Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi de simplification.
1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 4 avril 2024 d’un projet de loi de simplification modifié par deux saisines rectificatives reçues respectivement les 14 et 19 avril 2024.
En ce qui concerne les conditions de saisine du Conseil d’Etat :
2. Le Conseil d'Etat ne peut que regretter le bref délai dont il a disposé pour examiner ce projet de loi, alors que l’urgence qui s’attache à l’adoption des mesures proposées n’est pas avérée et qu’une démarche de simplification suppose, pour atteindre pleinement son objectif, une étude approfondie des dispositions dont la modification est proposée.
3. Le Conseil d’Etat relève, en outre, que l’étude d’impact accompagnant le projet de loi lui a été transmise tardivement. Si elle répond, dans l’ensemble, aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, prise pour l’application du troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution, elle demeure néanmoins insuffisamment aboutie pour certaines des dispositions du texte. Le Conseil d’Etat recommande donc de la compléter sur divers points, qui seront mentionnés ci-après à l’occasion de l’examen des dispositions concernées.
4. Le projet de loi comprend vingt-sept articles regroupés en onze titres, respectivement intitulés
« Simplifier l’organisation de l’administration », « Simplifier les démarches administratives des entreprises », « Faciliter l’accès de toutes les entreprises à la commande publique », « Simplifier les obligations pesant sur l’organisation et le fonctionnement des entreprises », « Faciliter et sécuriser le règlement des litiges », « Aligner les droits des très petites entreprises sur ceux des particuliers », « Faciliter l’essor de projets industriels et d’infrastructures », « Simplifier pour accélérer la transition énergétique et écologique de notre économie », « Simplifier pour innover », « Simplifier le développement des commerces » et « Assurer une simplification durable ».
5. Si une partie du projet de loi met en œuvre des propositions issues du rapport « Rendre des heures aux Français », remis le 15 février 2024 par cinq parlementaires, le Conseil d’Etat relève le caractère divers des dispositions proposées, dont certaines tendent à modifier le fond du droit sans pouvoir être rattachées à une démarche de simplification. Il propose, en conséquence, de compléter le titre du projet de loi et de l’intituler « projet de loi de simplification et portant diverses mesures d’ordre administratif ».
Simplifier les démarches administratives des entreprises
Simplifier les démarches
6. Le projet de loi prévoit d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi afin, d’une part, de transformer certains régimes d’autorisation administrative en régimes de déclaration préalable et de supprimer certains régimes de déclaration préalable, d’autre part, de modifier ou de supprimer des formulaires, procédures et déclarations redondantes.
7. En premier lieu, le Conseil d’Etat constate que l’étude d’impact jointe au projet d’article, si elle est satisfaisante s’agissant du second de ces objectifs, ne fait en revanche pas suffisamment ressortir la situation actuelle quant au nombre des régimes d’autorisation administrative ou de déclaration préalable obligatoire existants et ne donne pas d’indication sur l’ampleur des mesures que le Gouvernement envisage de prendre.
8. En deuxième lieu, aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : « l'article 38 de la Constitution fait obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention » (décision 2023-855 DC du 16 novembre 2023, point 14).
9. A cet effet, le Conseil d’Etat propose de compléter les dispositions proposées afin de faire ressortir avec davantage de clarté leur finalité d’allègement des contraintes pesant sur les entreprises et les professionnels et d’ajouter une précision selon laquelle la suppression de certains régimes de déclaration préalable obligatoire doit être réservée aux régimes pour lesquels le respect des règles de droit concernées peut être assuré par d’autres moyens, de façon à circonscrire le domaine d’intervention des ordonnances à venir à l’allègement des seules obligations procédurales des entreprises, sans affecter l’effectivité des règles de fond qui leur sont applicables. Il estime, au vu de la décision n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004, par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les habilitations contenues dans la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, dont l’une était rédigée en des termes voisins de ceux proposés, que le texte ainsi modifié ne méconnaît pas l’article 38 de la Constitution.
Faciliter l’accès de toutes les entreprises à la commande publique
Faciliter l’accès à la commande publique en ligne
10. Le projet de loi impose aux personnes morales de droit public, à l’exception des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements, ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale d'utiliser, lorsqu’ils passent des marchés publics ou des concessions, la plateforme de dématérialisation, que le droit de l’Union ainsi que des dispositions réglementaires existantes dénomment « profil d’acheteur », mise gratuitement à leur disposition par l’Etat. Cette obligation sera progressivement appliquée, jusqu’à la fin de l’année 2028, aux différentes catégories d’acheteurs et de concessionnaires.
11. Le Conseil d'Etat estime que cette règle nouvelle relève de la loi en tant qu'elle apporte une limitation à la liberté contractuelle de personnes autres que l'Etat et ses établissements publics, en les privant de la possibilité de recourir au prestataire de leur choix. Il considère que cette limitation n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, qui est de faciliter l'accès des candidats et soumissionnaires aux documents des consultations ainsi que l'envoi en retour de leurs propres documents et d’assurer ainsi plus efficacement la mise en œuvre des principes fondamentaux de la commande publique que sont la liberté d'accès, l'égalité de traitement et la transparence.
12. Si aucune disposition conventionnelle ne fait obstacle à la mesure, le Conseil d'Etat relève qu'elle constitue, au sens de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, une « règle technique » en tant qu'elle interdit, de facto, aux prestataires proposant actuellement des profils d'acheteur à titre onéreux de fournir leurs services aux personnes soumises à l'obligation. Il prend acte de ce que le Gouvernement notifiera à ce titre la mesure à la Commission européenne avant son adoption.
Unifier le contentieux de la commande publique devant le juge administratif
13. Le projet de loi élargit le champ de la disposition figurant à l’article L. 6 du code de la commande publique qui qualifie de contrats administratifs les contrats relevant de ce code passés par des personnes morales de droit public autres que ceux mentionnés au livre V de sa deuxième partie et au livre II de sa troisième partie (contrats dit « exclus ») : cette qualification, qui entraîne la compétence de la juridiction administrative, est étendue aux contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices de droit privé, c’est-à-dire notamment par les « personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial », au sens du 2° de l'article. L. 1211-1 de ce code.
14. Il s’agit ainsi de généraliser la solution qui a été retenue en 2019 pour la société SNCF Réseau, en vertu de l'article L. 2111-9-4 du code des transports, aux autres entreprises publiques, mais aussi aux organismes de sécurité sociale, aux sociétés d'habitation à loyer modéré, aux sociétés d'économie mixte locales, aux sociétés publiques locales et à divers autres organismes, dont les associations principalement financées sur ressources publiques. Actuellement, les contrats que ces personnes de droit privé passent avec d'autres personnes privées et qui relèvent du droit de la commande publique sont, en vertu de la jurisprudence et sauf cas prévus par la loi, des contrats de droit privé ressortissant de la compétence du juge judiciaire, en dehors de l'hypothèse très restreinte où ces personnes agissent en tant que mandataire d'une personne publique.
15. Le Gouvernement fait valoir dans l’étude d’impact que les règles en matière de passation des marchés et concessions relevant du droit de la commande publique sont, quelles que soient les personnes concernées, issues des mêmes directives européennes du 26 février 2014 et fixées par les mêmes dispositions nationales et que ces règles constituent un régime juridique marqué par le droit public. Il estime qu’il est en conséquence d’intérêt général, en termes de sécurité juridique pour les entreprises et de bonne administration de la justice, que leur respect soit en totalité assuré par la juridiction administrative, dont relève déjà la très grande majorité des contentieux en cause, notamment en ce qui concerne les référés précontractuels.
16. Il souligne que les personnes de droit privé concernées appartiennent à la sphère publique au sens large, raison même pour laquelle elles sont soumises au droit de la commande publique en vertu du droit européen, et que certains de leurs contrats ont un objet plus « administratif », car en lien avec la satisfaction de leurs besoins d’intérêt général, que ceux, pourtant passés par une personne publique, qui portent, par exemple, sur l’acquisition de simples fournitures. Cette mesure permet également, selon le Gouvernement, de mettre fin à des incertitudes sur l’ordre de juridiction compétent. Enfin, le transfert proposé a pour effet de généraliser, pour les candidats évincés, le recours en contestation de la validité du contrat qui existe devant la juridiction administrative (CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994), mais pas devant le juge judiciaire, ce qui a d’ailleurs été constaté par certains candidats évincés (cf. Conseil constitutionnel, décision n° 2020-857 QPC du 2 octobre 2020 - Société Bâtiment mayennais).
17. Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel juge que le législateur peut, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé, et ainsi déroger aux « règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire » (Conseil constitutionnel, n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, cons. 15 et 16 ; n° 2019 807 QPC du 4 octobre 2019, paragr. 6), « lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire » (Conseil constitutionnel, n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, cons. 19 et 20 ; n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, cons. 36).
18. En élargissant la compétence du juge administratif, pour les motifs mentionnés aux points 15 et 16 ci-dessus, le projet de loi prolonge une démarche engagée par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, dite « loi Murcef », qu’exprime aujourd’hui l’article L. 6 du code de la commande publique, et crée un « bloc de compétences » conforme à la jurisprudence précitée. Dès lors, et la mesure ne soulevant par ailleurs pas de difficulté d’ordre conventionnel, le Conseil d’Etat estime qu’elle ne se heurte à aucun obstacle juridique.
19. Le Conseil d’Etat observe qu’il convient toutefois de ne pas surestimer les avantages de la mesure en termes de simplification pour les entreprises. Le partage actuel du contentieux ne conduit que très rarement à des difficultés quant à la désignation du juge compétent ou à des divergences d’interprétation entre les deux ordres de juridiction. Par ailleurs, la mesure peut à son tour soulever des interrogations ou complications, pour les acheteurs et leur co-contractants, car une partie de l’activité des organismes privés concernés sera désormais de la compétence du juge administratif tandis qu’ils continueront de relever, pour le reste, du juge judiciaire. Enfin, le juge administratif pourra être saisi, au titre de l'exécution des contrats relevant actuellement du juge judiciaire, de questions nouvelles pour lui.
20. Le Conseil d’Etat souligne que l'étude d'impact, si elle affirme que « la volumétrie du contentieux concerné est faible », ne comporte, en l'état, aucun élément chiffré sur le nombre des personnes, des contrats et des affaires concernés. Le Conseil d'Etat invite donc le Gouvernement à compléter cette étude avant le dépôt du projet de loi au Parlement, en vue notamment d’apprécier la charge de travail supplémentaire qui incombera à la juridiction administrative au titre de la passation et, surtout, de l'exécution des contrats en cause ainsi que les moyens dont elle aura en conséquence besoin. Il conviendra, en particulier, d'intégrer les éléments relatifs au traitement de référés précontractuels par le juge judiciaire ainsi que les données issues du recensement des contrats soumis au code de la commande publique d'un montant supérieur à 90 000 euros qui ont été transmises au Conseil d’Etat lors de l'examen du texte. Selon celles-ci, si les acheteurs privés représentent environ 5 % des acheteurs publics, leurs contrats représentent une part non négligeable, évaluée entre 10 et 15 %, de ceux qui relèvent déjà de la juridiction administrative, ce qui pourrait représenter jusqu’à 600 affaires supplémentaires.
21. Le Conseil d'Etat note qu'il reviendra à la jurisprudence de préciser, pour les contrats nouvellement qualifiés d'administratifs, les modalités de mise en œuvre des règles générales de la commande publique qui sont énoncées à l'article L. 6 du code de la commande publique, s'agissant en particulier des pouvoirs de modification et de résiliation unilatérales ou de la théorie de l'imprévision. Il observe que si les modifications du code civil issues de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, ont atténué les différences avec ces règles générales, celles qui subsistent expliquent que certains organismes de droit privé, comme les SA d'HLM, aient sollicité la présente mesure, afin de pouvoir se référer aux cahiers des clauses administratives générales.
22. Compte tenu des conséquences que la mesure comporte pour la rédaction des contrats à venir, le Conseil d'Etat propose de différer la date d'entrée en vigueur de l’article au premier jour du troisième mois suivant la publication de la loi, avec application aux contrats pour lesquels la consultation a été engagée ou un avis d'appel à la concurrence a été envoyé à la publication à compter de cette date. Par ailleurs, il suggère d’abroger totalement les dispositions mentionnées plus haut de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001 dite « Murcef », qui n’ont plus de portée propre.
Simplifier les obligations pesant sur l’organisation et le fonctionnement des entreprises
Faciliter les processus de cessions d'entreprises en réduisant le délai d’information préalable des salariés
23. Le projet de loi modifie les dispositions du code de commerce, issues de la loi du
31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire et modifiées par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, relatives à l’obligation d’information préalable des salariés dans les entreprises de moins de 250 salariés en cas d’intention de leur propriétaire de vendre le fonds de commerce ou des participations représentant 50 % des parts sociales ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital de la société. Il prévoit, dans les seules entreprises ne disposant pas d’un comité social et économique (CSE) à attributions élargies, de réduire de deux mois à un mois le délai avant la conclusion de la vente dans lequel les salariés doivent être informés de cette intention de vente et de 2 % à 0,5 % du montant de la vente l’amende encourue en cas de défaut d’information des salariés.
24. L’étude d’impact indique que l’objectif du projet de loi est de réduire la charge administrative des entreprises et d’assouplir les modalités d’information des salariés de nature à dissuader les potentiels acquéreurs. Le Conseil d’Etat souligne que l’étude d’impact devrait être complétée en ce qui concerne l’application des dispositions en vigueur que le projet propose de modifier. Le Conseil d’Etat ne peut que constater qu’en l’état elle ne fait apparaître aucune difficulté particulière tenant à l’obligation d’information préalable des salariés et, notamment, n’établit pas que cette obligation compromettrait des projets de vente. Il note, à cet égard, l’absence d’évaluation des dispositifs créés par la loi du 31 juillet 2014 et préconise de préciser l’étude d’impact sur ce point.
25. Le Conseil d’Etat estime que les modifications apportées aux modalités de l’obligation d’information préalable des salariés et à la sanction de sa méconnaissance, qui ne concernent que les entreprises qui n’ont pas mis en place un CSE à attributions élargies, soit les plus petites entreprises, ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel, notamment au regard du principe d’égalité.
Faciliter et sécuriser le règlement des litiges
Adapter les régimes des sanctions pesant sur les chefs d'entreprises
26. Le projet prévoit d’abroger les dispositions du code de commerce qui punissent d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 75 000 euros le fait, pour les dirigeants d'une entreprise, de mettre obstacle aux vérifications ou contrôles des auditeurs des informations en matière de durabilité, ou de leur refuser la communication sur place de toutes les pièces utiles à l'exercice de leur mission.
27. Le Conseil d’Etat invite le Gouvernement à compléter l’étude d’impact d’éléments de comparaison avec d’autres Etats-membres de l’Union européenne permettant de déterminer si et dans quelle mesure ces autres Etats ont prévu une telle infraction.
28. Il observe, ensuite, que la création de cette infraction, par l’ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales, est très récente et que les motifs invoqués à l’appui de sa suppression, tirés de ce que les normes applicables aux informations que les entreprises sont tenues de fournir en matière de durabilité sont encore en voie d’élaboration, auraient pu être anticipés par le Gouvernement lorsque cette ordonnance a été prise. Il relève, néanmoins, que cette suppression ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel et ne méconnaît notamment pas la directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dont l’ordonnance précitée a assuré la transposition, qui ne prescrit pas que son respect soit assuré par l’édiction de sanctions pénales.
Accélérer le traitement des requêtes devant la juridiction administrative
29. Le projet de loi supprime la condition de détention du grade de premier conseiller à laquelle est subordonnée la désignation, dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, comme juge des référés. Il élargit les fonctions susceptibles d’être confiées aux magistrats honoraires des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, en leur permettant de compléter une formation de jugement, d’accomplir les diligences utiles pour assurer l'exécution d’une décision juridictionnelle et permet que ces magistrats puissent assurer les missions pouvant être déléguées à un conseiller désigné à cette fin en application des articles L. 123 3 à L. 123 18 du code de l’environnement. Ces dispositions sont, comme l’ensemble du code de justice administrative, sauf exceptions ou dérogations explicitement mentionnées, applicables outre-mer.
Le Conseil d’Etat considère donc que la disposition qui vise à les rendre applicables sur l’ensemble du territoire de la République est inutile et, en conséquence, propose de ne pas la retenir. Ces dispositions n’appellent pas d’autres observations de la part du Conseil d’Etat.
Clarifier l’étendue de la subrogation du régime de garantie des salaires (AGS) dans les procédures collectives
30. L’article L. 625-8 du code de commerce prévoit les modalités de paiement des créances salariales dites « superprivilégiées » qui doivent, à défaut de disponibilités, être acquittées sur les premières rentrées de fonds après l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Le risque de non-paiement des sommes dues aux salariés en exécution du contrat de travail est par ailleurs assuré par une association créée par les organisations nationales professionnelles d'employeurs représentatives, dite « AGS ».
31. Le projet de loi, qui fait suite à une jurisprudence récente de la Cour de cassation (Chambre commerciale, 17 janvier 2024, n° 22-19.451), précise que ce droit des salariés est exclusivement attaché à leur personne au sens de l'article 1346-4 du code civil, contrairement à ce qu’a jugé la Cour par son arrêt. Il fait ainsi échec à sa transmission, par subrogation, à l’AGS. Par ailleurs, le projet de loi prévoit que les créances superprivilégiées dont l’AGS est subrogataire peuvent, sans attendre leur admission, bénéficier du paiement provisionnel prévu à l’article L. 643-3 du code de commerce. Il a donc pour effet de supprimer l’accès de l’AGS à un remboursement rapide des créances qu’elle détient sur les premières rentrées de fonds, dès après l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, tout en lui ouvrant, à titre de compensation selon la présentation de la mesure par le Gouvernement, la possibilité d’un remboursement par paiement provisionnel en amont de la répartition finale.
32. Le Conseil d’Etat estime cependant que ces dispositions, qui visent à préserver la trésorerie des entreprises en difficulté, ne méconnaissent aucun principe constitutionnel ou conventionnel en tant qu’elles s’appliqueront aux procédures collectives futures.
Il considère que des dispositions transitoires sont nécessaires pour éviter qu’elles s’appliquent à des créances pour lesquelles la subrogation aurait déjà été opérée et propose de modifier, à cet effet, le texte du projet de loi en accord avec le Gouvernement.
Il propose, par ailleurs, de compléter le projet de loi pour corriger, au sein de l’article L. 625-8 du code de commerce, des références obsolètes à une ancienne version du code du travail.
Aligner les droits des très petites entreprises sur ceux des particuliers
Aligner le droit des très petites entreprises sur celui des particuliers en matière bancaire
33. Le projet de loi précise, en premier lieu, que la gratuité de la clôture des comptes, prévue au I de l’article L. 312-1-7 du code monétaire et financier, s’applique aux personnes physiques et morales. Cette précision, proposée par le Gouvernement pour mettre fin à la facturation de frais de clôture des comptes par certains établissements de crédit en dépit des dispositions existantes, ne change toutefois pas l’état du droit, qui prévoit déjà une telle gratuité sans distinction de personnes. Par suite, la mesure n’emporte en elle-même aucune conséquence sur la situation juridique des établissements de crédit. Le Conseil d’Etat considère, néanmoins, qu’elle peut être retenue à des fins de lisibilité et de clarté du droit et pour prévenir d’éventuels litiges.
34. En second lieu, le projet de loi exige des établissements de crédit qu’ils envoient gratuitement un relevé annuel de frais bancaires aux très petites entreprises (TPE), comme c’est déjà le cas pour les particuliers. Le Conseil d’Etat estime, au vu de la description par le Gouvernement de l’impact de la mesure, que l’atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle des établissements de crédit qu’elle emporte est très limitée et qu’elle est justifiée par l’intérêt général qui s’attache à la transparence des frais bancaires pour les deux millions de TPE concernées.
Simplifier et faciliter les relations avec les prestataires de services d’assurance
35. Le projet de loi comporte trois mesures visant à renforcer les droits des assurés. Il généralise à tous les contrats d’assurance de dommages et de personnes l’obligation pour l’assureur de motiver sa décision de résiliation unilatérale du contrat. Il met en place pour les contrats d’assurance de dommages un dispositif encadrant les délais d’indemnisation des assurés. Il ouvre, enfin, à l’assuré, pour les contrats d’assurance couvrant les dommages directs à des biens à usage professionnel, la faculté de résilier sans frais ni pénalités, après expiration d’un délai d’un an à compter de la première prise d’effet, les contrats et adhésions tacitement reconductibles. Le Gouvernement souhaitant limiter le champ de cette faculté, déjà ouverte aux personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles, uniquement aux petites entreprises et à l’exclusion de certains contrats, le Conseil d’Etat estime qu’il revient au législateur de définir le champ d’application de cette disposition. Il suggère de modifier en conséquence, en accord avec le Gouvernement, le texte proposé en indiquant que la faculté de résiliation est réservée aux petites entreprises, définies selon des critères fixés par décret en Conseil d’Etat, et que certains contrats, dont la liste est établie par ce même décret, sont exclus de son champ d’application.
36. Par ailleurs, le Conseil d’Etat précise également en accord avec le Gouvernement, que la nouvelle faculté de résiliation offerte aux petites entreprises ainsi que le dispositif encadrant les délais d’indemnisation des assurés ne s’appliquent qu’aux contrats conclus ou tacitement reconduits à compter de la publication des décrets d’application de ces dispositions.
Faciliter l’essor de projets industriels et d’infrastructures
Faciliter la conduite de projets stratégiques
37. Le projet de loi ouvre la possibilité, pour certains projets d’infrastructures concourant à la transition énergétique, de déroger aux obligations d'allotissement et de paiement direct fixées par les articles L. 2113-10 et L. 2193-11 du code de la commande publique.
38. Le Conseil d'Etat propose d’inscrire ces deux mesures, dans un article distinct des dispositions qui les précèdent et admet de ne pas les codifier en raison de leur caractère spécifique. Il estime nécessaire d’unifier et de préciser leur champ d'application en le recentrant, d'une part, sur les projets d’installation de production d’énergie renouvelable en mer et les études associées à la réalisation de telles installations et, d'autre part, sur les projets de création ou de modification d'ouvrages du réseau public de transport et de postes de transformation entre les réseaux publics de transport et de distribution. Il renvoie à des décrets le soin de fixer les seuils en puissance électrique et en montant auxquels sont respectivement soumises les deux dérogations.
39. Sur le fond, le Conseil d'Etat considère que la dérogation au principe d'allotissement des marchés ne soulève pas de difficulté d’ordre constitutionnel ou conventionnel. Il estime que la dérogation, inédite, au principe de paiement direct se justifie, en l'espèce, par les contraintes administratives que ce principe fait peser sur les acheteurs principalement concernés, à savoir l'Etat et la société RTE, alors que les titulaires des marchés en cause présentent généralement des garanties financières importantes. Le Conseil d'Etat propose d’étendre l'application des dispositions des articles 12 et 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance qui prévoient, respectivement, une action directe à l'encontre du maître de l'ouvrage et un dispositif de caution ou à défaut une délégation de paiement.
Accélérer et simplifier les déploiements des réseaux mobiles
40. En vertu de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, les décisions d’urbanisme créatrices de droits peuvent être retirées dans un délai de trois mois, en cas d’illégalité. L’article 222 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 d’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi « ELAN »), a prévu, à titre expérimental, que, par dérogation au code de l'urbanisme et jusqu'au 31 décembre 2022, les décisions d'urbanisme autorisant ou ne s’opposant pas à l’implantation d’antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d’accroche et leurs locaux et installations techniques favorables ne peuvent pas être retirées.
41. Le projet de loi prévoit de rétablir cette mesure, de manière pérenne.
Le Conseil d’Etat estime, d’une part, que l’impossibilité de retirer un acte individuel créateur de droits, même illégal, n’est pas sans précédent. Le législateur l’avait ainsi prévue pour les décisions de non opposition à déclaration préalable de travaux, entre 2006 et 2014, par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, avait auparavant retenu une solution identique en ce qui concerne les décisions implicites d’acceptation (Section du 14 novembre 1969, Sieur Eve, n° 74930), à laquelle a mis fin l’intervention de l’article 23 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration.
Il estime, d’autre part, que la mesure proposée, motivée par l’intérêt général qui s’attache à la couverture rapide de l’ensemble du territoire par les réseaux de téléphonie mobile à haut débit et à très haut débit, n’est pas contraire au principe d’égalité et ne méconnaît pas le droit au recours (voir, en ce sens, CE, 11 décembre 2019, Commune de Locronan, n° 434741, au sujet du non-renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 222 de la loi ELAN du 23 novembre 2018).
Il en déduit que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
42. Le Conseil d’Etat regrette toutefois que l’interdiction de retrait prévue par le projet de loi soit pérennisée sans qu’un bilan de l’expérimentation qui l’a précédée n’ait été effectué, comme cela était prévu, et relève que l’étude d’impact devrait être complétée pour préciser le nombre de retraits susceptibles d’être empêchés par cette mesure.
43. Le projet de loi tend par ailleurs à consolider et à renforcer l’efficacité des dispositions de l’article L. 34-9-1-1 du code des postes et des communications électroniques en prévoyant, en cas d’acquisition ou de prise à bail d’un emplacement accueillant ou destiné à accueillir une infrastructure de téléphonie mobile, une obligation d’information du maire de la commune et la production d’un engagement d’un opérateur de téléphonie mobile d’exploiter l’infrastructure concernée. Le Conseil d’Etat estime, au vu de la description faite par le Gouvernement de l’impact de la mesure, que l’atteinte à l’exercice du droit de propriété et à la liberté contractuelle des parties qu’elle emporte est limitée et justifiée par l’intérêt général qui s’attache à assurer l’exhaustivité de la couverture numérique du territoire tout en évitant la redondance des implantations d’équipements, dans le but de préserver les ressources foncières et l’environnement.
Simplifier pour accélérer la transition énergétique et écologique de notre économie
Moderniser le droit minier pour faciliter la transition énergétique
44. Le projet de loi modifie le code minier afin d’accélérer la procédure de délivrance des permis exclusifs de recherches minières, de permettre l’octroi d’une prolongation exceptionnelle de la durée de ces permis, de clarifier les dispositions permettant au ministre chargé des mines de trancher les désaccords entre le demandeur d’un titre minier et le titulaire d’un titre existant auquel viendrait se superposer le titre sollicité, et d’intégrer le stockage souterrain de dioxyde de carbone parmi les usages auxquels des puits d’hydrocarbures peuvent être affectés.
45. Le Conseil d’Etat estime que, sous réserve de modifications rédactionnelles qui ont recueilli l’accord du Gouvernement et de la nécessité d’adapter, en conséquence, l’étude d’impact, ces dispositions, qui ne méconnaissent aucune norme constitutionnelle ou conventionnelle, n’appellent pas d’observations particulières.
46. En revanche, il ne peut examiner les dispositions du projet de loi modifiant divers articles du code minier relatifs à l’outre-mer, dans leur rédaction applicable à compter du 1er juillet 2024, afin de prévoir que les autorisations préfectorales d’exploration ou d’exploitation de mines, ainsi que les autorisations de recherches minières, propres à l’outre-mer, valent autorisation d’occupation du domaine public ou privé de l’Etat.
47. Il constate, en effet avec regret, que le délai accordé au conseil départemental de la Guadeloupe, au conseil régional de la Guadeloupe, à l’assemblée de Martinique et à l’assemblée de Guyane pour se prononcer sur ces dispositions, qui constituent des adaptations applicables aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution et requièrent, comme telles, que les organes compétents des collectivités concernées soient consultés préalablement à l’examen du projet de loi par le Conseil d’Etat, n’est pas expiré.
Simplifier les obligations relatives au biogaz
48. Le projet de loi abroge l'article L. 446-1 du code de l’énergie qui impose la réalisation d’un bilan carbone des projets éligibles aux dispositifs de soutien à la production de biogaz, dans le cadre des procédures de mise en concurrence dont ils font l’objet. Cette obligation introduite en 2019 (article 30 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat) et complétée en 2023 (article 89 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables) vise à s’assurer de l’importance de la « décarbonation » à laquelle contribuent les projets et à effectuer une distinction entre projets concurrents, le bilan étant pris en compte dans leur notation.
49. Les mêmes projets sont toutefois soumis désormais à l’obligation de respecter les « critères de durabilité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre » prévus par les articles L. 281-1 à L 281-13 du code de l’énergie, qui ont transposé en 2021 la directive dite « RED II » (directive (UE) 2018/2001 du Parlement et du Conseil européen du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables). Ces critères fixent des seuils de réduction d’émissions de gaz à effet de serre élevés, auxquels doivent satisfaire ces projets pour bénéficier d’avantages fiscaux et d’aides publiques. Le Conseil d’Etat estime ainsi que l’objectif poursuivi par l'article L. 446-1 du code l’énergie pourra désormais être atteint globalement par la seule application de ces critères, les cahiers des charges pouvant, en tout état de cause, retenir des critères de sélection complémentaires entre projets ayant une finalité semblable.
50. Si la disparition de l’obligation de réaliser un bilan carbone pour les installations de production de biogaz ne pose ainsi pas de difficulté au regard des objectifs de développement d’énergies renouvelables, le Conseil d'Etat relève que cette obligation demeure pour les projets de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et d’hydrogène, pour lesquels elle est prévue par les articles L. 314-1 A et L. 812-3 du code de l’énergie et reste pertinente.
Simplifier pour innover
Faciliter l’innovation issue de la recherche
51. En vue de simplifier les démarches administratives des promoteurs de recherches scientifiques impliquant la personne humaine, le projet de loi modifie les dispositions des articles L. 1221-12, L. 1235-1 et L. 1245-5-1 du code de la santé publique, afin de dispenser les promoteurs dûment autorisés à mettre en œuvre une recherche de l’obligation de solliciter l’autorisation d’importer ou d’exporter les éléments et produits du corps humain nécessaires à la réalisation de cette recherche. Le Conseil d’Etat estime que cette modification ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel et relève que la dispense, dans cette hypothèse, de l’autorisation du ministre chargé de la recherche et de l’avis de l’Agence de biomédecine constitue une véritable mesure de simplification, tant pour les promoteurs de recherche que pour l’administration, qui se bornait à vérifier que la recherche était autorisée.
52. En vue de simplifier le recours, dans le domaine de la santé, aux traitements de données de santé à caractère personnel et leur utilisation à des fins de recherche, le projet de loi modifie les dispositions des articles 65, 66 et 73 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il facilite l’élaboration de référentiels par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et fait de la déclaration de conformité à ces référentiels la procédure de droit commun, seuls les traitements ne correspondant à aucun référentiel devant continuer à donner lieu à une autorisation préalable par la CNIL. Ces dispositions, qui ont pour objet de généraliser la procédure de déclaration de conformité à des référentiels et méthodes de référence existant d’ores et déjà, n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’Etat.
53. Les dispositions du projet de loi modifiant l’article 76 de la même loi ont pour objet de simplifier la procédure d’autorisation de traitements de données de santé à des fins de recherche, d’étude ou d’évaluation dans le domaine de la santé n’impliquant pas la personne humaine, en prévoyant une dispense de l’avis du comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (CESREES) lorsque le projet de traitement fait l’objet d’un avis favorable d’un comité scientifique et éthique local dont le fonctionnement respecte un cahier des charges établi au niveau national par le ministre en charge de la santé pris après avis du CESREES. Eu égard à la diversité des cas de figure envisageables, notamment pour les demandes susceptibles d’être soumises à plusieurs comités scientifiques et éthiques locaux, le Conseil d’Etat estime que les conditions dans lesquelles cette dispense s’appliquera devront être définies par décret en Conseil d’Etat pris après avis de la CNIL. Il relève également que la CNIL a émis le souhait d’être associée à l’élaboration du cahier des charges prévu par le projet et de disposer d’avis motivés des comités scientifiques et éthiques locaux.
Intégrer l’innovation dans le mandat de la Commission nationale de l’informatique et des libertés
54. Le projet de loi prévoit de modifier l’article 8 de la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés afin d’intégrer la prise en compte des enjeux d’innovation dans l’ensemble des missions de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Le Conseil d’Etat note pourtant que les missions confiées à la CNIL par le législateur prennent déjà en compte les avancées technologiques et leurs conséquences puisque le 4° du I de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 prévoit qu’elle se tient informée de l'évolution technologique et rend publique le cas échéant son appréciation des conséquences qui en résultent pour l'exercice des droits et libertés qu’elle doit protéger. A ce titre elle « propose au Gouvernement les mesures législatives ou réglementaires d'adaptation de la protection des libertés à l'évolution des procédés et techniques informatiques et numériques ; (…) e) Elle conduit une réflexion sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par l'évolution des technologies informatiques et numériques ; f) Elle promeut, dans le cadre de ses missions, l'utilisation des technologies protectrices de la vie privée, notamment les technologies de chiffrement des données ; ».
55. La prise en compte de l’innovation est ainsi au cœur de la mission de la CNIL, ce dont témoigne l’action qu’elle conduit. Le Conseil d’Etat relève que l’étude d’impact ne fournit aucune justification pour cet ajout, qu’il estime dépourvu de précision et redondant donc dénué de portée normative. La seule invocation de l’intelligence artificielle par l’étude d’impact, dont au demeurant la CNIL traite déjà, et alors que le règlement européen prévoit la désignation d’un régulateur national, dont le Conseil d’Etat a déjà indiqué, dans son rapport de 2022 « Pour une IA de confiance » qu’il estimait que ce rôle devrait revenir à la CNIL, ne suffit pas à justifier cette allusion aux enjeux de l’innovation. Le Conseil d’Etat propose, par voie de conséquence, de ne pas retenir ces dispositions.
Simplifier le développement des commerces
Fluidifier les relations entre bailleurs et commerçants
56. Le projet de loi institue le droit optionnel, pour le preneur à bail commercial de certains locaux commerciaux (commerce de gros ou de détail, prestations de service commerciales ou artisanales), de payer le loyer de façon mensuelle, indépendamment du terme convenu dans le bail. De plus, il plafonne les sommes payées à titre de garantie par le preneur au montant des loyers dus au titre d’un trimestre. Ces mesures, en tant qu’elles s’appliqueront aux baux commerciaux conclus à compter de l’entrée en vigueur de la loi, ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
57. Afin de donner leur plein effet à ces dispositions destinées, selon le Gouvernement, à assurer un meilleur équilibre des relations contractuelles entre les bailleurs et ces preneurs, qui sont confrontés à des difficultés structurelles et conjoncturelles, et à faciliter à court terme la gestion de la trésorerie de ces derniers, celui-ci souhaite les rendre applicables aux contrats en cours. Ainsi, le projet de loi aurait pour conséquence que les sommes versées à titre de garantie par les preneurs dans le cadre de baux déjà en cours d’exécution et excédant le nouveau plafond soient remboursées par les bailleurs.
58. Le Conseil d’Etat estime que la mise en place d’un droit optionnel pour le preneur du contrat de bail d’acquitter le loyer par paiement mensuel ne porte pas aux contrats légalement conclus une atteinte disproportionnée, eu égard aux effets limités de cette mesure pour les bailleurs et aux motifs d’intérêt général invoqués par le Gouvernement, soucieux de faciliter la gestion de trésorerie des commerçants et de soutenir la pérennité des commerces nouvellement créés, en réduisant les sommes pouvant être exigées des preneurs en début de bail. En revanche, il considère que l’obligation pour les bailleurs de restituer de manière anticipée les sommes déjà payées à titre de garantie et excédant le nouveau plafond fixé par le projet de loi porte une atteinte excessive au droit au maintien des baux commerciaux en cours d’exécution.
59. En effet, d’une part, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel « qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 » (décision 2015-715 DC du 5 août 2015, point 22). Or, à cet égard, l’étude d’impact fournie par le Gouvernement ne permet pas de caractériser l’ampleur des pratiques contre lesquelles ce dernier entend agir et d’assurer ainsi que la mesure envisagée permettrait d’atteindre l’objectif consistant à améliorer la situation de trésorerie des petits commerçants. De plus, cet objectif ne peut, à lui seul, justifier une mesure qui pèsera exclusivement sur les bailleurs et dont les effets pour ces derniers ne peuvent, là encore, être évalués de manière précise au vu de l’étude d’impact. Cette dernière, enfin, ne fournit aucune indication sur une éventuelle inadéquation entre le montant des dépôts de garantie concernés et le niveau des risques que ces dépôts ont vocation à couvrir.
D’autre part, une telle disposition pourrait se heurter aux stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui ne permettent au législateur de s’ingérer dans des contrats en cours qu’à la condition que l’application à ces derniers de la loi nouvelle soit adéquate et proportionnée à un but légitime (CEDH, Mellacher et autres c/ Autriche, 19 décembre 1989, série A n° 169, p. 27, § 50).
60. En conséquence, eu égard au risque constitutionnel et conventionnel pesant sur cette mesure, le Conseil d’Etat suggère de modifier les dispositions relatives à son entrée en vigueur afin d’en réserver l’application aux baux conclus à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi.
Faciliter l'installation et le déplacement des commerces
61. L'article L. 752-17 du code de commerce, qui définit les personnes pouvant introduire un recours contre la décision ou l’avis des commissions d’aménagement commercial en matière d’autorisation d'exploitation commerciale, accorde cette possibilité au « professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ». Le projet de loi entend renforcer cet encadrement en exigeant que l’activité du requérant soit susceptible d’être affectée de manière significative, directe et certaine.
62. L’atteinte qui pourrait ainsi être portée au droit, conventionnellement et constitutionnellement garanti, d’exercer un recours effectif, est motivée, selon le Gouvernement, par les taux élevés de recours devant la commission nationale d’aménagement commercial et devant le juge administratif, ainsi que par le pourcentage également élevé des décisions de rejet, indices du caractère dilatoire d’un nombre non négligeable de ces recours, qu’un renforcement des conditions posées pour l’intérêt à agir permettrait d’écarter. Le Conseil d’Etat considère cependant que ces justifications doivent être davantage étayées dans l’étude d'impact.
63. Les conditions relatives au caractère direct et significatif de l’atteinte à l’activité du requérant prévues dans le projet de loi épousent largement l’interprétation et l’application des textes faites par la jurisprudence. La condition du caractère « direct » de l’atteinte à l’activité du requérant rejoint la notion générale d’intérêt pour agir (qui doit être né, direct, actuel, personnel et légitime) et présente d’ailleurs l’avantage de renforcer la cohérence de la rédaction de l'article L. 752-17 du code de commerce avec les critères de l’intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme posés par l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, puisque, lorsque le projet nécessite un permis de construire, c’est celui-ci qui tient lieu d’autorisation d'exploitation commerciale. La condition du caractère « significatif » de l’atteinte à l’activité du requérant vise à qualifier l’intérêt pour agir de manière plus précise, afin que le requérant apporte, au soutien de son recours, des éléments pertinents pour évaluer l’incidence que le projet d’installation commerciale est susceptible d’avoir sur son activité.
64. Le Conseil d’Etat ne peut, en revanche, retenir la condition tenant à ce que l’activité soit « susceptible » d’être affectée de manière « certaine », une telle condition étant contradictoire dans les termes. Il relève en outre que la jurisprudence n’exige pas de l’auteur d’un recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci (CE, 27 janvier 2020, Société Sodipaz et autres, n° 423529).
S’il considère, sous cette réserve, que la modification de la rédaction de l’article L. 752-17 du code de commerce que prévoit le projet de loi ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel, le Conseil d'Etat s’interroge cependant sur la réduction du contentieux attendue de cette mesure et relève que l’on ne peut pas exclure que les irrecevabilités opposées par la commission nationale d’aménagement commercial suscitent davantage de recours devant le juge administratif.
65. Le projet de loi ajoute, par ailleurs, à l'article L. 752-2 du code de commerce un nouveau cas d’exonération d’autorisation d'exploitation commerciale afin de faciliter les réorganisations au sein des ensembles commerciaux. Il permet à des magasins existants de déplacer leur activité dans des surfaces inexploitées depuis plus de trois ans au sein d’un même ensemble commercial, sans les soumettre à autorisation. Cette possibilité est strictement encadrée, cette exonération étant subordonnée à trois conditions cumulatives qui s’inscrivent bien dans le droit fil des exonérations existantes : faible surface des commerces concernés, absence d’augmentation de celle de l’ensemble commercial et interdiction de modifier l’emprise au sol du bâtiment concerné. Cette disposition n’appelle pas d’observation particulière de la part du Conseil d'Etat.
Faciliter les travaux des commerces
66. Les établissements recevant du public (ERP) qui font l’objet de travaux de création, d’aménagement ou de modification, doivent, en vertu des articles L. 122-3 et L. 122-5 du code de la construction et de l'habitation, obtenir une autorisation tant avant le début des travaux qu’avant l’ouverture au public de l’établissement. Ces autorisations sont destinées à garantir le respect des normes d’accessibilité aux personnes handicapées et de sécurité contre l’incendie.
67. Afin de réduire le délai dans lequel l’autorisation préalable aux travaux est accordée et devient définitive, le projet de loi y substitue une déclaration qui sera adressée à l’autorité compétente, accompagnée d’un document certifiant la conformité des travaux envisagés aux règles d’accessibilité et de sécurité contre l’incendie.
68. Le Conseil d'Etat ne voit aucun obstacle de principe à cette substitution d’un régime de déclaration préalable des travaux à un régime d’autorisation, dans la mesure où l’ouverture au public de l’ERP reste soumise à autorisation en application de l’article L. 122-5 mentionné précédemment. Mais il estime nécessaire d’encadrer plus strictement le dispositif proposé, eu égard aux enjeux d’accessibilité et de sécurité qu’il comporte, et d’en définir le champ d’application qui ne peut être renvoyé au pouvoir réglementaire. Le Conseil d'Etat suggère donc de compléter le projet de loi en précisant les établissements susceptibles de bénéficier de cette simplification, dont la surface doit être cohérente avec les exigences de la réglementation applicable aux ERP et qui doivent être situés dans un centre commercial disposant d’un système d’extinction adapté aux risques d’incendie, en prévoyant que la certification est établie par un tiers présentant des garanties de compétence et d’indépendance et en instituant enfin une possibilité d’opposition à cette déclaration. Il reviendra au pouvoir réglementaire d’en préciser les modalités d’application et de mise en œuvre.
Assurer une simplification durable
Instaurer un test petites et moyennes entreprises
69. Le projet de loi comporte une disposition se bornant à prévoir que l’administration évalue les conséquences prévisibles pour les petites et moyennes entreprises (PME) des projets de loi qui les concernent.
70. Le Conseil d’Etat considère que cette mesure ne peut être retenue car, ainsi rédigée, elle relève soit d'une circulaire prise par le Premier ministre à l'instar de celle du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales, soit d'une loi organique s'il s'agit de préciser le contenu des études d'impact dont l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution prévoit qu'elles « exposent avec précision : (…) / - l'évaluation des conséquences économiques (…) des dispositions envisagées pour chaque catégorie (…) de personnes (…) morales intéressées ».
71. Le Conseil d'Etat relève, en revanche, que s'il était prévu d'instituer une instance consultative chargée d’évaluer les normes applicables aux entreprises, sur le modèle du Conseil national de l'évaluation des normes, composée notamment de parlementaires, des dispositions législatives seraient nécessaires en vertu des articles LO. 145 et LO. 297 du code électoral.
Autres dispositions du projet
72. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ont pour objet notamment :
- de supprimer cinq commissions administratives dont l’utilité n’est plus avérée ;
- d’habiliter le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures permettant de créer de nouvelles procédures de rescrit au bénéfice des entreprises ;
- de modifier les dispositions du code du travail relatives au bulletin de paie pour prévoir que seront en outre mises à la disposition du salarié, par voie électronique, selon des modalités précisées par décret en Conseil d’Etat, des éléments n’ayant pas à figurer sur son bulletin de paie mais qui en faciliteront la compréhension et compléteront l’information de ce salarié ;
- de relever certains seuils de chiffre d’affaires au-delà desquels les opérations de concentration entre entreprises doivent être obligatoirement notifiées à l’Autorité de la concurrence ;
- en vue de promouvoir la médiation entre les entreprises et les organismes publics, de prévoir que l’administration met à la disposition du public les services d’un médiateur dans des domaines et dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’Etat et que la saisine du médiateur interrompt les délais de recours contentieux et suspend les délais de prescription ;
- d’aménager la répression des manquements à l’obligation pour les entreprises de communiquer les informations relatives à leurs bénéficiaires effectifs, en portant le quantum maximal de l’amende de 7 500 euros à 250 000 euros et en supprimant la peine d’emprisonnement de 6 mois ;
- d’habiliter le Gouvernement, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, à réformer par voie d’ordonnance, dans un délai de deux ans, le droit des contrats spéciaux régis par les titres VI à VIII, X à XIII du livre III du code civil (contrats de vente, d’échange, de louage de choses, de louage d’ouvrage, de prêt, de dépôt et de séquestre, les contrats aléatoires et le mandat) à l’effet d’en simplifier, clarifier ou compléter les règles pour en renforcer l’efficacité et les moderniser, ainsi qu’à adapter au droit des contrats spéciaux ainsi réformé les règles du droit commun des contrats afin d’améliorer leur articulation ;
- de tirer les conséquences de la décision n° 2023 1068 QPC du 17 novembre 2023 en prévoyant qu’en cas de saisie de droits incorporels leur mise à prix est fixée par le créancier, et en organisant un recours du débiteur ;
- de permettre de qualifier de projet d’intérêt national majeur (PINM) les projets de centres de données qui revêtent une importance particulière pour la transition écologique, la transition numérique ou la souveraineté nationale ;
- d’adapter les règles applicables aux mesures de compensation en matière de biodiversité ;
- de permettre de déroger aux plans locaux d’urbanisme pour installer sur les constructions des équipements produisant des énergies renouvelables ;
- de préciser, dans l'article L. 752-2 du code de commerce, quels magasins peuvent regrouper leurs surfaces de vente sans solliciter une autorisation d'exploitation commerciale ;
Ces dispositions n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’Etat, sous réserve de précisions et d’améliorations de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de retenir.
Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat dans son Assemblée générale du lundi 22 avril 2024.