Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte.
1. Le Conseil d’État a été saisi, le 24 mars 2025, d’un projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Ce projet de loi a été modifié par des saisines rectificatives reçues les 2, 14 et 15 avril 2025 et l’étude d’impact a été adaptée et complétée par des saisines reçues les 2, 4, 14 et 17 avril 2025.
La présentation de ce projet de loi succède à l’adoption de la loi n° 2025-176 du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte (avis du 22 décembre 2024, n° 409122, projet de loi d’urgence pour Mayotte), laquelle visait à la mise en œuvre de mesures urgentes d’hébergement de la population, de reconstruction ou de réparation à la suite du passage d’un cyclone dans la nuit du 13 au 14 décembre 2024, ayant causé de considérables dommages.
I. Considérations générales
2. Aux termes de son exposé des motifs, le projet de loi se donne pour but « d’affirmer l’ambition de la France pour le développement de Mayotte », par des mesures structurantes, en particulier en renforçant les outils de la lutte contre l’immigration irrégulière, en étoffant les outils juridique permettant de lutter contre l’habitat illégal, en prévoyant une convergence accélérée vers le droit commun des prestations sociales et des prélèvements, de façon à accompagner le développement social et économique du territoire, ainsi qu’en modernisant le cadre institutionnel de la collectivité et en réformant le mode de scrutin de son organe délibérant tout en assurant une représentation équilibrée de l’ensemble de son territoire.
A cette fin, le texte comprend 34 articles, répartis en six titres, respectivement intitulés : « Refondation et ambition pour Mayotte », « Lutter contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal », « Protéger les Mahorais », « Façonner l’avenir de Mayotte », « Moderniser le fonctionnement institutionnel de Mayotte » et « Dispositions finales et transitoires ».
3. Le titre Ier du projet de loi, qui comprend l’article 1er, par lequel est approuvé le rapport annexé au texte, comportant notamment une programmation des investissements prioritaires dans les infrastructures et politiques publiques essentielles à Mayotte pour la période 2025-2031, relève du vingt et unième alinéa de l’article 34 de la Constitution aux termes duquel : « Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État », tandis que les titres II à VI du projet de loi regroupent diverses dispositions à caractère normatif, dont une partie modifient ou complètent des codes et lois. Ainsi que le Conseil d’État l’a déjà admis à plusieurs reprises (voir en dernier lieu : avis des 13 avril et 2 mai 2023, n° 406855, projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, et avis des 23 et 30 mars 2023, n° 406858, projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense), la coexistence, au sein d’un même projet de loi, de dispositions programmatiques et de dispositions normatives ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, sous réserve que les premières fassent l’objet d’une présentation clairement séparée des autres, aux fins d’assurer le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789. Le Conseil d’État constate que tel est le cas en l’espèce.
4. Dans sa partie normative, qui comprend les titres II à VI, le projet de loi comporte des mesures de nature et de portée diverses, traitant notamment du droit au séjour des étrangers et de la lutte contre l’immigration clandestine, de la lutte contre l’habitat informel, du contrôle des armes, de la convergence des droits sociaux avec la législation applicable en métropole et dans les autres départements et régions d’outre-mer. Il comprend également plusieurs mesures destinées à faciliter la construction d’infrastructures essentielles et de bâtiments scolaires, d’autres visant à la création d’une zone franche globale, à l’extension des quartiers prioritaires de la politique de la ville à l’ensemble du territoire de Mayotte, à améliorer l’accompagnement de la jeunesse et à renforcer l’attractivité des emplois dans la fonction publique à Mayotte. Enfin des dispositions tendent à réformer l’organisation institutionnelle du Département de Mayotte et le mode de scrutin de son organe délibérant et prévoient un changement de dénomination en « Département-Région » de Mayotte.
5. Selon l’article 73 de la Constitution, les lois et règlements, applicables de plein droit dans les départements et régions d’outre-mer, « peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Il résulte des décisions du Conseil constitutionnel (voir notamment les décisions n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, n° 2004-503 DC du 12 août 2004, n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 et n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022) que les règles applicables sur le territoire des collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution doivent être les mêmes que celles applicables sur le reste du territoire national, sous la seule réserve des mesures d’adaptation nécessitées par leur situation particulière. Ces mesures, instaurant une différence de traitement dans un domaine donné et permettant d’adapter, dans une certaine mesure, les règles de droit commun, doivent être justifiées, dans ce domaine, par des écarts objectifs entre la situation particulière d’une ou plusieurs de ces collectivités et celle du reste du territoire national, suffisants pour pouvoir être regardés comme des caractéristiques et contraintes particulières, dans la mesure où elles sont proportionnées à ces écarts et en rapport avec l’objet de la loi. Ces contraintes et caractéristiques particulières peuvent être de différents ordres, notamment de nature sociale, économique, démographique ou géographique. Le Conseil d’État souligne qu’il appartient au Gouvernement d’établir, par des éléments objectifs, notamment statistiques, l’existence et la nature de ces écarts, propres à justifier les mesures d’adaptation qu’il entend prendre.
Il relève que certaines mesures d’adaptation ayant un caractère temporaire font l'objet d'une codification. Il estime que rien ne s'y oppose dès lors qu’elles n’ont pas de caractère expérimental.
6. Le Conseil d’État considère que l'étude d'impact complétée à trois reprises par le Gouvernement, répond dans son dernier état et sous réserve de remarques ponctuelles qui sont formulées à l'occasion de l'examen de certaines dispositions du texte, aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
7. L’intitulé retenu pour le projet de loi appelle des réserves de la part du Conseil d’État, en ce que la notion de « refondation » ne revêt pas une signification claire et univoque et ne caractérise pas la plupart des dispositions du projet de loi qui visent à poursuivre le processus d’accompagnement déjà engagé en faveur du développement de Mayotte. En conséquence, le Conseil d’État propose de modifier l’intitulé du texte pour le rendre plus conforme à son contenu et ainsi le dénommer : « projet de loi de programmation et portant diverses dispositions d’adaptation relatif à Mayotte ».
8. Le Conseil d’État constate que le projet de loi a bien été soumis à toutes les instances dont la consultation était obligatoire. Il regrette toutefois que ces avis lui aient été transmis particulièrement tardivement.
Il note, en premier lieu, que le Conseil économique, social et environnemental a été consulté, comme il devait l’être, sur les dispositions du projet de loi relevant de la catégorie des lois de programmation, en application de l’article 70 de la Constitution, aux termes duquel : « tout projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental lui est soumis pour avis ».
Il relève, en deuxième lieu, que le Haut Conseil des finances publiques a également été consulté par le Gouvernement sur le projet de loi de programmation, comme l’impose le VII de l’article 61 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, aux termes duquel : « Le Haut Conseil des finances publiques est saisi par le Gouvernement des dispositions des projets de loi de programmation mentionnés au (vingt et unième) alinéa de l'article 34 de la Constitution ayant une incidence sur les finances publiques. Au plus tard quinze jours avant que le Conseil d’État soit saisi d'un tel projet de loi, le Gouvernement transmet au Haut Conseil les éléments de ce projet de loi lui permettant d'évaluer la compatibilité de ces dispositions avec les objectifs de dépenses prévus, en application de l'avant-dernier alinéa de l'article 1er A de la présente loi organique, par la loi de programmation des finances publiques en vigueur ou, à défaut, par l'article liminaire de la dernière loi de finances. (…) ».
Le Conseil d’État ajoute, comme il l’a déjà fait, que cette consultation prévue par des dispositions organiques demeure obligatoire lorsque le Conseil économique, social et environnemental est consulté dans les conditions prévues à l’article 6-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental (voir avis du 21 mars 2024, n° 408136, projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture).
Comme il l’a également déjà indiqué dans le même avis, le Conseil d’État estime qu’en prévoyant que le Haut Conseil des finances publiques est consulté sur « les dispositions des projets de loi de programmation… ayant une incidence sur les finances publiques », le législateur organique n’a pas entendu qu’une telle consultation doive être opérée sur toute disposition relevant du champ du vingt et unième alinéa de l’article 34 de la Constitution, mais l’a imposée pour que la compatibilité des objectifs ainsi fixés avec la trajectoire prévue, pour les dépenses des administrations publiques, par la loi de programmation des finances publiques en vigueur puisse être appréciée par ce même Haut Conseil. Il considère, en conséquence, qu’outre les tableaux prévoyant des trajectoires d’ouvertures de crédits budgétaires, traditionnels dans la plupart des lois de programmation sectorielles, seules les dispositions prévoyant, de manière suffisamment précise, des actions ayant un impact quantifiable, autre que négligeable, sur les dépenses des administrations publiques sont obligatoirement soumises à cette consultation.
Le Conseil d’État observe, en l’espèce, que si le rapport annexé au présent projet de loi ne prévoit pas, formellement, l’approbation de tableaux comportant une trajectoire annualisée d’ouvertures d’autorisations d’engagement ou de crédits de paiement, d’une part, il identifie, recense et chiffre des investissements prioritaires pour un montant global de 3,176 milliards, qui se traduiront par de telles ouvertures, d’autre part, il programme de nombreuses autres mesures ayant un coût pour les finances publiques, notamment pour accélérer la convergence économique et sociale de l’archipel avec la métropole. Il note que si l’incidence de ces mesures reste limitée au regard de l’ensemble des dépenses des administrations publiques, leur coût d’ensemble ne peut être regardé comme négligeable. Le Conseil d’État en déduit que les dispositions programmatiques du projet de loi relèvent « des lois de programmation ayant une incidence sur les finances publiques », pour lesquelles la saisine du Haut conseil des finances publiques est obligatoire en application des dispositions précitées de l’article 61 de la loi organique relative aux lois de finances.
Le Conseil d’État constate, en troisième lieu, que le Département de Mayotte a été consulté, ainsi qu’il devait l’être, en application de l’article L. 3444-1 du code général des collectivités territoriales.
Au-delà de ces remarques liminaires, le projet de loi appelle les observations suivantes de la part du Conseil d’État.
II. Dispositions de programmation
9. Le rapport annexé au projet de loi et approuvé en son article 1er, présente un programme d’investissements sur la période 2025 à 2031 centré sur trois axes prioritaires : protéger les Mahorais vis-à-vis des aléas naturels et de l’insécurité, garantir l’accès de la population aux biens et ressources essentiels et développer les leviers de la prospérité à Mayotte. Il rappelle tout d’abord les deux catastrophes climatiques survenues en décembre 2024 et en janvier 2025, lesquelles ont causé des dégâts humains, matériels et environnementaux considérables sur le territoire. Le rapport annexé expose l’ambition du Gouvernement pour la reconstruction et le développement de Mayotte, d’aller au-delà des mesures prévues par la loi n° 2025-176 du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte, visant à proposer une réponse immédiate aux conséquences de ces épisodes météorologiques majeurs, afin de « donner les moyens aux Mahorais d’exercer leurs droits, vivre en paix et en sécurité à Mayotte, 101ème département français situé dans l’océan Indien ».
Sur le premier axe, le rapport évoque la nécessité de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière et l’habitat illégal, qui constituent des facteurs de déstabilisation du territoire et du pacte social mahorais. Sur le deuxième axe, il rappelle la nécessité de poursuivre les efforts en matière d’accès à l’eau potable, à l’électricité ainsi qu’aux soins et à l’éducation, dans un département où est actuellement mis en place un système de rotation scolaire en raison de la pression démographique au regard de la capacité d’accueil des salles de classe. Sur le troisième et dernier axe, il évoque le renforcement de l’accompagnement de la jeunesse, le développement de dispositifs d’attractivité pour les fonctionnaires ainsi que l’accélération du développement économique du territoire.
Le Conseil d’État relève que, si l’orientation des programmes d’investissement envisagés sur ces trois axes prioritaires ressort bien des énonciations du rapport, les développements de ce dernier exposent de nombreuses mesures insuffisamment reliées entre elles et entremêlent des considérations distinctes ne permettant pas d’identifier clairement à quel objectif se rattache chacune des considérations évoquées. Le Conseil d’État estime donc que le rapport gagnerait à être réorganisé de manière plus claire autour de ces trois axes prioritaires.
III. Autres dispositions
Sur les dispositions relatives à la lutte contre l’immigration illégale
10. Le territoire de Mayotte est confronté à une forte pression démographique, appelée à s’accentuer dans les prochaines décennies. En effet, il ressort des éléments fournis dans l’étude d’impact que la population de Mayotte a quadruplé entre 1985 et 2017, passant de 67 200 à 256 500 habitants, avec une forte hausse observée entre 2012 et 2017 (+ 3,8 % par an en moyenne). Selon une étude de projection démographique réalisée par l’INSEE en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental de Mayotte parue en 2020, la population totale de Mayotte pourrait s’élever jusqu’à 760 000 personnes à horizon 2050. Selon les informations fournies par le Gouvernement, cette hausse repose essentiellement sur le dynamisme des naissances : en 2022, un nombre record de 10 770 naissances a été enregistré, 75 % des enfants ayant une mère de nationalité étrangère, dans près des trois quarts des cas de nationalité comorienne. La proportion des nouveau-nés dont les deux parents sont étrangers avoisine 45 % sur les cinq dernières années. Mayotte est par ailleurs le département français où la part d’étrangers dans la population, d’environ 50 % en 2020, est la plus importante, devant la Guyane. Selon la dernière étude de l’INSEE, parue en 2017, la moitié des étrangers non natifs de Mayotte sont en situation administrative irrégulière. Le Conseil d’État estime que ces caractéristiques très particulières justifient qu’il puisse être procédé à des adaptations, sur le fondement de l’article 73 de la Constitution, à condition de respecter les exigences mentionnées au point 5, en matière de conditions d’accès au séjour et d’établissement de la filiation à Mayotte, eu égard aux conséquences s’y attachant en matière d’acquisition de la nationalité française et de délivrance de titres de séjour.
Sur les conditions d’accès au séjour pour motif familial
11. Au regard de la forte pression migratoire à laquelle est confrontée Mayotte, aux fins de lutter contre l’immigration irrégulière et de limiter le nombre de titres de séjour délivrés, le Gouvernement entend restreindre les conditions d’accès au séjour, s’agissant de la délivrance de la carte de séjour temporaire (CST) délivrée à l’étranger parent d’enfant français, de la CST délivrée à l’étranger ayant des liens personnels et familiaux en France et de la carte de résident délivrée à l’étranger parent d’enfant français.
12. Le Conseil d’État note qu’à Mayotte, une très forte proportion des étrangers titulaires d’un titre de séjour se le sont vu délivrer pour un motif familial. Il ressort en effet des éléments fournis dans l’étude d’impact que le volume de titres délivrés ou renouvelés pour un motif familial s’élève à 85 % des titres en 2023 (13 554) et plus de 80 % en 2024 (15 747), contre 36 % en 2023 (405 804) et 2024 (390 617) au niveau national. En outre, les titres « parents d’enfant français » et « liens personnels et familiaux » représentent respectivement plus de la moitié et plus d’un quart des titres délivrés à Mayotte en 2024, alors que ces pourcentages s’élèvent respectivement à 5 % et 12 % sur l’ensemble du territoire national. Il résulte des mêmes données qu’à Mayotte, ces deux catégories de titres sont délivrées très majoritairement à des étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire : sur l’ensemble des titres de séjour en cours de validité au 31 décembre 2023, c’est le cas de 84 % des titres « parents d’enfant français » et de 93 % des titres « liens personnels et familiaux ». Enfin, au 31 décembre 2023, 94 % des cartes de séjour pluriannuelles en cours de validité à Mayotte étaient détenues par des parents d’enfants français, des étrangers au titre de leurs liens personnels et familiaux en France et des étrangers conjoints de Français.
13. En premier lieu, le Gouvernement entend introduire une condition de production d’un visa de long séjour pour l’obtention d’une CST délivrée, à Mayotte, à l’étranger parent d’enfant français. Le Conseil d’État rappelle que le législateur est déjà intervenu, en 2024, pour restreindre les conditions de délivrance d’un tel titre à Mayotte, en portant à trois ans, au lieu de deux, la durée de contribution effective à l’éducation et l’entretien de l’enfant exigée (article 82 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration).
14. En deuxième lieu, le projet de loi porte de trois à cinq ans la durée de résidence régulière exigée pour l’obtention d’une carte de résident par l’étranger parent d’un enfant français, qui demeure subordonnée à la détention d’une CST « parent d’enfant français » ou d’une carte de séjour pluriannuelle « conjoint de Français », « parent d’enfant français » ou « liens personnels et familiaux » en cours de validité. La délivrance d’une carte de résident à l’étranger parent d’un enfant français à Mayotte fait d’ores et déjà l’objet d’une adaptation : elle est soumise à la justification de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses besoins.
15. En troisième lieu, le Gouvernement entend introduire une condition de production d’un visa de long séjour et une condition de résidence habituelle de sept ans pour l’obtention d’une CST délivrée, à Mayotte, à l’étranger « qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée » (article L. 423-23 du CESEDA). Cette catégorie de titre n’est subordonnée, à ce jour, ni à la régularité de l’entrée sur le territoire ni à une durée de résidence habituelle.
16. Le Conseil d’État constate que les dispositions du projet de loi concernant la délivrance des CST « parent d’enfant français » et « liens personnels et familiaux » et la délivrance de la carte de résident aux étrangers parents d’enfant français, apportent une adaptation qu’il regarde comme limitée, adaptée et proportionnée à la situation particulière de Mayotte, à savoir l’existence de flux migratoires très importants, la forte proportion de personnes de nationalité étrangère et la forte prévalence, d’une part, de CST délivrées à des étrangers parents d’enfant français ainsi qu’à des étrangers au titre de leurs liens personnels et familiaux entrés irrégulièrement sur le territoire, d’autre part, de cartes de séjour pluriannuelles délivrées à des étrangers parents d’enfants français, à des étrangers au titre de leurs liens personnels et familiaux en France et à des étrangers conjoints de Français. Il estime par conséquent qu’elles n’excèdent pas les adaptations permises par l’article 73 de la Constitution.
17. En outre, le Conseil d’État estime que les dispositions concernant la délivrance des cartes de séjours temporaires et des cartes de résident aux étrangers parents d’enfant français ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre conventionnel, en particulier au regard de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel ne garantit pas, en tant que tel, le droit à un type particulier de titre de séjour. Il estime qu’elles ne portent pas davantage atteinte au droit à mener une vie familiale normale découlant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
18. Enfin, s’agissant des dispositions concernant la délivrance de CST aux étrangers sur le fondement de leurs liens personnels et familiaux, le Conseil d’État relève que les dispositions de l’article L. 423-23 du CESEDA permettent la délivrance de tels titres aux fins de régularisation du séjour des personnes concernées, au regard des exigences conventionnelles et constitutionnelles de protection du droit à la vie privée et familiale et du droit à mener une vie familiale normale. Il souligne que la réponse à la question de savoir si le refus d’autoriser le séjour d’une personne porte une atteinte disproportionnée à ces droits exige un examen de la situation personnelle de l’intéressé et n’est pas conditionnée par la satisfaction d’un ou plusieurs critères prédéterminés.
Le Conseil d’état constate qu’à Mayotte, est exclue l’application du chapitre V du titre III du livre IV du CESEDA prévoyant un dispositif d’admission exceptionnelle au séjour répondant à des considérations humanitaires ou à des motifs exceptionnels (article L. 441-7, 15° du CESEDA), et en particulier de son article L. 435-1 dont le premier alinéa dispose que « L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ». Les dispositions du projet de loi, combinées à l’inapplicabilité du régime de l’admission exceptionnelle au séjour, semblent interdire toute régularisation, au titre de leur protection du droit à la vie privée et familiale, du séjour d’étrangers qui ne pourraient justifier de la condition d’entrée régulière (avec un visa de long séjour) ou de la condition habituelle de résidence habituelle de sept ans qu’elles instaurent.
Le Conseil d’État rappelle toutefois que ces dispositions, qui ont pour objet de définir les conditions dans lesquels un étranger a droit à la délivrance d’un titre, ne font pas obstacle à l’exercice, par l’autorité administrative, du pouvoir discrétionnaire qui lui appartient, dès lors qu’aucune disposition expresse ne le lui interdit, de régulariser la situation d’un étranger, compte tenu de l’ensemble des éléments de sa situation personnelle dont il justifierait (avis 2/7 SSR, 8 juin 2010, n° 334793, A). Il constate que l’administration reste ainsi en droit de délivrer le titre en cause et de procéder ainsi à la régularisation du séjour de l’étranger lorsque l’examen de sa situation personnelle le justifie, alors même que les conditions légales et restrictives qu’elles édictent ne seraient pas réunies. Il ajoute qu’en outre, la jurisprudence constante fondée sur l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales comme sur les exigences constitutionnelles (dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946) rendrait illégal le refus d’autoriser le séjour d’un étranger, au motif que les conditions légales requises pour la délivrance du titre en cause ne seraient pas réunies, dans l’hypothèse où ce refus porterait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale.
Dans ces conditions, le Conseil d’État estime que le projet d’article ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
Sur les mesures contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité
19. Selon les informations communiquées par le Gouvernement, les caractéristiques de la population vivant à Mayotte et les conséquences s’attachant à la filiation d’un enfant à un parent de nationalité française sur le droit au séjour de l’enfant et de l’autre parent conduisent à une recrudescence des reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité à Mayotte, en particulier depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, laquelle a restreint les conditions d’accès à la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte. Cette évolution se traduirait, pour l’essentiel, par des reconnaissances réalisées par des hommes de nationalité française concernant des enfants nés à Mayotte dont la mère, de nationalité étrangère, dans la majorité des cas de nationalité comorienne, est en situation irrégulière, en échange d’une rémunération ou de services. Il ressort des éléments figurant dans l’étude d’impact que les reconnaissances frauduleuses détectées en 2023 représentent 7 % des reconnaissances totales effectuées à Mayotte en 2023, soit 583 sur 8 328, ce chiffre ne permettant toutefois pas d’appréhender l’étendue du phénomène à Mayotte. Les reconnaissances d’enfants connaissent également une hausse importante sur la période récente (+13 % en 2023 par rapport à 2019), plus de la moitié des déclarants étant de nationalité étrangère, majoritairement de nationalité comorienne.
20. Par la centralisation des reconnaissances de paternité et maternité réalisées devant l’officier de l’état civil dans le chef-lieu du département, à Mamoudzou, sauf lorsque la reconnaissance intervient concomitamment à la déclaration de la naissance prévue par l’article 55 du code civil, le projet de loi vise à renforcer l’efficacité de la détection préventive des reconnaissances frauduleuses pour les enfants nés à Mayotte. Est également prévu un renforcement des obligations d’information à la charge de l’officier de l’état civil auprès duquel est effectuée la reconnaissance de filiation. Ce dispositif, que le Conseil d’État regarde comme adapté au regard des caractéristiques locales particulières à Mayotte rappelées aux points 5 et 11, lui apparait également proportionné au regard des exigences de l’article 73 de la Constitution. En effet, 75 % des naissances ont lieu à Mamoudzou, où se situe la plus grande maternité du territoire mahorais. 25 % des reconnaissances ont lieu concomitamment à la déclaration de la naissance et ne seront pas concernées par ce nouveau dispositif. Enfin, Mamoudzou est, en temps normal, accessible depuis les différentes parties du territoire mahorais. En outre, l’introduction de ce nouveau dispositif n’a ni pour objet ni pour effet de priver les parents de la possibilité d’établir leur lien de filiation à l’égard d’un enfant, mais simplement d’en encadrer les modalités au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi et de la situation particulière à Mayotte. Le Conseil d’État considère que ce dispositif ne se heurte, par suite, à aucun obstacle de nature constitutionnelle et n’identifie pas de norme conventionnelle qui s’opposerait à cette évolution.
21. Afin de prévenir les reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité, le législateur a mis en place à Mayotte, dès l’entrée en vigueur de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, un dispositif, généralisé par la suite à l’ensemble du territoire par la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, permettant au procureur de la République, sur saisine de l’officier de l’état civil, de surseoir à statuer sur l’enregistrement d’une reconnaissance d’un enfant lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer que celle-ci est frauduleuse. Ce sursis peut conduire, aux termes de l’enquête, à ce que le procureur de la République s’oppose à l’enregistrement de la reconnaissance de l’enfant, lorsqu’il conclut à l’existence d’une fraude. En vertu du troisième alinéa de l’article 316-1 du code civil, la durée du sursis ainsi décidé ne peut excéder un mois, renouvelable une fois par décision spécialement motivée. Lorsque l’enquête est menée, en totalité ou en partie, à l’étranger par l’autorité diplomatique ou consulaire, la durée du sursis est portée à deux mois, renouvelable une fois par décision spécialement motivée.
Le souhait du Gouvernement d’allonger ces délais respectivement à deux et trois mois à Mayotte n’appelle pas d’observation du Conseil d’État, la durée d’allongement du sursis lui semblant fondée au regard des exigences de l’article 73 de la Constitution et le sursis à l’enregistrement de la reconnaissance étant, en tout état de cause, sans incidence sur l’établissement du lien de filiation entre un parent et son enfant dans la mesure où, de jurisprudence constante, le caractère déclaratif de la reconnaissance d’un enfant conduit à ce que les droits en découlant remontent au jour de la naissance de l’enfant (voir par exemple : Civ. 1ère, 12 décembre 2000, n° 98-19.147). Le Conseil d’État estime que cet allongement des délais de sursis n’est donc de nature à remettre en cause ni l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, découlant des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946, ni le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il propose simplement de préciser la rédaction des dispositions en cause afin qu’il soit rappelé qu’elles n’apportent des adaptations qu’au seul troisième alinéa de l’article 316-1 du code civil, le reste de ces dispositions demeurant applicable, sans changement, à Mayotte.
Le durcissement de la peine d’amende du délit de reconnaissance frauduleuse d’enfant effectuée dans le seul but d’obtenir ou de faire obtenir à un étranger un titre de séjour ou la nationalité française, de 15 000 à 75 000 euros, en sus de la peine d’emprisonnement de cinq ans, déjà prévue, par l’article L. 823-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, n’appelle pas d’observation de la part du Conseil d’État.
Sur les autres mesures de lutte contre l’immigration irrégulière
Sur l’aide au retour
22. La pression des flux migratoires provenant des Comores a, jusqu’à présent, justifié une dérogation à la possibilité offerte à l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement de solliciter un dispositif d’aide au retour. En application du 3° de de l’article L. 761-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l’étranger ne peut bénéficier à Mayotte que d’une aide à la réinsertion économique, dans des circonstances exceptionnelles et sous réserve de l'existence d'un projet économique viable ou de mesures d’accompagnement s’il est accompagné d’un ou plusieurs enfants mineurs.
Toutefois, compte tenu de l’augmentation récente à Mayotte du flux de ressortissants provenant de pays vers lesquels l’éloignement est plus durable, comme les pays d’Afrique de l’Est ou de la région des Grands lacs, ainsi que cela ressort de l’étude d’impact, le projet vise à permettre, dans certaines circonstances exceptionnelles, notamment en cas d’accroissement particulier des flux, d’accorder, dans des conditions fixées par arrêté, le bénéfice de l’aide au retour afin de fluidifier les éloignements depuis Mayotte. Le Conseil d’État estime que cette possibilité, qui modifie les conditions dans lesquelles, sur le fondement de l’article 73 de la Constitution, le droit commun est adapté aux particularités de Mayotte, ne se heurte à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel.
Sur la possibilité de place un étranger accompagné d’un mineur dans une unité familiale en vue de leur éloignement
23. Depuis le 28 janvier 2024, l'étranger mineur de dix-huit ans ne peut plus faire l'objet d'une décision de placement en rétention (article L. 741-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, modifié par la loi n° 2024 42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration). Par cette disposition, le législateur a entendu exclure toute présence de mineur en rétention, même pour accompagner ses parents placés eux-mêmes en rétention. Toutefois, compte tenu du contexte migratoire spécifique à Mayotte, le législateur a différé au 1er janvier 2027 la fin du dispositif de rétention des familles conformément au III de l’article 86 de la loi du 26 janvier 2024.
24. A Mayotte aujourd’hui, la proportion de mineurs impliqués dans l’immigration irrégulière est, comme le montrent les données communiquées par le Gouvernement, plus élevée que sur le reste du territoire national. Parallèlement, les mesures d’assignation à résidence apparaissent insuffisantes s’agissant d’étrangers accompagnants en situation irrégulière, lorsqu’ils ont troublé l’ordre public ou se sont déjà soustraits à des mesures d’éloignement. Pour tenir compte de ces particularités, le projet de loi autorise l’accueil de ces familles, y compris donc d’enfants mineurs, au sein de lieux spécialement aménagés dans un cadre plus restrictif de liberté. Le Conseil d’État considère que les particularités du territoire rappelées précédemment justifient que des dispositions distinctes de celles de droit commun soient prises en la matière sur le fondement de l’article 73 de la Constitution.
25. Dans l’examen de ces dispositions, le Conseil d’État s’assure du respect des exigences qui découlent des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ainsi que de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990, qui exige des États signataires qu’ils prennent toujours en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans le cas de la disposition envisagée, alors que l’enfant demeure avec sa famille, cet intérêt supérieur exige, tout comme les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Voir notamment Cour européenne des droits de l’homme : n°11593/12, 12 juillet 2016 et n° 49775/20, 31 mars 2022, particulièrement §50 et s.), que la rétention en milieu contraint soit la plus réduite possible, pendant le temps strictement nécessaire à l’éloignement de la famille entière.
26. Le Conseil d’État relève qu’aux termes du projet de loi, le placement dans ces les lieux d’accueil devra être le plus bref possible, pour les seuls nécessités de l’organisation de la mesure d’éloignement, que les locaux concernés devront être adaptés aux besoins des familles et plus particulièrement des enfants et qu’ils seront édifiés indépendamment des locaux de rétention ; les caractéristiques de ces locaux seront précisées par décret en Conseil d’État.
Il note également que le projet de loi renvoie aux dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au placement en rétention le maintien de la mesure, son contrôle par l’autorité judiciaire et le régime attaché à cette mesure, notamment l’exercice de leurs droits par les étrangers. Il relève toutefois que ce renvoi conduirait à rendre applicables aux mineurs faisant l’objet du placement les durées de placement et de maintien en rétention prévues par les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui peuvent s’étendre de 4 à 210 jours selon les circonstances. Le Conseil d’État considère qu’une telle application porterait nécessairement atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il propose que la durée maximale du placement fixée par la loi n’excède pas 48 heures (voir décision n° 2018-770 DC, 6 septembre 2018, cons. 61 à 63). Il suggère également de préciser que le recours contre cette décision s’exerce dans un délai de 48 heures, le juge devant statuer dans un délai de 48 heures. Ces délais sont identiques à ceux qui s’appliquaient lorsque la mesure en cause pouvait être prise sur le territoire métropolitain et paraissent mieux adaptés que ceux de droit commun, trop longs au regard de la durée de la mesure.
27. Sous réserve de cet encadrement, le Conseil d’État estime que cette mesure opère une conciliation satisfaisante entre les exigences des normes constitutionnelles et conventionnelles et l’objectif d’intérêt général poursuivi.
Sur le retrait du document de séjour de l’étranger majeur exerçant l’autorité parentale sur un étranger mineur dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public
28. Le Gouvernement entend introduire à Mayotte, lorsque le comportement d’un mineur étranger, capable de discernement (article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs) constitue une menace pour l’ordre public, la faculté, pour l’autorité administrative, de retirer le document de séjour de l’étranger majeur exerçant l’autorité parentale sur ce mineur lorsque la soustraction de l’étranger majeur, sans motif légitime, à ses obligations légales, compromet la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation du mineur et contribue directement à ce que son comportement constitue une telle menace.
29. Si le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit d’ores et déjà qu’une carte de séjour peut être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public, et qu’une carte de résident peut être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace grave à l’ordre public (article L. 432-4 du CESEDA), le Conseil d’État constate que retrait d’un document de séjour à raison du comportement d’autrui serait en revanche inédit. Contrairement au retrait d’une carte de séjour à raison de la menace à l’ordre public constituée par la présence en France de l’étranger, qui constitue une mesure de police, le retrait de document de séjour introduit par le projet de loi revêt le caractère d’une sanction, dont un adulte en lien avec un mineur fait l’objet à raison du comportement du mineur.
Le Gouvernement fait valoir qu’un tel dispositif permettra, en responsabilisant les parents manquant à leurs obligations, de lutter contre la délinquance de ces mineurs étrangers, lesquels ne peuvent être éloignés (article L. 611-3 du CESEDA, appliquant sur ce point les exigences découlant de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) alors qu’ils constituent une source d’insécurité croissante à Mayotte. Le Gouvernement, qui a communiqué des éléments chiffrés à cet égard, souligne qu’à Mayotte, la population est très jeune (50 % de la population a moins de 20 ans, contre 25 % en métropole) et la part, croissante, des mineurs étrangers condamnés parmi les mineurs condamnés, variant entre 37 et 44 % entre 2022 et 2024, est nettement supérieure à cette même part, en diminution, entre 20 % et 15 % sur la même période, observée au niveau national. Cette particularité s’observe également dans les chiffres fournis par le Gouvernement concernant les mineurs étrangers mis en cause. En 2024, leur part est nettement supérieure à la part observée au niveau national s’agissant de nombreuses infractions avec violence : à titre d’exemples, ces parts s’élèvent respectivement à 47 % contre 15 % s’agissant des tentatives d’homicides, à 9 % contre 39 % s’agissant des coups et blessures volontaires, à 5 % contre 38 % s’agissant des violences sexuelles et à 16 % contre 50 % pour les vols avec armes. De surcroît, le nombre de mineurs étrangers mis en cause pour des infractions à Mayotte est en forte augmentation, puisqu’il ressort des éléments présentés dans l’étude d’impact qu’il est passé d’environ 200 à 500 personnes entre 2020 et 2023. Enfin, le Gouvernement souligne que de nombreux mineurs issus de familles précaires et déstructurées sont livrés à eux-mêmes sur ce territoire.
Le Conseil d’État constate que le projet de loi qui lui a été initialement soumis présentait un champ personnel et matériel insuffisamment déterminé, tant s’agissant des étrangers majeurs visés que des agissements sanctionnés, et n’établissait pas de lien de causalité entre le comportement de l’étranger majeur et la menace à l’ordre public constituée par le mineur étranger. Il estime que la conformité d’un tel dispositif aux principes constitutionnels, découlant des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, de responsabilité personnelle et d’interdiction d’instituer une présomption de culpabilité en matière répressive, de légalité des délits et des peines, de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines n’était pas assurée. En outre, les éléments transmis ne permettaient pas de procéder à une analyse satisfaisante de la conformité du dispositif à l’article 73 de la Constitution. Les dispositions en cause ont toutefois fait l’objet d’une saisine rectificative inspirée par les remarques formulées par le Conseil d’État, accompagnée de la communication, éclairante quoique très tardive, d’éléments de nature à établir les constats et analyses avancés par le Gouvernement.
30. Les dispositions issues de cette saisine rectificative prévoient désormais qu’un document de séjour peut être retiré à l’étranger majeur exerçant l’autorité parentale sur un étranger mineur capable de discernement dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public, lorsque la soustraction, par l’étranger majeur, à ses obligations légales, compromet la santé, la sécurité, la moralité et l’éducation de l’étranger mineur et contribue directement à ce que son comportement constitue une telle menace. Elles sont directement inspirées de l’article 227-17 du code pénal, lequel dispose que « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »
31. Le Conseil d’État relève que, au regard des principes constitutionnels rappelés précédemment, le champ d’application personnel du dispositif est désormais clairement circonscrit. S’agissant des étrangers mineurs visés, le Gouvernement propose d’en restreindre le champ aux mineurs capables de discernement au sens de l’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs, qui établit une présomption de non-discernement concernant les mineurs de moins de treize ans. Quant aux étrangers majeurs, il s’agit de ceux exerçant l’autorité parentale sur les mineurs en cause, car c’est à eux qu’incombent les obligations légales résultant de l’article L. 371-1 du code civil qui dispose que l'autorité parentale, « ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant (…) appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».
32. Le Conseil d’État constate que le champ d’application matériel de l’article est relativement ouvert, mais que le dispositif est gradué. Le Gouvernement a souhaité ne pas restreindre le champ des documents de séjour couverts aux cartes de séjour, comme c’est le cas à l’article L. 432-4 du CESEDA, mais inclure les autorisations provisoires de séjour, d’où la dénomination générique de « document de séjour » retenue. En revanche, les bénéficiaires d’un certain nombre de titres font l’objet d’une protection renforcée, tenant au motif de délivrance de ceux-ci. Ainsi, d’une part, par analogie avec le mécanisme prévu à l’article L. 432-4 du CESEDA, les cartes de résident et de résident permanent ne peuvent être retirées que lorsque le comportement de l’étranger mineur en cause constitue une menace grave pour l’ordre public. Sont en outre reproduites les garanties spécifiques prévues par le CESEDA au bénéfice des étrangers auxquels de tels titres sont retirés : une obligation de quitter le territoire français ne peut être prononcée et une autorisation provisoire de séjour, dans le cas d’un retrait de carte de résident, et une carte de séjour temporaire, dans le cas d’un retrait de carte de résident permanent, doit être délivrée de droit. D’autre part, les bénéficiaires d’une carte de « résident longue durée - UE » (6° de l’article L. 411-1) – régie par la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, qui ne prévoit pas un tel motif de retrait –, les bénéficiaires d’une carte de résident ayant la qualité de réfugié ou bénéficiant de la protection subsidiaire (articles L. 424-1 et L. 424-13), et les titulaires de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « bénéficiaire de la protection subsidiaire » (article L. 424-9) ne peuvent faire l’objet d’une telle mesure. Le Conseil d’État précise que cette exclusion doit également être lue comme s’appliquant aux étrangers majeurs ayant demandé de tels titres, dans l’attente de la décision statuant sur une telle demande.
33. Le Conseil d’État propose de prévoir qu’une telle sanction ne peut être prononcée que lorsque la soustraction de l’étranger majeur à ses obligations légales contribue directement à ce que le comportement du mineur constitue une menace à l’ordre public, c’est à dire lorsqu’il existe un lien de causalité entre les agissements de l’étranger majeur détenteur de l’autorité parentale et le comportement du mineur.
34. Le Conseil d’État observe que plusieurs garanties procédurales ont été introduites à la suite des travaux menés avec le Gouvernement. Dans le dernier état du projet de loi, premièrement, la décision de retrait ne peut avoir lieu qu’après qu’un avertissement a été adressé à l’étranger majeur. Le Conseil d’État propose qu’une telle décision ne puisse être prise qu’au plus tôt un mois et au plus tard six mois après cet avertissement, afin de laisser à la personne visée un délai suffisant pour corriger son comportement. La décision de retrait ne pourrait donc être prononcée qu’à trois conditions : en premier lieu, la persistance de la soustraction de l’étranger à ses obligations légales, sans motif légitime, compromettant la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation du mineur ; en deuxième lieu, un comportement du mineur, postérieur à l’avertissement, continuant de constituer une menace à l’ordre public ; en troisième lieu, une contribution directe de la soustraction du parent à ses obligations au comportement du mineur constituant une menace à l’ordre public. Une telle décision de retrait viendrait ainsi sanctionner l’absence de prise en compte de l’avertissement dispensé. Deuxièmement, la décision de retrait ne peut intervenir qu’à l’issue d’une procédure contradictoire, dans les conditions prévues par le code des relations entre le public et l’administration, ce qui permettra à l’étranger majeur de présenter ses observations, et notamment de faire valoir d’éventuels motifs légitimes justifiant la soustraction à ses obligations légales.
35. En premier lieu, le Conseil d’État estime que les dispositions en cause apportent une adaptation limitée, adaptée et proportionnée à la situation très particulière de Mayotte et présentent un lien direct avec les caractéristiques et contraintes qui les justifient, à savoir la forte proportion de mineurs étrangers constituant une menace pour l’ordre public, l’existence de cellules familiales déstructurées et l’insécurité en découlant, et sont en rapport direct avec l’objet de la loi. Il estime par conséquent qu’elles n’excèdent pas les adaptations permises par l’article 73 de la Constitution.
36. En outre, le Conseil d’État observe que le projet de loi prévoit une application de ces dispositions jusqu’au 31 décembre 2028. Une telle limitation dans le temps, qui n’est pas nécessaire au respect de l’article 73 de la Constitution aussi longtemps que persiste la situation particulière qui justifie la mesure, n’appelle pas d’observation de sa part
37. En deuxième lieu, au regard de l’ensemble des garanties que présente le dispositif dans le dernier état du texte, le Conseil d’État estime qu'il ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
Sur la possibilité de conditionner les opérations de transmission de fonds à la vérification de la régularité du séjour
38. Le projet de loi propose d’introduire un nouvel article L. 561-10-5 au sein du code monétaire et financier aux termes duquel, à Mayotte, avant de procéder à une opération de transmission de fonds à partir d'un versement d'espèces sollicitée par un client non ressortissant de l’Union européenne, les prestataires de services de paiement procèdent à la vérification de la régularité de son séjour, qui s’effectue par la présentation de l’original d’un document de séjour. Faute d’une telle présentation, la transmission de fonds ne peut être réalisée. Cette mesure est présentée comme visant à lutter contre l’immigration irrégulière et les trafics associés, en limitant les flux financiers qui s’y attachent et comme poursuivant, ainsi, un double objectif de sauvegarde de l’ordre public et de lutte contre la fraude.
39. Le Conseil d’État estime, en premier lieu, que l’édiction de règles en matière de transmission de fonds à partir d’un versement d’espèces spécifiquement applicables aux personnes non ressortissantes de l’Union européenne en situation irrégulière à Mayotte ne soulève pas, dans son principe, de difficulté au regard des exigences constitutionnelles d’égalité de traitement ou conventionnelles de non-discrimination. Il relève, en effet, d’une part, que l’ampleur de l’immigration irrégulière à Mayotte est de nature à justifier des règles particulières en ce domaine sur ce territoire, d’autre part, que les non-ressortissants de l’Union européenne en situation irrégulière à Mayotte se trouvent, au regard de telles règles, dans une situation différente à la fois de ceux en situation régulière et des ressortissants de l’Union. Il considère, enfin, que l’exposition des transmissions de fonds à partir d’espèces aux risques de blanchiment de capitaux et de financement des trafics qui sont liés à l’immigration irrégulière, combinée au niveau particulièrement élevé des flux financiers existant entre Mayotte et les pays de départ de l’immigration irrégulière, notamment par transmission de fonds, sont de nature à justifier des règles spécifiquement applicables à ce service de paiement.
40. S’agissant, en deuxième lieu, des restrictions apportées aux opérations susceptibles d’être initiées par les étrangers en situation irrégulière à Mayotte, le Conseil d’État constate, d’une part, que la mesure ne s’oppose ni à la transmission de fonds à partir de monnaie électronique, ni à des virements, réalisables dans les deux cas depuis un compte bancaire, qui peut être ouvert y compris par les étrangers en situation irrégulière, au besoin en recourant aux dispositions relatives au droit au compte des articles L. 312-1 et suivants du code monétaire et financier. Il observe que ces alternatives présentent des garanties en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement des activités illicites, par exemple le financement des filières de passeurs, supérieures à celles de la transmission de fonds à partir de versement d’espèces. Il estime, en conséquence, que le projet de loi n’opère pas, sur ce point, une conciliation manifestement déséquilibrée entre, d’une part, la liberté personnelle et le droit de mener une vie familiale normale, ainsi que le droit de propriété et la liberté contractuelle et, d’autre part, les objectifs de sauvegarde de l’ordre public et de lutte contre la fraude qu’il poursuit.
41. S’agissant, en troisième lieu, des nouvelles obligations mises à la charge des prestataires de services de paiement, le Conseil d’État constate que la vérification attendue de la régularité du séjour de leur client se limite à l’exigence de la présentation d’un original d’un titre de séjour. Il observe que cette nouvelle obligation de vigilance complémentaire s’inscrit dans le prolongement des vérifications de documents d’identité qui incombent déjà à ces prestataires au titre de leurs obligations de vigilance (article L. 561-5 et suivants du code monétaire et financier). Il estime que le projet de loi n’opère pas, sur ce point, une conciliation manifestement déséquilibrée entre, d’une part, la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle et, d’autre part, les objectifs de sauvegarde de l’ordre public et de lutte contre la fraude qu’il poursuit.
42. Le Conseil d’État estime qu’il résulte de ce qui est dit aux points 39 à 41 ci-dessus que le texte proposé ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou résultant des exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
43. Enfin, si le principe de libre circulation des capitaux énoncé à l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne comprend l’interdiction de toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers, l’article 65 du même traité précise qu’il ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres de prendre des mesures « justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique » dans le respect, ainsi que l’a rappelé la Cour de justice de l’Union européenne, du principe de proportionnalité, c'est-à-dire « dans les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché » (CJUE, 13 juillet 2000, Alfredo Albore, Affaire C-423/98). Le Conseil d’État estime, en conséquence, qu’eu égard aux objectifs poursuivis par le projet de loi en ce qui concerne les transmissions de fonds à partir d’espèces des personnes non ressortissantes de l’Union européenne en situation irrégulière à Mayotte et la proportionnalité des atteintes qui en résultent tant pour ces personnes que pour les prestataires de services de paiement, les dispositions mentionnées précédemment ne méconnaissent pas les exigences découlant de ce traité.
Le Conseil d’État relève, également, que le projet de loi n’est pas de nature à méconnaître les objectifs de la directive 2014/92/UE du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base, ni ceux de la directive (UE) 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, ni ceux de la directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, appelée à être remplacée par le règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
Sur les dispositions relatives à la lutte contre l’habitat informel
44. L’article 11-1 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 relative à l’habitat informel et indigne dans les départements et régions d’outre-mer organise, à Mayotte et en Guyane, un régime de police administrative spéciale de lutte contre l’habitat informel confié au représentant de l’État dans le département.
Le projet de loi réécrit, pour son application à Mayotte, ces dispositions. Pour des raisons de clarté et de lisibilité du droit, le Conseil d’État propose de réserver l’application de l’article 11-1 à la Guyane et, compte tenu des modifications introduites par le projet, de créer un article spécifique à Mayotte.
Le projet de loi comporte des dispositions modifiant à Mayotte le I de l’article 11-1 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 relative à l’habitat informel et indigne dans les départements et régions d’outre-mer. Le projet prévoit, tout d’abord, de permettre au représentant de l’État, par arrêté, d’ordonner aux occupants de locaux ou installations constituant un habitat informel, au sens de l’article 1er -1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, formant un ensemble homogène sur un ou plusieurs terrains d'assiette et présentant des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique, de faire évacuer les lieux et d’imposer aux propriétaires de procéder à la démolition des locaux et installations à l’issue de l’évacuation. L’objectif affiché par le Gouvernement, tel qu’il est énoncé dans l’exposé des motifs et qui n’est d’ailleurs qu’imparfaitement traduit dans le projet de loi par une rédaction prévoyant que l’arrêté préfectoral comporte, « le cas échéant », une proposition de relogement ou d’hébergement, consiste, en réalité, à ne mettre en œuvre que dans la mesure du possible la proposition de relogement ou d’hébergement, qui dans la rédaction actuellement en vigueur de l’article 11-1 de la loi du 23 juin 2011 (issue de la récente loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement), doit être annexée à l’arrêté. Or, le Conseil d’État rappelle que l’existence d’une proposition de relogement ou d’hébergement, tenant compte de la situation, notamment personnelle et familiale, de la personne évacuée, figure au nombre des garanties à prendre en compte dans l’appréciation du caractère équilibré de la conciliation entre la sauvegarde des intérêts publics qui justifie la mesure d’évacuation forcée et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine qu’elle emporte (voir notamment CE 10 mars 2023, n° 469663 ; C. Const. n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023, points 9 à 16 et n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, points 61 à 64).
Le Conseil d’État observe, par ailleurs, que le Gouvernement n’a pas choisi de donner à cette absence possible de proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence le caractère d’une disposition d’exception, qui aurait été fondée sur le constat d’une impossibilité matérielle pour l’État de satisfaire, en l’état actuel du parc de logements ou des possibilités de relogement à Mayotte, et dans tous les cas, à cette obligation, compte tenu de circonstances exceptionnellement difficiles et pour une durée limitée. Constatant que le dispositif pérenne, privé de cette garantie, qui lui est proposé n’assure pas, contrairement aux principes dégagés par le Conseil constitutionnel, une conciliation équilibrée entre la sauvegarde de l’intérêt public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine, le Conseil d’État estime que les dispositions proposées sur ce point dans le projet de loi ne peuvent être retenues.
Il propose, en conséquence, de maintenir, avec réduction à quinze jours du délai imparti pour évacuer et démolir les locaux et installations comme le prévoit le projet de loi, le régime actuellement en vigueur à Mayotte, issu du I de l’article 11 de la loi du 23 juin 2011, qui ne se heurte à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle.
45. Le projet de loi comporte également des dispositions modifiant à Mayotte le II de l’article 11‑1 de la loi du 23 juin 2011, pour étendre de quatre à sept jours le délai pendant lequel le représentant de l’État peut, lorsqu'il est constaté, par procès-verbal dressé par une personne mentionnée au premier alinéa de l’article L. 480-1 du code de l’urbanisme, qu'un local ou une installation a été construit sans droit ni titre dans un secteur d'habitat informel, au sens du deuxième alinéa de l'article 1er-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990, ordonner au propriétaire de procéder à la démolition du local ou de l’installation dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'acte. Le projet de loi prévoit également que, lorsque le local ou l’installation est occupé, le représentant de l’État dans le département ordonne aux occupants d’évacuer les lieux dans un délai qui ne peut être inférieur à quinze jours, avant qu’il ne puisse être procédé à la démolition. Dans la mesure où l’occupation de ces locaux ou installations à des fins d’habitation dans un délai de moins de sept jours, si elle existe, peut être regardée comme étant encore en cours de constitution et eu égard à l’intérêt public qui s’attache à ce que ne soient pas multipliées les installations, devenant ensuite permanentes, d’habitat informel à Mayotte, notamment à la suite des catastrophes naturelles qui ont touché le département à la fin de l’année 2024 et au début de l’année 2025, le Conseil d’État considère que les dispositions du projet de loi opèrent une conciliation équilibrée entre la sauvegarde de l’intérêt public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine, et ne se heurtent à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle.
Sur la saisie et la remise des armes
46. La circulation d’armes dont le port est prohibé et le recours à des armes par destination, d’une part, et leur usage dans des contextes d’émeutes urbaines, d’autre part, constituent des enjeux majeurs pour la préservation de la sécurité et de l’ordre publics à Mayotte. Comme le montre l’étude d’impact, ces dernières années, le nombre de vols avec arme a significativement augmenté sur le territoire et apparait particulièrement élevé comparé au reste du territoire national. L’intensité des violences s’est par ailleurs accrue depuis le passage du cyclone en décembre 2024. De plus, ainsi qu’en témoignent d’autres disposions du projet de loi, ces armes, comme leurs utilisateurs, peuvent être situés dans des zones d’habitats précaires difficilement accessibles, mal cartographiées, dans lesquelles s’agrègent tant des locaux siège d’activités économiques ou professionnelles, que des locaux ayant les caractéristiques d’un domicile, la combinaison des deux usages s’avérant fréquente. Le Conseil d’Etat estime que les caractéristiques de cette situation sans équivalent sur le reste du territoire national justifient, sur le fondement de l’article 73 de la Constitution, des mesures d’adaptation du droit national.
Sur les visites domiciliaires aux fins de recherches d’armes
47. La première de ces mesures prévue par le projet vise à permettre au préfet, si des circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public résultant de violences commises sous la menace ou usage des armes, d’ordonner, sur autorisation du juge des libertés et de la détention et après avis du procureur de la République, la visite de tout lieu dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’il est fréquenté par une personne susceptible de participer à ces troubles afin de procéder à la saisie, en vue de leur destruction, des armes relevant des catégories A à D, ainsi que des objets susceptibles de constituer une arme dangereuse pour la sécurité publique, définis à l’article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure.
48. Le Conseil d’État rappelle qu’aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (voir décisions n° 2013-357 QPC du 29 novembre 2013, cons. 5 à 7 ; n° 2023-1044 QPC du 13 avril 2023 paragr. 23 à 29) l’objectif constitutionnel de préservation de l’ordre public peut justifier que des mesures de visite de lieux, professionnels mais aussi ayant le caractère d’un domicile, soient prévues par la loi, à la condition que ces atteintes à la propriété privée et à la vie privée comme à la liberté d’aller et venir soient assorties de garanties, notamment en les plaçant sous le contrôle, par voie d’autorisation, du juge judiciaire. Si elles doivent conduire, comme en l’espèce, à saisir des objets, c’est aussi à la condition de prévoir les garanties nécessaires à la protection de la propriété privée (décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, paragr. 57 à 70).
Le Conseil d’État relève qu’aux termes du projet de loi la visite du lieu, sur autorisation et sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, sera liée au comportement de la personne qui le fréquente et à la menace que celui-ci représente dans un contexte de risques de troubles graves à l’ordre public et aux seules fins de procéder à la saisie des armes qui s’y trouveraient. Il relève également qu’après information du juge des libertés et de la détention, la personne concernée pourra être retenue pendant quatre heures lorsqu’elle est susceptible de fournir des renseignements sur les armes recherchées ou présentes sur le lieu de la visite.
Il note que la destruction des armes et matériel relevant de la catégorie D sera systématique et pourra intervenir rapidement après la saisie définitive. Toutefois, pour tenir compte de l’hypothèse où il apparaitrait que les armes de catégorie A à C, soumises à autorisation ou déclaration et faisant l’objet d’une saisie au titre de ces nouvelles dispositions, seraient la propriété d’une tierce personne, il souligne qu’il est nécessaire, pour assurer la préservation du droit de propriété (voir n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012) de permettre à celle-ci, indépendamment des voies de recours, de faire valoir ses observations avant qu’il ne soit procédé à la destruction de l’arme.
Le Conseil d’État constate, par ailleurs, que le projet de loi prévoit qu’il sera systématiquement interdit aux personnes dont l'arme, les munitions et leurs éléments ont été saisis, d'acquérir ou de détenir des armes, munitions et leurs éléments, quelle que soit leur catégorie, et que l’autorité administrative pourra mettre fin à cette interdiction si l’arme est restituée ou si elle estime que l’intéressé ayant fait l’objet de la saisie devenue définitive ne présente plus de risque pour l’ordre public. Il considère toutefois nécessaire, afin de répondre aux exigences constitutionnelles protégeant le droit de propriété (supra, point 49), de prévoir que cette interdiction soit précédée d’une procédure contradictoire avant saisine définitive des armes.
Au regard de la spécificité des zones dans lesquelles la visite peut se dérouler, telle que décrite au point 46, le projet de loi prévoit que les agents chargés d’une visite domiciliaire pourront être autorisés, selon la même procédure donc avec les mêmes garanties, à traverser des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituant un habitat informel au sens du deuxième alinéa de l’article 1er-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990, lorsqu’ils enclavent le lieu objet de la visite. Le Conseil d’Etat note toutefois que ces locaux et installations édifiés sans droit ni titre ne constituent pas toujours seulement des lieux d’habitation mais accueillent également des activités professionnelles. Il suggère donc de prévoir cette mixité d’usage dans le projet de loi. Il propose également de mieux cantonner l’atteinte au droit de propriété et à la vie privée en limitant le champ de l’autorisation donnée par le juge aux traversées rendues strictement nécessaires par l’objet de la visite domiciliaire et par la topographie des lieux.
49. Le Conseil d’État estime, à l’instar de l’appréciation qu’il avait portée sur la procédure applicable aux visites domiciliaires réalisées en application des articles L. 229-1 et suivants du code de la sécurité intérieure (avis n° 393348 du 15 juin 2017 relatif au projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme) dont s’inspire largement la présente procédure, et qui a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, que le projet de loi opère, compte tenu de la situation très spécifique de Mayotte rappelée au point 46, une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration de 1789 et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, qu’il répond aux exigences de prévention des troubles graves à l’ordre public, et qu’il ne méconnaît pas les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Sur la remise des armes
50. La seconde mesure consiste à permettre au préfet, dans un même contexte de risque de troubles graves à l’ordre public, d’ordonner, par voie d’arrêté, et sur tout ou partie du territoire de Mayotte, la remise des même armes et objets que ceux ciblés par la visite domiciliaire précédemment mentionnée. La durée de conservation des armes et objets ainsi remis ne peut excéder six mois. Elle peut être renouvelée pour une même durée dès lors que les conditions ayant justifié la mesure continuent d’être réunies. A l’issue du délai, l’arme ou l’objet est restitué en l’état et l’arme irrégulièrement détenue détruite. La méconnaissance de cette obligation de remise est punie de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Le tribunal peut ordonner, en outre, la confiscation des armes. Le préfet précise dans son arrêté le territoire couvert par la mesure, les armes et objets soumis à l’obligation de remise, ainsi que les voies et délais de recours.
L’objectif de cette mesure vise à limiter la circulation des armes ou objets pouvant être utilisés comme telles et leur usage éventuel dans un contexte de risques de troubles graves à l’ordre public.
51. Le Conseil d’État observe que cette mesure s’inspire de celle prévue à l’article 9 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence : cette dernière permet à l’autorité administrative d’ordonner la remise des armes et des munitions, détenues ou acquises légalement, relevant des catégories A à C. L’extension de la mesure à des armes relevant des catégories D ainsi que des objets susceptibles de constituer une arme dangereuse pour la sécurité publique lui semble justifiée par la nécessité d’obtenir la remise des armes blanches, notamment les machettes, fréquemment utilisés dans des contextes de violences et d’émeutes.
52. Au regard de la situation de l’ordre public spécifique à Mayotte et de la prolifération des armes, le Conseil d’État estime que le Gouvernement peut se fonder sur l’article 73 de la Constitution pour proposer ces mesures dérogatoires au droit commun. Il considère que si elles constituent une atteinte provisoire au droit de propriété qui n’est pas liée au comportement du propriétaire, elles ne méconnaissent pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle admet que l’objectif de préservation de l’ordre public permette de prendre des mesures mettant en cause une liberté publique sans lien avec le comportement de la personne concernée (voir décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, cons. 9). Dès lors que l’arrêté préfectoral autorisant ces mesures en précise les conditions de réalisation, que celle-ci n’opère qu’une atteinte temporaire et réversible au droit de propriété et si, comme le propose le Conseil d’État, la durée pendant laquelle cette remise doit être opérée est limitée à trois mois, éventuellement renouvelables par décision motivée, afin de mieux s’adapter à l’évolution de la situation sécuritaire, le Conseil d’État estime qu’est ainsi opérée une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les droits et libertés garantis par les articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789 et l’objectif de préservation de l’ordre public.
Sur la lutte contre l’emploi des étrangers sans titre
53. Le projet de loi prévoit de déroger aux dispositions de l’article 78-2-1 du code de procédure pénale relatives aux contrôles réalisés par les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre ou la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints, sur réquisition du procureur de la République, dans les lieux à usage professionnel où sont en cours des activités de construction, de production, de transformation, de réparation, de prestation de services ou de commercialisation, sauf s'ils constituent un domicile. Le projet de loi permet l’exercice de ces contrôles, y compris si les locaux à usage professionnel constituent un domicile, dès lors qu’il s’agit d’un habitat informel. La même autorisation est conférée aux fonctionnaires et agents des administrations et services publics auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire en matière de lutte contre le travail illégal.
Il permet, d’une part, la traversée des locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituant un habitat informel au sens de la loi du 31 mai 1990 précitée lorsqu’ils enclavent le lieu objet de la visite, y compris lorsqu’il s’agit de lieux affectés à un usage d’habitation. Sur ce point, le Conseil d’État comme indiqué au point 46 considère que la spécificité de la situation mahoraise tenant à l’existence et aux caractéristiques de ces formes d’habitat comme au développement, favorisé par la crise migratoire, d’une économie informelle au mépris de toute règle d’hygiène et de sécurité, plus particulièrement au sein de ces habitats informels, permet une telle adaptation sur le fondement de l’article 73 de la Constitution.
54. Au regard des principes et exigences constitutionnels et conventionnels de protection de la propriété et de la vie privée, rappelés supra (point 48), le Conseil d’État note que les visites mentionnées au point 54 visent exclusivement à la recherche d’infractions précisément définies, en lien avec la lutte contre le travail illégal. Elles n’ont pour objet que de s'assurer que les activités en cours ont donné lieu à immatriculation ainsi qu'aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale et l'administration fiscale, de se faire présenter le registre du personnel et les documents attestant que les déclarations préalables à l'embauche ont été effectuées, de contrôler l'identité des personnes occupées dans le but de vérifier qu'elles figurent sur le registre du personnel ou qu'elles ont fait l'objet des déclarations préalables à l'embauche. Aucune saisie d’objet n’est permise. Les pouvoirs reconnus à l’administration sont ainsi clairement définis, et limités, en adéquation avec la nature des infractions recherchées.
Le Conseil d’État relève toutefois que le projet de loi ne prévoit l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention ni pour permettre la visite du local à usage professionnel lorsqu’il constitue également un lieu d’habitation, ni pour autoriser les forces de l’ordre à traverser les habitats précaires (ayant le caractère d’habitation ou à usage professionnel) enclavant le local à visiter, alors qu’il a rappelé plus haut que cette garantie conditionnait la conformité aux exigences des normes supérieures (point 49). Il estime donc nécessaire de prévoir une autorisation préalable et un contrôle du juge des libertés et de la détention. A défaut, il considère que le projet se heurterait à un obstacle constitutionnel. Cette autorisation préalable, qui serait délivrée sur réquisition du procureur de la République, pourrait permettre, au regard de la configuration des lieux, d’une part, la visite des lieux y compris lorsqu’ils apparaitrait qu’ils constituent un habitat informel, d’autre part, la traversée, dans un périmètre qu’il définit, des locaux qui l’enclavent, qu’il s’agisse ou non de domiciles, et, afin d’en faciliter l’exécution opérationnelle et l’efficacité, pour une période de temps durant laquelle elle pourra donner lieu à une ou plusieurs visites. Le Conseil d’État propose que cette période soit de quinze jours au plus.
Sur l’application à Mayotte de la législation sur les droits sociaux et les autres mesures à caractère social et de santé
Sur l’habilitation à rendre applicable et adapter la législation sociale
55. Le projet de loi prévoit d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, les mesures permettant de poursuivre la convergence de la législation applicable à Mayotte en matière de droits sociaux. A cet effet, cette habilitation tend à rendre applicable à Mayotte, sous réserve d’adaptations tenant compte des caractéristiques et contraintes particulières du territoire, la législation en vigueur en métropole ou dans les autres collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution, dans les domaines qui y sont énumérés.
56. En premier lieu, le Conseil d’État propose de supprimer la référence à la législation en vigueur dans les autres collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution au titre des dispositions que le Gouvernement pourra rendre applicables et adapter. L’article 73 de la Constitution autorise en effet le législateur, ou le Gouvernement habilité à cette fin par la loi sur le fondement de l’article 38, seulement à adapter la législation, en principe applicable de plein droit, aux caractéristiques et contraintes particulières de chaque collectivité régie par l’article 73. Il ne permet pas en revanche au législateur de retenir comme finalité d’une habilitation la convergence avec la législation en vigueur dans d’autres collectivités de l’article 73, alors même que des adaptations similaires voire identiques de la législation en vigueur en métropole seraient permises pour plusieurs collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution en raison de l’existence de caractéristiques et contraintes particulières communes.
57. En second lieu, le Conseil d’État considère que cette habilitation est dans l’ensemble définie avec une précision suffisante pour satisfaire aux exigences de l’article 38 de la Constitution. Il formule toutefois les observations suivantes.
Au regard de l’objectif poursuivi par le Gouvernement dans le cadre de cette habilitation, tel qu’il est précisé par le rapport annexé à l’article 1er du projet de loi et l’étude d’impact, le Conseil d’État suggère d’abord de compléter la liste des domaines dans lesquels le Gouvernement pourra intervenir par ordonnance, s’agissant en particulier des prestations concernées, des contrôles et de la lutte contre la fraude, des échanges d’informations et du contentieux.
Le Conseil d’État propose ensuite de supprimer la précision selon laquelle ces ordonnances pourront comporter des dispositions prévoyant des modalités d’évolutions progressives et des dates d’entrée en vigueur différentes selon les mesures adoptées dans le champ de l’habilitation. En effet, dès lors qu’il est habilité à prendre des dispositions relevant du domaine de la loi par ordonnances, le Gouvernement peut, sans méconnaître les dispositions de cette loi d’habilitation, fixer des dates d’entrée en vigueur distinctes, prévoir une évolution progressive de la législation et définir les dispositions transitoires appropriées.
Par ailleurs, la loi d’habilitation ne pouvant permettre l’intervention d’ordonnances dans des domaines réservés par les articles 47 et 47-1 de la Constitution aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale (Conseil constitutionnel, déc. n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, cons. 15), le Conseil d’État souligne que, si l’habilitation envisagée peut porter sur certaines règles relatives aux ressources de l’État et des régimes de la sécurité sociale applicables à Mayotte, elle n’autorise pas le Gouvernement à prendre des mesures qui relèvent du champ exclusif de ces lois.
Enfin, le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur le caractère particulièrement bref du délai d’habilitation de douze mois prévu, compte tenu de l’ampleur des mesures envisagées, qui devraient faire l’objet d’ordonnances échelonnées dans le temps, ainsi que des nombreuses concertations et consultations qui devront être menées préalablement à leur adoption et alors, en outre, qu’au regard de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi, les dispositions relatives à la sécurité sociale à Mayotte gagneraient à être codifiées dans le code de la sécurité sociale.
Sur l’extension de l’IRCANTEC à Mayotte
58. Le projet de loi rend applicable à Mayotte le régime de retraite complémentaire de l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (IRCANTEC). Ce faisant, il dissocie cette mesure de l’extension du régime de l’AGIRC‑ARRCO aux salariés de droit privé de ce département, contrairement à ce que prévoyait la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
Le Conseil d’État estime, conformément aux principes dégagés dans son avis du 20 mai 2010 (AG, Avis du 20 mai 2010, n° 383887), que le pouvoir règlementaire pourra, sans qu’il soit besoin de le prévoir expressément dans la loi, définir à titre transitoire, ainsi que le Gouvernement en a exprimé l’intention dans l’étude d’impact, des règles contributives à l’IRCANTEC pour les contractuels de droit public affiliés à la caisse de sécurité sociale de Mayotte, qui pourront évoluer dans le temps et déroger à celles aujourd’hui applicables aux contractuels de droit public relevant du régime général d’assurance vieillesse, afin de tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières de ce territoire. Ces dérogations devront toutefois s’inscrire dans une perspective de convergence avec le droit commun et porter sur des paramètres, tels que les taux de cotisation à la charge des employeurs publics et des agents non titulaires et les tranches de rémunération associées à ces taux, dont la détermination n’a pas été confiée à la loi par l’article 34 de la Constitution.
Sur l’augmentation du nombre de pharmacies d’officines
59. Le projet de loi modifie l’article L. 5511-3 du code de la santé publique relatif aux autorisations d’ouverture d’officines pharmaceutiques à Mayotte pour permettre à l’autorité compétente, faute de tranche entière de 7 000 habitants pouvant être retenue dans la commune, et si la desserte satisfaisante de la population le justifie, de fonder la délivrance d’une licence sur l’existence d’une tranche entière de 7 000 habitants dans l’intercommunalité concernée.
Le Conseil d’État considère que cette mesure, qui vise à faciliter l’accroissement de l’offre de pharmacies d’officines par l’assouplissement de la prise en compte des critères démographiques adaptés aux caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte (CE, 15 mai 1995, Syndicat des pharmaciens de Guyane, n° 140898), ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel.
Le Conseil d’État relève que si l’assouplissement des critères d’autorisation d’ouverture de pharmacies d’officines prévu par le projet de loi peut faciliter le développement de l’offre de soins libérale dans le département de Mayotte, une partie importante des médicaments distribués à Mayotte l’est gratuitement, par l’intermédiaire de l’hôpital ou d’associations, selon les informations transmises par le Gouvernement au cours de l’examen du projet. Le Conseil d’État recommande de compléter l’étude d’impact pour y préciser ces éléments de contexte, de nature à limiter l’effet attendu de la mesure.
Sur le renforcement de la représentation des professionnels de santé libéraux exerçant à Mayotte au sein des unions régionales des professionnels de santé de l’océan Indien
60. Le projet de loi modifie l’article L. 4031-7 du code de la santé publique relatif à la représentation des professionnels exerçant à titre libéral à Mayotte au sein des unions régionales de professionnels de santé (URPS) de l'océan Indien.
La rédaction en vigueur de l’article L. 4031-7 est issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 qui avait assoupli les règles de représentation afin de permettre, pour certaines catégories professions de santé peu présentes à Mayotte, que la représentation dans leur URPS soit assurée par un professionnel de santé d’une autre catégorie. Sans revenir sur cette possibilité, édictée pour prendre en compte le faible nombre de professionnels de santé libéraux dans ce territoire, le projet de loi apporte deux modifications au dispositif en vigueur :
- d’une part, il permet que certaines unions ne soient pas pourvues de représentants de professionnels exerçant à Mayotte ;
- d’autre part, afin de renforcer la représentation des professions dont la démographie sur le territoire mahorais le justifierait, et de faciliter ainsi le travail partenarial de l’agence régionale de santé de Mayotte en ce qui concerne le développement d’une offre de soins non hospitalière, le projet de loi supprime la règle en vigueur qui limite à un par URPS le nombre de représentants des professionnels de Mayotte, règle qui s’applique également aux professionnels exerçant à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, représentés au sein des URPS de Guadeloupe. La mesure permettra dès lors que certaines URPS de l’Océan Indien puissent avoir plusieurs représentants des professionnels de santé exerçant à titre libéral à Mayotte, comme c’est le cas dans le droit commun.
Si ces modifications de l’article L. 4031-7 ne se heurtent à aucune obstacle d’ordre constitutionnel, le contexte particulier de pénurie des professionnels de santé à Mayotte conduit le Conseil d’Etat à inviter le Gouvernement à compléter l’étude d’impact pour permettre au législateur de mieux mesurer la sollicitation des professionnels de santé de Mayotte dans les URPS, qui résultera de la mesure. A cette fin, il y aurait lieu de présenter les modifications qu’apporte le projet au dispositif aujourd’hui en vigueur, celles-ci n’apparaissant pas d’emblée à la lecture du texte, et de préciser les modalités d’application envisagées, qui résulteront notamment d’un décret en Conseil d’Etat auquel renvoie le projet.
Sur les mesures destinées à faciliter la construction d’infrastructures essentielles et de bâtiments scolaires
Sur la prise de possession anticipée de terrains bâtis et non-bâtis pour la réalisation d’opérations de reconstruction et d’infrastructures essentielles
61. Le projet de loi comporte des dispositions autorisant, afin d’accélérer les procédures d’expropriation à Mayotte, le recours à la prise de possession anticipée, prévue aux articles L. 522-2 à L. 522-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, pour l’acquisition, par le bénéficiaire d’une déclaration d’utilité publique, des terrains bâtis et non-bâtis nécessaires :
- d’une part, aux opérations de reconstruction conduites et coordonnées par l’établissement public créé en application de l’article 1er de la loi n° 2025-176 du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte ;
- d’autre part, à la réalisation des infrastructures portuaires et aéroportuaires, des ouvrages et installations des réseaux publics d’eau et d’assainissement, des constructions, ouvrages et installations à l’usage des forces de sécurité intérieure, des ouvrages et installations de production et de distribution d’électricité, des établissements pénitentiaires ainsi que des établissements de santé et médico-sociaux.
62. Tout en relevant le caractère dérogatoire de ces dispositions, le Conseil d’État considère, en premier lieu, qu’elles visent à répondre au motif impérieux d’intérêt général qui s’attache à la reconstruction sur le territoire mahorais à la suite du passage du cyclone de décembre 2024. Il relève, en deuxième lieu, que le champ d’application des dispositions du projet de loi, tel que revu par le Gouvernement dans sa saisine rectificative faisant suite aux échanges avec le Conseil d’État, est étroitement circonscrit. Enfin, dans le souci de garantir les droits des propriétaires intéressés, le Conseil d’État propose, en accord avec le Gouvernement, de limiter la durée d’application de ces dispositions à dix ans après l’entrée en vigueur de la loi.
63. Le Conseil d’État estime que, dans ces conditions, les dispositions du projet de loi, qui répondent aux exigences rappelées par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (cons. 16 à 26), ne se heurtent à aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle.
Sur la prescription acquisitive et la régularisation des titres de propriété
64. Le projet de loi comporte également des dispositions tendant à faciliter la reconnaissance du droit de propriété dans les territoires ultramarins, en particulier à Mayotte, où le désordre foncier affecte encore près de 70 000 parcelles.
A cette fin, il prévoit, tout d’abord, d’adapter, à Mayotte, les modalités d’application dans le temps des dispositions du 1° du III de l’article 51 de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’urbanisme, qui ont réduit de trente à dix ans, à compter de l’entrée en vigueur de la loi, le 11 avril 2024, et jusqu’au 31 décembre 2038, le délai de la prescription acquisitive, prévu par le 1er alinéa de l’article 2272 du code civil, dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution (y compris donc à Mayotte), ainsi qu’à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, afin d’accélérer et de faciliter l’acquisition de droits de propriété immobilière sur ce fondement. Le projet de loi, qui prévoit d’étendre l’application de ces dispositions aux possessions antérieures au 11 avril 2024, le subordonne toutefois à l’accomplissement de certaines démarches de régularisation (constat de la possession par un acte de notoriété ou une décision de justice, pris après l’entrée en vigueur des présentes dispositions et suivi de l’inscription du droit ainsi établi au livre foncier de Mayotte avant le 31 décembre 2038). Il prévoit, en outre, une entrée en vigueur différée d’un an après la publication de la loi, ainsi que l’information des personnes susceptibles d’être concernées par ces dispositions.
Le Conseil d’État note que ces dispositions, qui s’appuient sur la jurisprudence de la Cour de Cassation relative à la prescription acquisitive (Cass. 3ème Civ., 17 juin 2011, pourvoi n° 11-40.014 ; 3ème Civ., 12 octobre 2011, pourvoi n° 11-40.055), tendent à lutter contre le désordre foncier. Circonscrites au seul territoire mahorais, limitées dans le temps et subordonnées à des mesures de régularisation et de publicité renforcées, elles font l’objet d’une entrée en vigueur différée afin d’informer les personnes concernées de l’effet des mesures qu’elles instaurent. Pour sécuriser l’effet utile de cette information et ménager, ce faisant, la capacité des personnes concernées à exercer une action en revendication, le Conseil d’État propose, en accord avec le Gouvernement, de lier cette entrée en vigueur différée non pas à la publication de la loi mais à celle du décret déterminant les modalités d’information de ces personnes. Le Conseil d’État considère que, dans ces conditions, ces mesures ne contreviennent pas aux exigences constitutionnelles découlant notamment des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ni à celles de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
65. Le projet de loi prévoit, ensuite, et avec la même finalité que les dispositions précédentes, de repousser de 2027 à 2038 la possibilité, prévue à l’article 35-2 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, d’adopter des actes de notoriété dits « renforcés » en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Mayotte. Ces actes, destinés à constater une possession répondant aux conditions de la prescription acquisitive, font « foi de cette possession, sauf preuve contraire » et ne peuvent être contestés que dans un délai de cinq ans à compter de leur publication.
Ces dispositions n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’Etat.
Sur le recours à des marchés globaux pour la réalisation de bâtiments scolaires
66. Le Gouvernement entend faciliter l’édification et la reconstruction d’écoles maternelles et élémentaires, de collèges et de lycées de l’enseignement public, de bâtiments affectés à l’enseignement supérieur public et de résidences universitaires à Mayotte. Pour ce faire, le projet de loi prévoit, d’une part, de prolonger jusqu’au 31 décembre 2030 l’expérimentation instituée en Guyane et à Mayotte, par l’article 59 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, qui a rendu possible le recours sans condition à des marchés publics de conception-réalisation pour la réalisation d’écoles maternelles et élémentaires de l’enseignement public dans ces départements et, d’autre part, d’en étendre le champ, dans ces mêmes départements, à la réalisation de collèges, lycées, bâtiments affectés à l’enseignement supérieur public et de résidences universitaires, jusqu’à la même date.
67. Le Conseil d’État constate que quoique se présentant facialement comme une expérimentation, la mesure actuelle, issue d’un amendement parlementaire et qui n’a pas vocation à être généralisée au-delà des territoires dans lesquels elle s’applique, n’est pas accompagnée d’un minimum de méthode ni d’un protocole expérimental permettant de recueillir les éléments qui doivent aider à la prise de décision finale quant à son éventuelle pérennisation. Il prend acte de la volonté du Gouvernement de prévoir qu’un rapport d’évaluation, dont les modalités seront fixées par décret, sera remis au Parlement au terme de l’expérimentation.
68. Le Conseil d’État rappelle que, quel que soit le fondement juridique d’une mesure d’expérimentation, la durée de l’expérimentation doit correspondre à celle nécessaire pour pouvoir apprécier ses effets et sa pertinence. Il relève à cet égard que le territoire de Mayotte a été confronté récemment à des évènements climatiques extrêmes ayant fait obstacle à ce que l’expérimentation lancée en 2019 puisse être menée à bien dans des conditions permettant d’apprécier l’opportunité d’adapter, de manière pérenne, le droit de la commande publique, sur le territoire de cette collectivité. Il considère que de telles circonstances peuvent justifier la prolongation de cette expérimentation. Il estime que tel n’est, en revanche, pas le cas de la Guyane, en l’absence de tout élément donné par l’étude d’impact de nature à justifier la nécessité de la prolongation de la mesure dérogatoire, et, pas davantage, de son extension à d’autres infrastructures.
69. Pour ce qui concerne Mayotte, le Conseil d’État estime que la possibilité de recourir à des marchés globaux pour la réalisation de bâtiments scolaires et son extension à la réalisation de bâtiments affectés à l’enseignement supérieur et aux résidences universitaires ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel, et relève que la mesure envisagée ne présente pas de caractère redondant avec la mesure analogue prévue par l’article 19 de la loi n° 2025-176 du 24 février 2025 d’urgence pour Mayotte, dont le champ d’application matériel et temporel est différent.
Sur les dispositions relatives aux conditions du développement de Mayotte
70. Les articles 44 quaterdecies, 1388 quinquies, 1466 F et 1586 nonies du code général des impôts, dans leur texte actuel, instituent à Mayotte, au profit des petites et moyennes entreprises opérant dans certains secteurs d’activité, un abattement de 80 % sur les bénéfices dans la limite de 300 000 euros, ainsi qu’un abattement de 80 % sur les bases de la taxe foncière sur les propriétés bâties, et un abattement de 100 % sur celles de la cotisation foncière des entreprises et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, dans la limite respectivement de 150 000 euros et de deux millions d’euros.
Le projet de loi modifie ces dispositions pour une durée limitée à cinq ans, en vue de porter à 100 % le taux de l’abattement sur les bénéfices et sur les bases de la taxe foncière sur les propriétés bâties, et d’étendre le bénéfice de ces avantages, dans le respect du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014, à toutes les activités, y compris celles soumises à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en application du 1 de l'article 92 du code général des impôts.
71. D’une part, l'article 73 de la Constitution prévoit que, dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. D’autre part, le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, par l’octroi d’avantages fiscaux, des mesures d’incitation au développement et à l’aménagement de certaines parties du territoire national dans un but d’intérêt général (CC 26 janvier 1995, n° 94-538 DC, Aménagement et développement du territoire).
Si le projet de loi institue un avantage fiscal particulièrement important, le Conseil d’État considère que ces mesures, qui concernent les seules exploitations effectivement situées à Mayotte, ne portent pas atteinte au principe d’égalité devant la loi eu égard à leur caractère temporaire, aux dispositifs de plafonnement dont elles sont assorties, ainsi qu’à la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve Mayotte, compte tenu de la nécessité dans les cinq prochaines années à la fois d’accélérer le développement de l’archipel et d’assurer sa reconstruction après les dégâts causés par le cyclone de décembre 2024 et la tempête de janvier 2025. Il estime notamment que l’inclusion des exploitations existantes dans le champ des bénéficiaires de l’avantage fiscal, au demeurant déjà prévue par les dispositions actuellement en vigueur, se justifie par la nécessité de maintenir l’activité économique ainsi que les services présents dans l’archipel, remplissant ainsi un objectif d’intérêt général.
Sur les mesures destinées à l’accompagnement de la jeunesse
Sur l’extension du « passeport pour la mobilité des études » aux élèves mahorais
72. Créé par la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, le « passeport pour la mobilité des études » est une aide relevant de la politique de continuité territoriale au départ ou à destination de l’outre-mer destinée à atténuer les contraintes de l’insularité et de l’éloignement, prenant la forme d’une aide au titre de transport. Cette aide peut être actuellement attribuée aux étudiants de l'enseignement supérieur ayant leur résidence habituelle dans une collectivité d’outre-mer qui sont dans l’impossibilité de suivre un cursus scolaire, pour la filière d'étude choisie, dans leur collectivité de résidence, ainsi que, pour le second cycle de l'enseignement secondaire, aux seuls élèves de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Saint-Barthélemy, lorsque la filière qu'ils ont choisie est inexistante dans leur collectivité de résidence habituelle. Le projet de loi prévoit d’étendre le bénéfice de ce « passeport pour la mobilité des études » aux élèves relevant du second cycle de l'enseignement secondaire ayant leur résidence habituelle à Mayotte lorsqu’ils justifient de l’impossibilité de suivre la formation qu'ils ont choisie dans cette collectivité.
73. Le Conseil d’État relève que si le territoire de Mayotte dispose d’une offre complète de formation pour les filières de l’enseignement secondaire général et technologique, à l’exception de la filière sciences et techniques du théâtre, de la musique et de la danse, et si, s’agissant des filières professionnelles du secondaire, l’offre de formation, sans être aussi étoffée que celle disponible en métropole, reste d’un niveau comparable à celui de l’offre existant dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion, les jeunes mahorais souhaitant choisir de telles formations sont confrontés à des difficultés particulières pour trouver un employeur susceptible de les accueillir en alternance ou en stage du fait de la dégradation, encore accrue par les évènements climatiques récents, du tissu économique dans le département. Ils sont également confrontés à la saturation de certaines filières résultant de la croissance démographique très soutenue de la population à Mayotte. En outre, certains élèves du second cycle de l'enseignement secondaire résidant à Mayotte pourraient être encore, à la rentrée 2025, dans l’impossibilité de poursuivre leur scolarité à Mayotte du fait des dégradations causées aux bâtiments scolaires à la suite du cyclone de décembre 2024. Par ailleurs, le niveau de vie des habitants, très inférieur au niveau national, ainsi que le taux élevé de pauvreté constituent un frein à la mobilité des lycéens mahorais.
74. Le Conseil d’État estime que, dans ces conditions, l’élargissement du bénéfice du « passeport pour la mobilité des études » aux élèves mahorais relevant du second cycle de l'enseignement secondaire répond à des caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte justifiant cette mesure, à la condition toutefois que son bénéfice ne soit pas réservé à l’hypothèse dans laquelle la filière choisie n’existe pas à Mayotte, ce qui était le projet initial du Gouvernement, mais soit étendu, plus largement, à l’hypothèse de l’impossibilité de suivre la formation choisie dans cette collectivité, comme le Gouvernement en a pris acte par une saisine rectificative en séance. Il attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de modifier l’étude d’impact sur ce point pour la mettre en cohérence avec le dernier état du projet de loi.
Sur la création d’un fonds de soutien au développement des activités périscolaires
75. Le projet de loi prévoit la création d’un fonds de soutien afin de contribuer au développement d'une offre d'activités périscolaires au bénéfice des élèves des écoles publiques ou privées sous contrat du premier degré de Mayotte par l’octroi d’aides de l’État aux communes organisant des activités périscolaires dans le cadre d'un projet éducatif territorial prévu à l'article L. 551-1 du code de l'éducation. Ce fonds est destiné à prendre le relai, pour les seules communes mahoraises, du fonds de soutien au développement des activités périscolaires (FSDAP) institué par l’article 67 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, qui a été supprimé par l’article 234 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
76. Le Conseil d’État observe que le dispositif proposé par le Gouvernement dans une saisine rectificative, à la suite des objections qu’appelait le dispositif initialement retenu par le projet de loi, consistant en un régime, dépourvu de caractère législatif, d’octroi de subventions à caractère discrétionnaire, est comparable à celui du FSDAP. Une dotation spécifique est créée à destination des communes mahoraises organisant des activités périscolaires qui bénéficient, lorsqu’elles les organisent dans le cadre d’un projet éducatif territorial, d’une aide comprenant un montant forfaitaire calculé en fonction du nombre d'élèves scolarisés dans les écoles du premier degré de la commune, et une majoration lorsque les enseignements sont répartis sur neuf demi-journées ou sur huit demi-journées dont cinq matinées.
77. Le Conseil d’État relève que Mayotte est le seul territoire de la République dans lequel les élèves sont accueillis, faute de place, en rotation dans plus de la moitié des écoles du premier degré, ce qui caractérise une situation particulière au regard de la nécessité d’accueillir les enfants en dehors du temps scolaire et de leur proposer des activités périscolaires justifiant que des aides soient accordées par l’État aux seules communes mahoraises pour l’organisation de ces activités. Le Conseil d’État estime donc que l’institution de ce fonds de soutien ne se heurte à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel et il attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de compléter l’étude d’impact sur ce point.
Sur l’affectation des volontaires du service civique à des missions d’urgence
78. Le projet de loi vise à faciliter l’affectation des jeunes accomplissant une mission de service civique ou de volontariat associatif à des missions d’urgence à Mayotte. Il prévoit, à cette fin, que sous réserve de l'accord écrit préalable des parties au contrat mentionné à l’article L. 120-3 du code du service national, la mission d’une personne volontaire engagée dans un service civique ou dans un volontariat associatif et les modalités d’exécution de cette mission peuvent être modifiées aux fins de prendre part, auprès du même organisme ou d’un autre organisme agréé ou remplissant les conditions pour l’être, à des missions de protection des populations, d’approvisionnement en biens de première nécessité ou de satisfaction des besoins prioritaires de la population ou de préservation de l’environnement à Mayotte.
79. Le Conseil d’État observe que les dispositions des articles L. 120-1 à L. 120-36 du code du service national relatives au service civique, qui s’appliquent sur l'ensemble du territoire de la République, prévoient que l’engagement de service civique et le volontariat associatif, qui sont deux formes de service civique, permettent de participer à des missions d'intérêt général revêtant notamment un caractère philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, familial ou culturel, ou concourir à des missions de défense et de sécurité civile ou de prévention. Le volontaire peut donc déjà, en l’état de la législation, accomplir des missions de protection des populations, d’approvisionnement en biens de première nécessité, de satisfaction des besoins prioritaires de la population ou de préservation de l’environnement dans le cadre du service civique, y compris à Mayotte.
80. Il relève, ensuite, que ces dispositions prévoient que l’engagement de service civique et le volontariat associatif donnent lieu à la conclusion d’un contrat écrit, entre le volontaire et la personne morale agréée auprès de laquelle il exerce sa mission, qui a pour objet d’organiser leur collaboration, et dans lequel doivent être stipulées les modalités d'exécution de cette collaboration, notamment le lieu et la durée de la mission effectuée par la personne volontaire ou leur mode de détermination la nature des tâches qu'elle accomplit ainsi que, le cas échéant, la mise à disposition de la personne volontaire, aux fins d'accomplissement de son service, auprès d'une ou, de manière successive, de plusieurs personnes morales non agréées mais remplissant les conditions pour l’être.
81. Le Conseil d’État constate que le seul objet de la mesure envisagée consiste, sans remettre en cause la nécessité d’un accord écrit des parties, à alléger le formalisme auquel donnent lieu la modification du contrat d’engagement de service civique ou de volontariat associatif et la conclusion d’une convention de mise à disposition, qui doivent faire l’objet d’un enregistrement auprès de l’Agence de service civique et de l’Agence de services et de paiement. Il note toutefois que les dispositions législatives applicables n’imposent aucun formalisme, en dehors de l’exigence de conclusion d’un contrat écrit, que ce soit pour la conclusion du contrat ou pour sa modification, ou pour la convention de mise à disposition prévue à l’article L. 120-32 du code du service national. Dans ces conditions, l’objectif du Gouvernement ne nécessite, pour être atteint, l’adoption d’aucune mesure législative, et peut l’être par la simple diffusion d’une note interne en ce sens. Le Conseil d’État invite, par suite, à ne pas retenir les dispositions proposées.
Sur les mesures en faveur de l’attractivité des emplois dans la fonction publique
82. Afin de pallier le déficit chronique d’attractivité de la fonction publique, en particulier d’État et hospitalière, à Mayotte, le Gouvernement souhaite accompagner de mesures complémentaires les leviers déjà en place. A cette fin, le projet de loi crée, au bénéfice des fonctionnaires de l’État qui resteraient affectés à Mayotte pendant une durée de trois ans à compter de la promulgation de la loi, une nouvelle priorité de mutation ainsi que, au bénéfice des fonctionnaires de l’État ainsi que des fonctionnaires hospitaliers affectés à Mayotte pendant une durée déterminée, un nouvel avantage spécifique d’ancienneté.
83. Le Conseil d’État estime que ces mesures, qui reposent sur un évident motif d’intérêt général de renforcement de l’attractivité de ce territoire ultra-marin pour les fonctionnaires de l’État et les fonctionnaires hospitaliers, ne sont pas contraires au principe d’égalité devant la loi. Il observe, en outre, que si la priorité de mutation bénéficie aux seuls fonctionnaires de l’État alors que l’avantage spécifique d’ancienneté est également étendu aux fonctionnaires hospitaliers, la différence dans le champ d’application de ces mesures s’explique par les spécificités du régime des mutations au sein de la fonction publique hospitalière.
Le Conseil d’État souligne, toutefois, que l’articulation de ces dispositifs avec les avantages déjà existants nécessite une attention particulière. Il considère que rien ne fait obstacle à ce que ce nouvel avantage spécifique d’ancienneté puisse se cumuler partiellement avec celui résultant de l’application de l’article L. 522-9 du code général de la fonction publique selon des modalités qu’il appartiendra au pouvoir réglementaire de déterminer. Il observe, en revanche, que le classement provisoire de l’intégralité du territoire de Mayotte en quartier prioritaire de la ville, au sens de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, auquel procède le projet de loi, a mécaniquement pour effet d’étendre, au moins temporairement, le bénéfice de la priorité légale de mutation prévue au 3° de l’article L. 512-19 du code général de la fonction publique, à l’ensemble des agents de la fonction publique d’État entrant dans le champ d’application de cet article. Coexisteront ainsi de façon pérenne deux types de dispositions octroyant une priorité de mutation à raison de l’affectation à Mayotte, l’une, pour tous les fonctionnaires de l’État, après une durée d’affectation de trois ans à compter de la promulgation de la loi, les autres, pour certains fonctionnaires de l’État, après une durée d’affectation de cinq ou de sept ans à compter de cette même date ou, pour les agents déjà affectés à Mayotte à cette date, d’une date antérieure. Aussi, en se bornant à prévoir que la nouvelle priorité de mutation résultant du projet de loi ne prévaut pas sur celle fixée aux articles L. 442-5, L. 442-6, L. 512-19 et L. 512-20 du code général de la fonction publique, le projet de loi ne règle pas la question de savoir si ces priorités de mutation reposant sur un même critère d’affectation géographique peuvent, ou non, se cumuler. Prenant acte de la réponse apportée à cette question par le Gouvernement, le Conseil d’État propose d’insérer une disposition excluant explicitement le cumul possible de ces priorités.
Sur la réforme de l’organisation institutionnelle de la collectivité et de son mode de scrutin
Sur l’habilitation à réformer le fonctionnement institutionnel
84. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, dans un délai de deux mois à compter de la publication de la loi, les mesures relevant du domaine de la loi en vue, d’une part, de conforter le statut de collectivité unique de Mayotte, qui prendrait le nom de « Département-Région de Mayotte », et, d’autre part, de réorganiser les dispositions du code général des collectivités territoriales applicables à la collectivité de Mayotte.
85. Le Conseil d’État observe que si aucune disposition constitutionnelle ne fait obstacle à ce que soit modifiée par ordonnance l’organisation institutionnelle et administrative d’une collectivité à statut particulier relevant de l’article 73 de la Constitution, dès lors qu’elle est au nombre des matières que son article 34 place dans le domaine de la loi, c’est à la condition de respecter les exigences définies par le Conseil constitutionnel au titre de l’article 38 de la Constitution, lesquelles font obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnance ainsi que leur domaine d’intervention (voir par exemple les décisions n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 et n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018), d’autant qu’est ici en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, qui suppose que toute collectivité dispose d’une assemblée délibérante élue dotée d’attributions effectives.
Afin de respecter ces exigences constitutionnelles, le Conseil d’État propose de préciser, conformément aux intentions du Gouvernement et par cohérence avec les dispositions électorales figurant à l’article 31 ainsi qu’avec les dispositions figurant dans le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte, examiné le même jour par le Conseil d’État (avis n° 409466), les termes de l’habilitation, dans le but de moderniser le fonctionnement de la collectivité en affirmant mieux son rôle de collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution. Il suggère à cet effet de :
- codifier, au sein d’un nouveau livre III de la septième partie du code général des collectivités territoriales, les dispositions relatives à la collectivité territoriale de Mayotte, exerçant les compétences attribuées à un département d’outre-mer et à une région d’outre-mer, sans modification par rapport aux compétences du Département de Mayotte, et succédant à celui-ci ;
- définir l’organisation et le fonctionnement de la collectivité territoriale de Mayotte et les compétences de ses organes, en précisant notamment les règles applicables à l’assemblée de Mayotte, organe délibérant élu dans les conditions prévues par le chapitre II du titre V de la présente loi, et fixer l’ensemble du régime applicable à la collectivité, notamment en matière juridique, budgétaire, financière, comptable et de transfert de compétence ;
- procéder aux adaptations et coordinations nécessaires dans le code général des collectivités territoriale et dans les autres codes et lois.
En outre, le Conseil d’État estime le délai d’habilitation, fixé à deux mois, insuffisant pour permettre utilement, notamment, sa propre consultation ainsi que celle du Département de Mayotte, en application de l’article L. 3444-1 du code général des collectivités territoriales. Il propose en conséquence de porter ce délai à six mois, sans préjudice de la faculté pour le Gouvernement d’adopter cette ordonnance plus rapidement.
86. Le Conseil d’État relève que la volonté du Gouvernement est que l’organisation envisagée soit analogue à celle déjà retenue, par la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, pour la collectivité territoriale de Guyane, collectivité unique au sens du dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution et exerçant à la fois les compétences d’un département d’outre-mer et d’une région d’outre-mer. Il estime qu’une telle organisation, très proche de celle prévue pour les départements et les régions d’outre-mer, n’excède pas les adaptations permises par l’article 73 de la Constitution, dès lors qu’elle respecte les exigences mentionnées au point 5.
87. Par ailleurs, alors que le Département de Mayotte, institué par la loi organique n° 2010-1486 et la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010, constitue déjà une collectivité unique au sens du dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution, le Conseil d’État considère que la dénomination de « Département-Région de Mayotte » n’est pas appropriée, en raison de son ambiguïté concernant la nature de la collectivité qui serait ainsi créée, laquelle exerce déjà, en vertu de l’article L.O. 3511-1 du code général des collectivités territoriales, les compétences dévolues aux département d’outre-mer et aux régions d’outre-mer. Il propose la dénomination de « collectivité territoriale de Mayotte », par cohérence avec la dénomination déjà retenue par le législateur pour les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.
88. Le projet de loi tend également à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, dans un délai de deux mois à compter de la publication de la loi, les mesures relevant du domaine de la loi en vue de modifier le code du sport pour conférer à Mayotte les mêmes compétences que les autres départements en matière de développement des sports de nature. Eu égard à la nature et à la simplicité des modifications envisagées, qui consistent en la suppression de deux références au sein de l’article L. 421-1 du code du sport, le Conseil d’Etat estime que le recours à l’ordonnance n’est pas nécessaire. Il propose, afin de permettre une entrée en vigueur plus rapide de la réforme envisagée, et en accord avec le Gouvernement, d’insérer la modification envisagée de ce code directement au sein du projet de loi.
Sur la réforme du mode de scrutin de l’organe délibérant
89. Le projet de loi modifie le régime électoral de l’organe délibérant de la collectivité de Mayotte, en reprenant, avec certaines modifications, le mode de scrutin applicable à l’élection des conseillers à l’assemblée de Guyane, tel qu’il a été institué par la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 précitée, puis modifié par la loi n° 2020-1630 du 22 décembre 2020 relative à la répartition des sièges de conseiller à l’Assemblée de Guyane entre les sections électorales. Il l’insère, dans un nouveau titre II bis, au sein du livre VI bis du code électoral, déjà relatif à l’élection des conseillers à l’assemblée de Guyane et à l’assemblée de Martinique.
Le nombre des élus serait porté de 26 actuellement à 52. Les conseillers à l’assemblée de Mayotte seraient élus pour six ans, en même temps que les conseillers départementaux, au scrutin de liste à deux tours, avec une prime majoritaire de 25 % ; dans une circonscription électorale unique composée de cinq sections, dont le découpage correspond à celui des cinq intercommunalités actuelles de Mayotte. Chaque liste devrait être composée alternativement d’un candidat de chaque sexe (par application de l’article L. 558-19 du code électoral, faisant partie des dispositions communes aux collectivités de Guyane et Martinique et, à l’avenir, de Mayotte). La répartition des sièges entre les sections, de même que la répartition entre les sections des sièges correspondant à la prime majoritaire, seraient fixées avant l’élection par arrêté préfectoral, en fonction de leur population respective, à la représentation proportionnelle à la plus moyenne, chaque section disposant d’au moins cinq sièges. A l’issue du scrutin, la répartition des sièges correspondant à la prime majoritaire entre les sections serait effectuée en fonction de leur population respective, à la représentation proportionnelle à la plus moyenne, les autres sièges étant répartis au sein de chaque section entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés sur l’ensemble de la circonscription, en fonction du nombre de voix obtenues dans la section, à la représentation proportionnelle à la plus moyenne.
90. Le Conseil d’État observe que les dispositions relatives au mode de scrutin de l’assemblée de Mayotte ne se heurtent à aucun obstacle d’ordre constitutionnel, au regard notamment des exigences constitutionnelles (voir par exemple la décision n° 2011-637 DC du 28 juillet 2011) selon lesquelles l’organe délibérant d’une collectivité territoriale doit être élu sur des bases essentiellement démographiques, selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions ou sections électorales respectant au mieux l’égalité devant le suffrage, sans toutefois que la répartition des sièges soit nécessairement proportionnelle à la population de chaque circonscription ou section électorale ni qu’il ne puisse être tenu compte d’autres impératifs d’intérêt général, ces considérations ne pouvant cependant intervenir que dans une mesure limitée. Le Conseil estime que les dispositions du projet de loi respectent ces exigences, en déterminant la répartition des sièges entre les sections en fonction de leur population respective, tout en prévoyant un nombre minimal de cinq sièges par section, disposition devant être regardée comme satisfaisant un impératif d’intérêt général tenant à une représentation équilibrée des différentes parties du territoire de Mayotte au sein de l’assemblée, étant rappelé qu’une répartition des sièges fondée sur un critère autre que démographique, tel que le nombre d’électeurs, serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle exige que l’organe délibérant d’une collectivité territoriale soit élu sur des bases essentiellement démographiques (voir par exemple les décisions n° 2011-634 DC du 21 juillet 2011, n° 2013-667 DC du 16 mai 2013 et n° 2014-709 DC du 15 janvier 2015).
En outre, le Conseil d’État estime que ce mode de scrutin, très proche de celui prévu pour les régions, n’excède pas les adaptations permises par l’article 73 de la Constitution, dès lors qu’il respecte les exigences mentionnées au point 5.
Sur les dispositions transitoires et finales
91. Le Conseil d’État juge nécessaire, pour assurer la cohérence de l’ordonnancement juridique et des textes applicables à Mayotte, de garantir une entrée en vigueur simultanée de la réforme de l’organisation institutionnelle de la collectivité de Mayotte et de la réforme du mode de scrutin de son organe délibérant.
Eu égard au choix fait par le Gouvernement, dans ce projet de loi, de procéder à une réforme de l’organisation institutionnelle par ordonnance et à une réforme du mode de scrutin par modification directe du code électoral aux articles 31 et 32 du texte, compte tenu également des coordinations effectuées dans la loi organique par le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte, lesquelles relèvent de l’organisation institutionnelle comme du mode de scrutin, de sorte que l’ensemble de cette réforme institutionnelle et électorale est partagée en trois textes, le Conseil propose de prévoir pour l’ordonnance elle-même, les modifications du code électoral ainsi que la loi organique, une entrée en vigueur à la date de dépôt du projet de loi de ratification de l’ordonnance. Dès lors, dans l’hypothèse où l’ordonnance ne serait pas prise ou dans celle où elle deviendrait caduque, faute pour le Gouvernement de déposer le projet de loi de ratification en temps voulu, c’est-à-dire en l’absence de réforme de l’organisation institutionnelle de la collectivité, les dispositions relatives au mode de scrutin comme les dispositions organiques de coordination n’entreraient pas en vigueur.
Toutefois, afin que le législateur exerce pleinement sa compétence pour fixer les modalités de l’entrée en vigueur différée des dispositions qu’il adopte, le Conseil d’État propose également de prévoir une entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 2027, cette date laissant, en tout état de cause, un délai suffisant pour l’adoption du projet de loi, la publication de l’ordonnance et le dépôt du projet de loi de ratification.
Le Conseil d’État prévoit enfin que, sous réserve de leur entrée en vigueur, les dispositions relatives à l’élection ou au mandat des conseillers à l’assemblée de Mayotte s’appliqueront à compter du prochain renouvellement général des conseils départementaux, les élus de la collectivité de Mayotte devant être élus en même temps que les conseillers départementaux.
Sur les dispositions n’appelant pas d’observation
92. Le projet de loi comporte d’autres dispositions qui ont pour objet :
- de déroger à l’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité pour permettre l’organisation d’un recensement exhaustif de la population pour les dix-sept communes de Mayotte qui débutera en 2025 et pourra s’étendre en 2026 et de modifier le IV de l’article 252 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 de façon à prolonger d’un an, en 2026, les dispositions transitoires applicables à Mayotte relatives à l’attribution des dotations financières aux collectivités territoriales dans l’attente de l’authentification des chiffres du recensement exhaustif de la population ;
- de reconnaitre, par dérogation à la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, à l’ensemble du territoire de Mayotte le caractère de quartier prioritaire de la ville, ce qui permettra de rendre l’ensemble du territoire bénéficiaire des mesures spécifiques, fiscales, sociales et liées au logement qu’emporte ce régime ;
- des mesures de coordination avec les modifications apportées par le projet de loi organique ;
- d’autoriser la chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (CAPAM) à déléguer, dans des conditions fixées par décret, ses compétences en matière de pêche et de conchyliculture dans la perspective de la création d’un comité régional des pêches maritimes et des élevages marins ;
Ces dispositions n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’État, sous réserve d’améliorations de rédaction et de coordinations qu’il suggère au Gouvernement.
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 17 avril 2025.