Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.
1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 2 novembre 2023 d’un projet de loi relatif à l'accélération de la rénovation des copropriétés et de la lutte contre l'habitat dégradé. Ce projet de loi a fait l’objet de deux saisines rectificatives, la première, reçue le 24 novembre 2023, modifiant un article et la seconde, reçue le 27 novembre, ajoutant un article et modifiant le titre du projet pour indiquer que celui-ci est également relatif aux grandes opérations d’aménagement.
2. Ce projet de loi comprend 17 articles, regroupés en un titre unique intitulé « Réagir plus fermement et rapidement aux situations d’habitat dégradé et favoriser les grandes opérations d’aménagement » et composé de trois chapitres comportant des dispositions relatives respectivement aux interventions destinées à éviter la dégradation définitive d’immeubles, notamment d’habitation, à accélérer les procédures de requalification et de transformation des copropriétés dégradées ainsi que les opérations d’aménagement stratégiques et à des mesures diverses.
Ses dispositions visent à accroître, diversifier, sécuriser et moderniser les moyens d'action des collectivités et des opérateurs pour permettre une intervention précoce sur l’habitat dégradé et à simplifier les procédures administratives et judiciaires tendant à y remédier.
Dès lors que ces mesures sont regroupées autour de deux objectifs énoncés par les deux premiers chapitres et qu’un titre unique ne se justifie pas, le Conseil d’Etat propose de supprimer ce dernier.
3. L’étude d’impact du projet de loi, qui a été complétée le 1er décembre 2023, répond de manière globalement satisfaisante aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Le projet de loi a été soumis à l’avis préalable de l’ensemble des instances dont la consultation est obligatoire.
4. Outre les améliorations de rédaction qu’il suggère, ce projet de loi appelle de la part du Conseil d’Etat les observations suivantes.
Création d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique des immeubles insalubres ou dégradés à titre remédiable
5. La police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations, régie par le livre V du code de la construction et de l'habitation donne aux autorités compétentes (maire ou préfet) des moyens pour faire cesser les dangers résultant de l’état de certains immeubles. Toutefois, elle ne suffit pas toujours, en cas de carence avérée des propriétaires à effectuer les travaux prescrits, à enrayer le processus de dégradation des immeubles, sauf à multiplier les interventions d’office de la part de la collectivité publique. A terme, ces immeubles font souvent l’objet d’une interdiction définitive d’habiter ou d’un ordre de démolition et ils peuvent alors être expropriés selon la procédure spéciale prévue par les articles L. 511-1 à L. 511-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (issus de la loi n° 70-612 du 10 juillet 1970 tendant à faciliter la suppression de l’habitat insalubre, dite « loi Vivien »), qui permettent, par une même décision, de déclarer, sans enquête publique, l’utilité publique de l’expropriation, de désigner la collectivité publique ou l’organisme bénéficiaire, de déclarer cessibles les immeubles ou parties d’immeubles concernés et d’en fixer la date de prise de possession anticipée après le versement d’une indemnité provisionnelle.
6. Afin de permettre l’engagement, à l’initiative des collectivités publiques, des travaux nécessaires pour éviter que la dégradation d’immeubles bâtis connaissant des désordres importants ne devienne irrémédiable, le projet de loi crée une nouvelle procédure d’expropriation concernant ces immeubles, parties d’immeubles ou leurs terrains d’assiette.
La procédure proposée reprend, tout en l’adaptant, celle régie par les articles L. 511-1 à L. 511-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Comme cette dernière, elle autorise, en raison de l’urgence à réaliser les travaux, la prise de possession anticipée moyennant l'octroi d'une indemnité provisionnelle.
7. Le Conseil d'Etat relève que cette procédure a pour objet d’assurer, de façon pérenne, la sécurité et la santé des occupants des immeubles concernés et de réduire la charge financière des collectivités, en leur évitant l’exécution d’office de mesures ponctuelles, souvent moins efficaces et plus coûteuses.
Il estime toutefois que la seule condition à laquelle le projet de loi subordonne l’expropriation, à savoir le constat de l’inexécution des travaux prescrits par l’autorité publique, n’est pas suffisante pour permettre de considérer que cette procédure répond à d’impérieux motifs d’intérêt général et est assortie de la garantie des droits des propriétaires, conditions nécessaires, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour justifier une prise de possession anticipée des propriétés (voir notamment décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, considérant 20 ; décision n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010, point 7).
Il propose, en conséquence, de renforcer les conditions et garanties auxquelles est soumise la nouvelle procédure.
Il considère, en premier lieu, que la nécessité d’exproprier doit résulter de la carence persistante des propriétaires à exécuter les mesures prescrites, démontrée par le fait qu’au moins deux arrêtés de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité n’ont pas été exécutés au cours des dix années civiles écoulées.
Il estime, en deuxième lieu, que l’existence de travaux à réaliser pour prévenir la dégradation irrémédiable de l’immeuble doit être avérée par un rapport établi par des services techniques ou un expert.
Il ajoute, en troisième lieu, que la protection des occupants doit être garantie par l’élaboration d’un projet de plan de relogement lorsque l’état de l’immeuble à exproprier ou les travaux à effectuer justifient, pour préserver la sécurité ou la santé des occupants, une interdiction temporaire d’habiter.
8. Le Conseil d'Etat observe que les dispositions relatives à la détermination de l’indemnité permettent de couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation puisque l’évaluation de la valeur du bien repose sur l’utilisation d’une méthode se référant, par priorité, aux mutations et accords amiables portant sur des biens du même secteur et se trouvant dans un état de dégradation ou d’insalubrité comparable. Le projet de loi prévoit que ce n’est qu’à titre subsidiaire, lorsque ces références sont en nombre insuffisant, qu’il est possible de se fonder sur des opérations portant sur des biens de meilleure qualité, mais à la condition que soit appliqué un abattement qui, a minima, comprend le montant des travaux prescrits qui n’ont pas été exécutés et tient compte de la dépréciation résultant de la dégradation et de l’insalubrité du bien. La latitude laissée ainsi au juge judiciaire lui permet de tirer les conséquences de l’état exact du bien. Le montant des travaux exécutés d’office n’est cependant pas déductible de la valeur du bien à exproprier.
9. Le Conseil d’Etat estime que, soumise à l’ensemble de ces conditions, la nouvelle procédure satisfait tant aux exigences constitutionnelles résultant de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qu’aux exigences conventionnelles résultant de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Création d’une procédure de scission forcée ou de création d’un ou plusieurs syndicats secondaires à l’initiative de l’opérateur chargé de la mise en œuvre d’une ORCoD ou d’une ORCoD-IN
10. Le projet de loi instaure une procédure visant à permettre à l’opérateur auquel a été confiée la mise en œuvre d’une opération de requalification des copropriétés dégradées (ORCoD) ou d’une opération de requalification des copropriétés dégradées déclarée d’intérêt national (ORCoD-IN), lorsqu’il est confronté à une copropriété présentant de graves difficultés d’entretien ou d’administration de nature à en compromettre la gestion et le fonctionnement, de saisir le juge judiciaire afin que ce dernier ordonne, au terme d’une expertise, soit la division du syndicat des copropriétaires, soit la création d’un ou plusieurs syndicats secondaires, afin de déconcentrer la prise de décision au niveau de gestion le plus pertinent et, le cas échéant, isoler les immeubles les plus en difficulté de ceux susceptibles de faire l’objet de mesures de redressement.
11. Le Conseil d’Etat relève que, si la mesure proposée par le projet de loi est sans incidence sur les droits des copropriétaires sur les parties privatives de l’immeuble, elle peut avoir, en revanche, une incidence sur les droits de ces derniers sur les parties communes.
Il relève que la création d’un syndicat secondaire, si elle entraîne une nouvelle répartition des tantièmes et des charges qui en découlent, n’a pas, par elle-même, d’effet sur la propriété des parties communes.
En revanche, la division du syndicat d’origine conduit à une aliénation des parties communes, qui affecte l’ensemble des copropriétaires.
Lorsque la division du syndicat donne lieu à un partage égal des parties communes, l’opération se traduit par un échange des tantièmes de copropriété entre les membres des nouveaux syndicats.
Lorsqu’un partage strictement égal des parties communes n’est pas possible, l’opération se règle, dans le silence des textes, selon les principes fixés par le code civil en matière de partage de biens indivis, par le versement d’une soulte.
12. Le Conseil d’Etat observe que, dans l’hypothèse de la création d’un syndicat secondaire ou dans celle de la scission d’une copropriété avec partage égal des parties communes, la mise en œuvre de la procédure créée par le projet de loi porte atteinte aux droits des copropriétaires sans pour autant les priver de ces droits. Il relève, toutefois, que cette atteinte est justifiée par de sérieux motifs d’intérêt général, tirés de la nécessité de remédier à de graves difficultés d’entretien ou d’administration de l’immeuble concerné de nature à compromettre sa gestion et son fonctionnement. En outre, la procédure prévue est entièrement placée sous le contrôle du juge judiciaire et les modalités de l’opération sont fixées par un expert indépendant de l’opérateur. Le Conseil d’Etat estime que, dans ces conditions, les atteintes portées au droit de propriété sont justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi et ne méconnaissent ni l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (voir, notamment, Conseil constitutionnel, décision n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012, considérant 4 ; décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, considérant 23), ni l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
13. Le Conseil d’Etat observe, en revanche, que dans l’hypothèse d’une scission de copropriété avec partage inégal des parties, les copropriétaires concernés sont privés d’une partie des droits de propriété qu’ils détiennent sur ces parties communes.
Le Conseil d’Etat relève que, dans ce cas, le projet de loi prévoit une indemnisation de copropriétaires concernés dans les conditions prévues par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. La privation des droits de propriété créée par la scission du syndicat de copropriété, dont la nécessité publique a été légalement constatée, fait ainsi l’objet d’une juste et préalable indemnité et ne méconnaît ni les exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni celles de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Redéfinition des critères permettant de caractériser l’état irrémédiable de l’insalubrité ou de l’insécurité d’un bâtiment
14. En l’état du droit, l’article L. 511-11 du code de la construction et de l’habitation prévoit que l’autorité de police compétente ne peut prescrire la démolition ou l’interdiction définitive d’habiter un immeuble ou une partie d’immeuble insalubre ou menaçant ruine que s’il n’existe aucun moyen technique de remédier à l’insalubrité ou à l’insécurité de l’immeuble, ou lorsque les travaux nécessaires à cette résorption seraient plus coûteux que la reconstruction. Pour l’application de ces dispositions, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a jugé, d’une part, que la notion de travaux nécessaires à cette résorption s’entendait comme les mesures strictement nécessaires pour mettre fin à l’insalubrité ou à l’insécurité (CE 15 avril 2015, n° 369548), et, d’autre part, que le coût de la reconstruction d’un immeuble comprenait le coût de démolition de cet immeuble (CE 16 juillet 2021, n° 450188).
15. Afin d’éviter que la prise en compte des coûts de démolition (qui, en milieu urbain dense, peuvent se révéler particulièrement élevés) ne fasse obstacle, de manière injustifiée, à la prise d’arrêtés ordonnant la démolition d’un immeuble ou l’interdiction définitive de l’habiter, le Gouvernement propose de redéfinir le premier terme de la comparaison et de remplacer la notion de « travaux nécessaires à la résorption de l’insalubrité ou de l’insécurité » par celle de « mesures et travaux nécessaires à un usage conforme à la destination de l’immeuble ou de l’installation, y compris au respect des normes de décence en vigueur lorsque l’arrêté porte sur un logement ».
16. Le Conseil d’Etat relève que le constat de l’état irrémédiable d’insalubrité ou d’insécurité d’un bâtiment conditionne l’engagement de la procédure particulière d’expropriation prévue par l’article L. 511-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Les critères pris en compte pour déterminer l’état irrémédiable d’insalubrité ou d’insécurité d’un bâtiment doivent donc permettre de démontrer l’existence d’une nécessité publique justifiant une privation du droit de propriété. Le Conseil d’Etat estime que si l’objectif poursuivi par le Gouvernement ne remet pas en cause le constat d’une telle nécessité, la rédaction qu’il propose mérite d’être précisée. D’une part, les termes généraux employés par le projet ne permettent pas d’identifier clairement les mesures et travaux susceptibles d’être imposés au propriétaire. D’autre part, la réglementation relative aux caractéristiques d’un logement « décent » est, en l’état du droit, opposable aux seuls propriétaires de biens donnés à bail, mais non aux propriétaires occupants. Pour ces raisons, le Conseil d’Etat suggère au Gouvernement de retenir que la démolition ou l'interdiction définitive d'habiter ou d’utiliser un immeuble ne peut être prescrite que s'il n'existe aucun moyen technique de remédier à l'insalubrité ou à l'insécurité ou si les mesures et travaux nécessaires à une remise en état du bien aux normes de salubrité et de sécurité en vigueur seraient plus coûteux que sa reconstruction.
Autres dispositions
17. Le projet de loi comporte enfin des dispositions qui ont pour objet :
- d’élargir les possibilités de mettre en œuvre les opérations de restauration immobilière prévues par les articles L. 313-4 et suivants du code de l'urbanisme ;
- de créer un nouveau type de prêt collectif, plus souple et plus simple de mise en œuvre, pour le financement des travaux essentiels à la préservation et bon entretien de l'immeuble, ainsi que des travaux de rénovation énergétique ;
- de rendre insaisissables les avoirs bancaires des copropriétés en redressement, afin de préserver les ressources indispensables à l'entretien et à la réhabilitation des immeubles dégradés ;
- d’élargir les conditions de recours à la procédure de mandat ad hoc pour faciliter la mise en place d'une assistance à la gestion et de mesures correctrices dans les copropriétés défaillantes ;
- de permettre le recours à la concession d’aménagement définie par les articles L.300-4 et L. 300-5 du code de l'urbanisme pour réaliser des opérations de traitement de copropriétés dégradées s’inscrivant dans les dispositifs précis et de déléguer au concessionnaire le droit de préemption urbain prévu par l'article L. 211-1 du même code ;
- de compléter les informations devant figurer au registre national d’immatriculation des copropriétés qui fait l’objet des articles L. 711-1 à L. 111-7 du code de la construction et de l'habitation ;
- de créer une obligation d'information des copropriétaires et des résidents dans les cas où l'immeuble ou certains de ses logements sont concernés par des actions de lutte contre l'habitat indigne ;
- d’étendre la procédure de prise de possession anticipée en matière d’expropriation à l’ensemble des opérations de requalification des copropriétés dégradées ;
- d’étendre la procédure d’expropriation des articles L. 511-1 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique aux locaux commerciaux frappés par une interdiction définitive d’utiliser ;
- de clarifier les conditions dans lesquelles le juge civil peut déclarer qu’un syndicat de copropriétaires se trouve en état de carence ;
- de faire bénéficier les opérations d'intérêt national (OIN) de dispositifs facilitant leur réalisation, à savoir la participation du public par voie électronique prévue par l'article L. 123-19 du code de l'environnement, la procédure intégrée de mise en compatibilité des documents d’urbanisme prévue par l'article L. 300-6-1 du code de l'urbanisme et la procédure de prise de possession immédiate d’immeubles expropriés prévue par les articles L. 522-1 à L. 522-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- d’étendre également le bénéfice de cette procédure intégrée de mise en compatibilité des documents d’urbanisme aux opérations de requalification de copropriétés dégradées (ORCOD), y compris pour celles qui sont d’intérêt national (ORCoD-IN) et de compléter les dispositions relatives aux consultations régissant la procédure de reconnaissance de l’intérêt national à des ORCoD ;
- de corriger des erreurs de rédaction ou de renvois dans le code de la construction et de l’habitation, le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- de ratifier douze ordonnances intervenues entre mai 2019 et juillet 2023.
Ces dispositions ne se heurtent à aucune objection d’ordre juridique et n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’Etat.
Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du 7 décembre 2023.