Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre-mer.
1. Le Conseil d’État a été saisi le 25 août 2021 d’un projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre-mer.
Ce projet comporte un article unique modifiant l’article 3 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
2. Il a pour objet, d’une part, de proroger jusqu’au 15 novembre 2021 l’état d’urgence sanitaire sur les territoires de :
- la Guyane, où il a été déclaré à compter du 17 octobre 2020 par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020, puis prorogé à plusieurs reprises, en dernier lieu jusqu’au 30 septembre 2021 par la loi du 31 mai 2021 ;
- La Réunion et de la Martinique, où il a été déclaré à compter du 14 juillet 2021 par le décret n° 2021-931 du 13 juillet 2021, puis prorogé jusqu’au 30 septembre 2021 par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ;
- la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, où il a été déclaré à compter du 29 juillet 2021 par le décret n° 2021-990 du 28 juillet 2021. Son terme a été fixé au 30 septembre 2021 par la loi du 5 août 2021 ;
- la Polynésie française, où il a été déclaré au 12 août 2021 par le décret n° 2021-1068 du 11 août 2021.
3. Le projet prévoit, d’autre part, que, si l'état d'urgence sanitaire est déclaré sur le territoire de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles Wallis et Futuna ou de la Nouvelle-Calédonie avant le 15 octobre 2021, ce régime y sera applicable jusqu'au 15 novembre 2021 inclus.
Sur la procédure
4. Le comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique a été consulté, ainsi qu’il devait l’être en application de l’article L. 3131-13 du même code. Il a rendu un avis le 29 août 2021.
5. Le Conseil d’État estime qu’aucune autre consultation n’était requise.
Il rappelle qu’un projet de loi traitant de l’état d’urgence sanitaire n’est pas, par nature, dispensé de consultations préalables, en particulier de celles prévues par les dispositions applicables aux collectivités de l’article 73 et 74 de la Constitution ainsi qu’à la Nouvelle-Calédonie (à rapprocher de la décision du Conseil constitutionnel n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, cons. 5 à 7). En l’espèce toutefois, les dispositions du projet de loi n’ont pas pour objet de modifier le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire, mais de le mettre en œuvre en prorogeant l’application de ce régime dans les territoires mentionnés au point 2 et en fixant un terme adapté aux circonstances actuelles et prévisibles de temps et de lieu dans l’hypothèse d’une éventuelle déclaration de l’état d’urgence sanitaire dans les territoires mentionnés au point 3.
Le Conseil d’État estime, par suite, que, eu égard à leur objet, les mesures du projet de loi ne constituent ni des « dispositions d’adaptation du régime législatif » aux collectivités de l’article 73 de la Constitution, ni des « dispositions particulières » aux collectivités de l’article 74 ou à la Nouvelle-Calédonie, au sens des textes imposant la consultation des assemblées et conseils de ces collectivités.
6. Le Conseil d’État relève enfin que les dispositions du projet de loi entrent dans les prévisions de l’article 11 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, selon lequel l’obligation d’étude d’impact résultant de l’article 8 de cette même loi « n'est pas applicable aux (…) projets de loi prorogeant des états de crise ».
Sur les dispositions portant prorogation de l’état d’urgence sanitaire
7. Comme le Conseil d’État l’a indiqué au point 2 de son avis n° 401.919 du 11 janvier 2021, pour apprécier le bien-fondé de la mesure envisagée dans son principe, dans son champ géographique comme dans la durée envisagée, il convient de rechercher si, au regard des données disponibles sur la situation sanitaire et en l’état des connaissances scientifiques, cette mesure est justifiée par l’existence et la persistance prévisible de la catastrophe sanitaire dans chacun de ces territoires sur la période courant jusqu’au 15 novembre 2021, en tenant compte de l’efficacité des mesures propres au régime de l’état d’urgence et de leur adéquation pour faire face à la situation sanitaire actuelle comme à son évolution prévisible.
8. Il ressort des informations transmises par le Gouvernement au Conseil d’État et de l’avis du comité de scientifiques en date du 29 août 2021 que la circulation du virus reste active dans l’ensemble des territoires concernés marqués, comme l’ensemble du territoire national, par une prédominance du variant Delta.
En dépit d’une légère amélioration, la situation sanitaire est particulièrement dégradée en Polynésie française, où le taux d’incidence s’élève à 2 863 pour 100 000 habitants (chiffres du ministère de la santé de la Polynésie française, en charge de la prévention, en date du 24 août 2021). Il en va de même en Martinique et en Guadeloupe, où le taux d’incidence de la covid-19 reste proche de respectivement 900 et 1 900 pour 100 000 habitants. Dans les autres territoires concernés, le taux d’incidence reste supérieur à 300 pour 100 000 habitants, et atteint 566 à Saint-Martin (chiffres de Santé Publique France au 26 août 2021).
Dans la plupart de ces territoires, et en particulier dans ceux exposés à des taux d’incidence très élevés, la pression hospitalière apparaît forte, voire critique, avec des taux d’occupation dépassant les capacités initiales, qui ont exigé des évacuations sanitaires et la venue de personnels de santé de France métropolitaine.
Par ailleurs, la couverture vaccinale, de nature à réduire le nombre de contaminations ou de formes graves de la covid-19, reste faible dans la plupart des territoires concernés, et nettement inférieure à celle du reste du territoire national.
Enfin, comme le rappelle le comité de scientifiques dans son avis du 29 août, « les conséquences de la circulation du virus sont aggravées dans l’ensemble de ces territoires par la prévalence élevée de comorbidités, et par plusieurs paramètres structurels, en particulier les capacités propres limitées de leur système de santé, et leur isolement géographique rendant plus difficiles les transferts de patients comme l’acheminement des renforts ».
9. Le Conseil d’État estime, par suite, que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 15 novembre 2021 inclus est justifiée en l’état des données disponibles.
Sur la dérogation temporaire aux modalités de prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans certains territoires
10. La mesure mentionnée au point 3 du présent avis a pour effet de déroger temporairement, sur les territoires de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles Wallis et Futuna et de la Nouvelle-Calédonie, aux dispositions de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique selon lesquelles la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’une durée d’un mois doit être autorisée par la loi.
11. A la différence de la mesure dérogeant au mêmes dispositions qui figurait dans le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, que le Conseil d’État avait écartée dans son avis n° 402.691 du 21 avril 2021 (points 16 et 17), la mesure prévue par le présent projet de loi est claire et lisible. Cette dérogation temporaire et limitée aux dispositions de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique est en lien avec la situation sanitaire fragile de ces territoires, relevée par le comité de scientifiques dans son avis du 29 août 2021, et avec les contraintes particulières de la lutte contre la propagation de l’épidémie dans ces territoires, rappelées au point 8 ci-dessus. Ces facteurs peuvent justifier de prévoir par avance une durée pouvant dépasser un mois en cas de déclaration rapprochée de l’état d’urgence sanitaire dans l’un de ces territoires et de fixer une date commune pour le réexamen simultané de leur situation avec les collectivités d’outre-mer déjà placées sous le régime de l’état d’urgence sanitaire.
Le Conseil d’État estime qu’elle ne se heurte à aucun obstacle juridique.
Cet avis a été délibéré et adopté par la Commission permanente du Conseil d’État dans sa séance du lundi 30 août 2021.