Le Sénat a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur une proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales. Retrouvez ci-dessous l'analyse que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.
CONSEIL D’ÉTAT
Assemblée générale - Séance du 15 octobre 2015
Section de l’administration - N° 390578
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS
AVIS SUR UNE PROPOSITION DE LOI relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales
Le Conseil d’État a été saisi par le président du Sénat, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, de la proposition de loi n° 700 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, présentée par M. Philippe Bas, sénateur, président de la commission des lois, dont l’objectif est de remédier à la censure par la décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 du Conseil constitutionnel de l’article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure issu de la loi relative au renseignement définitivement adoptée par le Parlement le 24 juin 2015.
Après avoir examiné l’ensemble des articles de cette proposition, le Conseil d’État présente les observations suivantes.
I. - Sur l’article 1er
L’article 1er de la proposition de loi insère dans le code de la sécurité intérieure, dans le livre VIII « Du renseignement » issu de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement et au sein du titre V « Des techniques de recueil de renseignement soumises à autorisation », un chapitre IV consacré aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, composé d’un seul article, L. 854-1.
Le I de cet article L. 854-1 définit le champ d’application du régime de surveillance des communications électroniques internationales et il précise la façon dont s’articulent ce régime et celui des interceptions de sécurité. Il exclut de toute surveillance individuelle les personnes qui utilisent des numéros d’abonnement ou des identifiants rattachables au territoire national, sauf lorsque ces personnes faisaient l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national ou sont identifiées comme présentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3.
Le II décrit le régime des autorisations de surveillance des communications internationales. Il distingue trois types de décision, relevant de la compétence du Premier ministre : la désignation des réseaux de communications électroniques sur lesquels l’interception des communications est autorisée, l’autorisation d’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées et l’autorisation d’exploitation des communications, ou des seules données de connexion, interceptées.
Le III prévoit que les personnes mentionnées à l’article L. 821-7, c’est-à-dire celles qui exercent en France un mandat parlementaire ou la profession de magistrat, avocat ou journaliste, bénéficient d’un régime particulier.
Le IV définit la durée de conservation des données collectées. A l’issue de cette durée, variable selon le type de renseignements, les renseignements collectés sont détruits, sauf ceux qui contiennent des éléments de cyberattaque ou qui sont chiffrés, ainsi que les renseignements déchiffrés associés à ces derniers.
Le V précise les conditions d’exploitation et de destruction des renseignements collectés.
Le VI décrit le régime des « communications mixtes », c’est-à-dire des communications qui renvoient à un numéro ou un identifiant rattachable au territoire national.
Le VII définit le contrôle exercé sur la surveillance des communications internationales. Ce contrôle fait intervenir successivement un contrôle administratif, assuré par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), et un contrôle juridictionnel, assuré par le Conseil d’État statuant dans des conditions permettant le respect du secret de la défense nationale. L’ensemble des mesures de surveillance des communications internationales peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, après examen préalable par la CNCTR.
1- Le Conseil d’État observe, en premier lieu, que de nombreuses garanties, qui devaient initialement figurer dans un décret en Conseil d’État, sont désormais déterminées dans la loi elle-même : la nature de la surveillance pratiquée ; les différentes catégories d’autorisation délivrées par le Premier ministre ; le régime de protection de certaines catégories de communications ; les conditions dans lesquelles les données sont exploitées, transcrites et détruites ; la durée de conservation de ces données ; le contrôle exercé par la CNCTR et par le juge administratif sur la légalité des autorisations ainsi que sur la mise en œuvre de la loi. Ce faisant, la proposition de loi définit les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en application de l’article L. 854-1 et les conditions du contrôle par la CNCTR de la légalité des autorisations délivrées en application de cet article et de leurs conditions de mise en œuvre et elle répond, ce faisant, aux exigences qui découlent de la décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 2015 et, en particulier, de son § 78 en ce qui concerne la compétence du Parlement.
2- Le Conseil d’État relève, en deuxième lieu, que le projet de texte institue pour la surveillance des communications électroniques internationales un régime qui présente des différences substantielles par rapport au régime de surveillance des communications nationales : absence d’avis préalable de la CNCTR avant la délivrance d’une autorisation du Premier ministre, autorisations collectives, usage d’algorithmes sur les correspondances comme sur les données de connexion, absence de recours juridictionnel direct pour les personnes souhaitant vérifier qu’aucune mesure de surveillance n’est irrégulièrement mise en œuvre à leur égard. Il estime que ces différences sont justifiées à la fois par la différence de situation entre les personnes résidant sur le territoire français et celles résidant à l’étranger, par la différence corrélative des techniques de surveillance qui doivent être employées, ainsi que par la nature propre des missions de surveillance qui sont exercées à l’étranger.
Le Conseil d’État observe par ailleurs que ce régime assortit la surveillance internationale de nombreuses conditions et garanties : mise en œuvre de la surveillance pour les seules finalités énumérées à l’article L. 811-3 du CSI ; nécessité d’une autorisation préalable du Premier ministre ; encadrement de la durée de conservation ; contrôle par une autorité administrative indépendante ; régime particulier dans le cas où sont utilisées à l’étranger des numéros ou identifiants rattachables au territoire national ; prise en compte de la situation de certaines professions ou qualités. Le Conseil d’État considère que, dans ces conditions, la proposition de loi assure, sur le plan constitutionnel, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, les nécessités propres aux objectifs poursuivis, notamment celui de la protection de la sécurité nationale, et, d’autre part, le respect de la vie privée et le secret des correspondances protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il estime également que l’ensemble de ces garanties permettent de regarder l’ingérence dans la vie privée que rendent possible les mesures contenues dans la proposition de loi comme étant nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale et à la prévention des infractions pénales, au sens de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
3- Le Conseil d’État observe, en troisième lieu, que le régime de surveillance des communications électroniques internationales, tel qu’il est envisagé, ne méconnaît pas non plus des exigences constitutionnelles ou conventionnelles en ce qu’il ouvre la possibilité de surveiller, pour les seules finalités prévues à l’article L. 811-3 du CSI, les personnes situées en dehors du territoire français (hormis le cas où elles utilisent des numéros d’abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national) sans prévoir de règles différentes selon leur nationalité.
4- Le Conseil d’État constate, en quatrième lieu, que si le dispositif prévu exclut le recours direct au juge contre les mesures prises au titre de l’article L. 854-1, il permet à toute personne souhaitant vérifier qu’aucune mesure de surveillance n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard de saisir la CNCTR, autorité administrative indépendante, à charge pour elle de s’assurer que les mesures mises en œuvre au titre du présent article respectent les conditions qu’il fixe et celles définies par les textes pris pour son application et par les autorisations du Premier ministre ou de ses délégués. Il note en outre que le Conseil d’État peut être saisi par le président de la commission ou par au moins trois de ses membres lorsque le Premier ministre ne donne pas suite aux recommandations adressées par la commission ayant constaté un manquement aux règles de l’article L. 854-1 ou qu’il lui donne des suites qu’elle estime insuffisantes. Eu égard aux exigences inhérentes à tout système de surveillance, les techniques mises en œuvre n’ayant d’utilité, dans l’activité de renseignement, que si elles sont mises en œuvre à l’insu des intéressés, eu égard par suite à la nécessité d’instituer une intermédiation préservant le secret de ces activités, eu égard enfin à la circonstance que la procédure juridictionnelle est pleinement contradictoire à l’égard de la CNCTR, le projet de texte peut être regardé comme opérant une conciliation, qui n’est pas manifestement déséquilibrée, entre le droit des personnes intéressées à exercer un recours effectif et les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, dont participe le secret de la défense nationale. Eu égard à ces caractéristiques, la proposition de loi ne méconnaît pas non plus le droit à un recours effectif reconnu par l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
5- Le Conseil d’État relève, en cinquième lieu, que, compte tenu du caractère stratégique des décisions en cause, qui sont au surplus en nombre très limité, l’absence de faculté donnée au Premier ministre de déléguer la désignation des réseaux de communications électroniques sur lesquels l’interception des communications peut être autorisée n’est de nature à se heurter à aucun obstacle qui tiendrait à la protection des intérêts fondamentaux de la Nation ou aux exigences d’une bonne administration.
6- Le Conseil d’État constate, enfin, que la référence, au II de l’article L. 854-1, au terme de « réseaux de communications électroniques », notion définie par ailleurs à l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, n’a ni pour objet ni pour effet de modifier le champ d’application des mesures de surveillance tel qu’il a été défini par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 sur le renseignement. Les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne continuent en effet, en application de l’article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure, de ne pas relever du champ d’application de l’ensemble du livre VIII du code de la sécurité intérieure, comme c’était déjà le cas dans la législation applicable antérieurement.
II. - Sur l’article 2
Cet article procède à une coordination dans le code de justice administrative pour étendre aux mesures prises au titre de la surveillance des communications internationales les règles de la procédure contentieuse prévues par la loi sur le renseignement. Il n’appelle pas d’observation.
III. - Sur l’article 3
L’article 3 vise à permettre, à titre transitoire, de continuer à pouvoir surveiller à l’étranger les personnes qui, constituant une menace sur le territoire national, faisaient l’objet d’interceptions et utilisent à l’étranger des numéros ou identifiants français. Il indique à cette fin que le troisième alinéa du I de l’article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure est applicable aux personnes qui communiquent depuis l’étranger et qui faisaient l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité délivrée en application du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-912 du 25 juillet 2015, à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national.
Le Conseil d’État observe qu’une telle mention n’est pas indispensable, alors que le IV de l’article 21 de la loi sur le renseignement dispose, dans son deuxième alinéa, que les autorisations et les décisions régulièrement prises par le Premier ministre dans le cadre du régime antérieurement en vigueur demeurent applicables, à l’entrée en vigueur de cette loi, jusqu’à la fin de la période pour laquelle les autorisations et les décisions ont été données.
Cet avis a été délibéré par le Conseil d’État (assemblée générale) dans sa séance du 15 octobre 2015.