Information des administrations par l’institution judiciaire et protection des mineurs

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur un projet de loi relatif à l’information des administrations par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs. Retrouvez ci-dessous l'analyse que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

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CONSEIL D' ÉTAT

Assemblée générale
Séance du jeudi 19 novembre 2015

Section de l’intérieur

N° 390606

EXTRAIT DU REGISTRE  DES DELIBERATIONS

Avis sur projet de loirelatif à l’information des administrations par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs

NOR : JUSD1522885L

1. Le Conseil d’État a été saisi, le 2 octobre 2015, d’un projet de loi relatif à l’information des administrations par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs.

2. Le projet de loi a pour objet, en tirant les conséquences d’antécédents judiciaires pour l’exercice d’activités professionnelles ou sociales en contact avec les mineurs, de définir le cadre juridique de l’information de l’autorité administrative par le ministère public sur la mise en cause dans des procédures pénales de personnes exerçant une activité soumise à l’autorité ou  au contrôle des autorités publiques. Un tel cadre doit permettre à ces autorités publiques de prendre les mesures que l’ordre public, la sécurité des personnes ou des biens et le bon fonctionnement du service public impliquent. Le projet institue à la fois un régime général applicable à toutes les personnes exerçant des activités soumises à contrôle mises en cause pour des infractions de tous types et un régime particulier pour les personnes en contact avec les mineurs mises en cause pour certaines infractions.

3. A cette fin, le projet de loi insère deux nouveaux articles dans le code de procédure pénale :

  • un article 11-2 permettant au procureur de la République d’informer l’administration ou les organismes de tutelle non seulement des condamnations non définitives mais aussi des mises en examen ou des poursuites engagées.

  • et un article 706-47-4 applicable aux personnes exerçant une activité comportant un contact   habituel   avec   des   mineurs   et   pour   certaines   infractions   spécifiquement énumérées, notamment les infractions sexuelles et des infractions commises sur des mineurs, qui, d’une part, oblige le procureur de la République à informer l’administration des condamnations non définitives et de certains contrôles judiciaires prononcés contre ces personnes et, d’autre part, lui permet d’informer l’administration en cours de procédure des poursuites, des mises en examen mais aussi de suspicions avant même l’engagement des poursuites

Le projet crée, en outre, une interdiction pouvant être prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire :  l’interdiction  d’exercice  d’une  activité  impliquant  un  contact  habituel  avec  des mineurs.

4. Le projet modifie, par ailleurs :

  • le code du sport pour étendre au cas d’activité bénévole la sanction prévue contre les personnes encadrant des mineurs malgré une interdiction de le faire ;

  • le code de l’action sociale et des familles pour étendre les cas de condamnations pénales emportant incapacité d’exploitation ou de direction d’un établissement accueillant des mineurs ;

  • et le code de l’éducation pour permettre la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire pour les chefs d’établissements d’enseignement privé du premier degré.

5. Le projet de loi n’appelle pas d’autre observation, de la part du Conseil d’État, que les remarques suivantes.

I. - Sur les dispositions communes aux deux articles prévoyant la transmission par le ministère public à des autorités publiques d’informations nominatives à caractère pénal

6. Le Conseil d’État a considéré que l’étude d’impact mériterait d’être développée sur le champ d’application et les impacts des dispositions de l’article 11-2 du code de procédure pénale introduit par l’article 1er du projet de loi.

7. Le Conseil d’État a estimé que la transmission d’une information relative à une condamnation pénale, même non définitive, ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence ou au respect de la vie privée, dès lors que cette condamnation a été prononcée publiquement.

En revanche, la transmission, à des stades antérieurs de la procédure pénale, à une autorité, chargée par la loi du contrôle d’une activité, d’informations nominatives portant sur la mise en cause dans le cadre d’une procédure pénale d’une personne exerçant cette activité affecte des droits protégés par la Constitution et la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. La décision du Conseil constitutionnel n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure a estimé que, si aucune norme constitutionnelle ne s’oppose par principe à l’utilisation à des fins administratives de données nominatives   recueillies   dans   le   cadre   d’activités   de   police   judiciaire,   cette   utilisation méconnaîtrait les exigences résultant des articles 2, 4, 9 et 16 de la Déclaration de 1789 si, par son caractère excessif, elle portait atteinte aux droits ou seulement aux intérêts légitimes des personnes concernées.

8. Le Conseil d’État a dès lors considéré que la transmission d’informations nominatives à caractère pénal par le ministère public doit être justifiée par des impératifs protégeant d’autres droits ou intérêts de même valeur avec lesquels les droits ou intérêts légitimes de la personne concernée doivent se concilier.

En fonction des risques encourus dans un domaine d’activité déterminé, le maintien de l’ordre public, la sécurité des personnes ou des biens ou le bon fonctionnement du service public peuvent justifier la transmission à l’administration ou à l’autorité chargée du contrôle de cette activité d’informations nominatives à caractère pénal.

En ce qui concerne les personnes exerçant une activité impliquant un contact habituel avec les mineurs, la transmission d’informations à caractère pénal les concernant se justifie par la prévention des atteintes à la sécurité des mineurs, en particulier à leur intégrité physique et psychique.

9. Le Conseil d’État a constaté que le projet de loi organisait la transmission de l’information nominative à caractère pénal du ministère public jusqu’à l’autorité compétente pour prendre les mesures de cessation ou de suspension d’exercice de l’activité contre la personne concernée. Il a jugé pertinent que le ministère public adresse, en première intention, l’information à l’administration ou à une autre autorité publique, ce qui comprend les personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public ou les ordres professionnels. Le Conseil d’État a admis que cette autorité publique destinataire directe de l’information transmise par le parquet exerce sa liberté d’appréciation quant à la nécessité de transmettre cette information à l’autorité gestionnaire ou disciplinaire compétente, lorsqu’il s’agit d’une autre personne. Il a estimé que tous les destinataires de cette information devaient être soumis au secret professionnel dans la limite des nécessités découlant de la mise en œuvre des pouvoirs de cessation ou de suspension de l’exercice de l’activité.

10. Le Conseil d’État a estimé, en outre, que la transmission de telles informations par le ministère public devait être encadrée par diverses garanties. Constitue une garantie importante la soumission de la transmission à l’appréciation de l’autorité judiciaire, en l’espèce celle du ministère public.

Le Conseil d’État a également jugé nécessaire que soient prévus : la limitation des infractions pouvant y donner lieu, l’utilisation d’un support écrit, la confidentialité de la communication, l’information de la personne concernée sur la mise en œuvre de cette transmission, l’information de l’autorité destinataire sur l’issue définitive de la procédure et l’effacement de l’information lorsque, hors les cas où une décision prononçant une sanction se serait légalement fondée sur les informations transmises par le parquet, la procédure s’est terminée par une décision de non- culpabilité.

II. - Sur les dispositions spécifiques aux personnes exerçant une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs

11. Le Conseil d’État a admis les cas de transmission obligatoire prévus par le projet de loi. Ils ne portent pas en effet une atteinte excessive à des droits constitutionnellement et conventionnellement protégés dès lors que la transmission obligatoire n’est prévue - et seulement pour une liste spécifique d’infractions en lien avec le champ d’application de l’article 706-47-4 - qu’en vue de faire connaître à l’autorité responsable une décision pénale rendue publique ou une décision dont l’exécution doit être, par fonction, vérifiée par cette autorité.

12. Le Conseil d’État a relevé que la possibilité ouverte au ministère public, dans le même champ d’application de l’article 706-47-4, d’informer l’administration, dès la garde à vue, des suspicions pesant contre une personne exerçant une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs constituait un cas d’information situé à un stade précoce de la procédure pénale. Il s’agit du seul cas pour lequel l’information communiquée par le parquet serait susceptible de ne pas être suivie de la saisine d’une juridiction et ainsi la procédure pourrait se clore par une décision du ministère public.

Si le Conseil d’État n’a pas considéré que la saisine d’une juridiction appelée à se prononcer sur la culpabilité constituait, en pareil cas, une garantie nécessaire à la sauvegarde des droits constitutionnellement et conventionnellement protégés de la personne concernée, il a toutefois estimé nécessaire que, après l’audition de la personne - que ce soit en garde à vue ou dans les conditions de l’audition libre prévues à l’article 61-1 du code de procédure pénale - il ne soit possible au ministère public d’informer l’autorité administrative compétente que s’il estimait, comme pour une mise en examen, qu’il existe contre la personne des indices graves et concordants rendant vraisemblable que la personne a commis ou tenté de commettre une des infractions énumérées.

13. Enfin, le Conseil d’État a considéré que l’interdiction instituée par le projet de loi d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire ne devait pouvoir être décidée, s’agissant d’une mesure pré-sentencielle, que si les circonstances font craindre la commission d’une nouvelle infraction.

Cet  avis  a  été  délibéré  par  l’assemblée  générale  du  Conseil  d’État  dans  sa  séance  du jeudi 19 novembre 2015.