Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire
CONSEIL D’ETAT
Commission permanente
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Séance du mardi 20 octobre 2020
N° 401419
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS
AVIS SUR UN PROJET DE LOI
autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire
1. Le Conseil d’État a été saisi le 17 octobre 2020 d’un projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire.
Ce projet comporte quatre articles:
le premier proroge jusqu’au 16 février 2021 l'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
le deuxième proroge le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire crée par la loi du 9 juillet 2020 jusqu’au 1er avril 2021, en vue de disposer des instruments auxquels il permet de recourir à l’issue de l’état d’urgence sanitaire en cours ;
le troisième permet la mise en œuvre des systèmes d’information dédiés à l’épidémie de covid-19 jusqu’au 1er avril 2021 tout en complétant le dispositif existant pour l’adapter aux nécessités présentes ;
le quatrième habilite le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnances, pour rétablir ou prolonger les dispositions de certaines ordonnances prises sur le fondement des lois du 23 mars et du 17 juin 2020.
2. L’étude d’impact du projet répond globalement, dans les circonstances de la crise sanitaire et de l’urgence dans laquelle elle a été réalisée, aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Sur les différents régimes de mesures destinées à protéger la santé publique dans le contexte de l'épidémie de covid-19 et leur mise en œuvre
3. Dans un premier temps la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles a pu fonder le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 qui, notamment, interdisait aux personnes de sortir de leur domicile sous réserve de certaines exceptions, et les articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique donner leur base juridique aux mesures prises par le ministre de la santé, comme son arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus.
4. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a ensuite créé, dans le titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique, un chapitre Ier bis relatif à l’état d’urgence sanitaire, qui peut être déclaré en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. La déclaration permet au Premier ministre, au ministre de la santé et, s’ils y sont habilités, aux préfets, de prendre les mesures nécessaires aux seules fins de garantir la santé publique. Ces mesures peuvent notamment restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, imposer aux personnes souhaitant se déplacer par transport public aérien de présenter le résultat d'un examen ne concluant pas à une contamination par le covid-19, interdire aux personnes de sortir de leur domicile, ordonner la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées, ordonner la mise à l’isolement des personnes affectées, ordonner la fermeture provisoire de catégories d'établissements recevant du public, ou encore réquisitionner des biens et des services. Ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.
L’état d'urgence sanitaire, auquel il ne peut être recouru que jusqu’au 1er avril 2021, a été déclaré pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, soit jusqu’au 23 mai 2020 à minuit.
La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 inclus. Par sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 le Conseil constitutionnel a validé plusieurs de ses dispositions mais, concernant les traitements de données à caractère personnel de nature médicale aux fins de « traçage », a décidé deux censures partielles et énoncé trois réserves d'interprétation, cependant que, concernant le régime des mesures de quarantaine et d'isolement, il a prononcé une réserve d'interprétation et une censure.
5. La loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 sanitaire a enfin créé un cadre juridique spécifique, destiné à organiser la sortie de l’état d’urgence sanitaire. A cette fin, elle habilite le Premier ministre, à compter du 11 juillet 2020 et jusqu’au 30 octobre 2020, à prendre les mesures nécessaires à la lutte contre l’épidémie de covid-19, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé, qui peuvent porter notamment sur :
la réglementation ou, dans certaines parties du territoire où est constatée une circulation active du virus, l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules et les conditions d’utilisation des transports collectifs ;
la limitation de l’accès, voire, si les précautions ordinaires ne peuvent être observées ou dans des zones de circulation active du virus, la fermeture, de catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunion ;
la réglementation des réunions et rassemblements, notamment sur la voie publique ;
l’obligation d’un test de contamination par le virus à l’arrivée ou au départ du territoire métropolitain et d’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution si cette collectivité est une zone de circulation active du virus.
Le Premier ministre peut habiliter les préfets à prendre ces mêmes mesures à l’échelon du département et à mettre en demeure de fermer les établissements ne se conformant pas à ces mesures.
Par sa décision n° 2020-803 DC du 9 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions de la loi du 9 juillet 2020 conformes à la Constitution. Il a relevé « qu’il ressort des travaux parlementaires que l'interdiction de circulation des personnes ne peut conduire à leur interdire de sortir de leur domicile ou de ses alentours » (point 15 de sa décision).
6. La première phase de l’état d’urgence sanitaire qui a reposé sur un confinement général et indifférencié de la population, du 17 mars au 11 mai 2020, a permis de soulager la pression sur le système de soins et de réduire significativement la reproduction du virus. La préservation de l’état de santé de la population comme la nécessité de préserver la continuité de la vie de la Nation ont conduit le Gouvernement à mettre en place une deuxième phase de lutte contre l’épidémie reposant sur le maintien de l’état d’urgence sanitaire associé à une sortie progressive du confinement fondée sur trois principes : protéger, tester, isoler. A celle-ci a succédé une phase de sortie de l‘état d’urgence sanitaire visant à favoriser le retour au droit commun tout en permettant aux autorités compétentes de prendre les mesures nationales et déconcentrées nécessaires à la lutte contre l’épidémie après la fin de l’état d’urgence sanitaire permises par la loi du 9 juillet 2020.
Sur la prorogation de l’état d’urgence jusqu’au 16 février 2021
7. Il ressort des informations transmises par le Gouvernement au Conseil d’Etat que, malgré les mesures de police sanitaire graduées en fonction de la situation sanitaire de chaque territoire prises sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 pour faire face au risque de reprise de l’épidémie, la circulation du virus s’est amplifiée ces dernières semaines.
Estimant que, en raison de l’ampleur de cette reprise, les outils de la loi du 9 juillet 2020 sont insuffisants, le Gouvernement a, par décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020, déclaré l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national, à compter du 17 octobre 2020.
8. Le projet de loi propose de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021.
En premier lieu le Conseil d’Etat constate que si la quasi-totalité des mesures prises depuis cette déclaration, notamment par le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et par les arrêtés du ministre de la santé du 16 octobre 2020, aurait pu être prise sur la base de la loi du 9 juillet 2020, ou des articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique, il n’en est pas de même de la mesure d’interdiction des déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin (couvre-feu) prévue par l’article 51 de ce décret du 16 octobre. Cette mesure, estimée nécessaire par le Gouvernement pour faire face à l’aggravation de la crise sanitaire, prise sur le fondement du 2°de l’article L. 3131-15 du même code, ne peut être mise en œuvre sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 comme cela résulte de la décision du Conseil constitutionnel mentionnée au point 5.
En deuxième lieu, sur la base de l’avis en date du 19 octobre 2020 du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-13 du même code, prenant en compte les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire, notamment les données épidémiologiques, et l’incertitude quant à l’évolution de la situation actuelle, le Conseil d’Etat constate une nette aggravation de la crise sanitaire.
En effet, il ressort des termes de l’avis du comité scientifique du 19 octobre que « Actuellement, le nombre de nouveaux cas diagnostiqués au plan national se situe entre 25 000 et 32 000 par jour avec un R0 national se situant autour de 1,25. Le nombre quotidien de nouvelles hospitalisations, qu’elles soient conventionnelles ou en réanimation, est par ailleurs en augmentation. Actuellement, 37% des lits de réanimation sont occupés par des patients COVID+. Le taux d’incidence, à l’échelle nationale, est évalué à 217 pour 100 000 habitants et tous les départements (à l’exception de la Manche) ont un niveau de vulnérabilité modéré ou élevé. Plus de 1400 000 tests par RT-PCR ont été réalisés au cours des sept derniers jours, avec un taux de positivité de l’ordre de 13 %. Ces indicateurs sont nettement plus importants dans certaines grandes métropoles, plus touchées par l’épidémie de COVID-19 ». En outre ainsi que le relevait le comité scientifique dans sa note d’alerte du 22 septembre dernier à laquelle se réfère son avis du 19 octobre « Les nouvelles contaminations sont surtout observées dans la population jeune chez qui la probabilité d’hospitalisation et la mortalité demeurent très faibles. Mais la circulation active du virus dans cette population depuis l’été se propage à l’ensemble des groupes d’âges, avec un décalage de plusieurs semaines. La circulation de virus dans la population âgée est notamment à l’origine d’une augmentation progressive des hospitalisations…Chez les jeunes (20-40 ans), dont on ne connaît pas le rôle précis dans la contamination des personnes âgées et/ou vulnérables, il semble que les fêtes étudiantes extra-universitaires et les rencontres dans les bars/restaurants soient responsables d’un nombre important de contaminations. »
S’agissant des semaines et mois à venir le comité scientifique relève en outre que « plusieurs éléments invitent à penser que les mois d’hiver seront difficiles vis-à-vis de la circulation du SARS-CoV-2 » :
une situation épidémiologique tendue à la mi-octobre avec 30 000 cas/jour et un taux de remplissage des réanimations par les patients covid-19 de 37 % à l’échelle nationale ;
le fait que les virus respiratoires circulent plus en saison hivernale, ce qui est corroboré par l’activité épidémique intense observée dans les pays de l’hémisphère sud pendant l’hiver austral, et la reprise épidémique forte en Europe ;
la proportion faible de la population française immunisée contre ce virus.
Dans ces conditions, en raison de cette nette aggravation de la crise sanitaire, et eu égard aux fortes incertitudes quant à son évolution, le Conseil d’Etat estime que la durée, fixée à trois mois, de la prorogation et l’application de l’état d’urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national, alors même que les mesures actuelles ne s’appliquent que sur certaines parties de celui-ci, sont adaptées et proportionnées à la situation.
Il rappelle que les autorités compétentes doivent veiller, sous le contrôle du juge, à ce que les mesures qu’elles prennent sont strictement nécessaires, adaptées et proportionnées en ce qui concerne tant leur contenu que leur champ géographique et leur durée. Qu’il doit en être particulièrement ainsi des mesures générales d’interdiction aux personnes de sortir de leur domicile en raison de l’atteinte qu’elles portent à la liberté d’aller et de venir, comme celle prévue par l’article 51 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020, permettant aux préfets des seize départements les plus touchés par l’épidémie de covid-19 d’instaurer un couvre-feu dans les métropoles en interdisant les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin. De telles mesures, identifiées par le comité scientifique dans son avis du 22 septembre comme favorisant le contrôle du virus et ses effets tant en termes de mortalité évitable que de saturation du système de soins, doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il doit y être mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Elles doivent réserver expressément les déplacements indispensables aux besoins familiaux ou de santé.
Le Conseil d’Etat rappelle enfin que si le régime de l’état d’urgence sanitaire, par la gamme des mesures qu’il autorise, est de nature à permettre de faire face, par des moyens adaptés, à une éventuelle extension ou aggravation de l’épidémie, il peut à l’inverse si la situation sanitaire le permet, être mis fin à l'état d'urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l'expiration du délai fixé par la loi le prorogeant après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19.
Sur la prorogation du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er avril 2021
9. Le projet de loi proroge jusqu’au 1er avril 2021 le terme de la période, aujourd’hui limité au 30 octobre 2020, au cours de laquelle les dispositions de la loi du 9 juillet 2020 s’appliqueront à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Ce terme est le même que celui prévu par la loi pour les dispositions du code de la santé publique relatives à l’état d’urgence sanitaire.
Le Conseil d’Etat estime justifiée la prorogation jusqu’au 1er avril 2021 de l’application de la loi du 9 juillet 2020. Dans un contexte marqué par les incertitudes sur l’évolution à court et moyen terme de l’épidémie, l’alignement du terme du régime transitoire organisé par la loi du 9 juillet 2020 sur celui de la fin de l’état d’urgence sanitaire, laisse en effet à la disposition du Gouvernement une gamme d’outils de réaction à l’épidémie permettant de s’adapter à celle-ci. Ainsi, dans l’hypothèse où, au terme de la prorogation de l’état d’urgence prévue par l’article 1er du projet de loi, l’évolution de la situation sanitaire ne rendrait plus nécessaire des mesures générales d’interdiction aux personnes de sortir de leur domicile, le recours à la loi organisant la fin de l’état d’urgence sanitaire, tout en permettant de prendre toutes les mesures nécessaires que ne permettrait pas l’article L. 3131-1, serait mieux proportionné qu’une nouvelle prorogation de l’état d’urgence sanitaire, comme le Conseil d’Etat l’avait déjà souligné dans son avis du 9 juin 2020, n°420322.
Le Conseil d’Etat relève que le Gouvernement entend, avant cette échéance du 1er avril 2021, soumettre au Parlement un dispositif législatif pérenne de gestion des crises sanitaires ou de lutte contre l’épidémie en cours qui prendra la suite du régime de sortie de l’état d’urgence organisé par la loi du 9 juillet 2020.
Les modifications apportées par le projet au 4° du I de l’article 1er, relatif à la faculté d’imposer la présentation d’un test négatif de dépistage virologique au covid-19 dans le transport public aérien, pour permettre l’intégration d’autres catégories de tests que les examens de biologie médicale, et à l’article 2, qui disposent que l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 est applicable dans les territoires où l’état d’urgence sanitaire n’est pas en cours d’application, n’appellent pas d’observations de la part du Conseil d’Etat.
Sur la prolongation de la mise en œuvre des systèmes d’information dédiés à l’épidémie de covid-19 et de la durée de conservation de certaines données jusqu’au 1er avril 2021
10. Le Conseil d’Etat relève que le projet de loi entend prolonger jusqu’au 1er avril 2021, d’une part, l’autorisation de mise en œuvre des systèmes d’information dédiés à la lutte contre la propagation de l’épidémie de covid-19 prévus par les dispositions de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions et, d’autre part, la durée de conservation des données collectées dans ce cadre aux seules fins de surveillance épidémiologique et de recherche. Il rappelle qu’en l’état du droit en vigueur, la durée d’autorisation de ces traitements de données et la durée de conservation de ces données spécifiques est de six mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire et court, ainsi, jusqu’au 10 janvier 2021.
Comme il avait eu l’occasion de le faire dans son avis du 14 septembre 2020 (n° 401114) sur le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, en cours d’examen au Parlement, le Conseil d’Etat rappelle que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif (Conseil constitutionnel, décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, cons. 8). Il souligne que le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique que les données à caractère personnel doivent être conservées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées (Conseil d’Etat, avis n° 400104 du 1er mai 2020 sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions).
Il relève qu’il ressort également du e du 1 de l’article 5 du RGPD que « les données à caractère personnel doivent être conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées », une durée de conservation plus longue étant cependant possible dans la mesure où les données sont « traitées exclusivement à des fins archivistiques dans l'intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques, pour autant que soient mises en œuvre les mesures techniques et organisationnelles appropriées requises par le présent règlement afin de garantir les droits et libertés de la personne concernée (limitation de la conservation) ».
11. Le Conseil d’Etat souligne qu’il ressort de la situation sanitaire telle que décrite par l’avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, en date du 19 octobre 2020, et de l’étude d’impact que le report jusqu’au 1er avril 2021 de l’échéance mentionnée au I de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 est justifié par la situation épidémiologique actuelle, marquée par un rebond particulièrement important de l’épidémie, et par ses perspectives d’évolution à moyen terme, au regard notamment des délais nécessaires à une couverture vaccinale suffisante de la population.
Dans ce contexte sanitaire, il estime que cette mesure est nécessaire, en ce qui concerne le traitement SIDEP, au regard de l’intérêt public qui s’attache au recensement et à l’accompagnement des personnes dépistées positives aux fins de la réalisation d’enquêtes sanitaires et de l’obtention de données statistiques précises sur la progression de l’épidémie et, en ce qui concerne le traitement Contact covid, en dépit des difficultés matérielles actuellement rencontrées dans l’exploitation de ses données, aux fins d’identifier et de dépister dans les meilleurs délais les cas contacts des personnes dépistées positives, notamment en présence de cas groupés, et d’assurer leur suivi médical.
Le Conseil d’Etat considère par ailleurs que la prolongation jusqu’à cette même échéance du 1er avril 2021 de la durée pendant laquelle pourront être conservées, à des fins de surveillance épidémiologique et de recherche scientifique, les données pseudonymisées est également cohérente avec les objectifs poursuivis par le Gouvernement et justifiée par l’évolution de la situation sanitaire.
Il note enfin qu’à la différence des mesures prorogeant l’état d’urgence sanitaire et en organisant le régime de sortie, qui relèvent de la compétence de l’Etat et sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République, les dispositions qui prolongent l’autorisation de mise en œuvre des systèmes d’information ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, compte tenu des compétences dévolues à ces collectivités en matière de santé publique par les dispositions organiques qui leur sont propres.
Sur l’intégration dans les systèmes d’information dédiés à l’épidémie de covid-19 des données issues des tests antigéniques
12. Le projet de loi envisage de traiter, dans le cadre des systèmes d’information dédiés à l’épidémie de covid-19, les données issues de tests de dépistage dits antigéniques lesquels, d’après la définition qu’en donne la Haute autorité de santé, « par différence avec les tests virologiques RT-PCR, recherchent non pas le matériel génétique du virus, mais une protéine présente dans le virus » (COVID-19 : les tests antigéniques sont performants chez les patients symptomatiques, 25 septembre 2020).
Le Conseil d’Etat relève que la Haute autorité de santé, qui estime nécessaire de « tester le plus grand nombre de personnes possible pour trouver plus de malades » et de « disposer de résultats le plus rapidement possible pour mettre en place les mesures d’isolement, tracer les personnes contacts et ainsi casser les chaines de contamination », a récemment recommandé l’utilisation des tests antigéniques dans certaines situations cliniques au vu de la situation épidémique et des « bonnes performances » de ces tests (COVID-19 : la HAS positionne les tests antigéniques dans trois situations, 9 octobre 2020).
Il rappelle en outre que le comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, dans son avis relatif à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire du 19 octobre 2020, insiste sur le fait qu’il est « fondamental, durant cette période, d’optimiser au maximum les différents outils permettant de mener au mieux la stratégie « Tester-Tracer-Isoler ».
Le Conseil constitutionnel a regardé comme des garanties le fait que l'identification des personnes dans les systèmes d’information dédiés à l’épidémie de covid-19 résulte de «la prescription, la réalisation et la collecte des résultats des examens médicaux pertinents » et que les données transmises et collectées se limitent aux « données relatives au statut virologique ou sérologique des personnes à l'égard du covid-19 » (décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, §64 et 66).
Le Conseil d’Etat estime, eu égard à l’intérêt général qui s’attache à la possibilité de disposer d’examens de dépistage rapides et fiables pour le plus grand nombre, que la mesure envisagée, qui a été prise au vu de recommandations des autorités scientifiques et n’aura pas pour effet d’étendre à d’autres éléments que le statut virologique ou sérologique de la personne les données médicales collectées et traitées, est nécessaire, proportionnée et poursuit l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé (décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, §16).
13. Le Conseil d’Etat relève que l’extension du champ des systèmes d’information aux données de santé issues de cette nouvelle catégorie de tests implique l’intervention d’un plus grand nombre de personnels de santé pour la réalisation des tests et l’enregistrement des données dans les systèmes d’information. Il rappelle que, s’agissant de l’accès à ces données, le Conseil constitutionnel a jugé que « si le champ des personnes susceptibles d'avoir accès à ces données à caractère personnel, sans le consentement de l'intéressé, est particulièrement étendu, cette extension est rendue nécessaire par la masse des démarches à entreprendre pour organiser la collecte des informations nécessaires à la lutte contre le développement de l'épidémie » (décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, §69). Il précise que la collecte des données sera réservée aux seuls professionnels de santé prévus par décret et habilités à la réalisation des examens de dépistage virologique ou sérologique et considère que, dès lors, la disposition apporte des garanties suffisantes quant aux conditions de déroulement des tests et ne se heurte ainsi à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel au regard de l’objectif de protection de la santé qu’elle poursuit. Il souligne que l’élaboration du décret fixant la liste des professionnels de santé habilités à la réalisation de ces examens est dispensée de consultation préalable obligatoire en application de l’article 13 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
Sur les modifications des dispositions encadrant les systèmes d’information rendues nécessaires par la décision du Conseil constitutionnel du 11 mai 2020
14. Le Conseil d’Etat relève qu’en exigeant le recueil du consentement de la personne pour autoriser l’accès aux données la concernant contenues dans les systèmes d’information dans le cadre des mesures d’accompagnement social dont elle bénéficie, le Gouvernement entend répondre à une exigence constitutionnelle tirée du droit au respect de la vie privée, le Conseil constitutionnel ayant jugé à cet égard que les mesures d’accompagnement social ne relevaient pas de directement de la lutte contre l'épidémie (décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, §70).
En outre, le Conseil d’Etat estime utile de prévoir dans le texte que, pour le traitement des données aux fins de surveillance épidémiologique et de recherche, doivent être supprimées, conformément à une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, les coordonnées de contact téléphonique et électronique des personnes concernées et non plus seulement leurs nom, prénom, numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques et adresse (décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, §67).
15. Enfin, le Conseil d’Etat constate que les dispositions du projet portant sur la durée des systèmes d’information et de la conservation de certaines données ainsi que sur l’extension du périmètre des systèmes d’information aux tests antigéniques figurent parallèlement, dans des termes identiques ou analogues, dans le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire actuellement soumis au Parlement. Il appelle donc l’attention du Gouvernement sur la nécessité de coordonner les dispositions de ces deux projets s’il entend maintenir l’examen du second.
Sur les habilitations données au Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures propres à faire face aux conséquences de l’épidémie
16. Le projet de loi comporte plusieurs habilitations afin de permettre au Gouvernement de prendre, par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, des mesures relevant du domaine de la loi pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19 sur la vie collective. Le Conseil d'État relève que l'urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l'article 38 de la Constitution (décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, cons. 13). Compte-tenu de ces circonstances, le Conseil d'Etat admet le mode de rédaction consistant à faire référence à des dispositions de lois précédentes. Il estime que sont ainsi définis avec une précision suffisante les finalités et le domaine d’intervention des mesures envisagées.
L’habilitation a d’abord pour finalités de rendre possible la prolongation ou le rétablissement de dispositions déjà prises par voie d’ordonnance sur le fondement d’articles de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 et de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, et à procéder aux modifications nécessaires à leur prolongation, à leur rétablissement ou à leur adaptation, le cas échéant territorialisée, à l’état de la situation sanitaire.
L’habilitation prévoit également de permettre par ordonnance l’extension ou l’adaptation à l’état de la situation sanitaire, le cas échéant de manière territorialisée, de périodes d’application ou de périodes d’ouverture de droits résultant de dispositions des deux lois mentionnées à l’alinéa précédent ainsi que de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 et de la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l'organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires. Le Conseil d’Etat suggère de préciser la durée pendant laquelle le Gouvernement est autorisé à prendre ces ordonnances conformément au premier alinéa de l’article 38 de la Constitution.
Le Conseil d’Etat relève que certaines mesures rétablissant des dispositions déjà prises par ordonnance pourront s’appliquer de manière rétroactive, sur une période pouvant débuter au plus tôt à la date à laquelle les dispositions définies par les précédentes ordonnances auront expiré. Dans la rédaction du projet qu’il adopte, le Conseil d’Etat précise qu’une telle rétroactivité ne pourra viser qu’à garantir la continuité du bénéfice de droits et prestations relevant de collectivités publiques. Il rappelle que ces dispositions ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui seront conférés en application de l'article 38 de la Constitution, de respecter les règles et principes de valeur constitutionnelle ainsi que les normes internationales et européennes applicables (décision n° 2005-521 DC du 22 juillet 2005, cons. 7 ; décision n° 2017-251 DC du 7 décembre 2017, § 3). Lors de l’examen des projets d’ordonnance par le Conseil d’Etat, le principe et l’étendue de la rétroactivité proposée par le Gouvernement feront l’objet d’un examen attentif au cas par cas, au vu des justifications apportées.
17. Le projet de loi autorise également le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions modifiant l’article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020. Cet article prévoit qu’une indemnité d’activité partielle peut être allouée à des personnes, placées en position d’activité partielle, susceptibles de développer une forme grave de covid-19 ou partageant le domicile d’une telle personne, ou parents d’un enfant de moins de 16 ans ou d’une personne en situation de handicap faisant l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile. Le Conseil d’Etat rappelle que l’article 34 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) dispose que la loi de finances de l’année peut « comporter des dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année » et définit ainsi un domaine de compétence partagé avec la loi ordinaire. Il considère que les dispositions de l’article 20 de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 entrent dans ce domaine de compétence partagé et peuvent être modifiées par la loi ordinaire ou, le cas échéant, par une ordonnance intervenant dans le domaine de la loi après habilitation donnée sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.
18. Pour l'une des habilitations, le Conseil d’Etat juge préférable d'inclure directement dans le projet de loi la mesure envisagée, qui modifie l'article L. 6327-1 du code des transports pour étendre d’un à cinq ans la période de référence pour caractériser le franchissement du seuil de cinq millions de mouvements de passagers à partir duquel l’Autorité de régulation des transports est compétente. Ces dispositions, qui visent à stabiliser le champ de compétence de l’autorité de supervision indépendante à l’égard des principaux aéroports français, en évitant que la forte baisse du trafic constatée en 2020 ne le réduise temporairement, sont conformes au seuil fixé par l’article 1er de la directive 2009/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires, dont elles visent à préserver l’effet utile.
Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat en Commission permanente dans sa séance du 20 octobre 2020.