Le juge des référés du Conseil d’État confirme la suspension de deux prolongations d’assignations à résidence.
L’Essentiel :
M. et Mme H. ont été assignés à résidence le 23 décembre 2015. Ces assignations ont été renouvelées périodiquement. Le 20 décembre 2016, elles ont été prolongées pour trois mois au-delà de la période d’un an qui constitue en principe la durée maximale. Le 20 mars 2017, le ministre de l’intérieur a à nouveau prolongé ces assignations pour trois mois.
Par ordonnances du 16 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a suspendu ces nouvelles prolongations. Le ministre de l’intérieur a fait appel de ces ordonnances devant le juge des référés du Conseil d’État.
Le juge des référés du Conseil d’Etat relève que les intéressés ont été assignés à résidence en 2015 compte tenu de la menace d’une particulière gravité qu’ils représentaient pour la sécurité et l’ordre publics. S’agissant de M. H., des éléments nouveaux et complémentaires avaient ensuite été fournis pour justifier l’assignation au-delà de la période de douze mois.
Le juge des référés constate toutefois que le ministre de l’intérieur ne produit, pour chacun des intéressés, aucun élément nouveau ou complémentaire postérieur au 20 mars 2017 de nature à établir la persistance de la menace. Dans ces conditions, il estime qu’il ne résulte pas de l’instruction que leur comportement constituerait, à la date où il statue, une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
Le juge des référés du Conseil d’État rejette donc les appels du ministre de l’intérieur. Les intéressés ne sont plus assignés à résidence.
Le cadre juridique
L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence permet d’assigner des personnes à résidence lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elles constituent des menaces pour la sécurité et l’ordre publics. La loi du 19 décembre 2016 a prévu que la durée d'une mesure d'assignation à résidence ne peut en principe excéder douze mois, consécutifs ou non. Au-delà de cette durée, une telle mesure ne peut être renouvelée que par périodes de trois mois. Il résulte de la décision n° 2017-624 QPC du Conseil constitutionnel du 16 mars 2017 que ces prolongations au-delà d’un an sont soumises au respect de trois conditions :
- le comportement de la personne en cause doit constituer une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ;
- l'autorité administrative doit produire des éléments nouveaux ou complémentaires ;
- doivent être prises en compte dans l'examen de la situation de l'intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie.
Les faits et la procédure
M. et Mme H. ont fait l’objet d’arrêtés d’assignation à résidence le 23 décembre 2015. Ces assignations ont été renouvelées lors de chaque prolongation de l’état d’urgence. Par des arrêtés des 20 décembre 2016 et 20 mars 2017, ces assignations ont été prolongées au-delà du délai total d’un an, à chaque fois pour trois mois.
M. et Mme H. ont demandé, le 9 juin 2017, au juge des référés du tribunal administratif de Lille de suspendre la dernière prolongation (en date du 20 mars 2017) de leurs assignations à résidence. Par des ordonnances du 16 juin 2017, le juge des référés a fait droit à leur demande.
Le ministre de l’intérieur a fait appel de ces ordonnances devant le juge des référés du Conseil d’État.
Les ordonnances du juge des référés
Par les ordonnances de ce jour, le juge des référés du Conseil d’État, qui statuait en formation collégiale, relève tout d’abord que M. et Mme H. ont pu légalement être regardés comme représentant une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et assignés à résidence pour ce motif. En effet, selon les constats des ordonnances :
- les intéressés ont été proches de la mouvance islamiste, ont fréquenté des personnes en lien avec l’organisation « Etat islamique », ont consulté régulièrement des sites Internet relayant ses activités et ses mots d’ordre et la publication « Dar al Islam » prônant la guerre sainte et publiant des consignes pour les individus projetant de commettre des attentats ;
- M. H. a publié sur son compte Facebook des textes et images favorables au djihad mené en Syrie et s’est livré à des entraînements paramilitaires dans un bois ;
- deux perquisitions menées à leur domicile ont conduit à la saisie de centaines de fichiers relatifs à l’organisation « Etat islamique » et ont permis de trouver trace de la consultation de sites djihadistes.
Le juge des référés relève toutefois, s’agissant de M. H., que si des éléments nouveaux et complémentaires avaient été fournis pour la période précédant l’édiction de l’arrêté du 20 mars 2017, et justifiant son édiction, le ministre ne fait état d’aucun élément nouveau ou complémentaire intervenu depuis cette date et de nature à établir la persistance de la menace. En outre, il relève qu’il ne résulte pas de l’instruction que M. H. ait été impliqué dans des mouvements islamistes radicaux.
S’agissant de Mme H., le juge des référés constate aussi que le ministre ne fait état d’aucun élément nouveau ou complémentaire intervenu depuis le 20 mars 2017 de nature à établir la persistance de la menace. Il relève également qu’il ne résulte pas de l’instruction que Mme H. ait été impliquée dans des mouvements islamistes radicaux.
Dans ces conditions, le juge des référés estime qu’à la date de ses ordonnances, et alors que les intéressés sont assignés à résidence depuis le 23 décembre 2015, il ne résulte pas de l’instruction que leur comportement constituerait une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
Le juge des référés du Conseil d’État rejette donc les appels du ministre de l’intérieur contre les ordonnances qui ont suspendu les prolongations des assignations. Les intéressés ne sont donc plus assignés à résidence.