Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi portant diverses dispositions urgentes
1. Le Conseil d’Etat (commission permanente) a été saisi le 16 avril 2020 d’un projet de loi portant diverses mesures urgentes. Ce projet a fait l’objet de trois saisines rectificatives, les 24, 29 et 30 avril 2020.
2. Ce projet a pour objet principal de faire face à la crise majeure que la France traverse sur le plan sanitaire et à la gravité des conséquences de cette crise sur la vie du pays, par diverses mesures venant compléter celle déjà prises sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
L’urgence qui s’attache à l’adoption de ces mesures, dans une grande variété de domaines, conduit le Gouvernement, compte tenu des circonstances ainsi que des incertitudes sur la sortie de crise et le calendrier parlementaire, à présenter un projet de loi comportant uniquement des dispositions l’habilitant à prendre par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, des mesures relevant du domaine de la loi.
3. Dans sa version résultant de la dernière saisine rectificative, le projet de loi comprend trois articles :
- le premier article regroupe vingt-huit habilitations diverses, dont une grande part est destinée à faire face aux diverses conséquences, directes ou indirectes, de la crise liée à la propagation de l’épidémie de covid-19 ;
- le deuxième article a pour objet d’élargir le champ des organismes publics soumis à l’obligation de dépôt de leurs disponibilités au Trésor public ;
- enfin, le troisième article, motivé par la nécessité d’anticiper la prise de certaines décisions destinées à faire face aux conséquences du Brexit, comprend quatre habilitations portant sur les mesures à prendre en cas d’absence d’accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni au terme de la période de transition le 31 décembre 2020.
4. Si l’étude d’impact satisfait, pour la majeure partie des dispositions du projet, aux exigences de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, elle ne donne aucun éclairage, ou ne donne que des indications très parcellaires, sur certaines des habilitations demandées. Il en est notamment ainsi des habilitations portant sur la réorientation des poursuites en matière délictuelle et contraventionnelle, sur le maintien en fonctions des volontaires en service dans la gendarmerie nationale, sur l’extension de l’emploi de la réserve civique, qui ne fait même l’objet d’aucune mention dans l’étude d’impact, ou encore sur la prolongation des contrats de recherche.
Sur l’ensemble de ces points, l’étude d’impact devra donc être complétée avant la transmission du projet de loi au Parlement.
Ce projet de loi appelle de la part du Conseil d’Etat les observations qui suivent.
Remarques générales sur le projet de loi
Intitulé du texte
5. Pour pallier l’indétermination de l’intitulé proposé par le Gouvernement et faire apparaître l’objet principal du texte, le Conseil d’Etat propose de remplacer « Projet de loi portant diverses dispositions urgentes » par « « Projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ».
Rétroactivité au 12 mars 2020
6. A l’instar de ce qu’avait prévu l’article 11 de la loi du 23 mars 2020, le premier article du projet du Gouvernement permet, pour toutes les habilitations qu’il regroupe, une entrée en vigueur des ordonnances, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020.
Le Conseil d’Etat souligne qu’il s’agit là d’une faculté dont la mise en œuvre est subordonnée à une condition de nécessité et que, lors de la préparation des ordonnances, le principe et l’étendue de la rétroactivité proposée par le Gouvernement feront de sa part l’objet d’un examen attentif au cas par cas, au vu des justifications apportées.
Nature de certaines habilitations et structure de projet
7. Le Conseil d’Etat relève que cinq des vingt-huit habilitations figurant dans le premier article du projet du Gouvernement n’ont pas de lien avec les conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et ne figurent dans le projet de loi qu’en raison du souhait du Gouvernement, du fait des incertitudes affectant le calendrier parlementaire, de permettre l’adoption dans les plus brefs délais des mesures envisagées.
En outre, pour quatre de ces habilitations, la rétroactivité au 12 mars 2020 permise par cet article n’a ni justification ni utilité. Pour la cinquième, celle relative à l’harmonisation des modalités de traitement des demandes d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, cette rétroactivité est au contraire insuffisante.
Le Conseil d’Etat propose donc de regrouper ces habilitations dans un article distinct, sans en changer pour autant les conditions (délai de six mois et dispense de consultations obligatoires).
Rédaction « en clair » de certaines des mesures visées par les habilitations
8. Le Conseil d’Etat relève que plusieurs des habilitations à légiférer par ordonnance sollicitées par le Gouvernement portent sur des dispositions législatives qui sont brèves et dont la rédaction est simple ou déjà très avancée. Il en va ainsi notamment des habilitations permettant l’allongement de la durée de séjour des travailleurs saisonniers, la prolongation du versement de l’allocation pour demandeur d’asile, l’allongement de la durée de validité des titres de séjour, la validation de droits à retraite au titre des périodes d'activité partielle et le développement de l'intéressement dans les entreprises de moins de 11 salariés, de celle visant à étendre les fonctions susceptibles d’être confiées aux volontaires internationaux en administration, de celle relative aux compétences au sein des fédérations de chasseurs ou encore de celle relative à l’harmonisation des modalités de traitement des demandes d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, puisque le Sénat a déjà adopté en mars 2020, sur amendement du Gouvernement, une disposition en ce sens dans le projet de loi relatif à l’accélération et simplification de l’action publique.
Il est de bonne méthode, en pareil cas, d’inclure directement dans le projet de loi les mesures législatives en cause et de les soumettre au vote du Parlement (CE, avis du 24 mars 2016, n° 391262, point 5). Dans cette perspective, le Conseil d’Etat a envisagé avec insistance au cours de ses travaux des rédactions normatives « en clair » qui pourraient être substituées à ces habilitations. Il prend acte toutefois de la volonté exprimée par le Gouvernement de n’inclure dans le présent projet de loi, pour des raisons d’homogénéité de ce texte et de simplification des travaux parlementaires, que des dispositions d’habilitation.
Délais impartis pour prendre les ordonnances
9. Le Gouvernement a porté de trois à six mois, par sa deuxième saisine rectificative, le délai fixé pour prendre les ordonnances pour lesquelles l’habilitation du Parlement est sollicitée par le premier article du projet de loi. Compte tenu du nombre important des habilitations demandées, de la diversité des domaines concernés, mais aussi de celle des degrés d’urgence selon que les mesures sont directement ou non liées à la crise sanitaire actuelle, cet allongement est très opportun : même si ce délai de six mois reste court, il permettra, au stade de l’examen des projets d’ordonnance, une meilleure organisation du travail du Gouvernement comme de celui des formations consultatives du Conseil d’Etat.
Le délai de trente mois fixé pour les habilitations destinées à faire face aux conséquences du Brexit est en revanche particulièrement long, mais il est justifié par la volonté du Gouvernement de tenir compte des incertitudes qui caractérisent les négociations en cours et d’une éventuelle prolongation de la période transitoire.
Le délai de douze mois prévu pour l’élargissement du champ des organismes publics soumis à l’obligation de dépôt de leurs disponibilités au Trésor public n’appelle aucune observation.
Dispense des consultations obligatoires
10. Le projet de loi prévoit que les projets d’ordonnance pris sur le fondement de son premier article sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire.
Le Conseil d’Etat estime que cette dispense, déjà prévue par le II de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, est un choix d’opportunité qui reste justifié par les circonstances présentes, malgré les aménagements des procédures de consultation auxquels il a été procédé par l’une des ordonnances prises sur le fondement de cette loi. L’allongement de trois à six mois du délai fixé au Gouvernement pour prendre les ordonnances ne conduit pas, en particulier, à distinguer selon que l’élaboration des ordonnances pourrait ou non être engagée après le terme de l’état d’urgence sanitaire.
Le Conseil d’Etat souligne toutefois que cette dispense générale de consultations ne vaut évidemment pas interdiction et que, en opportunité, certaines consultations ou concertations devront néanmoins être faites pour assurer la pertinence et l’acceptabilité des dispositions incluses dans les ordonnances. Tel est le cas, en particulier, des mesures intéressant directement le mouvement sportif (organisation des compétitions et des saisons sportives 2019/2020 et 2020/2021 ; cf. point 22 ci-après), des mesures portant sur la durée d'attribution des revenus de remplacement aux demandeurs d'emploi ou de celles relatives à l'activité partielle (cf. points 29 et 30 ci-après) ainsi que du dispositif de relèvement du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions (cf. point 37 ci-après). Sur ce dernier sujet, le Conseil d’Etat prend acte de l’engagement du Gouvernement de procéder à une consultation préalable de l’Autorité de la concurrence.
Le délai d’habilitation de trente mois fixé pour les habilitations liées au Brexit justifie en revanche, comme le prévoit le projet de loi, que cette dispense de consultations obligatoires ne s’applique pas aux projets d’ordonnance pris sur le fondement des habilitations correspondantes.
Rédaction des habilitations
11. Le Conseil d’Etat veille, de manière générale, en procédant aux modifications correspondantes dans la rédaction des habilitations, à ce que les finalités et les domaines d’intervention soient définis de manière suffisamment précise, sans descendre cependant dans un degré de détail excessivement contraignant au regard des finalités poursuivies. Dans plusieurs cas, il juge nécessaire de préciser dans la disposition d’habilitation le terme ou la durée maximale des dispositions dérogatoires qui feront l’objet des ordonnances.
Habilitations liées aux conséquences de l’épidémie et des mesures prises pour y faire face
Report de l’entrée en vigueur de réformes ou d’expérimentations
12. Le projet reporte au plus tard jusqu’au 1er janvier 2022 la date d’entrée en vigueur ou d’application de dispositions législatives ou celles du terme d’expérimentations au sens de l’article 37-1 de la Constitution lorsque cette date est fixée au plus tard le 1er janvier 2021 par la loi ou par une ordonnance dont le délai d’habilitation a expiré.
Ce report d’un an paraît, dans le contexte de la crise sanitaire, qui affecte le fonctionnement des administrations et leur impose d’autres priorités, très opportun. Si l’étude d’impact cite trois réformes dans le domaine de la justice (mise en œuvre des nouvelles règles procédurales applicables à la procédure pénale spécifique aux mineurs qui devait entrer en vigueur le 1er octobre 2020, mise en place de la juridiction nationale des injonctions de payer qui devait être installée au plus tard le 1er janvier 2021, nouvelle procédure applicable aux divorces contentieux devant entrer en vigueur le 1er septembre prochain) qui toutes verraient leur mise en œuvre à la date prévue gravement perturbée en raison du ralentissement du fonctionnement des juridictions dû aux mesures de confinement, la portée de l’habilitation n’est pas limitée à ce domaine et peut potentiellement en concerner d’autres. Cette habilitation n’appelle pas de réserve de la part du Conseil d’Etat.
Prolongation des mandats électifs (hors mandats issus d’élections politiques)
13. De nombreuses structures privées ou publiques sont composées en tout ou en partie de membres désignés à l’issue d’élections : représentants des salariés dans les conseils d’administration, les conseils de surveillance des sociétés anonymes ou au sein des ordres professionnels. Pour celles qui devaient se tenir au cours de l’année 2020 leur organisation dans le contexte de la crise sanitaire est rendue particulièrement difficile. En conséquence le projet habilite à modifier par ordonnance, dans la limite d’une durée maximale de six mois à compter de la cessation de l’état d’urgence, la durée ou la date limite de désignation des titulaires d’un mandat, à l’exception de ceux issus d’élections politiques (c’est-à-dire régi par le code électoral).
Cette habilitation qui a une portée générale, concerne aussi bien le secteur privé que le secteur public. Elle aura pour effet de maintenir, pour la durée fixée par l’ordonnance et pour les instances qui seront concernées, leur composition actuelle, l’impossibilité d’organiser correctement le processus électoral aboutissant à conserver non seulement les mandats des membres désignés à l’issue d’élection, mais, par voie de conséquence, aussi les mandats des autres membres des organes concernés. Elle n’appelle pas d’observations du Conseil d’Etat.
Conseillers prud’hommes et membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI)
14. L’ordonnance n° 2020-388 du 1er avril 2020 relative au report du scrutin de mesure de l’audience syndicale auprès des salariés des entreprises de moins de onze salariés et à la prorogation des mandats des conseillers prud’hommes et membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) a reporté la prochaine désignation des conseillers prud’hommes, qui aurait dû intervenir en décembre 2021, au plus tard au 31 décembre 2022 et prorogé leur mandat jusqu’à cette échéance ainsi que celui des membres des CPRI jusqu’au 31 décembre 2021. Cette mesure de report a eu pour conséquence de dé-corréler de manière pérenne le calendrier de désignation des conseillers de prud’hommes et des membres des CPRI de celui de la mesure d’audience quadriennale.
Afin de rétablir cette corrélation, le projet de loi habilite le Gouvernement à adopter une ordonnance permettant d’ajuster soit la durée du mandat des membres concernés, soit les dates d’organisation du cycle de mesure de la représentativité. Cette mesure de remise en cohérence n’appelle pas de réserve, mais le Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de restaurer cette cohérence dans les meilleurs délais, afin d’éviter toute prolongation pour une durée excessive de l’une ou de l’autre des variables à modifier.
Une modification de même nature permettant un report des candidatures à la désignation des représentants des travailleurs indépendants n’appelle pas plus de réserves.
Composition des jurys des cours d’assises, désignation des cours d’assises d’appel et élargissement de l’expérimentation des cours criminelles
15. Le fonctionnement de l’appareil judiciaire, significativement perturbé par les mesures prises pour lutter contre l’épidémie, a conduit au report de très nombreux procès criminels. Pour remédier aux principales difficultés rencontrées, le projet habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures destinées à faciliter la composition des jurys en augmentant la liste des jurés de façon à faire face aux désistements qui pourraient compromettre les sessions des cours d’assises programmées jusqu’à la fin de l’année 2020. Il autorise l’aménagement du calendrier et de l’établissement des listes annuelles de jurés pour l’année 2021. Il permet enfin que soit modifiée la désignation des cours d’assises d’appel dans le ressort de la cour d’appel ou en dehors de son ressort et élargie l’expérimentation en cours de la création de cours criminelles, dont la composition sans jurys réduit les difficultés nées de la crise. Ces dispositions n’appellent pas d’autres remarques du Conseil d’Etat.
Réorientation des poursuites pénales par les procureurs de la République
16. Les difficultés de fonctionnement des juridictions créées notamment par la crise sanitaire ont conduit au report ou à un différé de nombreuses affaires pénales renvoyées devant un tribunal. Pour remédier à cette situation, le projet habilite le Gouvernement à prévoir une dérogation exceptionnelle au principe, de niveau législatif, selon lequel, lorsqu’une juridiction est saisie par le procureur, celui-ci est dessaisi tandis que la juridiction est tenue de vider sa saisine en y statuant par une décision juridictionnelle. Il permet aux procureurs, pour toutes les affaires dont ils ont saisi, avant la publication de la loi, les tribunaux de police, les tribunaux correctionnels et les juridictions pour mineurs et pour lesquelles les audiences doivent intervenir postérieurement à la publication de la loi, de procéder à une nouvelle appréciation des poursuites sur le fondement de l’article 40-1 du code de procédure pénale et de reconsidérer les options qui leur sont ouvertes par cet article.
Le Conseil d’Etat estime que cette dérogation au principe de l’indisponibilité de l’action publique doit être limitée dans le temps lié à la crise sanitaire et à la réorganisation des juridictions qu’appellera la sortie de cette crise. Il suggère que ce pouvoir de réorientation ne puisse s’exercer au-delà du 1er novembre 2020. Dans l’hypothèse où les difficultés actuelles persisteraient à cette date, il considère que ce n’est pas dans une prolongation de cette exceptionnelle dérogation aux principes gouvernant l’action publique qu’une solution pourra être trouvée.
Le Conseil d’Etat propose que l’ordonnance précise les conditions dans lesquelles ce pouvoir de réorientation du procureur s’exercera, de sorte qu’il prenne en considération l’intérêt des victimes et ne puisse déboucher sur un classement sans suite de la procédure au titre du 3° de l’article 40-1. Il rappelle que la nouvelle appréciation à laquelle le procureur pourra procéder ne peut être une appréciation discrétionnaire fondée sur la seule situation matérielle des juridictions. Elle devra rester entièrement gouvernée par les principes généraux de conduite de l’action publique, notamment ceux garantissant l’égalité de traitement des personnes placées dans une même situation, la prise en compte de la gravité des faits et de la nature du trouble causé par l’infraction, des perspectives de réinsertion et d’amélioration de leur auteur, qu’il s’agira d’apprécier à nouveau au regard des délais probables de jugement.
Il attire enfin l’attention du Gouvernement sur les conditions de réception de ces dispositions par l’appareil judiciaire et les difficultés d’application qu’elles ne manqueront pas de susciter.
Continuité de l’exercice des missions militaires et de sécurité
17. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour garantir aux forces armées et à la police nationale, dont les recrutements sont perturbés par les répercussions de la crise sanitaire, les moyens humains nécessaires au bon exercice et à la continuité de leurs missions.
Ces mesures doivent permettre d’assurer le maintien en fonctions de diverses catégories de personnels au-delà des limites habituelles d’âge, de durées de services ou de durées de contrats, ou encore d’augmenter le nombre maximal des vacations annuelles des réservistes de la police nationale. Elles permettront aussi aux militaires en congé de reconversion ou en congé complémentaire de reconversion, dont les formations ont été interrompues par l’état d’urgence sanitaire, de rester dans l’armée le temps d’achever ces formations.
Il est également prévu d’étendre à l’ensemble des personnes morales exerçant des missions de service public la possibilité de recourir à la réserve civique.
Enfin, les modalités de recrutement et les voies d’accès aux formations militaires, ainsi que les conditions de délivrance des diplômes et des qualifications militaires pourront être adaptées, pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire.
Ces différentes habilitations, dont la rédaction a été précisée, ne se heurtent à aucune objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel et n’appellent pas de remarques de la part du Conseil d’Etat.
Prolongation des contrats de recherche
18. Les contrats de recherche des doctorants et des post-doctorants pourront être prolongés pour leur permettre de poursuivre les activités et travaux de recherche qui étaient en cours pendant la période de l’état d’urgence sanitaire et ont été directement affectés par celle-ci.
Cette mesure exceptionnelle de prolongation, d’une durée ne pouvant excéder celle de l’état d’urgence sanitaire, n’appelle pas de critique de la part du Conseil d’Etat, étant précisé qu’elle s'applique sans préjudice du régime de droit commun existant relatif au nombre ainsi qu'à la durée de renouvellement ou de prolongation de ces contrats.
Poursuite et reprise de l’activité économique
19. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre plusieurs séries de mesures afin notamment de favoriser et d’accompagner la reprise d’activité, en adaptant, pour une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, les dispositions relatives à l’activité partielle, aux contrats à durée déterminée (CDD), aux contrats de travail temporaire, aux différentes catégories de contrats aidés, ainsi que, jusqu’au 31 décembre 2020, celles relatives au prêt de main d’œuvre.
L’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a déjà habilité pour une durée de trois mois le Gouvernement à légiférer par ordonnance en matière d’activité partielle. En application de l’article 38 de la Constitution, le législateur est donc dessaisi, jusqu’à la fin du délai d’habilitation, de la capacité de légiférer dans cette matière et le Gouvernement ou le président de l'assemblée saisie peut, sur le fondement de l’article 41 de la Constitution, opposer l'irrecevabilité à une proposition de loi ou un amendement « contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38 » (CC, décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, cons. 12 à 14). En revanche, le Conseil d’Etat estime qu’il est loisible au Gouvernement d’étendre dans un nouveau projet de loi le champ de l’habilitation initiale afin, en l’espèce, de lui permettre d’adapter le dispositif d’activité partielle au contexte de reprise progressive d’activité. Il en va de même pour la disposition visant à étendre la période pendant laquelle peuvent être adaptées, de manière rétroactive, les modalités de détermination des durées d'attribution de certains revenus de remplacement.
S’agissant du cadre légal des contrats à durée déterminée (CDD) et de l’intérim, le projet de loi prévoit d’habiliter le Gouvernement à ouvrir la faculté de déroger, par accord d’entreprise, aux règles relatives à la durée, au renouvellement et à la succession de ces contrats sur un même poste ou avec le même salarié. Le Conseil d’Etat relève que cette faculté, ouverte tant au titre des contrats en cours qu’au titre des futurs contrats, sera limitée à une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire et aux seules fins, d’une part, de limiter les fins et les ruptures de contrats de travail et d’atténuer les effets de la baisse d’activité et, d’autre part, de favoriser et d’accompagner la reprise d’activité. Il considère que ces dispositions ne sont ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, contraires à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle et ne méconnaissent pas les normes internationales ou européennes applicables. (CC, décision n° 2005-521 DC du 22 juillet 2005, cons. 7 et 11 ; décision 2017-751 DC du 7 septembre 2017, § 3). Il souligne toutefois qu’il appartiendra au Gouvernement de veiller, lors de la rédaction de l’ordonnance, à ce que les dispositions prises sur le fondement de cette habilitation respectent les principes de valeur constitutionnelle, notamment le principe d’égalité (CC, décision n° 2014-402 QPC du 13 juin 2014, cons. 4 à 7) et les normes conventionnelles applicables en la matière, notamment la directive 1999/70/CE du Conseil de l’Union Européenne du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée.
Durée maximale de travail des travailleurs saisonniers
20. La fermeture des frontières due à la crise sanitaire empêche l’entrée de travailleurs saisonniers nécessaires à l’agriculture. Elle interdit aussi leur sortie du territoire, alors même qu’ayant atteint la durée maximale de travail, qui est fixée à six mois par période d’un an par le code de l’entrée du séjour et du droit asile, ils séjournent désormais irrégulièrement et ne peuvent plus travailler.
Le Gouvernement entend donc, par ordonnance, modifier les dispositions législatives qui leur sont applicables afin de porter cette durée maximale de séjour et de travail pour les travailleurs saisonniers à neuf mois, plafond fixé par la directive 2014/36/UE du 26 février 2014 établissant les conditions d’entrée de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi en tant que travailleurs saisonniers. Les travailleurs saisonniers présents en France à la date du 16 mars 2020 et astreints à demeurer sur le territoire national pourront ainsi apporter régulièrement leur concours au secteur agricole.
Comme indiqué ci-dessus au point 8, il est toutefois permis de s’interroger sur la raison pour laquelle le Gouvernement n’a pas choisi d’inscrire directement dans la loi la modification de six à neuf mois de la durée figurant à l’article L. 313-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permettrait immédiatement aux travailleurs en cause d’occuper un emploi. Attendre la publication de l’ordonnance fera en effet perdre un temps précieux, alors qu’il n’est pas possible aux employeurs d’anticiper sur ce texte, même s’il est rétroactif, en procédant à l’embauche, qui, aujourd’hui, serait irrégulière. Bien que ne relevant que de l’opportunité, l’inscription directe dans la loi serait une solution préférable.
Prolongation du versement de l’aide aux demandeurs d’asile
21. Le projet permet au Gouvernement de prolonger le versement de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire pour toutes les personnes qui auraient dû cesser de la percevoir à compter du 12 mars 2020. Cette mesure est particulièrement bienvenue afin d’éviter de placer ces personnes dans une situation de grande précarité. La fin du versement interviendra pour ces personnes, à l’issue de la période d’urgence sanitaire, soit à la fin du mois au cours duquel la cessation de l’état d’urgence pour les demandeurs d’asile déboutés et à la fin du mois qui suit celui de cette cessation pour les bénéficiaires de la protection internationale. Elle est versée à ceux-ci jusqu’à la fin du mois durant lequel on leur a opposé le refus du statut ou à la fin du mois suivant son octroi. L’autorité compétente conservera la possibilité de mettre fin à ce versement, pendant la période d’état d’urgence sanitaire, dans les cas prévus par le code.
Comme pour la disposition examinée précédemment, on peut regretter que ces dispositions ne soient pas inscrites directement dans la loi, permettant une entrée en vigueur, y compris rétroactive, immédiate, dès la publication de celle-ci. Bien que ne relevant ici aussi que d’un choix l’opportunité, l’inscription de la mesure directement dans la loi présenterait un avantage déterminant au regard de ses objectifs et en termes de bonne administration.
Organisation des compétitions et des saisons sportives 2019/2020 et 2020/2021
22. L’organisation des compétitions et classements sportifs s’opère autour de la notion de saison, dont la durée de douze mois est fixée par l’article L. 222-2-4 du code du sport. Les contrats de travail, des sportifs comme des entraîneurs, ont une durée légale indexée sur celle de la saison.
La survenance de la crise sanitaire a entraîné dans certains cas l’arrêt de la saison, dans d’autres sa suspension dans l’espoir qu’elle pourrait reprendre. Dans ce dernier cas elle serait prolongée, amputant d’autant la durée de la saison suivante, qui doit au plus vite à nouveau coïncider avec les saisons internationales. Le projet habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions législatives fixant la durée des saisons et à ajuster leur calendrier, ainsi qu’à modifier corrélativement l’ensemble des règles régissant tant le fonctionnement des compétitions que les contrats qui seraient arrivés à leur terme et auraient atteint la durée maximale prévue par le code du sport.
Cette mesure nécessaire est complétée par le Conseil d’Etat de façon à ce que l’ordonnance puisse également habiliter les fédérations sportives, disposant des principales compétences en la matière, à intervenir pour modifier la réglementation, y compris en tant que ces modifications s’appliqueront à des situations déjà acquises c’est-à-dire des cycles de compétition commencés selon des règles particulières qui seront modifiées à posteriori par les fédérations, ce que seul un encadrement législatif peut leur permettre de faire.
Assemblées générales des fédérations départementales des chasseurs
23. Le projet de loi habilite le Gouvernement à adapter par ordonnance, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, les règles de compétence entre les organes délibérants des fédérations de chasseurs. Il s’agit de permettre aux conseils d’administration d’adopter des mesures financières et statutaires relevant, selon la loi, des assemblées générales. Il est en effet impossible, dans le contexte actuel, de réunir des instances qui comptent de nombreux adhérents. Ces décisions sont particulièrement urgentes car elles doivent être mises en œuvre avant la prochaine campagne cynégétique, commençant avec la chasse aux sangliers début juin.
Le Conseil d’Etat estime qu’il résulte de la combinaison des dispositions du projet de loi que la future ordonnance pourra, si nécessaire, prévoir l’application rétroactive des nouvelles règles donnant compétence aux conseils d’administration à compter du 24 mars 2020, date de début de l’état d’urgence sanitaire. L’étude d’impact a été complétée pour mentionner cette potentielle rétroactivité.
La disposition d’habilitation, qui a pour objet d’assurer la continuité des missions de service public des fédérations en matière d’organisation de la chasse, n’appelle pas d’autres remarques de la part du Conseil d’Etat.
Prolongation des titres de séjour
24. Deux ordonnances prises sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 ont permis au Gouvernement de prolonger de 90 puis de 180 jours la durée des titres de séjour dont le terme serait venu à expiration entre le 16 mars et le 15 mai 2020. La nouvelle habilitation prévue permet d’étendre cette prolongation d’au plus 180 jours à ceux des titres venant à expiration entre le 16 mai et le 15 juin 2020. Ces dispositions n’appellent pas de réserve.
Dérogations en matière de fonction publique
25. Le projet de loi comporte deux habilitations permettant d’assouplir temporairement certaines règles en matière de fonction publique. En premier lieu, pour faciliter, dans le contexte actuel de crise sanitaire, la mobilisation de renforts en personnel par les établissements publics de santé, sociaux ou médico-sociaux, les mises à disposition d’agents auprès de ces établissements pourront ne pas donner lieu de leur part à remboursement des rémunérations. En second lieu, pour les agents contractuels cumulant déjà six ans d’ancienneté de service publics et pouvant bénéficier d’un passage en contrat à durée indéterminée, les périodes d’interruption entre deux contrats survenues pendant la période d’état d’urgence sanitaire seront neutralisées pour l’application de la règle selon laquelle la durée de telles interruptions ne doit pas avoir excédé quatre mois.
Ces deux mesures font parties de celles qui pourraient facilement être écrites directement plutôt que de faire l’objet d’une habilitation à légiférer par ordonnance. Mais elles n’appellent pas d’autres remarques de la part du Conseil d’Etat.
Aide financière exceptionnelle aux travailleurs indépendants
26. Le projet de loi habilite le Gouvernement à affecter, dans le respect des conditions nécessaires au versement des pensions et au regard de la liquidité des actifs correspondants, une partie des réserves financières des régimes des travailleurs indépendants au financement d’une aide financière exceptionnelle destinée aux affiliés à ces régimes.
Cette habilitation n’appelle aucune remarque de la part du Conseil d’Etat.
Développement de l’intéressement dans les entreprises de moins de 11 salariés et conditions du maintien des droits à retraite et à protection sociale complémentaire au titre des périodes d’activité partielle indemnisées
27. Le projet de loi comporte également deux dispositions habilitant le Gouvernement à statuer par voie d'ordonnances pour modifier la législation de manière pérenne, d'une part en ce qui concerne l'intéressement dans les petites entreprises et, d'autre part, pour permettre la constitution de droits à retraite dans les régimes obligatoires de base pour les salariés placés en position d'activité partielle. Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions peuvent trouver place dans un projet de loi portant diverses dispositions urgentes alors même que les autres dispositions ont pour objet de faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19. Il note, en outre, que les dispositions pérennes trouveront à s'appliquer utilement pendant la période épidémique.
28. Afin de favoriser le développement de l’intéressement dans les petites entreprises, le projet de loi habilite ainsi le Gouvernement à prendre des mesures permettant à l’employeur de mettre en place unilatéralement un régime d’intéressement dans une entreprises de moins de onze salariés dépourvue de délégué syndical ou de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique, alors que les modalités actuelles pour y parvenir, prévues à l’article L. 3312-5 du code du travail, s’avèrent difficilement applicables dans des entreprises aux effectifs modestes. Le Gouvernement envisage de créer, sur la base de cette habilitation, un mécanisme d’intéressement valant « accord d’intéressement », édicté par « décision unilatérale », pour la même durée de trois ans que celle prévue par le droit commun des accords d’intéressement. Le Conseil d'Etat estime que cette habilitation qui vise à permettre l’édiction de dispositions analysées lors de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (CE, avis du 30 janvier 2020, n° 399408) n’appelle pas d’observation particulière.
Il en va de même de la disposition habilitant le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour garantir aux salariés placés en position d’activité partielle la constitution de droits à retraite dans les régimes obligatoires de base dont ils relèvent au titre des périodes en cause.
29. Le projet de loi prévoit également, pour les salariés placés en position d'activité partielle, le maintien des garanties de protection sociale complémentaire, nonobstant toute clause contraire des accords collectifs ou des décisions unilatérales et des contrats collectifs d’assurance pris pour leur application pour une durée n'excédant pas six mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire. Le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur l’effet des dispositions qui seront prises par ordonnance. Il rappelle que selon la jurisprudence constitutionnelle, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (CC, décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, cons. 17). En outre, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi (CC, décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015, cons. 4).
Le Conseil d’Etat estime que l’intérêt général qui s’attache, pour les millions de salariés placés en position d’activité partielle dans le contexte de pandémie, au maintien temporaire de garanties dont l’interruption peut entraîner des conséquences particulièrement préjudiciables pour les risques « lourds » tels que l’invalidité et le décès, est susceptible de justifier des atteintes aux contrats en cours et une limitation de la liberté d’entreprendre. Le Gouvernement devra cependant faire en sorte, et le Conseil d’Etat y veillera lors de l’examen du projet qui lui sera soumis, que les mesures adoptées par ordonnance ne portent pas, au regard de l’objectif poursuivi et des garanties légales prévues, d’atteinte manifestement disproportionnée à ces libertés constitutionnellement garanties (CC, décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017, § 120 à 124 ; décision 2016-741 DC du 8 décembre 2016, § 56 à 60 ; décision 2015-470 QPC du 29 mai 2015, cons. 3 à 8).
Durée d’attribution des revenus de remplacement
30. Le projet de loi prévoit d’habiliter le Gouvernement à modifier l’ordonnance n° 2020-324 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l'article L. 5421-2 du code du travail pour permettre la prise en charge des demandeurs d’emploi en fin de droits dès le 1er mars 2020 et pas uniquement à compter du 12 mars 2020. L’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a en effet déjà habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour permettre la prise en charge des demandeurs d’emploi en fin de droits à compter du 12 mars 2020.
Le Conseil d’Etat estime que la mesure envisagée par le Gouvernement ne s’analyse pas comme une modification de l’ordonnance précitée, mais comme une extension de l’habilitation prévue à l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020. Il propose de rédiger ainsi la disposition et de préciser que cette mesure est prise pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.
Fonds de soutien aux restaurateurs
31. Le projet de loi habilite le Gouvernement à modifier, provisoirement, les règles d’affectation de la contre-valeur des titres restaurants périmés prévues à l’article L. 3262-5 du code du travail. En l’état du droit, la contre-valeur des titres qui n’ont été ni utilisés pendant la période de validité du titre, définie par voie réglementaire l’année civile de leur émission à laquelle s’ajoutent les deux premiers mois de l’année suivante, ni échangés contre des nouveaux titres, est versée, en vertu de l’article L. 3262-5 précité « au budget des activités sociales et culturelles des entreprises auprès desquelles les salariés se sont procuré leurs titres ».
L’objectif de la mesure envisagée, temporaire et liée à l’incidence de l’état d’urgence sanitaire sur les restaurants, est de rediriger vers un fonds de soutien à ce secteur tout ou partie des sommes correspondant aux titres en circulation qui s’avèreraient périmés en mars 2021.
Le Conseil d'Etat constate que les sommes assurant le financement des tickets restaurant sont soumises à un régime juridique particulier, notamment social et fiscal, justifié par la finalité de cet avantage social. Il estime que les dispositions régissant l'affectation des sommes en cause, lorsque des tickets restaurant sont définitivement périmés, peuvent être modifiées pour l’avenir par le législateur dans le sens envisagé au regard de l'objectif poursuivi. Il considère que la mesure ne se heurte à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel en tant qu'elle concerne les tickets restaurant émis pour l'année 2020 et dont la péremption sera constatée en 2021.
Le Conseil d’Etat souligne en revanche que la contre-valeur des tickets restaurant émis au titre de l’année 2019, qui en application de la réglementation en vigueur sont regardés comme périmés depuis le 1er mars 2020 et qui n’ont pas fait l’objet d’un échange, doit être, comme cela a été dit, « versée au budget des activités sociales et culturelles des entreprises auprès desquelles les salariés se sont procuré leurs titres ». Il en déduit que l'affectation de ces sommes au fonds dont la création est envisagée porterait, au regard de la créance ainsi constituée au bénéfice des comités sociaux économiques ou, à défaut, des entreprises concernées, une atteinte non proportionnée au droit de propriété contraire à l’article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (CC, décision n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, § 73 à 75), ainsi qu’au droit au respect des biens résultant de l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle serait en outre susceptible de remettre en cause des situations légalement acquises en méconnaissance de l’article 16 de la même Déclaration. Le Conseil d’Etat considère de ce fait que la portée de l'habilitation doit être limitée aux titres émis pour l'année 2020. Il conviendra par ailleurs que l’étude d’impact soit complétée pour préciser les titres concernés et adapter, le cas échéant, l’estimation du reversement attendu.
Protection des consommateurs
32. Le projet de loi comporte une habilitation tendant à mettre en œuvre le règlement (UE) 2017/2394 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs, d’étendre l’application des mesures prévues au point g) du paragraphe 4 de l’article 9 de ce règlement à l’ensemble des manquements ou infractions aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 et à celles du livre IV du code de la consommation.
Elles prévoient également d’étendre l’application des mesures prévues aux points b) et c) du paragraphe 4 et au paragraphe 7 de l’article 9 du même règlement :
- aux manquements relevant de la procédure de sanctions administratives définie par le chapitre II du titre II du livre V du même code et de prévoir pour ces manquements une procédure de transaction administrative ;
- aux infractions relevant de la procédure transactionnelle prévue par l’article L. 523-1 de ce code.
L’ordonnance à intervenir en application de cette habilitation sera identique, selon le Gouvernement, au texte d’un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dont le cheminement au Parlement a été interrompu, sur lequel le Conseil d’Etat n’avait émis aucune objection (avis du 4 février 2020, n° 399448). Dans ces conditions, ces mesures d’habilitation, dont les finalités et les domaines d’intervention ne soulèvent pas de difficulté, n’appellent pas davantage de remarques de la part du Conseil d’Etat.
Habilitations diverses
Règles d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français
33. Le projet de loi habilite le Gouvernement à fixer les conditions d’application des dispositions de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 relatives au régime d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Cette habilitation vise à tirer les conséquences de la décision rendue par le Conseil d’Etat statuant au contentieux le 27 janvier 2020 (n° 429574) sur les modalités d’entrée en vigueur de ces dispositions en l’absence de précision sur ce point. L’objectif est d’harmoniser le traitement des dossiers de demandes d’indemnisation en faisant application, avec une portée rétroactive, du seuil d’exposition d’un millisievert par an fixé par la loi de finances pour 2019 à l’ensemble des demandes d’indemnisation, quelle que soit la date du dépôt de ces demandes. Dans ces conditions, l’ordonnance à prendre sur ce fondement devra comporter la réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée.
Cette mesure n’appelle pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel, ni d’autre remarque de la part du Conseil d’Etat que celle qui figure déjà au point 8 : une telle disposition, qui s’écrit en quelques lignes et a déjà été adoptée par le Sénat lors de l’examen d’un autre projet de loi, pourrait être insérée directement dans le projet plutôt que de faire l’objet d’une habilitation.
Missions des volontaires internationaux en administration
34. Le Gouvernement est autorisé à étendre, au-delà de la coopération internationale, les fonctions susceptibles d’être confiées aux volontaires internationaux en administration(VIA). Cette mesure s’explique par la nécessité de faire évoluer très rapidement le cadre législatif actuel pour mettre en cohérence le droit et la pratique et tirer les conséquences d’un récent jugement du tribunal administratif de Paris du 23 janvier 2020 : il s’agit de modifier les dispositions de l’article L. 122-4 du code du service national, de façon à ce qu’elles ne fassent pas obstacle à l’attribution aux VIA de missions contribuant à l’activité et au bon fonctionnement des services de l’État à l’étranger, en matière de gestion immobilière ou de systèmes d’information notamment.
Cette habilitation n’appelle pas d’objection de la part du Conseil d’Etat, sinon la remarque déjà formulée au point 8 : la modification limitée qu’elle implique des dispositions du code du service national pourrait aussi bien être directement soumise au Parlement.
Prolongation de la délégation aux régions de la gestion des programmes européens
35. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prolonger au-delà de la durée initialement fixée la délégation de gestion aux régions par l’Etat des programmes européens, prévue par l’article 78 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, et à prévoir les adaptations de la gestion de ces programmes qui seraient rendues nécessaires par les évolutions du droit de l’Union européenne.
Le Gouvernement ayant l’intention de modifier par un autre vecteur législatif les modalités de gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural, l’habilitation lui permettra de prolonger et adapter la délégation de gestion aux régions pour tout ou partie des fonds européens concernés sans qu’il soit nécessaire de les énumérer dans le projet de loi. Il n’est pas non plus nécessaire de préciser dans le projet que la prolongation de la délégation de gestion porte sur « la période 2021-2027 », sachant au demeurant que cette période est en principe celle du futur cadre financier pluriannuel 2021-2027 de l’Union européenne et que « la période 2014-2020 » mentionnée par l’article 78 de la loi du 27 janvier 2014 se réfère au cadre financier pluriannuel 2014-2020.
Missions des comités d’agence et des conditions de travail des agences régionales de santé
36. Le projet de loi prévoit d’habiliter le Gouvernement à compléter les missions des comités d’agence et des conditions de travail, institués dans les agences régionales de santé par l’article 7 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, afin notamment de définir leurs compétences et de déterminer leurs ressources en matière d’activités sociales et culturelles.
La loi du 6 août 2019 a en effet créé ces instances, par fusion entre les comités d’agence et les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, sans reprendre, en l’état de la rédaction du code de la santé publique, ces compétences qui se déduisaient auparavant du renvoi opéré aux dispositions du code du travail relatives aux comités d’entreprises, devenus comités sociaux et économiques. Compte tenu de la perspective rapprochée de mise en place des nouveaux comités d’agence et des conditions de travail, initialement prévue au 16 juin 2020 au plus tard et repoussée au 1er janvier 2021 par l’ordonnance n° 2020-347 du 27 mars 2020 adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives pendant l'état d'urgence sanitaire, la disposition envisagée vise, avant cette mise en place, à rétablir ces compétences, à en déterminer les modalités de financement, et à procéder le cas échéant aux autres adaptations nécessaires de leurs missions.
Le Conseil d’Etat estime que ces mesures ne soulèvent pas de difficulté d’ordre constitutionnel ou conventionnel et n’appellent pas d’observations de sa part.
Seuil de revente à perte et encadrement des promotions
37. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prolonger, pour une période de trente mois, la durée pendant laquelle sont applicables les dispositions de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.
Cette ordonnance a pour objet, en premier lieu, de majorer de 10 % le prix d'achat effectif défini au deuxième alinéa de l'article L. 445-2 du code de commerce pour la détermination du seuil de revente à perte pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie revendus en l'état au consommateur. Elle prévoit en second lieu un encadrement des avantages promotionnels consentis sur ces mêmes produits, correspondant à 34 % du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente (« encadrement en valeur ») et à 25 % du chiffre d’affaires ou du volume prévisionnels (« encadrement en volume »). Ces dispositions sont applicables jusqu’au 31 décembre 2020.
Le projet habilite également le Gouvernement à modifier les dispositions du III de l’article 3 de l’ordonnance du 12 décembre 2018 mentionnée ci-dessus, qui sont relatives à l’encadrement en volume des promotions commerciales, dans l’objectif de faciliter la commercialisation de certains produits et d’établir des conditions de négociation plus favorables pour les fournisseurs.
Le Conseil d’Etat rappelle que, à l’occasion de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, il a admis (avis du 30 janvier 2020, n° 399408) les dispositions habilitant le Gouvernement à prolonger pour une période ne pouvant excéder trente mois, la durée pendant laquelle sont applicables les dispositions de l’ordonnance du 12 décembre 2018 et à aménager ces dispositions dans l’objectif de rétablir des conditions de négociation plus favorables pour les fournisseurs et de meilleur équilibre dans les filières alimentaires.
Alors que le texte du Gouvernement prévoyait un délai de prolongation de la durée d’application de l’ordonnance du 12 décembre 2018 fixé à trente mois, le Conseil d’Etat recommande que ce délai soit fixé, dans la limite de trente mois, par l’ordonnance elle-même, en tenant compte des adaptations que le Gouvernement entend apporter à l’encadrement en volume des promotions commerciales et dans le respect du principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre.
Elargissement à certains organismes de l’obligation de dépôt des disponibilités au Trésor public
38. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance dans un délai de douze mois toute mesure relevant du domaine de la loi destinée à faire déposer sur le compte du Trésor les disponibilités « des personnes morales soumises aux règles de la comptabilité publique, de tout organisme public ou chargé d'une mission de service public et des établissements publics administratifs ».
Le Conseil d’Etat note qu’une telle habilitation, qui ne peut porter sur des mesures réservées aux lois de finances, ne peut concerner les collectivités territoriales et leurs établissements publics qui, en vertu de l’article 26 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, sont tenus, sauf disposition expresse d'une loi de finances, de déposer toutes leurs disponibilités auprès de l'Etat. Il propose d’ajouter au projet d’article une précision en ce sens.
Il relève qu’en application du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (article 47), les personnes morales mentionnées à son article 1er sont tenues de déposer leurs fonds au Trésor. Cette obligation revêt donc de manière générale un caractère réglementaire. Toutefois, plusieurs dispositions législatives ont accordé une exemption à des organismes publics relevant du champ de cet article 1er ainsi qu’à d’autres organismes publics ne relevant pas de ce décret, ce qui fait obstacle à la mise en œuvre de l’obligation mentionnée ci-dessus. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat admet que ces dispositions législatives soient modifiées par une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution pour élargir le champ des organismes tenus à l’obligation de déposer leurs disponibilités sur le compte du Trésor.
Le Conseil d’Etat suggère de compléter la finalité de l’habilitation en cause en mentionnant l’amélioration de la gestion de la trésorerie de l’Etat.
Le Conseil d’Etat propose de substituer à la mention, dans le projet du Gouvernement, des disponibilités « de tout organisme public ou chargé d’une mission de service public » la mention de celles « d’organismes publics ou privés chargés d’une mission de service public » afin de bien marquer que l’habilitation n’englobe pas, ce qui n’était pas l’intention du Gouvernement, tous les organismes privés chargés d’une mission de service public y compris ceux dont les disponibilités, lesquelles appartiennent aux organismes en question, sont essentiellement issues de cotisations de personnes privées, ce qui aurait pu être regardé comme une atteinte excessive à l’exercice du droit de propriété.
Habilitations visant à faire face aux conséquences du Brexit
Désignation de l’autorité nationale de sécurité
39. Le traité de Cantorbéry conclu entre la France et le Royaume-Uni en 1986 a prévu la mise en place d’une Commission intergouvernementale (CIG) chargée de suivre au nom des deux gouvernements l'ensemble des questions liées à l'exploitation du tunnel sous la Manche. Elle est l’agence nationale de sécurité pour cet ouvrage au sens de la législation de l’Union européenne. En l’état des textes européens, compte tenu du Brexit, la CIG ne peut conserver cette compétence. Il est dès lors nécessaire, dans une situation de grande incertitude sur la relation future de l’Union européenne avec le Royaume-Uni et afin de parer à toute éventualité, d’habiliter le Gouvernement à désigner par ordonnance l'autorité nationale de sécurité pour la partie de la concession du tunnel sous la Manche située en territoire français. Cette disposition d’habilitation n’appelle pas d’observations du Conseil d’Etat.
Conséquences à tirer de la fin de la période de transition en matière économique et financière
40. Le projet comporte trois habilitations à prendre des ordonnances dans un délai de trente mois ayant pour objet, afin de préserver les intérêts de la France, de tirer les conséquences de la fin de la période de transition prévue à l’article 126 de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Elles sont toutes reprises à l’identique d’un projet de lettre rectificative à un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière et dont le cheminement au Parlement a été interrompu.
Ces habilitations visent :
- à assurer la poursuite, par les bénéficiaires de licences et d’autorisations de transfert de produits et matériels à destination du Royaume-Uni, délivrées avant la fin de la période de transition, des prospections et négociations engagées et de la fourniture de ces produits et matériels jusqu’à l’expiration du terme fixé par ces licences et autorisations ;
- à sécuriser les conditions d’exécution des contrats d’assurance conclus antérieurement à la perte de la reconnaissance des agréments des entités britanniques en France et assurer la continuité des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution vis-à-vis des entités ayant perdu ces agréments ;
- à introduire des règles adaptées pour la gestion de placements collectifs et pour les plans d’épargne en actions dont l’actif ou l’emploi respecte des ratios ou règles d’investissement dans des entités européennes.
Comme précédemment indiqué dans son avis du 10 mars 2020 sur le projet de lettre rectificative mentionné ci-dessus, le Conseil d’Etat estime que ces mesures ne soulèvent pas de difficultés d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Elles n’appellent pas de remarques de sa part.
Conséquences éventuelles à tirer de la fin de la période de transition en ce qui concerne les ressortissants britanniques et les intérêts britanniques en France
41. L’accord de sortie conclu entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, entré en vigueur le 31 janvier 2020, instaure une période de transition qui s’achèvera le 31 décembre prochain. Pendant cette période la situation des citoyens, consommateurs, entreprises, investisseurs, étudiants ou encore chercheurs demeure inchangée tant dans l’Union européenne qu’au Royaume-Uni. Au cours de cette même période un nouveau partenariat pour l’avenir doit être négocié. Toutefois, la crise sanitaire a ralenti ces négociations et si la prolongation de l’accord en cours est, en application de son article 132, possible pour des durées d’un an ou deux ans, c’est à la condition que les deux parties en conviennent avant le 1er juillet 2020. Les suites des négociations en cours étant difficilement prévisibles aujourd’hui, le Gouvernement souhaite par précaution être habilité à prendre toutes mesures qui s’avéreraient nécessaire en cas d’absence d’accord au 31 décembre 2020, pour régler la situation des ressortissants britanniques résidant en France ou y exerçant une activité, des personnes morales établies au Royaume -Uni ou de droit britannique exerçant une activité en France à la date de la fin de la période de transition, ainsi que des personnes morales établies en France, dont tout ou partie du capital social ou des droits de vote est détenu par des personnes établies au Royaume-Uni. Ces dispositions n’appellent pas de réserve de la part du Conseil d’Etat.
Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat (commission permanente) dans sa séance du 4 mai 2020.