Le Gouvernement a décidé de rendre public l’avis portant sur un projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen.
Assemblée générale - Séance du jeudi 21 décembre 2017
Section de l’intérieur
N° 393955
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS
AVIS SUR UN PROJET DE LOI relatif à l’élection des représentants au Parlement européen
NOR : INTX1733825L
1. Le Conseil d’État a été saisi le 30 novembre 2017 d’un projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen. Ce texte a été modifié par une saisine rectificative reçue le 18 décembre 2017. L’étude d’impact a été complétée les 18 et 20 décembre 2017.
2. Ce projet de loi modifie la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen afin, d’une part, que les représentants au Parlement européen soient élus, en France, dans une circonscription unique et, d’autre part, que le mode de répartition de la durée des émissions du service public de la communication audiovisuelle mise à la disposition des listes pendant la campagne soit mis en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État estime que l’organisation du projet de loi selon un plan faisant apparaître plus clairement ces deux objets, avant d’en tirer les conséquences, par coordination, sur les autres dispositions du projet, est préférable au plan retenu par le Gouvernement, qui modifie, dans leur ordre, les articles de la loi du 7 juillet 1977.
3. L’étude d’impact du projet de loi, qui a été utilement complétée au cours de son examen par le Conseil d’État, répond désormais dans l’ensemble aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009.
4.Dans ces conditions, le projet de loi appelle, de la part du Conseil d’État, les observations suivantes.
Retour à une circonscription unique
5. La loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen a prévu, pour l’élection en France des représentants au Parlement européen, un découpage électoral en huit circonscriptions. Le projet de loi rétablit une circonscription unique qui avait prévalu lors des élections organisées entre 1979 et 1999.
Le choix d’une circonscription unique, qui correspond d’ailleurs au choix retenu par la grande majorité des États membres de l’Union européenne, ne méconnaît aucune disposition du droit de l’Union et ne pose pas de question de constitutionnalité.
Nombre de candidats figurant sur les listes
6. Les dispositions du projet de loi n’imposent pas aux listes de comporter un nombre de candidats supérieur au nombre de sièges à pourvoir, qui est de 74 en application de la décision 2013/312/UE du Conseil européen du 28 juin 2013 fixant la composition du Parlement européen. Le Conseil d’État estime que, compte tenu du scrutin de liste proportionnel et du nombre des sièges à pourvoir dans une circonscription unique, ces dispositions sont de nature à ce que le nombre des suivants de listes soit toujours suffisant pour éviter que certains siègent demeurent durablement vacants par suite de démission, de décès ou d’incompatibilité de membres du Parlement européen.
Plafond des dépenses électorales
7. Premièrement, le projet de loi fixe à 9,2 millions d’euros le plafond des dépenses électorales des candidats. Ce montant est égal à huit fois le montant fixé, par la loi du 11 avril 2003, dans chacune des huit circonscriptions.
Toutefois, dès lors que le plafond fixé en 2003 a été majoré de 10 % par le décret n° 2009-370 du 1er avril 2009 portant majoration du plafond des dépenses électorales, le nouveau montant retenu par le projet de loi entraîne un abaissement de 11 % du plafond global des dépenses électorales pour cette élection.
Le Conseil d’État estime que cette baisse, compte tenu de son ampleur limitée et de la date suffisamment précoce de son annonce, n’est pas de nature à porter atteinte à l’exercice du droit de suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution (Conseil constitutionnel, décision n° 94-353/356 DC du 11 janvier 1995, cons. 6).
8. Deuxièmement, l’article 19-1 de la loi du 9 juillet 1977 prévoit que les frais de transport aérien, maritime et fluvial exposés par les candidats à l’intérieur de la circonscription outre-mer ne sont pas inclus dans le plafond des dépenses électorales. Une règle analogue figure à l’article L. 52-12 du code électoral pour les élections législatives, sénatoriales et régionales. Cette règle s’applique également à l’élection présidentielle en vertu du renvoi à cet article L. 52‑12 opéré par le II de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.
Le projet de loi substitue à cette règle, pour la seule élection au Parlement européen, une majoration du plafond des dépenses électorales, dans la limite de 2 %, pour les frais de transport aérien, maritime et fluvial exposés par chaque liste de candidats, au départ et à destination des départements et collectivités d’outre-mer.
Le principe et le taux d’une telle majoration ne soulèvent pas de question de constitutionnalité. Ils ne sont pas non plus incompatibles avec l’article 4 de l’Acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel, qui dispose que chaque État membre peut fixer un plafond pour les dépenses des candidats relatives à la campagne électorale.
Si le principe d’égalité n’impose pas que la règle retenue pour les élections au Parlement européen soit étendue à d’autres élections, le Conseil d’État invite le Gouvernement à approfondir la réflexion sur l’éventuelle harmonisation, s’agissant des règles relatives aux frais de transport à destination ou en provenance des départements et collectivités d’outre-mer, entre le régime juridique applicable à l’élection du Président de la République et celui de l’élection des représentants au Parlement européen, dès lors que cette dernière est désormais également organisée dans une circonscription unique. De même, la question des frais de transport engagés pour les campagnes électorales à destination des Français établis hors de France devrait être analysée.
Émissions du service public de la communication audiovisuelle
9. Le projet réforme le dispositif de répartition de la durée des émissions du service public de la communication audiovisuelle mis à la disposition des listes pendant la campagne pour les élections au Parlement européen. Il tire les conséquences, pour cette élection, de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-651 QPC du 31 mai 2017, Association En Marche !, qui a déclaré contraires à la Constitution les dispositions des II et III de l’article L. 167-1 du code électoral, lesquelles prévoient, pour les élections législatives, un dispositif qui présente des analogies avec celui qui figure dans la loi du 7 juillet 1977 pour les élections au Parlement européen. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que l’écart des durées d’émission attribuées, d’une part, en fonction de l’existence d’une représentation des groupes politiques intéressés à l’Assemblée nationale et, d’autre part, en proportion de cette représentation, peut « conduire à l’octroi d’un temps d’antenne sur le service public manifestement hors de proportion avec la participation à la vie démocratique de la Nation [des] partis et groupements politiques ».
Le projet de loi définit de nouveaux critères pour l’attribution et la répartition des temps d’antenne du service public audiovisuel dans la campagne qui sont divisés en trois fractions. Une première, égale pour toutes les listes dont la candidature a été régulièrement enregistrée, est de deux minutes. Une deuxième, d’une durée de deux heures, est réservée aux listes soutenues par des partis et groupements politiques représentés par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Elle est répartie entre ces listes au prorata du nombre de députés et de sénateurs, appartenant à ces groupes parlementaires, ayant déclaré être inscrits ou se rattacher aux partis et groupements politiques qui soutiennent ces listes. Une troisième fraction, d’une durée d’une heure, est répartie par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) entre toutes les listes dont la candidature est régulièrement enregistrée. Pour cette répartition, le CSA doit veiller à ce que l’attribution totale des durées d’émission ne puisse conduire à des écarts hors de proportion avec la participation à la vie démocratique de la Nation des partis et groupements politiques qui soutiennent ces listes. Le projet définit les critères sur lesquels le CSA doit se fonder pour apprécier ces écarts. A cette fin, il s’inspire des critères qui ont été fixés, pour l’élection présidentielle, par la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle.
10. La mise à disposition des listes de candidats des antennes du service public de la communication audiovisuelle constitue un mode de propagande électorale qui n’est désormais ni le plus moderne, ni le plus influent dans la campagne électorale. L’attention méticuleuse accordée par le projet de loi à ce mode de communication électorale, quoique nécessaire, paraît en décalage, d’une part, avec sa place désormais mineure dans la campagne électorale et, d’autre part, avec les pouvoirs encore limités reconnus aux autorités de régulation pour intervenir, pendant la campagne sur les réseaux de communication au public par voie électronique, même si la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique a généralisé l’application, à ces réseaux, des règles de la propagande électorale, ce qui a eu pour effet d’étendre l’office du juge de l’élection dans le contrôle des conditions de déroulement de la propagande (Conseil constitutionnel, décision n° 2017-5092 AN du 18 décembre 2017, Loiret, 4ème circ.).
11. En ce qui concerne les modalités retenues par le projet de loi pour répartir les temps d’antenne entre les listes, le Conseil d’État fait les observations suivantes.
La première fraction, forfaitaire et égale pour toutes les listes régulièrement enregistrées, ne pose aucune difficulté.
Les deuxième et troisième fractions soulèvent en revanche trois questions.
12. En premier lieu, l’article 19 de la loi du 7 juillet 1977, dans sa rédaction actuelle, dispose que les durées d’antenne sont mises à la disposition des partis et groupements politiques qui « présentent » des listes. Le projet de loi prévoit que la durée d’émission de deux heures attribuée au titre de la deuxième fraction est mise à la disposition des listes « soutenues » par les partis et groupements politiques représentés par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le rattachement des listes aux partis s’opère par une déclaration de soutien de ces derniers.
Le Conseil d’État n’y voit pas d’inconvénient, mais estime que la règle selon laquelle chaque parti ou groupement politique ne peut soutenir qu’une seule liste doit figurer dans la loi : il complète en ce sens la rédaction du projet de loi.
13. En deuxième lieu, le critère principal retenu pour la répartition des durées d’émission, au titre de la deuxième fraction, est la représentation des partis politiques au Parlement français. Les résultats des élections lors du dernier renouvellement du Parlement européen ne sont pris en compte, parmi d’autres critères, que dans le cadre de l’attribution de la troisième fraction de durée d’émission.
Le Conseil d’État s’est interrogé sur la pertinence d’un critère fondé sur la composition politique du Parlement national pour déterminer les temps d’antenne dans la campagne électorale en vue du renouvellement du Parlement européen.
Certes, dans sa décision du 31 mai 2017, le Conseil constitutionnel a jugé que la représentation des partis politiques à l’Assemblée nationale permet de mesurer la place respective des « principales opinions qui animent la vie démocratique de la Nation » (cons. 8). En outre, compte tenu de l’actualisation annuelle du rattachement des députés et des sénateurs à un parti ou un groupement politique, pour l’application des règles relatives au financement de ces derniers, la composition politique de l’Assemblée nationale et du Sénat permet une appréhension plus juste de la participation actuelle de ces partis ou groupements à la vie politique de la Nation.
Toutefois, la différence entre les modes de scrutin, pour l’élection des députés et sénateurs d’une part, et pour l’élection des représentants au Parlement européen d’autre part, les spécificités du débat démocratique dans le cadre de la campagne pour le renouvellement du Parlement européen et, enfin, l’évolution potentiellement très rapide des courants d’idées et d’opinions, peuvent conduire à ce que l’attribution de la deuxième fraction de durée d’émission ne soit pas en adéquation avec la participation des partis et groupements politiques représentés au Parlement national, aux débats de la campagne électorale.
Le Conseil d’État estime par conséquent nécessaire de fixer à une heure trente la durée respective des deux dernières fractions de durée d’émission, afin de permettre au CSA de disposer du moyen d’assurer les corrections nécessaires des écarts qui pourraient, le cas échéant, résulter de l’attribution de la deuxième fraction.
Sous cette réserve, le Conseil d’État est d’avis que le pouvoir reconnu au CSA pour répartir la troisième fraction du temps d’antenne et les critères encadrant l’exercice de ce pouvoir, qui reprennent ceux fixés par la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle, sont de nature à garantir que les différences de durées d’émission attribuées aux listes ne soient pas hors de proportion avec la participation à la vie démocratique de la Nation des partis et groupement politiques qui les soutiennent.
14. En troisième lieu, le Conseil constitutionnel a demandé que le législateur veille à ce que les modalités qu’il fixe ne soient pas susceptibles de conduire à l’établissement de durées d’émission « manifestement » hors de proportion avec la participation de ces partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. Le Conseil d’État estime que l’adverbe « manifestement », qui traduit le caractère restreint du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur les dispositions législatives organisant la répartition des temps d’antenne, n’a pas à figurer, comme l’envisageait initialement le Gouvernement, dans les dispositions législatives qui définissent les pouvoirs du CSA pour l’attribution de la troisième fraction du temps d’antenne. Il appartient au CSA de procéder à une attribution du temps d’antenne qui tende à respecter le mieux possible l’exigence de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et de l’égalité des candidats devant le suffrage, quelle que soit l’étendue du contrôle qu’exercera le juge compétent sur la mise en œuvre de ce pouvoir.
Activités de conseil des membres du Parlement européen
15. Les députés, les sénateurs et les représentants au Parlement européens sont tenus de déclarer les participations directes ou indirectes qui confèrent le contrôle d'une société dont l'activité consiste principalement dans la fourniture de prestations de conseil. Toutefois, l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, applicable aux membres du Parlement européen, et l’article LO 135-1 du code électoral, applicable aux députés et sénateurs, désignent en des termes différents les sociétés ou entreprises qui entrent dans le champ de cette obligation. Cette différence de rédaction n’est pas justifiée. Le projet y met fin en reprenant, à l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013, la rédaction de l’article LO 135-1 du code électoral. Cette harmonisation, qui a été souhaitée par le Conseil d’État dans ses échanges avec les représentants du Gouvernement, lui apparaît bienvenue.
Entrée en vigueur
16. Le Conseil d’État estime que l’annonce de l’éventuelle création de listes transnationales pour l’élection de représentants au Parlement européen, qui est dépourvue de portée normative, a plus sa place dans l’exposé des motifs que dans le texte du projet de loi. Il propose en conséquence de supprimer cette mention dans le dernier article relatif à l’entrée en vigueur de la loi.
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 21 décembre 2017.