Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de dispositif renforcé concernant l’application de la retenue à la source aux opérations d’arbitrage de dividende dites « CumCum ».
Le Conseil d’État a été saisi le 20 janvier 2025, par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, d’une demande d’avis relative à un projet de modification des articles 119 bis et 119 bis A du code général des impôts en vue d’encadrer les opérations d’arbitrage de dividendes dites « Cumcum ».
En application du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts (CGI) les revenus distribués donnent lieu à l’application d’une retenue à la source lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France.
Les montages dits « CumCum » consistent pour des investisseurs non-résidents à éluder la retenue à la source en transférant temporairement les titres à une personne qui n’y est pas soumise. La personne ainsi interposée est soit un résident fiscal de France (le plus souvent un établissement bancaire), montage qualifié de « CumCum interne », soit un non-résident qui n’est pas soumis à la retenue à la source du fait d’une convention fiscale ou de son statut, montage qualifié de « CumCum externe ».
Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, le Sénat a adopté en première lecture l’amendement n° I-2178 de la commission des finances qui a notamment pour objet :
- d’insérer la notion de bénéficiaire effectif à l’article 119 bis du CGI afférent à l’application d’une retenue à la source pour les revenus distribués à des non-résidents ;
- d’étendre le champ d’application du dispositif anti-abus prévu à l’article 119 bis A du CGI, qui répute que constitueraient des revenus distribués certaines opérations de cession temporaire de titres, à tout accord ou instrument financier (y compris les instruments dérivés) qui aurait un effet économique similaire ;
- d’ajouter à l’article 119 bis A du CGI un volet de lutte contre les « CumCum externes » en prévoyant l’application, à titre conservatoire, d’une retenue à la source sur les dividendes et produits assimilés qui sont versés à une personne établie dans un État ou territoire ayant signé avec la France une convention fiscale qui ne prévoit pas l’application de retenue à la source sur ces produits. Le bénéficiaire des revenus soumis à cette retenue à la source pourrait toutefois en obtenir le remboursement s’il démontre qu’il est le bénéficiaire effectif des revenus et que les opérations ont principalement un objet autre que d’obtenir un avantage fiscal.
Partageant l’objectif poursuivi par cet amendement, le précédent Gouvernement avait entendu en clarifier la portée en défendant un sous-amendement n° I-2272 qui n’avait pas été adopté.
Le Gouvernement souhaite, en application de l’article L. 112-2 du code de justice administrative, recueillir l’avis du Conseil d’État afin de s’assurer de l’interprétation qu’il convient de retenir sur les points suivants.
1° Comment s’articulerait la condition de bénéficiaire effectif de l’article 119 bis du CGI, dans la rédaction prévue par l’amendement adopté au Sénat, qui explicite l’intention du législateur en dégageant une règle de portée générale (application de la retenue à la source à un dividende distribué à un résident lorsqu’un non-résident en est le bénéficiaire effectif) avec le dispositif anti‑abus prévu à l’article 119 bis A (la retenue à la source n’est appliquée que pour certaines opérations et sous conditions) ?
2° Les situations dans lesquelles la non-application de la retenue à la source doit être remise en cause peuvent résulter d’une opération unique ou de la combinaison de plusieurs opérations. Le dispositif anti-abus tel qu’adopté en première lecture prévoit l’application d’une retenue à la source pour tous les versements ou transferts de valeur effectués par un établissement financier français à une personne qui n’est pas établie ou domiciliée en France, pour des opérations particulières, limitativement énumérées. La notion de transfert de valeur vise à permettre de tenir compte des schémas actuels de « CumCum », qui ne reposent plus, sauf marginalement, sur des opérations de prêts-emprunts de titres, mais sur des opérations plus complexes utilisant des produits dérivés.
Or, la notion de transfert de valeur n’est définie ni par le CGI, ni par le code monétaire et financier. Cette notion est seulement utilisée pour définir la notion de « paiement » au 2° du I de l’article 205 B du CGI afférent aux dispositifs hybrides comme « tout droit à un transfert de valeur associé à un montant susceptible d'être payé ». Par conséquent, le terme « transfert de valeur » pourrait être suffisamment large pour y inclure toute valeur transférée d’une entité juridique à une autre à raison d’une opération ou d’une combinaison d’opérations.
Ainsi, la notion de « transfert de valeur », prévue par l’amendement adopté au Sénat, peut‑elle être interprétée comme résultant d’une combinaison de plusieurs opérations ? A défaut, cette notion de transfert de valeur devrait-elle être précisée de manière à inclure explicitement les transferts de valeur indirects résultant d’une telle combinaison ?
3° Le marché règlementé permet d’assurer ou faciliter la rencontre, en son sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers sur des instruments financiers afin d’aboutir à la conclusion de contrats selon les règles et l’organisation de ce marché (art. L. 421-1 et suivant du code monétaire et financier).
Lorsque des instruments financiers sont négociés sur le marché règlementé, juridiquement, les opérateurs ne traitent pas entre eux mais avec la chambre de compensation, dont le rôle est de garantir le bon fonctionnement du marché et sa stabilité.
Les redevables de la retenue à la source pourraient se prévaloir de l’opacité en résultant, qui place la banque dans l’incapacité d’exiger le dévoilement de l’identité ou du lieu de résidence de sa contrepartie, pour exciper de l’impossibilité de connaître le bénéficiaire effectif, donc de l’inapplicabilité des dispositions nouvelles des articles 119 bis et 119 bis A du CGI à ces transactions.
Face à cette objection, la retenue à la source serait-elle due pour toutes les transactions intermédiées par une chambre de compensation ?
A défaut, la retenue à la source serait-elle notamment due dans les cas suivants ?
- la transaction a été négociée de gré à gré avant d’être exécutée sur un marché règlementé ;
- il existe des éléments matériels prouvant une connaissance par la banque de la contrepartie ;
- la transaction se fait à un prix révélateur d’une probable intention de la contrepartie de la banque d’échapper à la retenue à la source et de rémunérer la banque pour son intermédiation ;
- la banque n’est pas en mesure de prouver, par tout moyen, qu’elle ne connaissait pas sa contrepartie.
4° Dans certaines situations, l’établissement bancaire peut n’avoir pas perçu lui-même, ni directement ni indirectement, ni par l’intermédiaire des entités qui lui seraient liées, le dividende qui est le sous-jacent d’un produit dérivé entrant dans le champ de l’article 119 bis A du CGI.
Une banque livrant une telle démonstration pourrait-elle de ce seul fait se soustraire à l’application des dispositions nouvelles introduites dans les articles 119 bis et le 119 bis A du CGI ?
Le Conseil d’État, saisi de cette demande,
Vu la Constitution,
Vu le code général des impôts, notamment ses articles 119 bis et 119 bis A ;
EST D'AVIS
de répondre dans le sens des observations suivantes :
1. Le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts soumet à une retenue à la source les dividendes et produits assimilés versés par une société française à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Il est toutefois apparu que certains investisseurs étrangers, en recourant à des montages dénommés « CumCum », peuvent se soustraire à ce prélèvement en transférant temporairement, au moment de la date de détachement du dividende, la propriété de leurs actions à des personnes qui en sont exemptées, notamment par le biais de prêts de titres, de ventes à réméré ou d’opérations impliquant l’usage de produits dérivés.
2. Afin de lutter contre ces pratiques, l’article 36 de la loi de finances pour 2019 a créé un mécanisme anti-abus codifié à l'article 119 bis A du code général des impôts.
Le Sénat a également adopté, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, un amendement n° I-2178 qui apporte en substance les modifications suivantes aux articles 119 bis et 119 bis A du code général des impôts :
- en premier lieu, il rend applicable la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis aux dividendes ou revenus assimilés de source française dont les bénéficiaires effectifs, au lieu des bénéficiaires sans autre précision dans le texte actuel, n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ;
- en deuxième lieu, il étend le champ d’application du dispositif anti-abus institué par l'article 119 bis A du même code. A cette fin, il prévoit au I de la version amendée de cet article qu’est réputé constituer un revenu distribué soumis à la retenue à la source mentionnée au 2 de l'article 119 bis tout versement ou transfert de valeur effectué au profit d’un non-résident lorsque, d’une part, il dépend d’une distribution de dividende ou que son montant est établi en tenant compte de cette distribution et que, d’autre part, il est lié, directement ou indirectement, à une opération de prêt ou de cession temporaire d’action, ou à un instrument financier ayant, directement ou indirectement, pour la personne qui bénéficie de ce versement ou de ce transfert de valeur, un effet économique similaire à la possession des parts ou actions produisant le dividende en cause ;
- enfin, en vue de prendre en compte les opérations d’arbitrage de dividendes dites « CumCum externes », l’amendement adopté par le Sénat ajoute à l'article 119 bis A un paragraphe II qui institue, à titre conservatoire, une retenue à la source sur les dividendes et produits assimilés versés aux résidents d’un État bénéficiant en principe d’une exemption par voie de convention, en permettant toutefois à ces résidents d’obtenir le remboursement de cette retenue à la source s’ils démontrent qu’ils sont les bénéficiaires effectifs de ces revenus et que ceux-ci leur ont été versés dans la cadre d’opérations ayant principalement un objet autre que d’obtenir un avantage fiscal.
Sur l’articulation entre les dispositions des articles 119 bis et 119 bis A du code général des impôts
3. La lutte contre la fraude fiscale et celle contre l’évasion fiscale revêtent le caractère d’objectifs de valeur constitutionnelle (CC 20 decembre1983, n° 83-164 DC, Loi de finances pour 1984 ; CC 23 juillet 2010, n° 2010-16 QPC, M. Philippe E.), et la prévention de l’optimisation fiscale constitue un motif d’intérêt général (CC 26 juin 2015, n° 2015-473 QPC, Epoux P.). S’il est loisible au législateur d’instaurer des règles fiscales spécifiques dans un but de lutte contre la fraude, l’évasion ou l’optimisation fiscale, le principe d’égalité fait obstacle à ce qu’elles soient appliquées à des situations qui ne sont pas abusives (CC 28 juin 2019, n° 2019-793 QPC, Epoux C.). En outre, ces règles ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que les personnes concernées puissent être admises à apporter la preuve que les opérations taxées en vertu de ces règles spécifiques ont un objet ou un effet autre que de se soustraire à l’impôt (CC 20 janvier 2015, n° 2014-437 QPC, Association des entreprises privées et autres).
4. Le mécanisme présenté au point 2 ci-dessus comporte à la fois :
- une disposition qui pose sous forme de principe général, à l'article 119 bis, que la retenue à la source prévue au 2 de cet article s’applique à tout revenu dont le bénéficiaire effectif n’est pas résident. Cette disposition, comme la version précédente du texte, est une mesure qui porte sur le champ d’application de la retenue à la source ;
- un dispositif anti-abus renforcé à l'article 119 bis A qui, pour la mise en œuvre du principe énoncé à l'article 119 bis, institue une présomption qui porte non sur l’identification du bénéficiaire, mais sur les montants que ce dernier est réputé appréhender.
L’ensemble de ces dispositions visent le même objectif : assurer la soumission à la retenue à la source de toutes les sommes appréhendées par des non-résidents à l’occasion du détachement d’un produit d’action dont ils sont les bénéficiaires effectifs.
5. En réponse à la première question, le Conseil d’État estime que la soumission à la retenue à la source d’opérations dites de « CumCum » devrait se fonder, selon les cas, soit sur les seules dispositions de l'article 119 bis, soit, le plus souvent, sur la combinaison des articles 119 bis et 119 bis A.
Le Conseil d’État relève, en effet, que le plus souvent l’application de la retenue à la source aux opérations d’arbitrage de dividendes ne suppose pas seulement d’identifier le bénéficiaire effectif de la distribution derrière son bénéficiaire apparent ; elle implique aussi d’écarter des actes juridiques passés par le contribuable qui donnent à tout ou partie du montant soumis à retenue à la source une qualification juridique autre que celle d’un produit d’action. Ainsi, dans le cas des prêts de titre, une partie de la somme soumise à retenue à la source pourrait être regardée, en l’absence de la requalification opérée par l'article 119 bis A, comme un intérêt rémunérant le prêt d’action, ne pouvant pas être soumis à retenue à la source, que ce soit en application de l'article 119 bis ou de conventions fiscales bilatérales conclues par la France. De même, dans le cas d’opérations mettant en jeu un contrat à terme ou « future », une fraction du montant soumis à retenue à la source conformément à l’objectif rappelé au point 4 ne correspond pas à un versement au bénéficiaire effectif, mais à un « transfert de valeur », au sens de l'article 119 bis A dans sa rédaction issue de l’amendement adopté par le Sénat, dans la composition duquel entre une partie du prix du contrat à terme. A cet égard, le Conseil d’État rappelle qu’en l’absence de dispositions expresses, l'administration ne peut pas isoler, pour la soumettre à la retenue à la source prévue au 1 de l'article 119 bis, la partie du prix de rachat d’une obligation qui correspond aux intérêts courus et non échus à la date du rachat (CE 30 septembre 2005, n° 265555, BNP Paribas ; n° 273163, SA Banque fédérale des banques populaires ; n° 265554, Société Union de crédit pour le bâtiment).
6. En outre, le Conseil d’État relève que, conformément aux principes rappelés au point 3 ci-dessus, l'article 119 bis A, dans sa rédaction issue de l’amendement du Sénat, prévoit deux clauses de sauvegarde, l’une relative aux opérations décrites au I et l’autre aux opérations décrites au II du nouveau texte proposé pour cet article. Dans les deux cas, seul le contribuable non-résident est admis à invoquer le bénéfice de ces clauses, alors même qu’il ressort des questions du Gouvernement que certaines des contestations susceptibles d’être formulées pourraient trouver leur origine dans des situations où l’établissement payeur ne serait pas en mesure d’identifier ce contribuable.
Dans ces conditions, le Conseil d’État estime nécessaire de préciser ces dispositions, qui figurent au 3 du I et au 2 du II de l'article 119 bis A tel qu’issu de l’amendement du Sénat. Ces dispositions, qui s’appliquent sous réserve des conventions fiscales conclues par la France, doivent en effet prévoir que tant le redevable de la retenue à la source que le contribuable sont admis à invoquer le bénéfice de la clause de sauvegarde. En outre, s’agissant du 2 du II de l'article 119 bis A, le Conseil d’État estime qu’il est nécessaire de prévoir que le contribuable entrant dans le champ de ces dispositions a droit au remboursement de la retenue à la source s’il apporte la preuve qu’il respecte l’ensemble des conditions fixées par la convention applicable pour ne pas faire l’objet d’une telle retenue ou en être exonéré.
Sur la notion de « transfert de valeur » mentionnée dans la nouvelle version de l'article 119 bis A et la possibilité pour cette notion de renvoyer à des opérations combinées
7. Eu égard à la valeur constitutionnelle que revêt l’objectif de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale, le législateur peut prévoir, dans le cadre d’un dispositif anti-abus tel que celui qui est envisagé, qu’un transfert de valeur ne prenant pas la forme juridique d’un paiement effectué à son bénéficiaire effectif soit néanmoins réputé correspondre au versement d’un produit taxable entre les mains de ce même bénéficiaire effectif, dès lors qu’il s’agit de rendre à l’opération en cause sa véritable nature et que les modalités de détermination de ce transfert de valeur sont suffisamment précisées par la loi pour assurer le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme et le plein exercice par le législateur de sa compétence (CC 10 juillet 1985, n° 85-191 DC, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier ; CC 29 décembre 2013, n° 2013-685 DC, Loi de finances pour 2014 ; CC 29 décembre 2014, n° 2014-708 DC, Loi de finances rectificative pour 2014).
8. En premier lieu, ainsi qu’il a été dit au point 4, le « transfert de valeur » visé par la nouvelle version de l'article 119 bis A correspond à la part du produit d’action ou du revenu assimilé effectivement appréhendée par un contribuable non-résident, sous quelque forme que ce soit et de manière directe ou indirecte, et qui est parfois appelée « all-in dividend » ou simplement « all-in ». Compte tenu des principes constitutionnels rappelés ci-dessus, le Conseil d’État estime qu’il est nécessaire de faire figurer cette précision dans la loi.
9. En deuxième lieu, le Conseil d’État relève que si le transfert de valeur en cause peut prendre la forme d’un seul acte, il résulte le plus souvent de la combinaison de plusieurs actes ou transactions. En réponse à la deuxième question du Gouvernement, il estime donc qu’il n’y aurait que des avantages, compte tenu de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi rappelé au point 7, à ce que cette précision figure explicitement dans le texte.
10. En troisième lieu, afin d’éviter toute ambiguïté, le Conseil d’État estime nécessaire que les dispositions envisagées au 2 du I de l'article 119 bis A précisent la date à laquelle la retenue à la source est due, cette date pouvant être celle de la mise en paiement du versement, en cas de versement unique, ou celle à laquelle l’accord sur la chose et le prix de l’ensemble des opérations composant le transfert de valeur mentionné au 1 du I de cet article est acquis.
Sur l’application des dispositions envisagées aux opérations réalisées sur des marchés réglementés
11. Par sa troisième question, le Gouvernement sollicite l’avis du Conseil d’État sur le point de savoir si un résident français, et notamment un établissement bancaire, est tenu d’appliquer préventivement la retenue à la source prévue aux articles 119 bis et 119 bis A dans des situations où il participe à une ou plusieurs transactions dont il ignore les contreparties, mais qui pourraient, au moins pour l’une d’entre elles, être utilisées par l’une de ces contreparties pour échapper, totalement ou partiellement, à la retenue à la source.
12. Le Conseil d’État estime qu’il ressort du texte même des dispositions du I de l'article 119 bis A tel que modifié par l’amendement du Sénat, qui prévoient explicitement des conditions à leur mise en œuvre, qu’elles n’imposent pas à un établissement payeur, contrairement à celles qui figurent au II, d’appliquer à titre conservatoire la retenue à la source dans des situations où celle-ci ne serait in fine pas due. Ainsi, s’agissant des opérations intervenant sur un marché réglementé, ces dispositions n’imposent pas de soumettre à retenue à la source, de manière préventive, le transfert de valeur résultant de la vente d’un contrat à terme alors que l’État de résidence de la personne ayant acquis le contrat ne pourrait pas être connu, ou qu’il ne serait pas possible de déterminer si la détention de ce contrat a, pour cette personne, un effet économique similaire à la possession de l’action sous-jacente.
13. Le Conseil d’État rappelle en revanche que l’établissement payeur est tenu d’appliquer la retenue à la source chaque fois que les conditions prévues à l'article 119 bis A tel que modifié par l’amendement adopté par le Sénat sont réunies. Parmi les différentes situations envisagées par le Gouvernement dans sa demande d’avis, c’est le cas, notamment, quand la transaction entrant dans le champ de l'article 119 bis A a été négociée de gré à gré avant d’être exécutée sur un marché réglementé. Dans le cas d’un contrôle, la retenue à la source trouvera également à s’appliquer quand des éléments matériels établissent que les conditions prévues à l’article 119 bis A sont réunies. Ces éléments matériels pourraient le cas échéant reposer, en conjonction avec d’autres indices, sur le prix ou sur la marge auxquels les transactions ont été conclues, de tels indices ne pouvant par nature s’apprécier qu’au cas par cas.
Sur les situations dans lesquelles la banque et ses entités liées n’ont pas reçu le dividende sous‑jacent
14. La quatrième question posée par le Gouvernement vise à déterminer si une retenue à la source pourrait être due par un établissement bancaire en mesure de montrer qu’il n’a pas perçu par lui-même, ni par l’intermédiaire des entités qui lui seraient liées, le dividende qui est le sous‑jacent d’un produit dérivé entrant dans le champ des nouvelles dispositions envisagées. Cette situation pourrait par exemple se présenter lorsqu’un établissement bancaire français, après avoir vendu à une contrepartie non-résidente un contrat à terme et acheté auprès d’elle l’action française sous-jacente, revend ensuite cette action avant le détachement du dividende, notamment parce que ses besoins de couverture ont évolué.
15. La question du Gouvernement ne paraît pas appeler de réponse univoque. En effet, le Conseil d’État estime que la seule circonstance que l’établissement bancaire ne détiendrait plus l’action au moment du détachement du dividende n’est pas déterminante pour apprécier si, au moment de l’opération ou de la combinaison d’opérations réalisées avec la contrepartie non‑résidente, les conditions prévues à l'article 119 bis A tel que modifié par l’amendement du Sénat étaient réunies. En application des règles de recouvrement prévues par les dispositions envisagées au 2 du I de l'article 119 bis A, la retenue à la source peut du reste être due avant le détachement du dividende. En d’autres termes, alors même qu’il ne détient plus l’action au moment du détachement du dividende, l’établissement bancaire peut avoir réalisé une opération entrant dans le champ de l'article 119 bis A et être regardé comme bénéficiant de manière indirecte du dividende, ne serait-ce que parce qu’il a, en principe, cédé l’action en cause à un prix reflétant le fait que le dividende n’était pas échu au jour de la cession. A l’inverse, un établissement bancaire qui n’aurait à aucun moment détenu l’action produisant le dividende soumis à retenue à la source, ni par lui-même, ni par l’intermédiaire d’une entité qui lui serait liée, n’entrerait pas dans le champ des nouvelles dispositions des articles 119 bis et 119 bis A. Le Conseil d’État estime qu’il convient donc, dans de telles situations, d’apprécier au cas par cas si les conditions d’application de la retenue à la source sont réunies.
Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’État dans son Assemblée générale du lundi 27 janvier 2025.