Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État relatif à l'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
1. Le Conseil d’État a été saisi le 23 février 2024 d’un projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Ce projet de loi a donné lieu à quatre saisines rectificatives, les 28 février, 6, 18 et 19 mars 2024.
2. Le projet de loi comprend vingt articles regroupés en quatre titres. Le titre Ier est intitulé « Définir nos politiques en faveur du renouvellement des générations au regard de l’objectif de souveraineté alimentaire de la France ». Le titre II, intitulé « Former et innover pour le renouvellement des générations et les transitions en agriculture », est subdivisé en deux chapitres, respectivement intitulés « Objectifs programmatiques en matière d’orientation, de formation, de recherche et d’innovation » et « Mesures en faveur de l’orientation, de la formation, de la recherche et de l’innovation ». Le titre III, intitulé « Favoriser l’installation-des agriculteurs ainsi que la transmission des exploitations et améliorer les conditions d’exercice de la profession d’agriculteur », est subdivisé en deux chapitres, respectivement intitulés « Orientations programmatiques en matière d’installation des agriculteurs et de transmission des exploitations » et « Mesures en matière d’installation des agriculteurs et de transmission des exploitations ». Le titre IV est intitulé « Sécuriser, simplifier et libérer l’exercice des activités agricoles ».
3. L’étude d’impact, qui a été complétée le 21 mars, répond, dans l’ensemble, aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, pris pour l’application du troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution, sous réserve de sa partie relative aux dispositions tendant à accélérer la prise de décisions contentieuses, très insuffisamment motivée, ainsi que des remarques ponctuelles qui seront formulées à l’occasion de l’examen de certaines dispositions du texte.
4. Les dispositions du titre Ier et des chapitres Ier des titres II et III du projet énoncent des objectifs pour l’ensemble des politiques publiques, notamment en matière de souveraineté alimentaire, en matière d’orientation et de formation agricole, d’installation des nouveaux agriculteurs ainsi que de transmission des exploitations agricoles, et de mise en place progressive d’un dispositif de réalisation de diagnostics portant sur l’exploitation et destinés à fournir des informations utiles aux exploitants agricoles lors des différentes étapes de la vie de celle-ci. Ces dispositions relèvent du vingtième et unième alinéa de l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel : « Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État ». Les autres dispositions du projet sont, quant à elles, des dispositions normatives, modifiant ou complétant notamment le code rural et de la pêche maritime, ou des dispositions d’habilitation à prendre des ordonnances.
Ainsi que le Conseil d’État l’a déjà rappelé à plusieurs reprises (voir, en dernier lieu, Assemblée générale, 12 avril et 2 mai 2023 - Avis sur un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, n° 406855), la coexistence, au sein d’un même projet de loi, de dispositions programmatiques et de dispositions normatives ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, sous réserve que, aux fins d’assurer le respect des exigences de lisibilité et d’intelligibilité de la loi, les premières fassent l’objet d’une présentation clairement séparée des autres.
Tel est bien le cas en l’espèce, même si les dispositions programmatiques sont réparties entre trois titres.
5. Après avoir constaté que le Conseil économique, social et environnemental a été consulté, comme il devait l’être, sur les dispositions relevant de la catégorie des lois de programme, le Conseil d’État s’est interrogé sur l’application aux dispositions programmatiques du projet de loi du VII de l’article 61 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, dans sa rédaction issue de la loi organique n° 2021‑1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, entrées en vigueur en 2023, aux termes duquel : « Le Haut Conseil des finances publiques est saisi par le Gouvernement des dispositions des projets de loi de programmation mentionnés au vingtième alinéa de l'article 34 de la Constitution ayant une incidence sur les finances publiques. Au plus tard quinze jours avant que le Conseil d’État soit saisi d'un tel projet de loi, le Gouvernement transmet au Haut Conseil les éléments de ce projet de loi lui permettant d'évaluer la compatibilité de ces dispositions avec les objectifs de dépenses prévus, en application de l'avant-dernier alinéa de l'article 1er A de la présente loi organique, par la loi de programmation des finances publiques en vigueur ou, à défaut, par l'article liminaire de la dernière loi de finances. (…) ».
En premier lieu, le Conseil d’État estime que la consultation du Conseil économique, social et environnemental n’est pas de nature à supprimer le caractère obligatoire de la consultation prévue par ces dispositions. Certes, le premier alinéa de l’article 6-1 de l’ordonnance n° 58‑1360 du 29 décembre 1958 dispose que : « Sans préjudice des concertations préalables prévues à l'article L. 1 du code du travail et sous réserve des engagements internationaux de la France, lorsque le Conseil économique, social et environnemental est consulté sur un projet de loi portant sur des questions à caractère économique, social ou environnemental, le Gouvernement ne procède pas aux consultations prévues en application de dispositions législatives ou réglementaires, à l'exception de la consultation des collectivités mentionnées aux articles 72 et 72-3 de la Constitution, des instances nationales consultatives dans lesquelles elles sont représentées, des autorités administratives ou publiques indépendantes et des commissions relatives au statut des magistrats, des fonctionnaires et des militaires ». Toutefois, la loi organique du 28 décembre 2021, postérieure à celle du 15 janvier 2021 par laquelle ces dernières dispositions ont été introduites, n’a prévu aucune exception de cette nature à l’obligation, qu’elle institue, de saisine du Haut Conseil des finances publiques sur les lois de programmation ayant une incidence sur les finances publiques. Au surplus, une telle saisine participe de la mise en œuvre des engagements internationaux de la France, puisque la création du Haut Conseil des finances publiques et les compétences qui lui ont été données tendent à la mise en œuvre du traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance du 2 mars 2012, auquel la France est partie.
En second lieu, le Conseil d’État observe que, en prévoyant que le Haut Conseil est consulté sur « les dispositions des projets de loi de programmation… ayant une incidence sur les finances publiques », le législateur organique n’a pas entendu qu’une telle consultation doive être opérée sur toute disposition relevant du champ du vingtième alinéa de l’article 34 de la Constitution, selon lequel des « lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État », mais a souhaité que la compatibilité des objectifs ainsi fixés avec la trajectoire prévue, pour les dépenses des administrations publiques, par la loi de programmation des finances publiques en vigueur puisse être appréciée par ce même Haut Conseil. Il considère que si le champ des dispositions programmatiques ainsi visées ne se résume pas aux seuls tableaux prévoyant des trajectoires d’ouvertures de crédits budgétaires, traditionnels dans la plupart des lois de programmation sectorielles, il ne saurait concerner que des dispositions prévoyant, de manière suffisamment précise, des actions ayant un impact quantifiable, autre que négligeable, sur les dépenses des administrations publiques, de telle sorte que le Haut Conseil puisse mener à bien la mission d’analyse de leur compatibilité avec la loi de programmation des finances publiques qui lui est assignée par les dispositions citées plus haut de la loi organique sur les finances publiques.
A cet égard, le Conseil d’État relève que les articles du projet de loi prévoyant que les politiques publiques concourent à la protection de la souveraineté alimentaire et de la souveraineté agricole de la France et modifiant les dispositions programmatiques à caractère permanent du IV de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime relatives à la politique d’installation en agriculture et de transmission d’exploitations, ou fixant, à horizon 2030 et 2035, respectivement, des « orientations programmatiques » en matière d’orientation scolaire, de formation, de recherche et d’innovation, d’une part, d’installation des agriculteurs et de transmission des exploitations, d’autre part, formulent des objectifs très généraux, pour lesquels l’étude d’impact du projet de loi identifie au demeurant de multiples leviers, dont certains ne mobiliseront aucun financement public. Au total, si la réalisation des ambitions affichées pourra avoir un coût pour les finances publiques, celui-ci n’est pas évaluable de façon suffisamment précise pour que le Haut Conseil puisse apprécier si ces ambitions sont compatibles avec la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 du 18 décembre 2023, actuellement en vigueur. En conséquence, le Conseil d’État estime que les dispositions programmatiques du projet de loi ne relèvent pas des lois de programmation ayant une incidence sur les finances publiques, pour lesquelles la saisine du Haut Conseil des finances publiques est obligatoire en application des dispositions du VII de l’article 61 de la loi organique du 1er août 2001.
6. Au regard des autres avis transmis par le Gouvernement, le Conseil d’État constate que toutes les consultations obligatoires ont été effectuées.
7. Au-delà de ces remarques liminaires, et outre diverses améliorations de rédaction qu’il suggère, le projet de loi appelle de la part du Conseil d’État les observations suivantes.
Dispositions de programmation
8. Ainsi qu’il a été dit au point 5, le projet de loi modifie les dispositions programmatiques à caractère permanent du IV de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, relatif à la politique d’installation et de transmission en agriculture. Il prévoit d’insérer dans le titre préliminaire du code rural et de la pêche maritime, avant l’article L. 1, un nouvel article définissant ce que sont la souveraineté alimentaire et la souveraineté agricole de la France, fixant comme objectif transverse à l’ensemble des politiques publiques de concourir à la protection de ces souverainetés, et affirmant que l’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la France, qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation.
Le Conseil d’État propose de modifier le projet de loi pour n’y maintenir que des dispositions de nature programmatique. Il considère, en effet, que les définitions très générales proposées de la souveraineté alimentaire et agricole de la France ne sont pas d’une telle nature. Au surplus, la notion de « souveraineté alimentaire » est utilisée depuis 2014 à l’article L. 1 sans être autrement définie que par les politiques publiques qu’elle inspire. Enfin, au regard du contenu des dispositions qui lui sont soumises, il ne voit pas l’utilité, sur le plan juridique, de définir ces notions.
Il propose de se limiter à indiquer que l’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la France, sans pour autant retenir que celle-ci contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation, la portée d’une telle mention n’étant pas claire et son utilité apparaissant douteuse.
9. Les autres dispositions programmatiques de la loi n'appellent de remarques particulières. Le Conseil d’État observe toutefois que la dénomination du réseau de conseil aux agriculteurs qui devrait être mis en place, ne relève pas du domaine de la loi.
Création d’un diplôme de niveau bac +3
10. Le projet de loi prévoit la création d’un diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l’agronomie, donc de niveau « bac + 3 », délivré par des établissements d’enseignement supérieur accrédités par le ministre chargé de l’agriculture.
Le Conseil d’État relève, en premier lieu, que le terme « bachelor », qui ne figure dans aucune loi ni décret en Conseil d’État en vigueur, n’apparaît pas dans le Vocabulaire de l’éducation et de la recherche, édition 2022, qui comprend plus de 150 termes et définitions relevant des domaines de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la formation professionnelle, élaborés par des spécialistes et publiés au Journal officiel par la Commission d’enrichissement de la langue française. Il considère, en second lieu, que l’emploi de ce mot emprunté à l’anglais ne peut s’appuyer sur les mêmes justifications, tirées principalement de l’objectif d’harmonisation des diplômes européens et de reconnaissance internationale, que celles prises en considération lors de la création du grade de « master » (Conseil d’État, 11 juin 2003, Association "Avenir de la langue française", n° 246971, 246972 et 246973). Il propose en conséquence de s’en tenir à la dénomination de « diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l’agronomie ».
Mise en place d’un dispositif de conseil personnalisé lors de l’installation d’un agriculteur et lors de la transmission d’une exploitation
11. Le projet de loi modifie l’article L. 330-5 du code rural et de la pêche maritime afin d’imposer à l’exploitant, tenu de notifier son intention de cessation d’activité, une information plus précoce (cinq ans avant le départ en retraite au lieu de trois) de la chambre départementale d’agriculture, laquelle doit mettre en place un point d’accueil départemental unique pour l’installation des agriculteurs et la transmission des exploitations, chargé de gérer le répertoire unique destiné à faciliter la mise en relation entre cédants et repreneurs. Le projet de loi prévoit que toute personne ayant un projet d’installation ou de transmission d’exploitation doit prendre contact avec ce point d’accueil, qui l’orientera vers un réseau de structures de conseil et d’accompagnement agréées par l’État. Ces structures agréées fourniront au porteur de projet d'installation un conseil ou un accompagnement pour consolider la viabilité économique, environnementale et sociale de son projet, notamment au regard du changement climatique. Elles proposeront aux personnes souhaitant céder leur exploitation agricole un parcours spécifique d’accompagnement à la transmission, et pourront faciliter la mise en relations des cédants et des repreneurs. Elles pourront également proposer un parcours de formation avec l’appui d’un établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole.
12. Le Conseil d’État relève que, selon les indications données par le Gouvernement, l’obligation faite à tout agriculteur de notifier à l’avance son intention de cesser son activité agricole, comme l’obligation faite à tout porteur de projet d’installation ou de transmission d’une exploitation agricole de s’adresser à un guichet susceptible de l’orienter vers des structures chargées de lui proposer conseil et accompagnement, voire un parcours de formation, ainsi que l’obligation faite à tout porteur de projet de justifier avoir effectivement suivi le parcours ainsi établi ont fait l’objet d’un consensus à l’issue de la concertation, locale et nationale, menée en 2022-2023, et visent à mettre en œuvre des recommandations du Conseil économique, social et environnemental ainsi qu’à répondre aux objectifs d’intérêt général de la politique agricole énoncés à l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime et précisés par les dispositions programmatiques du projet de loi.
13. Il constate, toutefois, que ces dispositions imposent au secteur agricole un encadrement administratif lourd et que cet encadrement, qui doit être mis en perspective avec l’objectif retenu par l’article programmatique prévoyant la création d’un outil de diagnostic de l’exploitation agricole susceptible d’être intégré au parcours d’accompagnement, est de nature à contraindre l’exercice de l’activité d’exploitant agricole dans des proportions inédites.
Il considère, en particulier, que l’obligation faite aux exploitants agricoles de déclarer leur intention de cesser leur activité cinq ans, et non plus trois ans, avant leur cessation d’activité effective, à supposer qu’il soit possible de la mettre en œuvre, assortie de la possibilité de conditionner le bénéfice des aides publiques accompagnant la transmission au respect de cette obligation comme au suivi effectif du parcours d’accompagnement personnalisé porte une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Il estime, en outre, que les dispositions du projet de loi qui subordonnent le bénéfice des dispositions des articles L. 732-39 ou L. 732‑40 du code rural et de la pêche maritime à l’accomplissement de la notification de l’intention de cessation d’activité de l’exploitant agricole ne peuvent être maintenues. L’article L. 732-39, qui subordonne le versement d’une pension de retraite par le régime d'assurance vieillesse des personnes non salariées des professions agricoles à la condition d’une cessation définitive de toute activité non salariée agricole, prévoit une exception pour une superficie communément désignée comme « parcelle de subsistance » dont l’exploitation peut se poursuivre et l’article L. 732-40 détermine les conditions, qu’il revient au préfet d’apprécier, après avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture instituée par l'article L. 313-1, pour autoriser l’agriculteur qui justifie de l’impossibilité de céder son exploitation à en poursuivre, pour une durée limitée, la mise en valeur tout en percevant sa pension de retraite. Le Conseil d’Etat relève que l’actuel article L. 330-5, qui subordonne « l’autorisation » de bénéficier des dispositions des articles L. 732-39 ou L. 732‑40 à l’accomplissement, dans le délai prescrit, de la notification de l’intention de cessation d’activité de l’exploitant agricole, est dépourvu de sens en ce qui concerne le premier de ces articles, et porte une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre en ce qui concerne le second. Les dispositions du projet de loi, qui reprennent ce dispositif avec une rédaction amendée ne faisant plus référence à une « autorisation » et assouplissant la condition de délai pour l’accomplissement de la formalité, ajoutent une obligation procédurale sans justification aux conditions légales déterminées pour bénéficier du droit prévu à l’article L. 732-39, et sans portée utile au cadre défini à l’article L. 732-40 pour l’appréciation qu’il revient au préfet de porter sur l’impossibilité de cession de l’exploitation.
Le Conseil d’État considère, en conséquence, que le dispositif de notification figurant à l’article L. 330-5 ne peut être maintenu que sous réserve de ne pas retenir les conséquences attachées à la méconnaissance de cette obligation.
14. Le Conseil d’État préconise de préciser l’étude d’impact de ces dispositions en retraçant l’historique de la politique d’installation de nouveaux agriculteurs et de la mise en place des instances de concertation auxquelles il est fait référence, afin de présenter le dispositif national actuel d’accompagnement de l’installation et de la transmission des exploitations et son évolution.
Sécurisation des groupements d’employeurs agricoles
15. Le projet de loi prévoit des dispositions visant à améliorer la situation des groupements d’employeurs du secteur agricole, qui représentent 80 % du total des groupements d’employeurs, dans le cas où l’un de leurs adhérents fait l’objet d’une procédure collective. En effet, dans ce cas, le groupement, détenteur de créances sur cet adhérent à raison des salaires et charges sociales qu’il a versés pour les salariés mis à disposition, est considéré comme prestataire de services et placé au rang des créanciers chirographaires, soit au dernier rang des créanciers, dès lors que les travailleurs mis à disposition de l’entreprise adhérente sont des salariés du groupement et non de celle-ci. Il est donc en pratique, très difficile voire impossible au groupement de récupérer le montant de ses créances, ce qui se reporte sur les autres exploitants membres du groupement, solidaires en cas de défaillance de l’un des membres, et peut entraîner des défaillances en chaîne.
Le projet de loi prévoit, pour la part des créances du groupement d’employeurs correspondant à la facturation des sommes dues aux salariés mis à la disposition de l’entreprise et à celle des charges sociales acquittées pour eux, de créer des privilèges en faveur du groupement identiques à ceux applicables aux créances des salariés ou des organismes de sécurité sociale.
16. Le Conseil d’État considère que la circonstance que ces privilèges soient réservés aux créances des seuls groupements d’employeurs dont les membres sont exploitants agricoles ne porte pas atteinte au principe d’égalité dès lors, d’une part, que tout groupement d’employeur comportant, même à titre non exclusif, de tels exploitants peut en bénéficier en cas de procédure collective concernant ces exploitants, d’autre part, que la différence de traitement qui en résulte est, en tout état de cause, justifiée par l’objectif d’intérêt général de préserver ces groupements d’employeurs.
En effet, il ressort des informations données par le Gouvernement que, dans un contexte de pénurie croissante de main d’œuvre agricole du fait d’un déficit d’attractivité et de renouvellement nécessaire des générations d’actifs agricoles, les groupements d’employeurs, qui représentent dans certains secteurs agricoles un tiers voire la moitié des emplois salariés, apportent un appui essentiel aux exploitations par la mise à disposition de main d’œuvre, permettent d’assurer leur continuité dans les situations d’urgence et sont favorables aux salariés. Leur développement est, partant, important pour attirer de nouveaux agriculteurs, dans la perspective du départ à la retraite de la moitié des agriculteurs d’ici 2030.
Gestion des haies
17. Le projet de loi institue un régime de déclaration préalable obligatoire de toute destruction d’une haie, assorti d’une obligation de compensation par la plantation d’un linéaire au moins égal en longueur à la haie détruite, réalisée dans les conditions prévues à l’article L. 163-1 du code de l’environnement, c’est-à-dire offrant une qualité écologique équivalente à la haie détruite. Ce régime serait applicable à toutes les haies autres que les allées et alignements d’arbres qui bordent les voies ouvertes à la circulation publique.
Le Gouvernement entend viser ainsi un double objectif. Il s’agit, d’une part, de renforcer l’effectivité des législations existantes et de sécuriser les propriétaires et exploitants en confiant à un « guichet unique » l’examen des projets de destruction de haies, substituant ainsi une procédure unique aux procédures de déclaration ou d’autorisation préalable prévues par les diverses législations qui, au titre de la protection d’intérêts divers, encadrent de tels travaux : législations inscrites au code de l’environnement (pour la conservation des habitats naturels d’espèces animales ou végétales, ou la protection des sites classés notamment), au code de la santé publique (dans le périmètre de protection d’une source d’eau minérale ou le périmètre de captage d’eau potable), au code rural et de la pêche maritime (protection des boisements dans le cadre de l’aménagement rural) ou au code de l’urbanisme (espaces boisés classés, ou identifiés comme présentant un intérêt patrimonial ou écologique) et, enfin, au titre de la mise en œuvre des bonnes conditions agricoles et environnementales, à laquelle est subordonné le paiement des aides de la politique agricole commune. Il s’agit, d’autre part, de renforcer la protection des haies et d’enrayer le déclin constant de celles-ci, par l’institution d’une obligation générale - prévue aujourd’hui seulement en matière de protection des habitats naturels - de compenser toute destruction de haie, dans le champ d’application prévu, par la plantation d’une haie d’un linéaire au moins égal en longueur et en qualité à celui la haie détruite.
18. Le Conseil d’État relève que différentes législations sont susceptibles de s’appliquer dans le champ d’application retenu par le projet, aux projets de destruction de haies, selon que la haie abrite des espèces protégées, ou bénéficie d’une protection particulière en raison de son emplacement, ou que son maintien conditionne le paiement d’aides de la politique agricole commune. L’obtention d’une autorisation ou la non-opposition à une déclaration au titre de l’un de ces régimes n’exonère pas le propriétaire ou l’exploitant du respect des autres législations le cas échéant applicables. Le Conseil d’État estime ainsi que, si le Gouvernement pourrait utilement envisager une simplification des régimes de protection existants, l’institution d’un « guichet unique » peut se justifier pour assurer l’application effective de ces législations, et garantir ainsi une meilleure protection des intérêts concernés et, de fait, des haies ainsi qu’une meilleure sécurité juridique pour les propriétaires et exploitants.
Il propose cependant une réécriture des dispositions du projet pour en clarifier la portée et préciser l’articulation entre les différentes procédures. Ainsi, il ne peut retenir les dispositions du projet édictant une interdiction de principe de toute destruction d’une haie dans le champ d’application retenu, qui ne serait « levée » que par une décision de non opposition ou d’autorisation délivrée après examen du projet au regard des législations spécifiques mentionnées ci-dessus, mais aussi au regard d’un critère indéterminé de « risque significatif pour l’environnement, pour le paysage et la santé humaine et animale », dont l’explicitation serait renvoyée au décret en Conseil d’État, la loi ne pouvant porter atteinte à la liberté d’entreprendre comme au droit de propriété que dans un objectif d’intérêt général précis et déterminé, comme le font les législations existantes pour les objectifs rappelés ci-dessus au point 17. Il propose de retenir un dispositif précisant que le guichet unique auprès duquel la déclaration sera déposée déterminera le ou les régimes de déclaration ou d’autorisation applicables au projet dont il est saisi, et l’examinera au regard des règles et des critères de ces législations. L’absence d’opposition à la déclaration unique ou l’autorisation vaudra absence d’opposition ou autorisation au titre de toutes les législations applicables à la haie. Dans le cas où la haie serait détruite à l’occasion de la mise en œuvre d’un projet de travaux plus vaste, l’autorisation environnementale délivrée pour ce projet tiendrait lieu d’absence d’opposition à la déclaration unique ou d’autorisation unique de destruction de haie.
19. Le Conseil d’État relève que les dispositions du projet de loi qui imposent de compenser toute destruction de haie, même lorsque ces travaux ne relèvent d’aucun régime de protection imposant déclaration ou autorisation préalable, par la plantation d’une haie d’un linéaire au moins égal à celui de la haie détruite, dans les conditions de l’article L. 163-1 du code de l’environnement qui définit les mesures de compensation comme devant viser un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité, et se traduire par une obligation de résultats, imposent aux propriétaires ou exploitants une nouvelle contrainte particulièrement lourde. Il estime toutefois que la mesure répond à des considérations d’intérêt général, compte tenu de l’importance des haies bocagères pour la biodiversité, et la protection de l’environnement et considère, par suite, que la loi peut prévoir d’instituer une telle obligation de compensation sans porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté du commerce et de l’industrie, compte tenu des objectifs d’intérêt général et constitutionnel poursuivis.
Il appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’en prévoir, dans le décret d’application auquel renvoie le projet de loi, une mise en œuvre mesurée, qui n’impose pas de contraintes disproportionnées et ménage la nécessaire prise en compte des autres contraintes tenant notamment à la configuration des lieux, pesant sur le propriétaire ou l’exploitant.
20. Enfin, le Conseil d’État ne retient pas les dispositions pénales du projet de loi prévoyant de sanctionner l’arrachage de haie sans autorisation ou en cas d’opposition à déclaration des mêmes peines qu’en cas d’exploitation sans autorisation au titre des installations classées ou de la loi sur l’eau, alors que les législations au regard desquelles la non opposition ou l’autorisation est délivrée prévoient des sanctions pénales très différentes, voire n’en prévoient aucune. Il considère que ces dispositions du projet méconnaissent le principe de proportionnalité des peines. Le Conseil d’État relève au demeurant que ces dispositions ne sont pas cohérentes avec celles du même projet de loi qui prévoient une habilitation à revoir par ordonnance le régime de répression prévu à l’article L. 173-1 du code de l’environnement et le régime de répression des atteintes à la conservation des espèces protégées et de leurs habitats.
Accélération de la prise de décision des juridictions en cas de contentieux contre les projets d’ouvrage hydraulique agricole et d’installation d’élevage
21. Le projet de loi propose d’introduire plusieurs aménagements dans la procédure applicable au contentieux administratif des décisions relatives aux projets d’installations, d’ouvrages, de travaux ou d’activités concernant les plans d’eau et prélèvements d’eaux superficielles ou souterraines ayant une finalité principalement agricole ainsi qu’aux projets d’installations classées pour la protection de l’environnement destinées à certaines activités d’élevage. Il prévoit ainsi que le juge administratif doit limiter la portée de ses annulations aux phases ou parties de décisions affectées d’un vice de légalité et demander à l’administration de reprendre l’instruction sur ce point, ou de surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe pour permettre la régularisation des vices entraînant l’illégalité d’une décision attaquée. Il prévoit également que les demandes de référé suspension en la matière ne pourront pas être introduites après la date à laquelle les moyens invoqués devant le juge saisi en premier ressort ont été « cristallisés », l’urgence étant alors présumée et le juge des référés disposant d’un délai d’un mois pour statuer.
Ces aménagements s’inspirent des articles L. 600-3, L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, qui concernent les autorisations d’urbanisme, et de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, qui concerne les autorisations environnementales. Le Conseil d’État relève toutefois que le projet de loi va au-delà de ces précédents puisque les mesures envisagées couvrent toutes les décisions en principe nécessaires à la réalisation des projets mentionnés au paragraphe précédent, quelles que soient les législations qui les prévoient.
Le projet de loi innove, en outre, en prévoyant que l’introduction d’un recours contre l’une de ces décisions entraîne la suspension de plein droit de la durée de validité de toutes les autres, qu’elles soient antérieures ou postérieures à la décision attaquée.
22. Le Conseil d’État rappelle que les dérogations au régime contentieux de droit commun ne peuvent être admises que si elles sont fondées sur des critères objectifs, en rapport direct et proportionné avec le but poursuivi, et si elles assurent des garanties égales aux justiciables, afin de respecter notamment le principe constitutionnel d’égalité devant la justice et l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice (voir notamment Conseil constitutionnel, n° 2011-112 QPC du 1er avril 2011 ; n° 2017-641 QPC du 30 juin 2017 ; n° 2019-778 DC du 21 mars 2019).
Le Conseil d’État relève que, si la réalisation des projets visés par le projet de loi répond aux objectifs d’intérêt général mentionnés à l’article 1er du même projet de loi, il n’apparaît pas que ces projets soient très différents de ceux soumis aux mêmes réglementations. De surcroît, l’intérêt de projets tels que les stockages d’eau ne peut s’apprécier vraiment qu’au cas par cas, ainsi que l’ont souligné les travaux du « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique », conclu par le Premier ministre le 1er février 2022, compte tenu des répercussions des changements climatiques propres à chaque territoire et de la nécessité de concilier les différents usages de la ressource.
Le Conseil d’État souligne aussi que l’étude d’impact ne fait pas apparaître de difficultés particulières en ce qui concerne le contentieux de ces projets, notamment en termes de délais de jugement ou de complexité, et se borne à anticiper une hausse du nombre des recours. Le recensement effectué par le Conseil d’État révèle, par ailleurs, que les projets visés ne représentent qu’une part extrêmement limitée des affaires en cours d’instruction devant les tribunaux administratifs.
23. Le Conseil d’État note, ensuite, que la variété des décisions susceptibles d’être concernées ne peut qu’accroître les difficultés pour déterminer si les règles particulières prévues par le projet de loi sont ou non applicables.
Il souligne, à cet égard, que les aménagements contentieux qu’il est proposé d’apporter à la procédure de droit commun n’ont pas fait l’objet d’une évaluation, notamment quant à l’intérêt qu’il y aurait à les appliquer au-delà du champ des autorisations d’urbanisme et des autorisations environnementales, déjà soumises à des règles contentieuses spéciales poursuivant le même objectif, avec lesquelles les nouvelles règles envisagées se recoupent largement sans pour autant se confondre. Le Conseil d’État observe qu’il ne peut pas être exclu que les pouvoirs de régularisation du juge, appliqués à une pluralité de décisions successives, soient sources de complication et d’allongement des procédures.
Le Conseil d’État relève également que le projet de loi restreint les possibilités de référé sans que l’efficacité d’une telle mesure, qui porte atteinte au droit au recours, soit établie et que les conséquences de la suspension automatique de la durée de validité de toutes les décisions relatives à un même projet n’apparaissent pas clairement, pouvant ainsi être elles-mêmes sources d’incertitudes et de contestations.
Le Conseil d’État considère, enfin, que la multiplication de règles contentieuses spéciales ne peut que nuire à la lisibilité d’ensemble des règles applicables au contentieux administratif qui, à rebours des objectifs recherchés de simplification et de clarté de la norme, se complexifie au détriment de l’égalité entre les citoyens et de la bonne administration de la justice, sans pour autant aboutir à une véritable accélération des procédures contentieuses.
Il note que, selon les informations données par le Gouvernement, les dispositions du projet de loi devraient être complétées par un projet de décret en Conseil d’État destiné à introduire d’autres dispositions contentieuses spéciales pour les mêmes projets, notamment la suppression du double degré de juridiction, la cristallisation des moyens, l’obligation de notifier les recours et l’instauration d’un délai de jugement, ce qui ne pourra qu’accentuer la complexité du dispositif.
Le Conseil d’État estime, dans ces conditions, que les dispositions du projet de loi, qui sont susceptibles de présenter des risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice, comportent des inconvénients importants en termes de sécurité juridique pour les justiciables et, plus généralement, pour la bonne administration de la justice. Il propose, en conséquence, de ne pas les retenir.
Dispositions relatives à l’élevage de chiens
24. Afin d’encourager le recours aux chiens de protection des troupeaux, le projet de loi prévoit que les seuils de la rubrique de la nomenclature prévue à l’article L. 511-2 du code de l’environnement relative aux installations classées destinées aux chiens peuvent être relevés et ses critères modifiés par décret en Conseil d’État.
Le Conseil d’État relève que ces dispositions, qui ont pour seul effet de conférer au pouvoir réglementaire la compétence pour modifier les seuils et les critères d’une rubrique particulière de la nomenclature des installations classées, ne sauraient exonérer le pouvoir réglementaire du respect, dans l’exercice de cette compétence, des exigences prévues par les textes législatifs relatifs à la protection de l’environnement, en particulier le principe de non-régression de la protection de l’environnement posé par le 9° du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement.
Or, l’article L. 511-2 du code de l’environnement prévoit que : « Les installations visées à l'article L. 511-1 sont définies dans la nomenclature des installations classées établie par décret en Conseil d’État, pris sur le rapport du ministre chargé des installations classées, après avis du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques. Ce décret soumet les installations à autorisation, à enregistrement ou à déclaration suivant la gravité des dangers ou des inconvénients que peut présenter leur exploitation ». En conférant au pouvoir réglementaire la compétence pour définir les catégories d'installations soumises à la police spéciale des installations classées et préciser les seuils d’application de cette nomenclature, les dispositions de cet article confèrent également au pouvoir réglementaire la compétence pour modifier cette nomenclature ainsi que les seuils et critères de ses différentes rubriques.
Le Conseil d’État constate que les dispositions du projet de loi sont dépourvues d’utilité et propose, en conséquence, de ne pas les retenir.
Dispositions relatives à la valorisation des sous-produits animaux
25. Afin de conforter les activités de valorisation des sous-produits animaux et, en particulier, le stockage de la laine, le projet de loi prévoit que les seuils de la rubrique de la nomenclature prévue à l’article L. 511-2 du code de l’environnement relative aux installations classées destinées à la valorisation des sous-produits animaux, notamment de la laine, peuvent être relevés et ses critères modifiés par décret en Conseil d’État.
Le Conseil d’État constate, pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 24, que les dispositions du projet de loi sont dépourvues d’utilité et propose, en conséquence, de ne pas les retenir.
Intervention des départements en matière de gestion de l’approvisionnement en eau potable
26. Le projet de loi comporte des dispositions étendant les possibilités d’intervention du département en matière d’eau potable, domaine de compétence des communes, ces compétences étant assurées par l’intermédiaire d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte.
27. Les dispositions du projet de loi prévoient d’abord de permettre aux départements de recevoir un mandat de maîtrise d’ouvrage similaire à celui prévu aux articles L. 2422-5 à L. 2422-11 du code de la commande publique, pour tout projet destiné à la production, le transport ou le stockage d’eau destinée à la consommation humaine ou en vue de l’approvisionnement en eau brute.
Ce mandat lui sera confié par l’établissement public de coopération intercommunale ou le syndicat mixte compétent, sous réserve que celui-ci y soit expressément autorisé par ses statuts. Il est conclu à titre gratuit, sans aucune contrepartie, donc hors des procédures applicables aux marchés publics. Le Conseil d’État souligne que cette possibilité d’intervention des départements s’apparente à l’assistance technique qu’ils peuvent par ailleurs apporter aux communes rurales en application de l’article L. 3232-1-1 du code général des collectivités territoriales.
28. Le projet de loi vise également à permettre à un ou plusieurs départements limitrophes de constituer avec des groupements de communes compétents dans ce domaine un syndicat mixte compétent en matière de production, de transport et de stockage d’eau destinée à la consommation humaine.
Le Conseil d’État appelle l’attention sur le fait que ces dispositions, si elles ne se heurtent à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel, vont néanmoins à l’encontre de la clarification des compétences des collectivités territoriales mise en œuvre dans le cadre de la loi du 7 août 2015 sur la Nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRE) et rappelée à l’article L. 1111-4 du code général des collectivités territoriales, selon lequel l’objectif est « que chaque domaine de compétences ainsi que les ressources correspondantes soient affectés en totalité soit à l’État, soit aux communes, soit aux départements, soit aux régions ».
Limitation du contrôle de l’administration lors de l’extension d’accords conclus au sein d’une organisation interprofessionnelle agricole
29. L’article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime prévoit que « Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente dès lors qu'ils prévoient des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne ».
Le projet de loi prévoit de remplacer la possibilité d’étendre de tels accords par une obligation.
30. Le Gouvernement entend ainsi indiquer que le contrôle auquel procède l’État lors de l’extension des accords interprofessionnels est un simple contrôle de régularité et de conformité à la loi, mais en aucun cas un contrôle d’opportunité.
31. Le Conseil d’État propose de ne pas retenir ces dispositions, qui ne lui paraissent ni nécessaires, ni opportunes. En effet, il n’apparaît pas que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 29 juin 2023, Interfel (C-501/22 à C-504/22), invoqué par le Gouvernement pour justifier cette modification, soit de nature à remettre en cause l’appréciation portée par la Cour sur l’extension des accords interprofessionnels instituant des cotisations volontaires obligatoires, dont elle a retenu qu’ils ne constituaient pas un élément d’une aide d’État (CJUE 30 mai 2013, Doux Elevage SNC et Coopérative agricole UKL-ARREE, C-677/11). Le Conseil d’État relève, à cet égard, qu’en l’état actuel des textes, si l’autorité administrative n’est pas en situation de compétence liée quand elle autorise l’extension d’un accord (CE, 13 décembre 2016, Société Interprofession des vins du sud-ouest, n°s 388865, 389311, 398700), elle ne peut exercer qu’un contrôle de régularité et de conformité à la loi (CE 27 décembre 2019, Association nationale interprofessionnelle des vins – ANIVIN – de France, n° 422958), sous l’entier contrôle du juge administratif (CE 22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 450426).
Il souligne que la modification proposée pourrait avoir pour effet de placer l’autorité administrative en situation de compétence liée pour étendre les accords, ce qui serait contraire à l’article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, dit règlement « OCM », tel qu’interprété par l’arrêt précité de la Cour du 29 juin 2023, qui, tout comme l’article L. 632-3 du code rural et de la pêche dans sa rédaction actuelle, implique qu’elle apprécie non seulement si l’accord dont l’extension est demandée est compatible avec la législation de l’Union européenne, mais aussi s’il présente un intérêt commun conforme à l’intérêt général, porte préjudice aux autres opérateurs ou entraîne des distorsions de concurrence « qui ne sont pas indispensables pour atteindre les objectifs de la PAC poursuivis par l’activité de l’organisation interprofessionnelle », ce qui ne l’autorise pas pour autant à pratiquer un contrôle d’opportunité, notamment politique.
32. Enfin, il ne lui paraît pas justifié de s’écarter d’un mode de rédaction commun à d’autres dispositions prévoyant que l’autorité administrative peut rendre obligatoires des règles convenues entre des organisations professionnelles représentatives.
Adaptation des règles relatives à la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs
33. Le projet de loi se propose de modifier le régime de reconnaissance légale de la représentativité, au niveau national et « multiprofessionnel », des dans le secteur agricole. Régi , ce régime est issu de la réforme de loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Ce dispositif ouvre des droits et avantages aux organisations nationales et multi-professionnelle ainsi reconnues, au titre, notamment, de leur droit d’information dans le cadre de la négociation et conclusion d’accords nationaux interprofessionnels (ANI).
Le texte en vigueur prévoit, notamment, que ces organisations professionnelles d'employeurs ne doivent pas relever d’un secteur couvert par celles qui sont reconnues représentatives « au niveau national et interprofessionnel » et qu’elles soient représentatives « dans au moins relevant soit des activités agricoles (…), soit de l'économie sociale et solidaire, soit du secteur du spectacle vivant et enregistré ».
Toutefois, la seule organisation professionnelle d'employeurs , qui était éligible à cette représentativité, ne réunira plus, à l’avenir, la condition d’être représentative dans « dix conventions collectives », du fait de la substitution aux 137 conventions collectives de branche précédentes, dont était signataire cette organisation professionnelle, d’une seule convention collective (convention « de la production agricole/ CUMA » du 15 septembre 2020), étendue après avril 2021.
Le projet, qui se borne à tirer les conséquences de cette réduction à une seule convention collective de branche dans le secteur agricole, prévoit, pour ce secteur, d’abaisser le critère du nombre de branche conventionnelle à « une ». A cet effet, il introduit au code rural et des pêches maritimes un nouvel article L. 500-1, instituant ce régime spécifique, tout en lui maintenant droit à l’ouverture aux mêmes bénéfices que ceux qu’implique la reconnaissance du caractère « multiprofessionnel » au titre de du code du travail.
Le Conseil d’État considère qu’aucune norme constitutionnelle ou conventionnelle ne s’oppose à cette mesure.
Autres dispositions du projet
34. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ont pour objet :
- de compléter les dispositions du code rural et de la pêche maritime qui énoncent les objectifs et missions de l’enseignement et de la formation professionnelle agricoles pour y inclure, d’une part, le renouvellement des générations d’actifs en agriculture afin de répondre durablement aux besoins en emplois nécessaires pour assurer la souveraineté alimentaire et, d’autre part, le développement des connaissances et compétences en matière de transitions agroécologique et climatique ;
- de préciser les dispositions du code de l’éducation relatives au contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles afin que son élaboration soit précédée d’une analyse des besoins de consolidation ou d’ouverture de sections de formation professionnelle initiale sous statut scolaire dans l’enseignement agricole et de compléter le code rural et de la pêche maritime pour prévoir, lorsque le contrat de plan régional fait apparaître un tel besoin, la conclusion d’un contrat territorial avec chaque établissement concerné, public ou privé sous contrat ;
- de modifier les dispositions du code rural et de la pêche maritime relatives au développement agricole et à la recherche, afin de prévoir, d’une part, que les organismes de développement et de recherche apportent un appui aux établissements d’enseignement technique agricole, d’autre part, que les actions de développement agricole peuvent être regroupées dans des plans pluriannuels de transition agroécologique et climatique et de souveraineté visant à l’élaboration, de manière collective, de solutions innovantes et au déploiement de ces solutions à l’échelle des filières et des territoires ;
- d’autoriser des auxiliaires vétérinaires salariés d'un vétérinaire ou d'une société de vétérinaires, ou employés d’une école vétérinaire, à pratiquer dans un établissement vétérinaire, sous la responsabilité d’un vétérinaire présent, les actes de médecine ou de chirurgie vétérinaire figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’agriculture, s’ils justifient de compétences certifiées par le Conseil national de l’ordre des vétérinaires après une formation ;
- d’autoriser les élèves des écoles vétérinaires à pratiquer certains actes vétérinaires en présence d’un vétérinaire pendant les vacances scolaires ;
- de permettre la création de « groupements fonciers agricoles d’investissement » ayant la qualité de fonds d’investissement alternatifs et dont le statut est inspiré de celui des « groupements forestiers d’investissement ».
- d’habiliter le Gouvernement, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, à légiférer par ordonnance pour adapter le régime de répression des atteintes à la conservation d’espèces animales non domestiques, d’espèces végétales non cultivées, d’habitats naturels et de sites d’intérêt géologique prévu au 1° de l’article L. 415-3 du code de l’environnement, ainsi que le régime de répression prévu à l’article L. 173-1 du même code, dans le but d’assurer l’efficacité et la cohérence de l’action des services de contrôles de l’État.
- d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi en permettant de fixer des règles adaptées d’engagement de la responsabilité pénale des éleveurs en cas de dommages causés par les chiens de troupeaux ;
- d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour adapter, en ce qui concerne les installations aquacoles, les régimes applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement et aux installations, ouvrages, travaux ou activités ayant une incidence sur l’eau et les milieux aquatiques.
Ces dispositions n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’État.
Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du 21 mars 2024.