Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.
CONSEIL D’ÉTAT
Section sociale
N° 401741
Extrait du registre des délibérations
1. Le Conseil d’État a été saisi le jeudi 3 décembre 2020 d’un projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.
Le projet de loi proposé par le Gouvernement comporte huit articles :
- Les trois premiers articles créent un nouveau régime intitulé « état de crise sanitaire », adaptent le régime de « l’état d’urgence sanitaire » figurant aujourd’hui au chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique, et fixent les dispositions communes à ces deux dispositifs dans trois chapitres modifiés ou nouveaux (chapitres Ier, Ier bis, Ier ter) de ce même titre III, dont l’intitulé devient « Situations sanitaires exceptionnelles » ;
- Les articles 4 et 5 regroupent, à droit pour l’essentiel constant, les autres dispositions du même titre III consacrées à la réponse aux situations exceptionnelles dans deux nouveaux chapitres Ier quater et Ier quinquies ;
- L’article 6, introduit dans un chapitre Ier sexies de ce même titre III des dispositions reprenant les règles existantes applicables au système d’identification unique des victimes (SI-VIC), et créant un nouveau cadre pour les autres systèmes d’informations susceptibles d’être mis en œuvre dans certaines situations sanitaires exceptionnelles ;
- L’article 7 procède aux coordinations nécessaires avec les autres législations ;
- L’article 8 étend et adapte les dispositions qui précèdent en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie français et à Wallis-et-Futuna.
L’étude d’impact du projet répond globalement aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Compte tenu des adaptations prévues pour les collectivités d’outre-mer mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution, les assemblées délibérantes de ces collectivités ont été consultées comme le prévoient les dispositions applicables.
En outre, eu égard aux dispositions relatives aux traitements de données à caractère personnel que comprend le projet de loi, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a été consultée. Le Conseil d’Etat relève que cette consultation n’était toutefois pas nécessaire, le projet de loi, qui renvoie à un décret en Conseil d’Etat la définition des données qui seront accessibles aux personnes et organismes qu’il énumère ainsi que les services et personnels qui se verront reconnaître un tel accès, ne pouvant être regardé comme définissant, dans ses caractéristiques essentielles, les conditions de création ou de mise en œuvre d'un traitement ou d'une catégorie de traitements de données à caractère personnel.
Le contexte de la saisine
2. Cette saisine s’inscrit dans un contexte marqué par la mise en œuvre successive au cours de l’année 2020 de différents régimes juridiques, préexistants ou élaborés en urgence pour répondre aux circonstances, conférant aux pouvoirs publics des prérogatives exceptionnelles afin de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et ses conséquences pour la population.
Dans un premier temps, la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles a pu fonder le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus qui, notamment, interdisait aux personnes de sortir de leur domicile sous réserve de certaines exceptions. Par ailleurs, dans cette première phase, les dispositions du chapitre Ier du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique issues notamment de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, en particulier celles de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique relatives aux situations de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, ont pu constituer la base légale des mesures prises par le ministre de la santé, dont l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus.
3. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 déjà mentionnée a ensuite créé, dans ce même titre III, un chapitre Ier bis relatif à l’état d’urgence sanitaire, qui peut être déclaré en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population.
La déclaration de l’état d’urgence sanitaire permet au Premier ministre, au ministre de la santé et, s’ils y sont habilités, aux préfets, de prendre, aux seules fins de garantir la santé publique, les mesures nécessaires, lesquelles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Les mesures prises sur ce fondement peuvent notamment avoir pour objet de restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, d’imposer aux personnes souhaitant se déplacer par transport public aérien de présenter le résultat d'un examen ne concluant pas à une contamination par le covid-19, d’interdire aux personnes de sortir de leur domicile, d’ordonner la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées, ainsi que la mise à l’isolement des personnes affectées, d’ordonner la fermeture provisoire de catégories d'établissements recevant du public, ou encore de réquisitionner des biens et des services. Cette même loi a précisé que les pouvoirs prévus à l’article L. 3131-1 du code de la santé publique ont vocation à s’appliquer après la fin de l’état d’urgence sanitaire afin d’assurer la disparition durable de la crise sanitaire. L’article 7 de la loi du 23 mars prévoit, enfin, que ce nouveau chapitre Ier bis est applicable jusqu’au 1er avril 2021.
4. L’état d'urgence sanitaire a été déclaré pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, puis prorogé, par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.
La loi du 11 mai 2020 a en outre précisé ou élargi les pouvoirs confiés au Premier ministre par la loi précédente, pour y ajouter en particulier la possibilité de réglementer la circulation des personnes et des véhicules, l’accès aux moyens de transport ainsi que les conditions d’accès ou de présence dans les établissements recevant du public et lieux de réunion, ou de procéder à des réquisitions de personnes. Elle a précisé les conditions dans lesquelles peuvent être prises des mesures de quarantaine ou d’isolement, ainsi que les garanties pour les personnes concernées et les modalités de contrôle juridictionnel. Elle a enfin créé un cadre législatif spécifique pour autoriser la création de traitements de données à caractère personnel permettant, par dérogation au principe du secret médical, de traiter des données relatives aux personnes infectées par le virus et aux personnes ayant été en contact avec elles, y compris sans leur consentement.
5. Compte tenu du reflux de l’épidémie observé à partir de la fin du printemps, la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire a créé un cadre juridique spécifique visant à aménager, après la fin de l’état d’urgence, un allègement graduel des restrictions prévues dans ce cadre afin de limiter le risque de reprise épidémique.
A cette fin, elle a habilité le Premier ministre, à compter du 11 juillet 2020 et jusqu’au 30 octobre 2020, à prendre les mesures nécessaires à la lutte contre l’épidémie de covid-19, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé. Ces mesures peuvent porter notamment sur la réglementation ou, dans certaines parties du territoire où est constatée une circulation active du virus, l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules et les conditions d’utilisation des transports collectifs, la limitation de l’accès, voire, si les précautions ordinaires ne peuvent être observées ou dans des zones de circulation active du virus, la fermeture de catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunion, la réglementation des réunions et rassemblements, notamment sur la voie publique ou l’obligation de se soumettre à un test de contamination par le virus à l’arrivée ou au départ du territoire métropolitain et d’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution si cette collectivité est une zone de circulation active du virus. Le Premier ministre peut habiliter les préfets à prendre ces mêmes mesures à l’échelle du département et à mettre en demeure de fermer les établissements ne se conformant pas à ces mesures.
Faute de constituer un régime permanent, ce régime de sortie de l’état d’urgence, conçu et adapté, dans ses mesures comme dans sa temporalité, aux seuls besoins de la gestion de la fin de la crise provoquée par la covid-19, n’a pas été codifié dans le code de la santé publique.
6. Devant le constat d’une nette aggravation de la crise sanitaire résultant d'une reprise de l’épidémie, en dépit des mesures de police sanitaire graduées en fonction de la situation sanitaire de chaque territoire prises sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020, le Gouvernement a, par décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020, de nouveau déclaré l’état d’urgence sanitaire, sur l’ensemble du territoire national, à compter du 17 octobre 2020. La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire l’a prorogé jusqu’au 16 février 2021.
Cette même loi a prolongé, jusqu’au 1er avril 2021, la durée d’application du régime de sortie d’état d’urgence défini à l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020, et précisé que ce régime a vocation à s’appliquer à tous les territoires dans lesquels l'état d'urgence sanitaire n’est plus en cours d'application. Elle a également prolongé jusqu’au 1er avril 2021 la durée de mise en œuvre des traitements des données relatives aux personnes infectées par le virus et aux personnes ayant été en contact avec elles qu’elle autorise.
7. Aucune des lois qui ont suivi la loi du 23 mars 2020 n’a remis en cause, pour les abroger ou repousser le terme qu’elles fixent, les dispositions de l’article 7 de cette loi prévoyant la sortie de vigueur, au 1er avril 2021, du régime de l’état d’urgence sanitaire défini au chapitre Ier du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique.
Le Conseil d'État souligne que le projet de loi a été préparé dans la perspective de cette sortie de vigueur des dispositions régissant l'état d'urgence sanitaire, alors que l'épidémie de Covid-19 sévit toujours en France. Il estime que la réflexion engagée pour définir un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires devra être poursuivie à l'issue de l'épidémie afin de tirer les enseignements de l'évaluation de la gestion de la crise sanitaire. Il considère que cette évaluation pourrait utilement porter sur l'adéquation des prérogatives des pouvoirs publics aux situations rencontrées, sur leurs modalités de mise en œuvre, sur les conditions d'organisation de l'expertise sanitaire et sur la responsabilité respective des autorités de police sanitaire et des employeurs. Le Conseil d’Etat relève qu’une mission d’information parlementaire, conduite par MM. Houlié et Gosselin, députés, a, d’ores et déjà, examiné la question du régime juridique de l’état d’urgence et réfléchi aux conditions dans lesquelles celui-ci pourrait être pérennisé. Elle a présenté son rapport à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2020. Le Conseil d’Etat estime que ces travaux et ceux qui seront menés lorsque la catastrophe actuelle aura pris fin devraient permettre d’affiner le dispositif résultant du projet de loi.
L’architecture du projet de loi
8. Le projet de loi dont le Gouvernement a saisi le Conseil d’Etat vise, d’une part, à refondre l’ensemble des dispositions évoquées précédemment afin de définir, dans le code de la santé publique, un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires au sein du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique. Le projet envisage, dans ce titre III dont l’intitulé devient « Situations sanitaires exceptionnelles », de créer deux cadres de réponse aux crises sanitaires majeures, l’état de crise sanitaire et l’état d’urgence sanitaire, que le Conseil d’Etat propose de grouper au sein d’un chapitre Ier intitulé « Etat de crise et état d’urgence sanitaires », comportant trois sections consacrées respectivement à l’état de crise, à l’état d’urgence et aux dispositions communes à ces deux cadres juridiques.
9. Le projet de loi comporte, d’autre part, diverses dispositions applicables aux situations sanitaires exceptionnelles. Il maintient, pour l’essentiel à droit constant, les autres dispositions de l’actuel chapitre Ier du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique, en dehors de celles consacrées aux pouvoirs propres de réquisition du préfet de département, du préfet de zone et du Premier ministre (articles L. 3131-8 et L. 3131-9 du code de la santé publique) et introduit de nouvelles dispositions consacrées aux traitements de données à caractère personnel ayant spécifiquement vocation à être mis en œuvre dans le cadre de situations sanitaires exceptionnelles.
Tableau 1
Régime des situations sanitaires exceptionnelles dans le projet de loi
Nouvelle architecture du titre III « Situations sanitaires exceptionnelles » |
Chapitres principalement modifiés par le projet de loi | Autres chapitres |
Chapitre Ier État de crise sanitaire et état d’urgence sanitaire | Chap. Ier bis Dispositions pouvant trouver à s’appliquer aux situations visées par le chapitre Ier ou à d’autres hypothèses | Chapitres II Chapitre III |
Section 1 Déclaration possible en cas de menaces et situations sanitaires graves | Section 1 Exonérations de responsabilité, intervention de l’ONIAM, fonds spécifique et protection des réservistes | Chapitre IV Règles d’emploi |
Section 2 Déclaration possible en cas de | Section 2 Dispositions relatives au plan blanc d’établissement, au dispositif ORSAN et à la mobilisation complémentaire de professionnels de santé volontaires | Chapitre V Risques spécifiques |
Section 3 Dispositions communes à l’état de crise sanitaire et à l’état d’urgence sanitaire | Section 3 SI-VIC, et dispositions définissant un cadre général pour d’autres traitements de données visant à gérer des situations sanitaires exceptionnelles | Chapitre VI Dispositions pénales |
Si certaines de ces dispositions sont exclusivement applicables dans le cadre de l’état de crise sanitaire ou de l’état d’urgence sanitaire, ce qui aurait pu justifier de les rattacher au nouveau chapitre Ier, la plupart ont une portée plus large qui, compte tenu de leur adhérence avec les premières, peut justifier de les regrouper dans des subdivisions distinctes. Le Conseil d’Etat propose de les insérer dans le chapitre Ier bis, intitulé « Mesures diverses de réponse aux situations sanitaires exceptionnelles », visant à constituer un ensemble de dispositions permettant de répondre à un spectre plus large de situations sanitaires exceptionnelles, au-delà des deux hypothèses justifiant la déclaration de l’état de crise et de l’état d’urgence.
Ce chapitre comporte trois sections. La première, pour l’essentiel à droit constant, est consacrée aux règles spécifiques de prise en charge, comprenant les dispositions des actuels articles L. 3131-3 et L. 3131-4 relatives à l’indemnisation des préjudices par l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, de l’article L. 3131-5 relatives au fonds prévu pour le financement d’actions à destination de la population, et de l’article L. 3131-10 étendant la protection prévue pour les réservistes aux professionnels participant à la réponse à certaines situations exceptionnelles. La deuxième, également à droit constant, est consacrée à l’organisation du dispositif de soins et comprend les dispositions des actuels articles L. 3131 7, L. 3131-10-1 et L. 3131-11 relatives respectivement aux plans blancs, à l’appel aux volontaires et au plan ORSAN. La troisième section est consacrée aux systèmes d’informations.
L’économie générale des régimes d’état de crise sanitaire et d’état d’urgence sanitaire
10. Les deux nouveaux cadres de réponse aux menaces ou crises sanitaires majeures que le projet propose de créer, état de crise sanitaire (section 1 du chapitre Ier du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique) et état d’urgence sanitaire (section 2), se substitueraient aux trois corpus juridiques spécifiques visant à répondre aux crises sanitaires majeures résultant du droit en vigueur, sans préjudice de l’application possible de la théorie des circonstances exceptionnelles, des pouvoirs de police générale prévus par ailleurs ainsi que d’autres dispositions réparties dans différents textes.
Les deux nouveaux régimes présentent un certain parallélisme dans leurs conditions de déclenchement et de prorogation, et visent à répondre à la gradation des crises susceptibles de survenir.
Dans les cas de « menace ou de situation sanitaire grave », le projet de loi prévoit la possibilité pour le Gouvernement de déclarer par décret, pour une durée de deux mois prorogeable par décret en conseil des ministres après avis du Haut conseil de la santé publique, l’état de crise sanitaire. Le Premier ministre et le ministre de la santé peuvent alors prendre ou habiliter les représentants de l’Etat territorialement compétents à prendre des mesures de nature essentiellement sanitaire (décisions individuelles de placement ou maintien en quarantaine ou en isolement, mesures visant à mettre des produits de santé à la disposition des patients, mesures nécessaires d’organisation et de fonctionnement du dispositif de soins, mesures temporaires de contrôle des prix et réquisitions). Certaines de ces décisions sont susceptibles d’avoir des effets significatifs sur l’exercice des droits et libertés constitutionnels.
Le projet de loi pérennise ensuite, pour les cas de catastrophe sanitaire « mettant en péril, par sa nature ou sa gravité, la santé de la population », le régime de l’état d’urgence sanitaire, lequel peut être déclaré par décret en conseil des ministres pour une durée d’un mois, prorogeable par une loi qui en fixe la nouvelle durée, après avis d’un comité scientifique institué lorsque l'état d'urgence sanitaire est déclaré. Le déclenchement de ce régime a pour effet, d’une part, de conférer au Premier ministre et au ministre de la santé les pouvoirs prévus au titre de l’état de crise sanitaire.
Il permet, d’autre part, au Premier ministre de prendre à des fins exclusivement sanitaires des mesures de police supplémentaires, particulièrement étendues et restrictives de droits et libertés (réglementation ou interdiction de la circulation des personnes et des véhicules, interdiction de sortie du domicile, de fermeture ou réglementation des établissements recevant du public ou des lieux de réunion, limitation des rassemblements sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, autres limitations à la liberté d’entreprendre, soumission de l’accès à certains lieux ou de l’exercice de certaines activités à la présentation du résultat d’un test de dépistage ou au suivi d’un traitement curatif ou préventif).
11. La vocation de ces deux nouveaux cadres de réponse n’est, à l’instar du droit en vigueur, pas limitée à la lutte contre les épidémies ou maladies transmissibles, en dépit des intitulés de la troisième partie du code de la santé publique (Lutte contre les maladies et dépendances) ainsi que de son livre Ier (Lutte contre les maladies transmissibles). Les dispositions du projet du Gouvernement sont, toutefois, inspirées de celles élaborées dans le contexte de l’épidémie sévissant en 2020. Si cette filiation apparaît dans une large mesure inévitable, et tout en mesurant la difficulté de forger un cadre pérenne à la fois suffisamment général pour embrasser un large spectre de situations en partie imprévisibles et suffisamment précis pour répondre aux exigences constitutionnelles ainsi qu’au légitime souci de prévisibilité et de lisibilité du cadre juridique, le Conseil d’Etat veille à ce que la rédaction de chaque disposition reflète strictement la nature des risques qu’elle a vocation à couvrir.
12. Le Conseil d’Etat souscrit, de manière générale, à l’objectif du Gouvernement visant à donner un cadre juridique spécifique, limité dans le temps, aux mesures de police administrative exceptionnelles nécessaires en cas de menace, de crise ou de catastrophe sanitaire, compte tenu de la nature de ces mesures, de leur incidence sur l’exercice de droits et libertés constitutionnellement protégés, et de leur portée possiblement dérogatoire aux textes en vigueur.
Le Conseil d’Etat rappelle que la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir, à cette fin, un régime d’état d’urgence sanitaire (Conseil constitutionnel, décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, paragr. 17 ; décision n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020, paragr. 5), ni celle de créer, pour des situations de moindre intensité justifiant l’adoption en urgence de mesures d’une nature en partie comparable, un état de crise sanitaire, pourvu que le législateur, dans l’un comme dans l’autre de ces deux cadres juridiques, assure la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République (Voir notamment pour un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, Conseil constitutionnel, décision n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020, paragr. 12).
13. Le Conseil d’Etat considère que le choix, en lieu et place des trois régimes existants, d’une dualité de régimes susceptibles, si les circonstances l’exigent, de se succéder l’un à l’autre dans une optique d’escalade ou de retour progressif à la normale, ne se heurte à aucun obstacle d’ordre juridique et contribue à clarifier l’état du droit.
Il en va de même du choix de faire des pouvoirs de l’état de crise un socle auquel s’ajoutent de nouveaux pouvoirs en cas de déclaration ultérieure de l’état d’urgence. Ainsi, la répartition des compétences entre Premier ministre et ministre de la santé reste inchangée en cas de transition entre les deux régimes, à la différence du droit en vigueur qui conduit à des transferts de compétences dans le temps. Le Conseil d’Etat propose de modifier la rédaction du projet de loi pour préciser cette articulation.
Le Conseil d’Etat estime que la formulation des critères retenus pour justifier la mise en œuvre de l’un et de l’autre de ces régimes traduit avec suffisamment de clarté la gradation des situations pouvant survenir, tout en comportant un degré de généralité suffisant pour faire face, le cas échéant, à un large champ de situations variées par leur nature ou leur intensité. Il rappelle que la déclaration de l’un comme de l’autre de ces régimes sera placée sous le contrôle du juge administratif.
En ce qui concerne l’état de crise sanitaire, qui suppose une « menace sanitaire grave » ou une « situation sanitaire grave », le Conseil d’Etat relève que la gravité, qu’il n’apparaît pas opportun d’assortir de critères de définition pour éviter d’entraver l’action nécessaire des pouvoirs publics face à une crise d’une nature nouvelle, peut s’entendre en tenant notamment compte de la part du territoire concernée par la menace ou la situation, du nombre de personnes victimes ou susceptibles de l’être, de ses effets sur le système de santé, ou de la nature, en particulier de la létalité, de l’agent pathogène concerné. Ces menaces ou ces situations peuvent résulter d'événements très divers : épidémie mondiale, nationale ou locale, accident nucléaire ou industriel, tremblement de terre, attentat, ...
En ce qui concerne l’état d’urgence sanitaire, le Conseil d’Etat considère que la formulation retenue, mentionnant une « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature ou sa gravité, la santé de la population », reprise du droit en vigueur, est par elle-même assortie des précisions permettant d’en mesurer les cas dans lesquels il pourra y être recouru.
Le Conseil d’Etat note que le projet de loi proposé par le Gouvernement repose sur un équilibre sensiblement différent du droit en vigueur concernant notamment les hypothèses de sortie de crise. En l’absence de toute mesure générale de restriction de la liberté d’aller et de venir prévue en régime d’état de crise sanitaire, à la différence de ce que la loi du 9 juillet 2020 prévoit pour l’épidémie de covid-19, une sortie graduelle de l’état d’urgence devrait dans une situation comparable être organisée à l’intérieur du cadre de celui-ci.
14. Dans l’examen de chacun de ces deux régimes de réponse aux menaces et crises sanitaires majeures, et tout en tenant compte de leur caractère de cadre général appelé à être mobilisé de manière adaptée et proportionnée à chaque menace ou d’une crise sanitaire particulière, le Conseil d’Etat veille à ce que les dispositions du projet de loi opèrent une conciliation qui ne soit pas déséquilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, d’une part, et le respect des droits et libertés reconnus par la Constitution, notamment la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, la liberté d’entreprendre découlant de cet article 4, le droit d’expression collective des idées et des opinions résultant de l’article 11 de la même déclaration ainsi que la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire, d’autre part (Conseil constitutionnel, décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, paragr. 16 et 17).
Il s’assure également que ces dispositions respectent le droit de l’Union européenne, répondent aux exigences issues de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et sont compatibles avec les autres engagements internationaux de la France.
Le Conseil d’Etat rappelle, enfin, que la mise en œuvre de ces dispositions sera soumise à plusieurs niveaux de contrôle juridictionnel : un contrôle, opéré par le juge administratif, sur la légalité de la décision du Premier ministre ou du Président de la République de déclarer l’état de crise sanitaire ou l’état d’urgence sanitaire ; un contrôle, relevant également du juge administratif, sur les mesures réglementaires prises par le Premier ministre, le ministre de la santé ou par les représentants de l’Etat pour définir les conditions de mise en œuvre de tout ou partie des pouvoirs conférés aux pouvoirs publics dans le cadre de ces deux régimes ; un contrôle, enfin, sur les mesures individuelles édictées, le cas échéant, en application de ces mesures réglementaires, assuré, selon la nature des mesures, par le juge administratif ou par le juge judiciaire.
Etat de crise sanitaire
15. Le projet de loi prévoit, pour la gestion des menaces ou situations sanitaires graves, un régime élargi et affiné par rapport aux dispositions actuelles de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique.
La déclaration de l’état de crise sanitaire par décret, accompagnée de la publication des données scientifiques qui la justifient, sa prorogation au-delà de deux mois par décret en conseil des ministres après avis public du Haut Conseil de la santé publique, sa fin à tout moment par décret après avis du même organisme, constituent, sous le contrôle du juge, des garanties permettant de s’assurer que les conditions légales d’applicabilité de ce régime exceptionnel sont et restent réunies.
Le projet proposé par le Gouvernement repose sur le parti d’énumérer chacun des pouvoirs conférés au Premier ministre et au ministre une fois l’état de crise déclaré.
Il revient au Premier ministre de :
- prendre des mesures temporaires de contrôle des prix rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits ;
- prendre ou permettre l’adoption des mesures de réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires pour répondre à la menace ou à la situation sanitaire.
Il incombe au ministre de la santé de :
- permettre l’adoption, dans les conditions qu’il fixe, des mesures de quarantaine des personnes susceptibles d'être affectées et d’isolement des personnes affectées, susceptibles de concerner des personnes arrivant sur le territoire métropolitain, en Corse ou dans une collectivité d’outre-mer, ainsi que des personnes se trouvant déjà sur ces territoires ;
- rendre ou permettre l’adoption de toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de produits de santé ;
- prendre ou permettre l’adoption de toute autre mesure relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé.
16. Si le dispositif proposé apparaît cohérent et de nature à permettre aux pouvoirs publics de disposer d’instruments adaptés aux menaces et situations sanitaires graves, le Conseil d’Etat s’est interrogé sur les conditions de prorogation de l’état de crise sanitaire et les modalités d’exercice du contrôle du Parlement, en particulier si cet état de crise doit s’inscrire dans la durée.
Le Conseil d’Etat relève, d’une part, que le projet de loi définit de manière précise les conditions de fond et de forme auxquelles sont subordonnés le déclenchement et la prorogation de ce régime sous le contrôle du juge, énumère de manière limitative les pouvoirs reconnus au Premier ministre et au ministre de la santé ainsi que les conditions de leur exercice et leur portée.
Il note, d’autre part, que l’état de crise conduit à la mise en œuvre de pouvoirs de nature essentiellement sanitaire et spécialisée, les restrictions aux libertés des personnes physiques ne pouvant résulter que de décisions individuelles, à l’exclusion de toute mesure générale et absolue apportant des atteintes substantielles à la liberté d’aller et de venir de tout ou partie de la population, à la liberté de se réunir et au droit d’exprimer collectivement ses idées et opinions. Les pouvoirs prévus au titre de l’état de crise sanitaire ne sont, en outre, pas d’une nature différente de compétences de police confiées à l’administration par le droit en vigueur, s’agissant en particulier des mesures d’isolement ou de quarantaine prévues dans le cadre des menaces sanitaires graves (art. L. 3131-1 du code de la santé publique) ou de la lutte contre la propagation internationale des maladies (art. L. 3115-10), des mesures de contrôle des prix (art. L. 410-2 du code de commerce) ou de réquisition dans un contexte de crise sanitaire (art. L. 3131-8 et L. 3131-9 du code de la santé publique, art. L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, art. L. 742-12 du code de la sécurité intérieure). Enfin, le Conseil d’Etat souligne que la mobilisation des pouvoirs les plus attentatoires aux droits et libertés des personnes (quarantaine et isolement contraints), n’est qu’une faculté, laquelle ne peut être utilisée, sous le contrôle du juge, comme pour les autres mesures autorisées par l’état de crise sanitaire, qu'à la condition que son emploi soit strictement nécessaire et proportionné aux risques sanitaires encourus et approprié aux circonstances de temps et de lieu.
Dans ce contexte, il apparaît cohérent avec la gradation des situations susceptibles de survenir ainsi qu’avec l’économie générale du projet de loi proposé que la prorogation de l’état de crise sanitaire ne soit pas, à la différence de l’état d’urgence sanitaire, subordonnée à une autorisation du Parlement. Cependant, le prolongement dans le temps de ce régime, susceptible de conduire à l’adoption des mesures mentionnées ci-dessus, pour certaines attentatoires notamment à la liberté personnelle, à la liberté individuelle, au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, pour d’autres possiblement dérogatoires à des lois en vigueur, suppose que le Gouvernement rende compte de son utilisation devant le Parlement, conformément à la mission de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques que lui confie l’article 24 de la Constitution.
Par voie de conséquence, compte tenu des caractéristiques des mesures dont l’adoption et ainsi possible dans le cadre de l’état de crise sanitaire, le Conseil d’Etat propose de compléter les dispositions de simple information du Parlement sur les mesures prises prévues par le projet, par l’obligation faite au Gouvernement de présenter le cas échéant, au bout de six mois, un rapport spécifique mettant en perspective les mesures prises, expliquant les raisons de la prorogation dans la durée de l’état de crise sanitaire et présentant les orientations de l’action du Gouvernement. Eu égard à son objet spécifique et à sa portée circonscrite, cette obligation ne peut pas être regardée comme une injonction au Gouvernement de nature à porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs (pour la distinction faite entre des mesures d’information du Parlement conformes et d’autres regardées comme non conformes à ce principe, voir notamment Conseil constitutionnel, décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, paragr. 82).
17. Lors de son examen des cinq mesures prévues au titre de l’état de crise sanitaire, le Conseil d’Etat s’attache d’abord à clarifier leur portée respective et, le cas échéant, à préciser leur articulation pour éviter toute compétence concurrente.
Les quatre mesures tendant au contrôle temporaire des prix, à la mise en œuvre de réquisitions, à l’adaptation du dispositif de soins ou à la mise à disposition de produits de santé, qui sont d’ailleurs de portée comparable à celles que prévoient les dispositions en vigueur, sont limitées à ce qui est strictement nécessaire à la réponse à la situation sanitaire exceptionnelle, proportionnées et appropriées, ainsi que le prévoit le projet de loi.
Le Conseil d’Etat estime qu’eu égard à leur objet et à leur portée, à leur incidence possible sur les droits et libertés constitutionnellement garantis ainsi qu’aux conditions dans lesquelles l’état de crise sanitaire peut être déclaré et prorogé, sous le contrôle du juge, le projet de loi opère, s’agissant de ces prérogatives, une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles en présence.
18. Le Conseil d’Etat relève que le projet du Gouvernement propose d’abroger les dispositions des actuels articles L. 3131-8 et L. 3131-9 du code de la santé publique qui, en cas d’afflux de patient ou de victimes ou si la situation sanitaire le justifie, confèrent des pouvoirs propres de réquisition aux préfets de département et, en fonction de la nature et de l’ampleur de la crise, au préfet de zone voire au Premier ministre. Cette abrogation conduit à clarifier les pouvoirs applicables lorsque l’état de crise sanitaire ou l’état d’urgence sanitaire ont été déclarés, en centralisant au niveau du Premier ministre le choix de permettre des mesures de réquisition. Afin, cependant, de faire face aux besoins qui peuvent apparaître localement en dehors de ces périodes, il convient de rappeler que les dispositions du 4° de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales et de l’article L. 742-12 du code de la sécurité intérieure dotent les représentants de l’Etat de pouvoirs appropriés. Sous cette réserve, cette abrogation n’appelle pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.
19. Le Conseil d’Etat constate par ailleurs que le projet de loi, à la différence de ces premières mesures reconduites pour l’essentiel à droit constant, modifie sensiblement les contours de la compétence conférée au ministre de la santé d’autoriser le préfet à prendre des mesures individuelles d’isolement et de quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes affectées ou susceptibles d’être affectées, notamment par une infection contagieuse.
L’essentiel des dispositions en vigueur relatives à l’état d’urgence sanitaire et, en tant qu’elles renvoient à leurs conditions de fond, de forme et de procédure, les dispositions relatives aux menaces sanitaires graves ainsi qu’à la lutte contre la propagation internationale des maladies ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui a notamment admis qu’elles ne portaient pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir et, pour les mesures prévoyant un isolement à temps complet ou pour une durée supérieure à douze heures par jour, sous les réserves qu’il a exprimées, à la liberté individuelle (Conseil constitutionnel, décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, paragr. 42 à 44).
Le projet de loi élargit toutefois substantiellement, par rapport au droit en vigueur, le champ des personnes et situations susceptibles d’être concernées. Le Conseil d’Etat propose tout d’abord d’en modifier la rédaction pour préciser que sont couvertes non seulement les hypothèses de maladies transmissibles mais aussi celles de propagation de sources de contagion ou de contamination véhiculées par des agents d’autres nature, toxiques notamment, susceptibles de présenter un risque élevé pour la santé de la population.
Le projet de loi prévoit de plus que ces dispositions seront applicables non seulement, comme le prévoient les dispositions en vigueur, aux personnes entrant sur le territoire national, ou qui, même déjà présentes en France, entrent sur la partie continentale du territoire métropolitain, en Corse ou dans une collectivité d’outre-mer en provenance d’une zone de circulation active d’une source d’infection ou de contamination mais également aux personnes qui, déjà présentes en France, se trouvent ou ont séjourné dans une zone concernée par un foyer épidémique ou ont été en contact avec des personnes affectées et qui, de ce fait, présentent un risque élevé de développer ou transmettre l’infection.
Le Conseil d’Etat considère que cet élargissement considérable du champ d’application de ces dispositions ne remet pas en cause la nature de ces mesures et se borne à prévoir une faculté pour le ministre de la santé, à qui il appartiendra de déterminer au cas par cas le principe et l’étendue des mesures applicables en fonction des nécessités de lutte contre la propagation de la contamination ou de l’affection.
Il estime que certaines situations sanitaires d'une particulière gravité, notamment en cas de menace d'épidémie, peuvent justifier l'application de mesures de cette nature alors même que le pays n'est pas confronté à une situation de catastrophe sanitaire justifiant le recours à l'état d'urgence sanitaire. Il relève également que cet élargissement vise à permettre de contenir la propagation d’une maladie déjà présente sur le territoire national ou, à l’intérieur de celui-ci, sur celui de la Corse ou d’une collectivité d’outre-mer, dans des foyers ou de manière plus généralisée. Il constate que cette mesure peut, au demeurant, constituer dans certaines situations de crise une alternative à des mesures plus restrictives et généralisées à l’ensemble de la population.
Le Conseil d’Etat souligne enfin que le projet de loi maintient l’ensemble des garanties prévues pour les personnes relevées par le Conseil constitutionnel à l’appui de sa déclaration de conformité des dispositions en vigueur (décision individuelle motivée, mentionnant les voies et délais de recours et les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention, subordination des mesures d’isolement à la constatation médicale de l’infection et la production d’un certificat médical, avis médical requis pour la prolongation au-delà de quatorze jours, choix par la personne du lieu d’hébergement entre son domicile et un autre lieu adapté, obligation de faire cesser les effets de la mesure de manière anticipée dès que l’état médical de la personne le permet), et rappelle les garanties entourant la déclaration de l’état de crise sanitaire, placée sous le contrôle du juge administratif tout comme la décision du ministre de prévoir le recours à ces mesures, laquelle est prise après avis du Haut conseil de la santé publique.
Le Conseil d’Etat déduit de l'ensemble de ces considérations que le projet de loi opère une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles en présence.
20. Les conditions de mise en œuvre des mesures de quarantaine et d’isolement, reprises pour l’essentiel à droit constant, n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’Etat en dehors des précisions suivantes.
Le Conseil d’Etat relève qu’en limitant à quatorze jours la durée maximale de la mesure initiale de quarantaine ou d’isolement, le projet opère, en dépit des caractéristiques nécessairement variables des sources de contamination ou de contagion pouvant conduire à la mise en œuvre de telles mesures, un choix qui n’apparaît pas manifestement inapproprié compte tenu, en outre, de la possibilité de renouvellement des mesures. Il précise que la durée maximale devra être fixée, au cas par cas, en fonction des données scientifiques disponibles. De même, en ce qui concerne les modalités de renouvellement de ces mesures, après avis médical, le Conseil d’Etat estime que, si ce cadre législatif devrait nécessairement être adapté en urgence dans des circonstances nécessitant, pour la sauvegarde de la santé publique, des durées supérieures ou des modalités adaptées de renouvellement, les dispositions proposées par le Gouvernement retiennent un choix compatible avec un large spectre d’hypothèses et, par suite, n’apparaissent pas manifestement inappropriées.
Le Conseil d’Etat note que l’interdiction de placer ou de maintenir en isolement ou en quarantaine les personnes et enfants victimes de violences ou alléguant être victimes de violences, dans le même lieu que l'auteur des violences commises ou alléguées s’applique à toute personne ayant déposé plainte ou étant partie à une procédure judiciaire civile ou pénale au cours de laquelle les violences sont alléguées ou ont été constatées par une décision de justice.
21. Le Conseil d’Etat relève enfin que le projet de loi reprend les dispositions figurant au II de l’actuel article L. 3131-15 du code de la santé publique, qui obligent les entreprises de transport ferroviaire, maritime ou aérien à communiquer au représentant de l’Etat dans le département, lorsqu’il en fait la demande, les données relatives aux passagers (« données API ») que ces entreprises détiennent, aux seules fins d'assurer la mise en œuvre des mesures de quarantaine ou d’isolement à l’entrée sur le territoire.
Ce droit de communication du préfet, dans le contexte de l’état de crise sanitaire ou de l’état d’urgence sanitaire, s’ajoute ainsi aux obligations de communication de ces données d’ores et déjà prévues par les articles L. 232-1 et 232-2 du code de la sécurité intérieure afin d'améliorer le contrôle aux frontières, de lutter contre l'immigration clandestine, de prévenir et de réprimer des actes de terrorisme ainsi que des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Le Conseil d’Etat estime nécessaire d’expliciter davantage la finalité de cette transmission, afin de garantir le respect du paragraphe 1 de l’article 5 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (dit « RGPD »), selon lequel ne peuvent être traitées que des données adéquates et pertinentes au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées. Le Conseil d’Etat propose ainsi de préciser que cette transmission ne peut avoir pour finalité que l’identification des personnes assujetties aux obligations d’isolement ou de quarantaine définies, le cas échéant, par le ministre de la santé dans le cadre de l’état de crise ou de l’état d’urgence sanitaire. Il apparaît par ailleurs nécessaire, compte tenu de la variété et de la nature des données mentionnées à l’article L. 232-1 du code de la sécurité intérieure, de prévoir dans cette disposition législative que les modalités de cette transmission ainsi que le périmètre des données strictement nécessaires à la mise en œuvre des prérogatives attribuées aux préfets seront précisées par décret en Conseil d’Etat, lequel supposera une consultation préalable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Etat d’urgence sanitaire
22. Le projet de loi prévoit des modalités de déclenchement et de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, en cas de « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population », reprenant les dispositions en vigueur. Il maintient également pour l’essentiel les dispositions applicables à ces situations.
Le projet de loi réitère, dans le régime pérenne, le choix fait par la loi du 23 mars 2020 pour la gestion de l’épidémie de covid-19 de créer un comité de scientifiques spécifique en cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Il précise le rôle de ce comité et réaffirme le principe de sa dissolution lorsque prend fin l’état d’urgence.
Le Conseil d’Etat estime, tout d’abord, que la création d'une instance scientifique spécifique, en cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire, ne se heurte à aucun obstacle d'ordre juridique. Il souligne que l’institution d'un comité scientifique, dont la composition est adaptée à la catastrophe sanitaire donnant lieu à la déclaration de l'état d'urgence, peut se prévaloir de la nécessité de disposer des compétences les plus les appropriées pour éclairer les pouvoirs publics sur les décisions à prendre. Il relève, en outre, que la création de l’actuel comité de scientifiques, constitué au titre de l'état d'urgence sanitaire déclaré pour faire face à l'épidémie de covid-19, s’est inscrite dans le contexte particulier de la gestion de cette épidémie, inédite tant par l’ampleur et la gravité de la catastrophe que par son incidence sur l’organisation du dispositif sanitaire, et qui intervenait dans le cadre législatif, initialement lacunaire, rappelé précédemment.
En revanche, le Conseil d’Etat considère que les réflexions complémentaires qui devraient être menées pour affiner le régime pérenne de réponse aux urgences sanitaires prévu par le projet de loi devraient être l’occasion de s’interroger de manière approfondie sur l'organisation du dispositif de protection de la santé publique comme sur l'articulation et la cohérence des interventions des différentes instances qui le composent.
Ces réflexions devraient notamment porter sur le point de savoir si le même objectif pourrait être atteint en réformant les instances d'expertise existantes, notamment le Haut conseil de la santé publique dont la mission est, en vertu de l'article L. 1411-4 du code de la santé publique, de « fournir aux pouvoirs publics (…) l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu'à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire », pour en adapter les modalités d’organisation et de fonctionnement aux besoins spécifiques de la gestion d’une crise de la nature de celles couvertes par le projet de loi. Elles pourraient également porter sur les conditions de désignation des membres de l’instance de gestion de crise au regard du processus ordinaire et continu de nomination des membres des instances d’expertise.
23. Les pouvoirs que le projet du Gouvernement propose d’attribuer au Premier ministre s’inspirent largement de ceux qui lui sont conférés par l’actuel chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique. Il s’agit de lui permettre de :
- réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, et réglementer l’accès aux moyens de transports et les conditions de leur usage ;
- interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
- ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;
- limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public ainsi que les réunions de toute nature, à l’exception de celles qui se tiennent dans les seuls locaux à usage d’habitation ;
- prendre toute autre mesure limitant la liberté d’entreprendre ;
- subordonner des activités ou déplacements à la réalisation préalable d’un test de dépistage ou à la prise d’un traitement préventif ou curatif.
24. De manière générale, le Conseil d’Etat estime que ces dispositions, dont la mise en œuvre, sous le contrôle du juge, est réservée aux hypothèses de déclenchement de l’état d’urgence sanitaire procèdent à une conciliation qui n’apparaît pas déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles mentionnées précédemment, pour les motifs développés dans ses avis des 18 mars 2020 (n° 399873), du 1er mai 2020 (n° 400104) et du 9 juin (n° 400322), dans les décisions du Conseil constitutionnel en date du 11 mai 2020 (décision n° 2020-800 DC) et du 9 juillet 2020 (décision n° 2020-803 DC) ainsi qu’au bénéfice des observations qui suivent.
Il souligne notamment que le projet de loi exige, comme les dispositions actuellement en vigueur, que ne soient prises, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, que des mesures limitées à ce qui est strictement nécessaire à la réponse à la situation sanitaire exceptionnelle, proportionnées et appropriées, et prenant fin dès que cette nécessité disparaît.
25. S'agissant des adaptations auxquelles procède le projet de loi, le Conseil d’Etat note que, comme l’avait fait la loi du 9 juillet 2020 dans le cadre du régime de sortie de l’état d’urgence, le projet de loi exclut toute limitation ou réglementation, par le Premier ministre, des réunions et plus largement des contacts rapprochés lorsqu’ils ont lieu à l’intérieur des locaux à usage d’habitation. Il propose à cette fin de préciser la rédaction de la disposition.
26. Le Conseil d’Etat souligne la portée de la disposition permettant au Premier ministre de subordonner l’accès à certaines activités, dont l’exercice même de certaines activités professionnelles, et à certains lieux, dont le cas échéant la simple sortie du domicile, à la présentation du résultat d’un test de dépistage concluant à la non contamination de la personne ou à la prise par celle-ci d’un traitement préventif ou curatif. Cette disposition va au-delà des dispositions actuelles, qui mentionnent le seul dépistage préalable à l’accès à certains moyens de transport aérien (4° du I de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020).
Le caractère nécessaire, proportionné et approprié d’une telle mesure ne saurait être regardé comme exclu dans la perspective, qui est celle du projet de loi, de disposer de moyens juridiques pérennes de réponse à des catastrophes sanitaires dont la gravité ne peut être anticipée. Elle peut permettre, par elle-même, de concilier, dans les hypothèses d’épidémie d’une particulière gravité, l’exercice effectif de certaines libertés avec l’objectif de protection de la santé publique, en lieu et place de mesures plus généralisées ou plus restrictives des libertés en cause, notamment de la liberté d’aller et venir et de la liberté d’entreprendre.
Le Conseil d’Etat souligne toutefois que, sans être par elle-même assimilable à une obligation de soins, une telle mesure peut, si notamment elle conditionne la possibilité de sortir de son domicile, avoir des effets équivalents et justifie, à ce titre, un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, dans son principe comme dans son étendue et ses modalités de mise en œuvre, au vu des données scientifiques disponibles. Par suite, le Conseil d’Etat propose une rédaction visant à préciser la nature des activités ou lieux concernés, et encadrant davantage le contenu du décret du Premier ministre s’agissant des catégories de personnes le cas échéant concernées.
Tableau 2
Pouvoirs du Premier ministre et du ministre de la santé dans le cadre de l’état de crise sanitaire ou de l’état d’urgence sanitaire
Autorité | Etat de crise sanitaire | Etat d’urgence sanitaire |
Premier ministre | Mesures temporaires de contrôle des prix rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits Mesures de réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires pour répondre à la menace ou à la situation sanitaire | Pouvoirs identiques à l’état de crise, ainsi que pouvoir d’ordonner des mesures ayant pour objet de : Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, et réglementer l’accès aux moyens de transports Interdire aux personnes de sortir du domicile Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, des ERP et lieux de réunion Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public Prendre toute autre limitant la liberté d’entreprendre Subordonner des activités ou déplacements à la réalisation préalable d’un test de dépistage ou à la prise d’un traitement préventif ou curatif. |
Ministre de la santé | Mesures de quarantaine des personnes susceptibles d'être affectées et d’isolement des personnes affectées, arrivant sur le territoire métropolitain, en Corse ou dans une collectivité d’outre-mer, ou se trouvant déjà sur ces territoires Toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de produits de santé Toute autre mesure relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé | Pouvoirs identiques à l’état de crise |
Dispositions communes à l’état de crise et à l’état d’urgence sanitaires
27. Le projet de loi reprend pour l’essentiel des dispositions en vigueur. Le Conseil d’Etat propose d’inscrire en préambule de cette subdivision le principe selon lequel les mesures ainsi prises doivent être adéquates et proportionnées et prendre fin au plus tôt dès que leur nécessité n’est plus avérée.
28. Le projet de loi entend clarifier le cadre d’intervention du représentant de l’Etat dans les départements qui, en dehors des collectivités d’outre-mer, repose aujourd’hui sur la distinction, dont la portée peut s’avérer complexe en pratique, entre, d’une part, les mesures réglementaires ou individuelles qu’il prend, sans formalité préalable particulière, en application des mesures prises par le Premier ministre ou le ministre de la santé et, d’autre part, les mesures initiales dont la portée géographique n’excède pas le territoire d’un département qu’il est habilité par le pouvoir réglementaire national à décider lui-même, après avis, dans ce cas, du directeur général de l’agence régionale de santé.
Le Conseil d’Etat estime qu’il est possible d’atteindre l’objectif d’unifier le régime juridique des mesures réglementaires prises par le représentant de l’Etat dans le département, sans pour autant assimiler l’adoption par les préfets des mesures initiales, sur habilitation, à un cas parmi d’autres d’adoption de « mesures d’application » des décisions du Premier ministre ou du ministre. Il suffit de préciser que l’ensemble des mesures réglementaires prises par le représentant de l’Etat dans le département, habilité en ce sens, qu’il s’agisse de mesures initiales ou de simples mesures d’application, sont précédées de l’avis du directeur général de l’agence régionale de santé. Le représentant local de l’Etat peut par ailleurs être habilité à prendre toute mesure individuelle d’application et est investi par la loi elle-même de la compétence pour adopter les décisions de quarantaine et d’isolement.
Le Conseil d’Etat souscrit par ailleurs à l’objectif de prévoir que les représentants de l’Etat territorialement compétents dans les collectivités d’outre-mer mentionnées à l’article 72 3 de la Constitution puissent plus largement être habilités à adapter aux circonstances locales les mesures définies au niveau national, après consultation des autorités compétentes en matière sanitaire et, s’agissant de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, dans le respect de la répartition des compétences entre l’Etat et la collectivité concernée.
29. Le Conseil d’Etat rappelle dans ce contexte les modalités d’articulation des pouvoirs de police spéciale ainsi conférés par le projet de loi au Premier ministre, au ministre de la santé, sans préjudice de la possibilité pour le Premier ministre d’en confier une part de l’exécution à d’autres ministres en application de l’article 22 de la Constitution et aux représentants territorialement compétent de l’Etat, avec les pouvoirs de police générale conférés au maire par les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) aux fins de maintenir le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques dans sa commune.
Ces pouvoirs subsistent, y compris en période d’état de crise ou d’état d’urgence sanitaire, et autorisent notamment le maire à prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l'Etat. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant les périodes où elle trouve à s'appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l'édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l'efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l'Etat (voir notamment Juge des référés du Conseil d’Etat, 17 avril 2020, n° 440057).
30. Le projet de loi comporte un article dans lequel le Conseil d’Etat propose de regrouper l’ensemble des dispositions définissant le régime des mesures de placement ou de maintien en isolement ou en quarantaine, qui s’inspire largement des dispositions en vigueur déjà déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020), s’agissant notamment des conditions de forme et de procédure entourant le prononcé des mesures en cause, du choix offert aux personnes s’agissant du lieu de mise en œuvre de ces mesures, des garanties supplémentaires prévues en cas d’isolement complet ainsi que des modalités de contrôle par le juge judiciaire.
Concernant le contrôle par le juge des libertés et de la détention, le Conseil d’Etat propose d’intégrer expressément dans le projet de loi la réserve énoncée au paragraphe 43 de la décision du 11 mai 2020 du Conseil constitutionnel, imposant l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention avant le renouvellement de toute mesure imposant à la personne de rester dans le lieu d’isolement ou de quarantaine plus de douze heures par jour.
31. Le projet de loi prévoit par ailleurs, dans la continuité du droit en vigueur, que le procureur de la République est avisé de toute les mesures individuelles prises par le représentant de l’Etat territorialement compétent. Il dispense les projets de mesure adoptées dans le cadre de l’état de crise ou d’urgence sanitaire de toute consultation préalable obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire, à l’exception de celles mentionnées spécifiquement par les dispositions issues du projet de loi.
Le projet de loi rappelle que les décisions prises sont susceptibles d’un recours devant le juge administratif sur le fondement des articles L. 521 1 et 521-2 du code de justice administrative (référé suspension et référé liberté). Le Conseil d’Etat ne retient pas cette disposition qui se borne à rappeler le droit en vigueur. Il rappelle que les règles de droit commun régissant l’intervention du juge administratif des référés saisi d’une demande tendant à la protection des libertés garantissent au requérant de bénéficier de l’intervention du juge dans des délais adaptés à l’urgence de la situation : il lui semble absolument nécessaire de laisser au juge, qui a toujours fait preuve d’une approche libérale en période d’état d’urgence, le soin d’apprécier au cas par cas si la condition d’urgence est remplie.
Le projet de loi reprend également, en les étendant aux mesures prises dans le cadre de l’état de crise sanitaire, les dispositions relatives à l’information du Parlement prévues dans le cadre de l’état d’urgence au deuxième alinéa de l’article L. 3131-13 et, dans le cadre du régime de sortie de l’état d’urgence, par le V de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020. Le Conseil d’Etat n’estime toutefois pas nécessaire de rappeler que le Parlement peut requérir du Gouvernement toute information complémentaire à celles dont le projet prévoit la transmission de droit.
32. Le Conseil d’Etat estime, par conséquent, que les régimes de l’état de crise sanitaire et de l’état d’urgence sanitaire résultant du projet proposé par le Gouvernement ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles ni celles résultant du droit de l’Union européenne et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Systèmes d’information
33. Le projet de loi définit un cadre général dans lequel des traitements de données à caractère personnel, susceptibles de déroger au secret médical, peuvent être mis en œuvre, lorsqu’ils sont nécessaires à la gestion d’une situation sanitaire exceptionnelle, c’est-à-dire d’une situation qui justifie la déclaration d’un état de crise ou d’urgence sanitaire ou qui, sans entrer dans ce cadre, rend nécessaires l’identification et le suivi des personnes affectées ou contaminées ou des personnes susceptibles de l’être. Ainsi qu’il a été dit au point 1, le projet de loi ne définit pas par lui-même les caractéristiques essentielles des traitements susceptibles d’être mis en œuvre, lesquelles devraient être définies par décret en Conseil d’Etat après avis de la CNIL.
Il crée au titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique un chapitre spécifique aux « Systèmes d’informations » comprenant une première sous-section qui reprend, sans les modifier, les dispositions de l’article L. 3131-9-1 relatives au système d’identification unique des victimes (SI-VIC) et une autre sous-section qui établit un régime pérenne autorisant la création, par décret en Conseil d’Etat, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, de traitements de données personnelles dérogeant au secret médical dans les situations sanitaires exceptionnelles qui le justifient.
Le Gouvernement anticipe ainsi les futures crises sanitaires qui pourraient résulter non seulement de l’émergence ou de la résurgence d’un agent pathogène infectieux, en s’inspirant de la crise sanitaire liée à la covid-19, mais aussi d’autres événements susceptibles de porter atteinte à la santé publique. Le projet énumère les responsables de ces traitements, les finalités qu’ils poursuivent ainsi que les personnes et organismes susceptibles de participer à leur mise en œuvre.
Respect du domaine de la loi
34. Le Conseil d’Etat relève que la loi du 6 janvier 1978, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, détermine les conditions générales dans lesquelles peut être autorisé un traitement de données. La création d’un tel traitement, même lorsqu’il est mis en œuvre par une personne publique et qu’il est d’une ampleur importante, ne nécessite pas en principe l’intervention du législateur mais uniquement un acte réglementaire de l’autorité compétente (cf. par exemple, CE, 6 novembre 2019, n° 434376).
Le recours à une loi est cependant nécessaire dans l’hypothèse où le traitement envisagé ne peut être mis en œuvre sans modification d’une disposition législative qui y fait obstacle ainsi que dans celle où le traitement conduit à fixer des règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques et entre ainsi dans le champ des matières que l’article 34 de la Constitution réserve à la loi (Conseil d’Etat, 26 octobre 2011, Association pour la Promotion de l’Image, n° 317827).
Le Conseil d’Etat, qui souligne que seules des dispositions législatives expresses peuvent autoriser, par dérogation aux dispositions de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, des personnes qui ne sont pas des professionnels participant à la prise en charge d’une personne, à avoir accès aux données de santé de cette personne protégées par le secret médical, estime que le recours à la loi est nécessaire dès lors que les systèmes d’information dont le législateur permet la création organiseront le traitement de données en matière de santé sans que les responsables du traitement aient à recueillir au préalable, dans tous les cas, le consentement des intéressés.
Le Conseil d’Etat observe en revanche que, sous réserve d’encadrer dans la loi les finalités du traitement et les personnes susceptibles de le mettre en œuvre, il est possible de prévoir que les traitements sont créés par décret en Conseil d’Etat et de laisser au pouvoir réglementaire le soin d’en préciser les finalités, la durée de mise en œuvre, les catégories de données traitées et leur durée de conservation, les destinataires des données ou les modalités d'exercice des droits des personnes concernées.
Conformité à l’article 2 de la Déclaration de 1789, à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et aux articles 6 et 9.1 du RGPD
35. Le Conseil d’Etat rappelle que le droit au respect de la vie privée, qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789, impose que « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (Conseil constitutionnel, décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012). Il appartient à cet égard au « législateur d'instituer une procédure propre à sauvegarder le respect de la vie privée des personnes, lorsqu'est demandée la communication de données de santé susceptibles de permettre l'identification de ces personnes » (Conseil constitutionnel, décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999).
De même, pour être conforme aux exigences posées par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit au respect de la vie privée, un traitement de données à caractère personnel doit se limiter aux données pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, ces données doivent être conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et des garanties doivent être prévues afin de protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs (V. par ex. Cour EDH, 22 juin 2017, Affaire Aycaguer c. France, n° 8806/12).
Enfin, l’article 5 du RGPD énonce les principes auxquels doit se conformer tout traitement de données à caractère personnel : i) licéité, loyauté, transparence, ii) limitation des finalités, iii) minimisation des données, qui doivent être limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, iv) exactitude des données, v) limitation de la conservation des données à une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, vi) intégrité et confidentialité des données, qui doivent être traitées de façon à garantir une sécurité appropriée.
Son article 6 précise que le traitement n’est licite que si au moins une des conditions qu’il mentionne est remplie. Tel est le cas si la personne concernée a consenti au traitement de ses données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques, si le traitement est nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ou si le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement.
Son article 9.2 prévoit par ailleurs que, par dérogation à l’article 9.1 du règlement qui interdit les traitements de données à caractère personnel révélant des données concernant la santé, de tels traitements peuvent être autorisés dans certaines hypothèses, en particulier si la personne concernée a donné son consentement explicite au traitement de ces données à caractère personnel pour une ou plusieurs finalités spécifiques ou si le traitement est nécessaire pour des motifs d'intérêt public dans le domaine de la santé publique.
Le Conseil d’Etat constate tout d’abord que l’objectif poursuivi par le Gouvernement consiste à anticiper de futures situations sanitaires exceptionnelles qui, comme cela a été le cas pour l’épidémie de covid-19, rendraient nécessaires la mise en œuvre rapide de systèmes d’information permettant le suivi de la situation et la mise en place de mesures de gestion de nature à limiter l’intensité de la crise sanitaire, telles que la recherche des personnes susceptibles d’être infectées et leur isolement. Les traitements de données personnelles autorisés répondent ainsi à un intérêt général incontestable et à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé publique.
Il relève ensuite que, comme l’exigent les dispositions rappelées précédemment pour la mise en œuvre de tels systèmes d’information dérogeant au secret médical, le projet énumère de manière suffisamment précise les finalités des traitements, limite au strict nécessaire les autorités susceptibles d’être responsables de ces traitements, lesquelles ne peuvent être que des autorités sanitaires, et encadre les modalités selon lesquelles d’autres personnes peuvent être habilitées à participer à la mise en œuvre du traitement, dont il est rappelé qu’elles sont tenues au respect du secret professionnel.
Le Conseil d’Etat est d’avis qu’il n’y a pas lieu de préciser que le développement ou le déploiement d’applications mobiles permettant d'informer les personnes du fait qu'elles ont été à proximité de personnes affectées ou contaminées est exclu des finalités prévues par le projet de loi, dès lors que cette finalité n’entre pas dans le champ de celles autorisées par le projet de loi.
Compte tenu de la sensibilité des données en cause, le Conseil d’Etat recommande de limiter la liste des personnes habilitées à participer à la mise en œuvre du traitement, laquelle devra être précisément définie par décret en Conseil d’Etat, aux personnes spécialement habilitées à cette fin par le responsable de traitement ou par l’administration, l’établissement ou l’organisme auquel elles se rattachent.
Le projet poursuit la recherche d’un équilibre entre le droit au respect de la vie privée, qui conduit à entourer la mise en œuvre de ces traitements de garanties précises dans la loi, et la volonté d’anticiper la diversité des crises sanitaires futures potentielles, par nature imprévisibles, qui impose de ne pas figer de manière trop restrictive les modalités de mise en œuvre des traitements de données.
Souscrivant à l’objectif d’anticiper les potentielles crises sanitaires dans leur diversité, le Conseil d’Etat relève qu’il convient d’éviter les termes qui limitent la portée du texte aux situations épidémiques de même nature que celle qu’a engendrée la covid-19.
Le Conseil d’Etat souligne par ailleurs que l’ensemble des garanties qui résultent du RGPD et de la loi du 6 janvier 1978 sont applicables aux traitements de données susceptibles d’être mis en œuvre en application de ces dispositions. Ces dispositions encadreront la détermination des modalités de mise en œuvre de tels traitements, s’agissant à la fois des finalités, des personnes habilitées à le mettre en œuvre ou à participer à sa mise en œuvre, des catégories de données collectées et de leur durée de conservation ou encore de la durée de mise en œuvre du traitement, dans le strict respect des principes de nécessité et de proportionnalité.
Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime que les conditions générales prévues par le projet de loi pour la mise en œuvre éventuelle de traitements de données à caractère personnel dans l’hypothèse de situations sanitaires exceptionnelles ne portent pas, par elles-mêmes, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration de 1789 et l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et ne méconnaissent pas les dispositions du RGPD.
Evolutions du régime juridique issu de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions
36. Le projet de loi maintient en vigueur, pour l’épidémie en cours, les dispositions de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions et vise à prolonger la mise en œuvre des traitements de données créés par cette loi au-delà du 1er avril 2020.
Le Conseil d’Etat constate que ce régime législatif, spécifiquement mis en place pour permettre la création des traitements « Contact covid » et « SI-DEP », a déjà été modifié à deux reprises en raison de l'évolution de la situation sanitaire. Il estime justifié son maintien en vigueur en dépit des dispositions plus générales introduites dans le code à ce sujet.
37. Le Conseil d’Etat rappelle que la prolongation de l’application dans le temps de ces dispositions doit répondre aux exigences constitutionnelles relatives à la protection du droit au respect de la vie privée (par ex., Conseil constitutionnel, décision n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020).
Il note qu’il ressort de l’avis du 14 novembre 2020 du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-13 du code de la santé publique que la stratégie consistant à isoler, tester, tracer et accompagner les personnes infectées et leurs contacts, qui prend appui sur les traitements « Contact covid » et « SI-DEP », « reste l’outil majeur de contrôle de l’épidémie avec l’application des mesures barrières » au premier semestre 2021. Il observe que ce constat n’est pas remis en cause par la perspective d’une campagne de vaccination, qui doit être menée parallèlement à la recherche des personnes infectées et de leurs contacts, selon ce même avis, et dont les objectifs restent aujourd’hui limités à « réduire les formes graves et les décès et maintenir le système de santé en période d’épidémie », aux termes de l’argumentaire de la Haute Autorité de santé du 27 novembre sur la stratégie de vaccination.
Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime qu’une prorogation du régime issu de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 au-delà du 1er avril 2021 est en adéquation avec les perspectives d’évolution de la situation sanitaire, en l’état des connaissances scientifiques disponibles.
38. Le Conseil d’Etat rappelle que la création de traitements de données à caractère personnel par l’administration relève en principe du domaine du règlement et constate que, dans le régime pérenne de gestion des urgences sanitaires créé par le présent projet de loi, il n’est pas prévu que la limite de durée des traitements soit fixée au niveau de la loi. Il estime par conséquent que le terme de la mise en œuvre des traitements « Contact covid » et « SI-DEP » peut, comme le prévoit le projet, être fixé par décret en Conseil d’Etat, dès lors qu’il correspond au terme de la crise sanitaire. Il appelle cependant l’attention du Gouvernement sur la nécessité de garantir, dans ce décret, le strict respect des principes de nécessité et de proportionnalité qui résultent de la Constitution et du RGPD dans la définition de la durée de mise en œuvre du traitement.
Pour garantir le respect de ces principes, le Conseil d’Etat recommande de prévoir un délai de six mois à compter de la publication de la loi, dans lequel devra intervenir le décret en Conseil d’Etat fixant le terme de la durée de mise en œuvre des traitements. En l’absence d’intervention d’un tel décret, les traitements de données ne seront plus autorisés à compter de l’expiration de ce délai.
39. Le Conseil d’Etat relève enfin que le projet de loi prévoit que les données recueillies dans ces deux traitements peuvent être rassemblées au sein du système national des données de santé prévu à l’article L. 1461-1 du code de la santé publique. Ces dispositions rehaussent au niveau de la loi un transfert de données qui était auparavant organisé par arrêtés ministériels pris sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire et dérogeait à l’article L. 1461-1 du code de la santé publique. Elles ont un effet sur les durées de conservation de ces données, qui entrent désormais dans le droit commun du système national des données de santé, ce qui permet une conservation pouvant aller jusqu’à vingt ans (4° du IV de l’article L. 1461 1).
Le Conseil d’Etat rappelle que ces dispositions relèvent du domaine de la loi et considère que, compte tenu de la pseudonymisation des données qui précède nécessairement leur transfert dans le système national des données de santé, les durées de conservation qui sont susceptibles de résulter du 4° du IV de l’article L. 1461-1 ne sont pas excessives au regard de l’intérêt public qui s’attache à ce que les données de santé puissent être utilisées pour l'amélioration des connaissances sur le SARS-CoV-2 (13 octobre 2020, Association Le conseil national du logiciel libre, n° 444937).
Application outre-mer
40. Les dispositions du projet sur l’application de ses dispositions en outre-mer et comprenant plusieurs mesures de coordination, dans des conditions respectueuses de la répartition des compétences entre l’Etat et deux de ces collectivités (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française) n’appellent pas d’observations du Conseil d’Etat (Conseil constitutionnel, décision n° 2020-869 QPC du 4 décembre 2020).
Cet avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale et la Commission permanente du Conseil d’Etat dans leur séance des jeudi 17 et lundi 20 décembre 2020.