Le juge des référés du Conseil d’État rejette deux recours contre des décisions du ministre de l’intérieur prolongeant des mesures d’assignation à résidence au-delà d’un an.
> Lire l'ordonnance 409677
> Lire l'ordonnance 409725
L’essentiel :
L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction résultant de la loi du 19 décembre 2016, interdit en principe qu’une même personne puisse, à compter de la déclaration de l’état d’urgence et pour toute sa durée, être assignée à résidence pour une durée totale supérieure à un an. Il autorise toutefois le ministre de l’intérieur à prolonger une assignation à résidence au-delà de cette durée, par périodes de trois mois au plus.
Le juge des référés du Conseil d’État, saisi de deux référés-libertés contre des décisions du ministre de l’intérieur prolongeant au-delà d’un an l’assignation à résidence de deux personnes, a contrôlé le respect des conditions auxquelles le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, a subordonné une telle décision de prolongation.
Par les ordonnances de ce jour, le juge des référés du Conseil d’État rejette les appels des deux requérants. Il estime en effet que ni l’arrêté prolongeant l’assignation à résidence de M. G… D…, ni celui prolongeant l’assignation à résidence de M. A… B… ne font apparaître d’illégalité manifeste dès lors que :
les intéressés, qui n’ont manifesté aucune volonté de rompre leurs liens avec l’islamisme radical, constituent chacun une menace d’une particulière gravité pour l’ordre et la sécurité publics ;
l’instruction des affaires et les audiences ont montré qu’il existe des éléments nouveaux ou complémentaires par rapport aux premières décisions d’assignation à résidence qui justifient une prolongation ;
l’administration a pris en compte la durée totale des deux mesures d’assignation à résidence ainsi que l’ensemble des contraintes imposées aux intéressés dans ce cadre, sans leur imposer d’obligations excessives.
Les ordonnances du juge des référés du Conseil d’État :
L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence permet d’assigner des personnes à résidence lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elles constituent des menaces pour la sécurité et l’ordre publics.
La loi du 19 décembre 2016 a prolongé l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017. Elle a également modifié l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 en prévoyant que la durée d'une mesure d'assignation à résidence ne peut en principe excéder douze mois, consécutifs ou non. Au-delà de cette durée, une telle mesure ne peut être renouvelée que par périodes de trois mois. Dans sa rédaction initiale, la loi du 19 décembre 2016 prévoyait également que la décision de prolongation ne pouvait intervenir que sur autorisation donnée au ministre de l’intérieur par le juge des référés du Conseil d’État.
Le Conseil constitutionnel a examiné la conformité à la Constitution de la nouvelle rédaction de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, issue de la loi du 19 décembre 2016, par sa décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017. Il a jugé contraire à la Constitution et abrogé en conséquence, avec effet immédiat, les dispositions qui subordonnaient la possibilité de prolonger une assignation à résidence au-delà de douze moi à une autorisation du juge des référés du Conseil d’État. Pour le reste, il a admis la prolongation, au-delà d’une période totale d’un an, d’une mesure d’assignation à résidence pour une durée de trois mois, sous réserve du respect de trois conditions :
le comportement de la personne en cause doit constituer une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ;
l'autorité administrative doit produire des éléments nouveaux ou complémentaires ;
doivent être prises en compte dans l'examen de la situation de l'intéressé la durée totale de son placement sous assignation à résidence, les conditions de celle-ci et les obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie.
La décision du Conseil constitutionnel indique en outre que la durée de la mesure d'assignation à résidence doit être justifiée et proportionnée aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence et qu’il revient au juge administratif de s'assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit.
C’est donc au juge administratif, compétent pour connaître des recours formés contre des décisions prolongeant des assignations à résidence, qu’il revient de vérifier que les conditions posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017 ont été respectées par le ministre de l’intérieur. Il doit tout d’abord vérifier que le comportement de la personne assignée à résidence constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre et la sécurité publics.
Il doit ensuite s’assurer que l’administration fait état d’éléments nouveaux ou complémentaires. Les ordonnances précisent que ces éléments, postérieurs à la décision initiale d’assignation à résidence ou aux précédents renouvellements, doivent s’être produits ou avoir été révélés au cours des douze mois précédents. De tels faits peuvent résulter d’agissements de la personne concernée, de procédures judiciaires et même, si elles sont fondées sur des éléments nouveaux par rapport à ceux qui ont justifié la première mesure d’assignation à résidence, de décisions administratives. Le juge administratif contrôle enfin que l’administration a pris en compte la durée totale de l’assignation et l’ensemble des contraintes qui s’y attachent. Dans le cadre d’une procédure de référé-liberté introduite sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés vérifie, au regard de ces trois conditions, que la décision de prolongation n’est entachée d’aucune illégalité manifeste.
Saisi en appel de deux référés-libertés contre des décisions du ministre de l’intérieur prolongeant au-delà d’un an des assignations à résidence, le juge des référés du Conseil d’État a procédé à ces trois vérifications. D’une part, il a, au vu des pièces de chacun des dossiers et des éléments recueillis à l’audience, estimé que chacun des deux requérants constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre et la sécurité publics. D’autre part, le juge des référés a constaté que les décisions de prolongation étaient fondées sur des éléments complémentaires ou nouveaux par rapport aux premières assignations, survenus ou révélés au cours des douze derniers mois. Enfin, dans chacun des dossiers, le juge des référés a estimé que l’ensemble des contraintes imposées aux intéressés dans le cadre de leur assignation à résidence – obligation de présence au domicile à certaines heures, obligation de présentation au commissariat, interdiction de fréquenter certaines personnes – n’étaient, en dépit de la durée des assignations, pas excessives.
Dans les deux affaires, le juge des référés du Conseil d’État a estimé que l’arrêté du ministre de l’intérieur prolongeant la mesure d’assignation ne faisait pas apparaître d’illégalité manifeste. En conséquence, il a rejeté les requêtes.