24 janvier 1996 précitée (Décision du Conseil constitutionnel n° 2010-616 DC du 10 novembre 2010, cons. 4 à 6) sur le fondement duquel des transferts de dettes ont été prévus par la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 (Décision du Conseil constitutionnel n° 2010-620 DC du 16 décembre 2010, cons. 3 à 11).

Il note que cette dérogation exceptionnelle aux dispositions résultant de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, prohibant l'accroissement de la durée d'amortissement de la dette sociale par un transfert de dette à la CADES intervient dans un contexte économique exceptionnel, lié à la grave crise sanitaire provoquée par l'épidémie de covid-19.

Domaine partagé des lois de financement de la sécurité sociale en matière de gestion de la dette sociale

8. Le projet de loi organique a pour objet, en deuxième lieu, d’étendre le champ des mesures relatives à la dette des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) et des organismes concourant à leur financement pouvant être prises sur le fondement du 5° du B du V de l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Il prévoit que toute disposition « ayant un effet sur la dette des régimes obligatoires de base de sécurité sociale », et non plus seulement celles relatives à un « transfert » de dette, puisse figurer dans la troisième partie des LFSS.

Le Conseil d’Etat rappelle que les mesures relatives à la gestion de la dette sociale entrent dans le domaine des lois de financement de la sécurité sociale sur le fondement de l'habilitation conférée à la loi organique par le 19ème alinéa de l'article 34 de la Constitution en vertu duquel « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier (…) dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » (Décision du Conseil constitutionnel n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005, cons. 39 et 40).  Il estime qu’il est dès lors loisible au législateur organique de préciser les conditions dans lesquelles ces mesures peuvent figurer dans les LFSS.

Adaptation du cadre organique dans la perspective d'une réforme de la prise en charge de l'aide pour l'autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap

9. Le projet de loi organique adapte, en troisième lieu, les dispositions du code de la sécurité sociale afin de rendre possible, le cas échéant, la création par une LFSS ou une loi ordinaire d’un nouveau risque ou d’une nouvelle branche au sein du régime général de la sécurité sociale, entrant dans le périmètre des LFSS et ayant pour objet la prise en charge des dépenses d'aide à l'autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap.

Le Conseil d’Etat rappelle, d’une part, que le Conseil constitutionnel a jugé que « l'existence de branches de la sécurité sociale est reconnue par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale » et que  « si l'autonomie financière des branches ne constitue pas, par elle-même, un principe de valeur constitutionnelle, le législateur ne saurait décider des transferts de ressources et de charges entre branches tels qu'ils compromettraient manifestement la réalisation de leurs objectifs et remettraient ainsi en cause tant l'existence des branches que les exigences constitutionnelles qui s'attachent à l'exercice de leurs missions » (Décision du Conseil constitutionnel n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, cons. 61 à 65).

Le Conseil d’Etat souligne, d’autre part, qu’au point 20 de son avis n° 399528 et 399529 sur le projet de loi organique et le projet de loi instituant un système universel de retraite du 24 janvier 2020, il a rappelé que les termes de « sécurité sociale » figurant au 17ème alinéa de l’article 34 de la Constitution recouvrent « l'ensemble des systèmes de protection sociale, quelles que soient leurs modalités de gestion administrative ou financière et, notamment, sans distinguer suivant que la protection est aménagée au moyen de mécanismes d'assurance ou d'assistance (CE, 23 octobre 2003, n° 248237) ». Au même point 20, le Conseil d’Etat a également relevé que le 17ème alinéa de l’article 34 de la Constitution définit le périmètre au sein duquel le législateur organique peut déterminer le domaine d’intervention des lois de financement de la sécurité sociale prévues par le 19ème alinéa de l’article 34 et l’article 47-1 de la Constitution.

Le Conseil d’Etat note que le législateur organique a retenu, depuis 1996, une conception plus restreinte du domaine des LFSS couvrant les régimes obligatoires de base de sécurité sociale et les organismes concourant à leur financement. Il constate que depuis cette date, les LFSS comportent des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses pour quatre branches - maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse et famille - et pour le fonds de solidarité vieillesse.

10. Le Conseil d’Etat en déduit, tout d’abord, que la création d'un nouveau risque ou d'une nouvelle branche de la sécurité sociale ne relève pas, par nature, du législateur organique. Il souligne que les risques sont actuellement définis par l'article L 200-1 du code de la sécurité sociale et les branches du régime général par l'article L 200-2 du même code. Il considère, ensuite, qu'une telle création requiert une adaptation du cadre organique si elle a pour effet d’affecter, par sa nature ou sa portée, le périmètre d'intervention des lois de financement de la sécurité sociale tel qu'il résulte du cadre présenté au dernier paragraphe du point 9. Il estime donc que les dispositions organiques applicables aux lois de financement de la sécurité sociale ne font pas obstacle à ce que le législateur financier crée une nouvelle branche au sein du régime général de la sécurité sociale pour rassembler des dépenses et des recettes qui entrent d’ores et déjà dans le domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

Il note, eu égard aux éléments présentés par le Gouvernement dans l’étude d’impact, que la nouvelle branche qui serait créée pour assurer la prise en charge de l’aide pour l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap rassemblerait essentiellement des dépenses inscrites aujourd’hui au sein de deux sous-objectifs de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM), intitulés « contribution de l’assurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes âgées » et « contribution de l’assurance maladie aux dépenses en établissements et services pour personnes handicapées » (« ONDAM médico-social »), et des recettes affectées à la CNSA dans le cadre des LFSS. Compte tenu des modifications apportées aux articles LO 111-3 et LO 111-4 du code de la sécurité sociale, le Conseil d’Etat estime que cette nouvelle branche pourrait être instituée dans le cadre d’une LFSS.

Projet de loi

Nouveaux transferts de dette sociale

11. Le projet de loi a pour objet de transférer de nouvelles dettes sociales à la CADES pour un montant maximal de 136 milliards d’euros. Ces dettes se répartissent en trois compartiments : d’abord, les déficits cumulés au 31 décembre 2019 de la branche maladie du régime général, du FSV, de la branche assurance vieillesse et veuvage de la MSA et du régime de retraite géré par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), dans la limite de 31 milliards d’euros ; ensuite, les déficits prévisibles pour les exercices 2020 à 2023 des branches maladie, vieillesse et famille du régime général, du FSV et de la branche assurance vieillesse et veuvage de la MSA, dans la limite de 92 milliards d’euros ; enfin, le financement de la dotation de la CNAM décrite au point 4, dans la limite de 13 milliards d’euros.

12. Le Conseil d’Etat estime, en premier lieu, que les dispositions relatives aux transferts à la CADES de dettes des ROBSS et des organismes participant à leur financement ne relèvent pas du domaine exclusif des LFSS défini par l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Il considère que les dispositions du 5° du B du V du de l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale ne font ainsi pas obstacle à ce qu’un tel transfert puisse être organisé par le législateur ordinaire.

En revanche, il incombe au législateur financier, en vertu de la lecture combinée du 3ème alinéa de l’article 4 bis de l’ordonnance du 24 janvier 1996 susmentionnée et du VI de l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, d’en tirer, le cas échéant, les conséquences en termes d’affectations de ressources à la CADES afin de respecter le terme fixé pour la durée d’amortissement dans la plus prochaine loi de financement de la sécurité sociale.

13. Le Conseil d’Etat note, en deuxième lieu, que l’amortissement de la dette sociale, confié à un établissement public dédié créé par l’ordonnance du 24 janvier 1996 précitée, s’inscrit, depuis la loi organique du 2 août 2005 précitée, dans un cadre juridique constitutionnel et organique.

Il rappelle tout d’abord que les dispositions organiques régissant les LFSS déterminent leur domaine d'intervention comme cela a été énoncé au point 9. Il souligne ensuite que le Conseil constitutionnel a admis que la trajectoire financière d’amortissement de la dette sociale entrait dans le champ des LFSS et que le législateur organique pouvait, dans la mesure où cette trajectoire participait à la détermination des conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale, enjoindre au législateur financier de respecter une règle selon laquelle « tout nouveau transfert de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale est accompagné d'une augmentation du produit d'impositions de toute nature ou de la réalisation d'actifs affecté à la caisse permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale » (Décision du Conseil constitutionnel n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005, cons. 39 et 40).
 
Le Conseil constitutionnel a également jugé qu’il lui appartenait de contrôler le respect de ces dispositions en vérifiant, d’une part, que les ressources affectées à la CADES dans les LFSS étaient suffisantes pour respecter le terme fixé d’amortissement de la dette sociale et, d’autre part, que les ressources affectées à la CADES pour le remboursement de la dette sociale ne l’étaient pas au détriment du financement des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement (Décision du Conseil constitutionnel n° 2010-616 DC du 10 novembre 2010, cons. 3 à 5).  

Le Conseil d’Etat estime qu’il en résulte que la dette sociale est la dette des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement, mentionnés à l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, résultant de leurs besoins de financement passés ou prévisibles. Il relève que le mécanisme décrit au point 4 se traduit par des dépenses d’assurance maladie et par conséquent un besoin de financement prévisible pour la CNAM. Le Conseil d’Etat en déduit que les dispositions organiques relatives à la dette sociale ne font pas obstacle à ce que le législateur puisse, à titre exceptionnel, prévoir, au-delà de la couverture de déficits constitués voire de déficits prévisibles, le financement par endettement de la CADES et par des transferts à l’ACOSS de dotations versées par la CNAM.

Le Conseil d’Etat observe que le recours à un financement par endettement de la CADES de déficits prévisibles de régimes obligatoires de base de la sécurité sociale, réalisé dans le cadre de la LFSS pour 2011, a déjà marqué une évolution majeure des missions de la CADES. Il appelle donc l’attention du Gouvernement sur le fait que cette nouvelle étape conduisant à prévoir un endettement de la CADES pour financer, non plus un déficit constitué ou prévisible, mais une dotation versée à un régime obligatoire de base de sécurité sociale ne peut se justifier qu’à raison de conditions économiques, démographiques et structurelles particulières et au regard des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale que les LFSS doivent déterminer en application des dispositions du 2° du C du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.

14. Le Conseil d’Etat constate, en troisième lieu, que le projet de loi initial du Gouvernement prévoit que la dotation décrite au point 4 a pour objet de couvrir les emprunts souscrits par les établissements publics de santé afin de mener à bien les investissements nécessaires à leurs missions de service public confiées par le code de la santé publique. Il considère qu’en excluant du bénéfice de cette mesure les établissements de santé privés assurant le service public hospitalier, notamment les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), les dispositions en cause créent une différence de traitement qui n’est pas en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit et méconnaît le principe d’égalité (Décision du Conseil constitutionnel n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, cons. 57 et 58, décision du Conseil d’Etat n° 327388 du 7 juillet 2010). Le Conseil d’Etat suggère en conséquence de modifier le projet de loi afin de prévoir que la dotation décrite au point 4 puisse bénéficier dans les mêmes conditions aux différentes catégories d’établissements de santé assurant le service public hospitalier défini aux articles L. 6112 1 à L 6112-3 du code de la santé publique.

Transfert de recettes de la CADES à la CNSA    

15. Le projet de loi prévoit, à compter du 1er janvier 2024, le transfert à la CNSA d’une fraction des recettes de CSG affectées à la CADES pour un montant estimé de 2,3 milliards d’euros. Aux termes du III de l’article LO 111-3 du code de la sécurité relève du domaine exclusif des LFSS : « L'affectation, totale ou partielle, d'une recette exclusive des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, des organismes concourant à leur financement, à l'amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit ou des organismes finançant et gérant des dépenses relevant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, à toute autre personne morale ne peut résulter que d'une disposition de loi de financement ».

Le Conseil d’Etat estime que cette disposition a pour objet de préserver le périmètre des recettes sociales et fonde l'un des cas de compétence exclusive de la loi de financement de la sécurité sociale. Il précise qu’il se déduit toutefois de la lettre de ce texte, par l'emploi de l'expression « à toute autre personne », qu'elle ne trouve en principe à s'appliquer que dans l'hypothèse où il s'agirait de transférer une recette à un organisme étranger à ce périmètre, mais non en cas de modification de la répartition entre bénéficiaires des prélèvements sociaux. Il note également que, comme cela a été rappelé au point 9, le Conseil constitutionnel a jugé que, s’agissant de transferts de ressources et de charges entre branches, ils sont possibles sous réserve du respect de leur capacité à exercer leurs missions : « si l'autonomie financière des branches ne constitue pas, par elle-même, un principe de valeur constitutionnelle, le législateur ne saurait décider des transferts de ressources et de charges entre branches tels qu'ils compromettraient manifestement la réalisation de leurs objectifs et remettraient ainsi en cause tant l'existence des branches que les exigences constitutionnelles qui s'attachent à l'exercice de leurs missions » (Décision du Conseil constitutionnel n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, cons. 61 à 65).  

Il en déduit que la disposition modifiant la répartition de recettes exclusives de sécurité sociale et prévoyant un changement d’affectation de certaines recettes entre des organismes mentionnés au III de l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, tels que la CADES et la CNSA, peut figurer en loi ordinaire et qu'elle ne se heurte à aucun obstacle d'ordre constitutionnel.

Le Conseil d’Etat appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur le fait qu’il lui incombe en vertu de la lecture combinée du 3ème alinéa de l’article 4 bis de l’ordonnance du 24 janvier 1996 précitée et du VI de l’article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, d’en tirer, le cas échéant, les conséquences dans la plus prochaine loi de financement de la sécurité sociale.

Mesures de financement relatives au fond de réserves des retraites (FRR)

16. Le projet de loi prévoit, d’une part, la prolongation du versement du FRR à la CADES, réduit à compter de 2025 à 1,45 milliard d’euros, jusqu’au 31 décembre 2033 afin d’assurer l’amortissement de la dette sociale. Le projet de loi organise, d’autre part, le versement à la CNAV, en une fois, de la partie de la contribution exceptionnelle, forfaitaire et libératoire mentionnée au III de l’article L. 135-6 du code de la sécurité sociale et précise, par dérogation aux règles comptables habituelles d’inscription des recettes exceptionnelles des organismes de sécurité sociale, que ce produit est affecté par cinquième aux résultats des exercices 2020 à 2024 de la CNAV.

Le Conseil d’Etat estime qu’aucun principe juridique ne fait obstacle à l’adoption de ces dispositions. Il appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur le fait qu’il lui incombe, comme cela a été dit au point 15, d’en tirer les conséquences dans la plus prochaine loi de financement de la sécurité sociale.

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat en Commission permanente dans sa séance du mardi 26 mai 2020.