Avis sur un projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social.

1. Le Conseil d’État a été saisi le 7 avril 2025 d’un projet de loi portant transposition de deux accords nationaux interprofessionnels du 14 novembre 2024, respectivement « en faveur de l’emploi des salariés expérimentés » et « relatif à l’évolution du dialogue social ». Le projet de loi introduit également une disposition législative destinée à permettre l’agrément d’une stipulation particulière de la convention d’assurance-chômage du 15 novembre 2024 et une habilitation à prendre par ordonnances, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, des mesures en matière de formation professionnelle susceptibles de résulter d’un accord national interprofessionnel en cours de négociation.

2. L’intégralité du projet de loi vise donc à assurer l’application d’accords nationaux interprofessionnels, en veillant au respect des équilibres trouvés par les partenaires sociaux.

3. L’étude d’impact a été enregistrée le 7 avril 2025. Elle répond globalement aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

4. Le Conseil d’État constate que le projet de loi a bien été soumis à toutes les instances dont la consultation était obligatoire.

5. Outre diverses améliorations de rédaction que le Conseil d’État suggère, le projet de loi appelle de sa part les observations suivantes.

Nouvelle obligation de négocier sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés dans les branches et les entreprises de plus de 300 salariés

6. Conformément aux stipulations de l’accord national interprofessionnel en faveur de l’emploi des « salariés expérimentés », le projet de loi introduit dans le titre IV du livre II de la deuxième partie du code du travail, consacré aux « domaines et périodicité de la négociation obligatoire », deux nouvelles obligations de négociation qui concernent spécifiquement ces « salariés expérimentés », d’une part, dans les branches professionnelles, sur leurs conditions de recrutement, de maintien dans l’emploi, d’aménagement de fin de carrière et de transmission des compétences et, d’autre part, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, sur leur emploi et leurs conditions de travail (tous les quatre ans à titre de disposition d’ordre public et tous les trois ans à défaut d’accord).

7. Il résulte de l’exposé des motifs du projet de loi et du préambule de l’accord national interprofessionnel auquel il renvoie que l’expression « salarié expérimenté » doit s’entendre comme visant, non pas les salariés qui, indépendamment de leur âge, peuvent faire état d’une expérience confirmée dans une profession ou une technique, mais, par euphémisme, les salariés jusque-là qualifiés de « seniors », c’est-à-dire âgés d’environ soixante ans et se situant à quelques années de l’âge auquel ils ont la  possibilité d’obtenir une retraite à taux plein.

8. Le projet de loi a donc pour effet de créer une obligation nouvelle pour les branches et les entreprises de plus de 300 salariés, assortie pour ces dernières d’une sanction pénale, dont la portée est imprécise puisque son champ d’application est défini par un terme qui n’est pas utilisé dans son sens premier. Or le Conseil constitutionnel considère que le plein exercice, par le législateur, de la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, imposent au Parlement d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques (Conseil constitutionnel, décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 9).

9.  Le Conseil d’Etat estime nécessaire, tout en conservant le terme choisi par les signataires de l’accord national interprofessionnel, d’éviter toute incertitude sur l’étendue des obligations qui sont introduites dans le code du travail. Il propose en conséquence d’ajouter à l’expression « salarié expérimenté » le complément « , en considération de son âge » qui en précise le sens.

Contrat de valorisation de l’expérience

10. Le projet de loi prévoit, pour les entreprises qui, dans les cinq prochaines années, embaucheront en contrat à durée indéterminée, dit « de valorisation de l’expérience », des chômeurs âgés d’au moins soixante ans, ou d’au moins cinquante-sept ans dans les branches où une convention ou un accord le prévoit, un aménagement des conditions dans lesquelles ces entreprises pourront ultérieurement mettre fin à ces contrats au moment de la retraite. Cette mise à la retraite pourra intervenir sur décision de l’employeur, sans qu’il ait à recueillir l’accord des intéressés, dès que les salariés avec lesquels auront été conclus ces contrats auront atteint l’âge leur permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein, c’est-à-dire sans décote, soit à soixante-sept ans au plus tard, sans attendre l’âge de soixante-dix ans résultant du droit commun.

11. Le Conseil d’État considère que l’assouplissement mentionné au point 10 ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel (voir Conseil constitutionnel, décision n° 2010-98 du 4 février 2011). S’agissant néanmoins du champ d’application de ce nouveau dispositif, il estime que la disposition qui l’étend à des chômeurs bénéficiant d’une retraite progressive calculée sans décote introduit une différence de traitement, non justifiée par un motif d’intérêt général, avec les chômeurs du même âge pouvant bénéficier, sans l’avoir encore sollicitée, d’une retraite calculée sans décote, lesquels sont exclus du dispositif. Dès lors que ces catégories de personnes ne se trouvent pas dans des situations différentes au regard de l’objet du dispositif, qui consiste à favoriser le recrutement des personnes âgées sans emploi qui n’ont pas acquis les droits leur permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein, le Conseil d’État considère que le choix ainsi opéré méconnaît le principe d’égalité. En conséquence, il estime que l’exception propre aux chômeurs bénéficiant d’une retraite progressive ne peut être retenue.

12. Il considère également que l’objet du dispositif rappelé au point précédent justifie que les indemnités versées à l’occasion de la rupture de ces contrats de travail puissent être exonérées de la contribution mentionnée à l’article L. 137‑12 du code de la sécurité sociale, normalement due en cas de mise à la retraite à l’initiative de l’employeur. Il suggère toutefois que cette exonération ne porte que sur les sommes dont la loi ou les conventions collectives imposent le versement aux employeurs.

13. Le Conseil d’État estime enfin que si l’accord national interprofessionnel du 14 novembre 2024 présente le dispositif comme une expérimentation et en prévoit un suivi et une évaluation par les partenaires sociaux, le projet de loi n’a pas à le qualifier comme tel dès lors que, ni ce projet de loi, ni l’étude d’impact ne prévoient de rapport d’évaluation à remettre au Parlement au terme des cinq ans, ni même de protocole expérimental permettant de recueillir les éléments de nature à éclairer le législateur en vue de son éventuelle pérennisation.

Adaptation des conditions d’activité requises pour les « primo-affiliés » à l’assurance chômage

14. Le projet de loi comporte une disposition destinée à permettre l’agrément d’une stipulation de la convention d’assurance-chômage conclue le 15 novembre 2024, qui a été exclue de l’agrément de cette convention par l’arrêté du 19 décembre 2024, au motif qu’elle était dépourvue de base légale. Cette stipulation prévoit des conditions allégées « de durée préalable d’affiliation », c’est-à-dire de durée d’activité pour l’ouverture du droit à indemnisation, soit lorsque le demandeur d’emploi n’a jamais été indemnisé par l’assurance-chômage, afin de faciliter l’indemnisation de jeunes entrants sur le marché du travail, soit lorsqu’il ne l’a pas été depuis au moins vingt ans avant sa nouvelle inscription afin de faciliter l’indemnisation de personnes qui, au terme d’une carrière fragmentée ou interrompue pendant longtemps, perdent leur emploi après une brève reprise.

15. Le Conseil d’État constate que si le droit à l’assurance-chômage peut dépendre de conditions liées à l’activité antérieure, ni les dispositions des articles L. 5422‑1, L. 5422-2, L. 5422-2-2 et L. 5422-6 du code du travail, ni aucune autre disposition législative ne permet de faire dépendre le droit à indemnisation, en particulier la condition d’activité, d’une durée préalable pendant laquelle l’intéressé n’a bénéficié d’aucune indemnisation. Il en déduit que la stipulation rappelée ci-dessus ne peut être agréée que si une disposition législative nouvelle l’autorise.

16. Le Conseil d’État estime que le fait de moduler les conditions d’indemnisation par l’assurance-chômage en raison d’une durée pendant laquelle le demandeur n’a bénéficié d’aucune indemnisation ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi, lequel ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations distinctes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (Conseil Constitutionnel, décision n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018, Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, cons. 21).

17. Il note, en effet, d’une part, qu’il existe une différence de situation au regard du mécanisme d’assurance-chômage entre les personnes qui ont déjà bénéficié d’une période d’indemnisation et celles qui, soit n’ont jamais été indemnisées, soit ne l’ont pas été depuis longtemps. Il considère, d’autre part, que la différenciation susceptible d’être opérée, sur la base de ce critère, quant aux conditions d’activité antérieure pour bénéficier du droit à l’assurance-chômage, est bien en rapport avec l’objet de ce droit, tant du point de vue du régime lui-même et du principe assurantiel qui le sous-tend, que du point de vue des bénéficiaires, compte tenu des profils des demandeurs d’emploi qu’elle a pour objet de favoriser.

Article d’habilitation législative à prendre par ordonnance des dispositions en matière de transitions professionnelles

18. Le projet de loi comporte un article d’habilitation à prendre par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, des dispositions relatives aux dispositifs de formation permettant de favoriser les transitions professionnelles. Ainsi que l’indique l’exposé des motifs, le Gouvernement entend pouvoir assurer, par voie d’ordonnance, la transposition législative de tout ou partie des stipulations d’un accord national interprofessionnel qui pourrait résulter des négociations actuellement menées sur ce thème par les partenaires sociaux, dans le cadre posé par le document d’orientation qui leur a été communiqué les 17 novembre 2023 et 10 avril 2025, en application de l’article L.1 du code du travail. 

19. Le recours à une habilitation législative permettra au Gouvernement de prendre, y compris en cas d’échec des négociations, les dispositions qu’il estime nécessaires en matière de facilitation des transitions professionnelles.

20. Pour assurer le respect de l’article 38 de la Constitution, le Conseil d’État propose enfin plusieurs modifications de nature à garantir que le projet de loi indique avec une précision suffisante les finalités des mesures susceptibles d’être prises par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention.

Dispositions n’appelant pas d’observations du Conseil d’État

21. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’État, et qui ont pour objet :

- d’établir un lien entre la visite médicale de mi-carrière à quarante-cinq ans, et l’entretien professionnel biennal prévu à l’article L. 6315-1 du code du travail ;

- de prévoir l’organisation d’un entretien professionnel deux ans avant le soixantième anniversaire du salarié, permettant notamment d’évoquer les conditions de maintien dans l’emploi et les possibilités d’aménagement de fin de carrière du salarié ;

- d’apporter des précisions sur les justifications attendues des employeurs pour refuser de faire droit aux demandes de temps partiel avec perception d’une retraite progressive ;

- d’introduire une nouvelle forme de transition entre activité et retraite en permettant l’affectation anticipée des indemnités que les salariés peuvent percevoir au moment où ils décident de partir à la retraite pour faciliter, avant cette échéance, leur passage à temps partiel ;

- de préciser que les dispositions de l’article L. 1237-5 du code du travail, permettant aux employeurs de rompre le contrat de travail de leurs salariés lorsqu’ils ont atteint l’âge de la retraite, s’appliquent indépendamment de l’âge qu’ils avaient au moment de leur embauche et de la circonstance qu’ils perçoivent déjà des pensions de retraite, si bien que les employeurs pourront également rompre unilatéralement le contrat de salariés embauchés après l’âge de soixante-dix ans ;

- de supprimer la limitation du nombre de mandats au comité social et économique (CSE).

Cet avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’état dans sa séance du mercredi 30 avril 2025.